J-02-102
Recouvrement de créance – ordonnance d’injonction – opposition – signification au greffier en chef du tribunal (non) – préjudice subi par le créancier poursuivant – absence de preuve – déchéance de l'opposition (non)
Le créancier poursuivant la procédure d’injonction de payer n'ayant pas rapporté la preuve que la non signification, au greffe et à l’huissier poursuivant, de l'exploit d’opposition contre l’ordonnance d’injonction, lui a causé un préjudice, le débiteur ne peut être déchu de son opposition, l'article 11 de l'Acte uniforme portant recouvrement de créance n'étant pas une disposition d'ordre public.
Article 11 AUPSRVE
(Tribunal de première instance de Gagnoa, Jugement n° 8 du 20 janvier 2000, époux K. c/ BICICI, Le Juris-Ohada, n° 2/2002, avril mai juin 2002, p. 42, observations anonymes).
Tribunal de Première Instance de Gagnoa
Jugement N° 08 du 20 janvier 2000.
le tribunal,
Ouï les parties en leurs conclusions;
Vu les pièces du dossier;
Le 09 décembre 1999, Madame le Président du Tribunal de Gagnoa a rendu une décision d'injonction de payer n° 279, condamnant Monsieur K. et Mme K. née G. à payer la somme principale de 14.920.216 FCFA à la Banque Internationale pour le Commerce et l'Industrie de la Côte d'Ivoire dite BICICI, outre les intérêts de droit;
Ladite décision a été signifiée aux débiteurs par exploit en date du 15 décembre 1999 et ceux-ci ont formé opposition contre cette décision d'injonction de payer par exploit daté du 21 décembre 1999 de Me GOZO GOLE ANTOINE, Huissier de justice à Gagnoa;
Au soutien de leur opposition, les époux K. exposent qu'ayant obtenu un prêt de 5.500.000 FCFA à eux déjà remboursé la somme de 5.554.871 FCFA (sic) par le biais de précompte sur leur salaire opéré par le Trésor Public, conformément à l'article 11 du contrat notarié;
Par la suite, la CIFDIM fut admise en liquidation judiciaire et la BICICI poursuivant les créances de cette dernière, avait obtenu une ordonnance d'injonction de payer n° 103 du 26 mars 1991 rendue par le Président du Tribunal de Gagnoa, les condamnant à lui payer la somme de 10.410.068 FCFA au titre de remboursement du principal du prêt consenti et des intérêts y afférents;
Cette ordonnance, continuent les opposants, fut rétractée par le jugement civil N° 3 du 20 mars 1992;
Ils soutiennent par conséquent qu'il y a autorité de la chose jugée dans cette affaire et concluent à l'anéantissement de l'ordonnance n° 279/99;
En réponse, la BICICI, représentée par la SCPA TANO-COFFIE et Associés, précise que par acte notarié en date du 18 août 1980, les époux K. ont obtenu un prêt auprès de la CIFIM, différé par ses soins, pour l'achèvement d'une villa à Gagnoa;
Elle soulève in limine litis la déchéance des époux K. de leur opposition, au motif que l'exploit d'opposition qui lui a été servi ne l'a été ni à l'huissier poursuivant ni au Greffe du Tribunal de Gagnoa, au mépris des exigences de l'article 11 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Subsidiairement, la BICICI fait valoir que la procédure de recouvrement de créance est une procédure spéciale en ce sens que le Président du Tribunal rend une ordonnance au vu des pièces justificatives produites par le requérant; que par conséquent, s'agissant du jugement civil n° 13 du 20 mars 1992, c'est faute pour la BICICI d'avoir produit les pièces justifiant sa créance qu'une telle décision a été rendue;
La BICICI soutient qu'ayant actuellement en sa possession lesdites pièces, constituées essentiellement des relevés bancaires, de l'arrêté de créance du 31 mars 1998 et d'un courrier daté du 20 avril 1998 adressé à Mme K. et resté sans suite, c'est à juste titre qu'elle a sollicité du Président du Tribunal, l'obtention de l'ordonnance critiquée, de sorte que les époux K. ne peuvent valablement lui opposer la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée;
Elle conclut pour dire qu'à défaut pour ceux-ci de rapporter la preuve de ce que la créance de la BICICI n'est pas fondée, le Tribunal devra rejeter leur opposition non fondée;
La BICICI produit au dossier un document intitulé "tableau des versements »;
En réplique, dans leurs écritures datées du 10 janvier 2000, les époux K. rétorquent qu'en tout état de cause, ils ne contestent pas rester devoir de l'argent à leur créancier, à titre de reliquat du remboursement du prêt, mais ils contestent les pénalités qui ont majoré la somme principale restant à payer, en raison de ce (que) le retard accusé dans le paiement du crédit différé ne leur incombe pas, les précomptes mensuels devant s'effectuer au Trésor Public sur leur salaire;
Ils reviennent sur leurs déclarations précédentes en soulignant qu'au vu des documents produits, le contrat de crédit différé portant sur la somme de 5.900.000 FCFA dont 4.574.000 francs ont été remboursés jusqu'en 1987, tout en indiquant que le reliquat majoré des intérêts s'élève à 10.407.400 F, y compris l'intérêt de l'anticipateur, en excessif;
Ils terminent en déclarant que conformément à l'article 11 du contrat notarié passé avec la CIFIM, le paiement de ce reliquat doit s'opérer par des prélèvements sur leur salaire au Trésor Public;
Ils produisent au dossier un exploit daté du 30 décembre 1999, intitulé "dénonciation d'exploit »;
SUR CE
DE LA RECEVABILITE DE L'OPPOSITION
Attendu qu'il ressort du dossier que la décision d'injonction de payer n° 279 du 09 décembre 1999 rendue par Mme le Président du Tribunal de Gagnoa a été signifiée aux débiteurs le 15 décembre 1999 et ceux-ci ont formé opposition le 21 décembre 1999, donc dans le délai de 15 jours, devant le Tribunal de Gagnoa;
Qu'il s'ensuit que cette opposition étant conforme aux exigences des articles 9 et 10 de l'Acte uniforme, il échet de la déclarer recevable;
DE LA DECHEANCE DE L'OPPOSITION
Attendu qu'en vertu de l'article 11 de l'Acte uniforme suscité, l'opposant est tenu à peine de déchéance, et dans le même Acte que celui de l'opposition, d'une part, de signifier son recours à toutes les parties et au Greffe du Tribunal et, d'autre part, de servir assignation à comparaître devant la juridiction compétente à une date fixe qui ne saurait excéder le délai de 30 jours à compter de l'opposition;
Qu'en l'espèce, si l'opposition a eu lieu le 21 décembre avec ajournement pour le 31 décembre, donc dans le délai de 30 jours, c'est à juste titre que la BICICI relève que l'exploit d'opposition qui lui a été signifié n'a été signifié ni au Greffe du Tribunal ni à l'huissier poursuivant;
Attendu que cependant la BICICI ne rapporte pas la preuve que le non-respect de ces prescriptions lui cause un préjudice; qu'en effet, à la différence de l'ajournement dans le délai de 30 jours édicté dans l'intérêt du créancier, afin d'éviter toute mesure dilatoire de la part du débiteur, la signification de l'opposition au Greffe du Tribunal et, éventuellement, à l'huissier poursuivant, vise, pour le Greffe du Tribunal, à empêcher l'apposition de la formule exécutoire sur l'ordonnance critiquée, suivant les articles suivants dudit Acte uniforme et, pour l'huissier poursuivant, à surseoir à toute mesure d'exécution en méconnaissance de la procédure d'opposition, toute chose susceptible d'engager leur responsabilité;
Qu'il s'ensuit que l'article 11 suscité n'étant pas une disposition d'ordre public, il convient de déclarer la BICICI mal fondée à solliciter la déchéance des époux K. de leur opposition, pour les motifs invoqués;
DE LA DEMANDE EN RECOUVREMENT
Attendu qu'il ressort du dossier qu'un jugement n° 03 du 20 mars 1992 a été rendu sur la même demande, entre les mêmes parties agissant en les mêmes qualités, portant sur le même objet, soutenu par la même cause par le Tribunal de première instance de Gagnoa, en rétractation d'une ordonnance sur requête rendue par le Président dudit Tribunal;
Que si cette décision n'a pas rencontré l'assentiment de la BICICI, la seule voie légale qui lui est offerte pour la critiquer est l'appel, afin que la cause soit portée devant la Cour d'Appel de Daloa pour un second examen; que, dès lors, la BICICI est irrecevable à solliciter une autre décision s'agissant de cette même affaire devant le Tribunal de Gagnoa;
Qu'il y a lieu, conséquemment, de déclarer nulle et non avenue l'ordonnance critiquée;
DES DÉPENS
Attendu que la BICICI succombe;
Qu'il y a lieu de la condamner aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort;
– Déclare recevable et bien fondée l'opposition formée par les époux K.;
– Déclare irrecevable l'action en recouvrement de la BICICI.
– Président : Mme YAO Jeanne BODJI.
Note anonyme
Quelle est la sanction de la non-signification de l'opposition au Greffier du Tribunal qui a rendu la décision d'injonction de payer et à l'huissier instrumentaire ?
L'intérêt du jugement est qu'il semble prendre le contre-pied de l'arrêt de la Cour d'Appel du 26 mai 2000 publié ci-dessus (cf. Supra p.35). (Ohadata J-02- 99)
En effet, l'interprétation que donne le Tribunal de Gagnoa de l'article 11 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures de recouvrement et des voies d'exécution, qui précise la sanction, est contraire à celle donnée par la Cour d'Appel d'Abidjan.
Il n'est pas inutile de rappeler qu'aux termes de cet article, "l'opposant est tenu, à peine de déchéance, et dans le même Acte que celui de l'opposition :
– de signifier son recours à toutes les parties et au Greffe de la juridiction ayant rendu la décision d'injonction de payer
– de servir assignation à comparaître devant la juridiction compétente, à une date fixe qui ne saurait excéder le délai de trente jours à compter de l'opposition ».
Il en résulte que la non-signification du recours aux parties et au Greffier entraîne automatiquement la déchéance de l'opposant, puisque l'article n'ajoute pas d'autres conditions d'application de la sanction.
Dès lors, peut-on valablement procéder à une distinction, selon que la non-signification du recours a été préjudiciable ou non au créancier poursuivant, pour appliquer la sanction ?
Telle semble la position du Tribunal de Gagnoa, qui reproche au créancier de n'avoir pas rapporté la preuve que la non-signification du recours lui a causé un préjudice. Autrement dit, le Tribunal subordonne l'application de la sanction à la preuve d'un préjudice subi par le créancier poursuivant.
Ce qui paraît contraire à l'article 11 précité, dans la mesure où non seulement l'Acte uniforme ne distingue pas, et surtout que la sanction s'impose au juge, dès lors qu'il constate que la signification n'a pas été faite aux différents destinataires de l'acte d'opposition.
C'est dans ce sens que s'est prononcée la Cour d'Appel d'Abidjan, confirmant ainsi le jugement du Tribunal de première instance d'Abengourou (jugement N° 72/99 du 29 juillet 1999, inédit).
L'article 11 étant d'ordre public, il s'impose aux juges. (Dans ce sens, voir CAA. Arrêt N° 655 du 26 mai 2000. Prec. Supra. P 35).
NB L’auteur de la note semble viser l’arrêt de la CAA n° 655 du 16 mai 2001, op. et loc. cit. p. 31, à savoir Ohadata J-02- 98
Observations complémentaires de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur, Consultant
Il est curieux de noter que le TPI de Gagnoa se soit cru obligé de dire que l’article 11 AUVE n’est pas d’ordre public pour en déduire que le reproche fait par le créancier à l’absence de signification de l’acte d’opposition à l’huissier et au greffe devait être repoussé. La question n’est pas de savoir si l’article 11 AUVE est d’ordre public ou non mais de savoir s’il ne sanctionne de déchéance l’opposition pour non respect de ses dispositions que si cette violation cause un grief au créancier. Une disposition peut être d’ordre public (pas de clause contraire entre les parties) et tolérer (explicitement ou implicitement) que seul le préjudice tiré de sa violation puisse entraîner la sanction qu’il prévoit.