J-02-110
procès-verbal de conciliation établi à l'étranger – nécessité de l'exequatur pour le rendre exécutoire en Côte d’Ivoire – article 33 auPSRve.
procès-verbal de vérification suivi d'enlèvement des objets saisis – absence de titre exécutoire – nullité du procès-verbal.
S'il est exact que l'article 33 de l’AUPSRVE énumère les procès-verbaux de conciliation parmi les titres exécutoires, ces procès-verbaux doivent être soumis à l'exequatur pour être exécutés sur le territoire ivoirien, s'ils ont été établis à l'étranger.
En conséquence, un procès-verbal de vérification suivi d'un enlèvement d'objets saisis établi en vertu d'un procès-verbal de conciliation non revêtu de l'exequatur, sous astreinte, doit être annulé et justifie la décision du premier juge d'ordonner la restitution des objets saisis.
(Cour d'Appel d'Abidjan, Chambre civile et commerciale, arrêt n° 182 du 6 février 2001, Looky Lamseh c/ Fofana Birahima).
COUR D'APPEL d'Abidjan
Côte d'Ivoire
chambre civile et commerciale
Audience du Mardi 06 Février 2001
Affaire : LOOKY LAMSEH
(Mes KONATE – BAZIE - KOYO)
contre
FOFANA BIRAHIMA
(Mes SONTE – BLEOUE - KOFFI).
Arrêt Civil Contradictoire 5ème Chambre B
La Cour d'Appel d'Abidjan, Chambre Civile et Commerciale, séant au Palais de Justice de ladite ville, en son audience publique ordinaire du mardi Six Février Deux Mil Un, à laquelle siégeaient :
Monsieur SEKA ADON Jean-Baptiste, Président de Chambre, Président
Mr DIALLO Mahammadou et Mme KONAN Laurence, Conseillers à la Cour, Membres,
Avec l'assistance de Maître GOSSE KOUAME Jacques, Greffier,
A rendu l'arrêt dont la teneur suit dans la cause;
ENTRE :
Mr LOOKY LAMSEH, Directeur de société, de nationalité togolaise, demeurant à Lomé, angle Avenue de la Présidence et Avenue Georges Pompidou – B.P. 360 Lomé - TOGO;
APPELANT
Représenté et concluant par la SCPA KONATE – MOISE BAZIE - KOYO, Avocats à la Cour, ses Conseils;
D'UNE PART
ET :
Mr FOFANA BIRAHIMA, Commerçant, demeurant à Abidjan – Marcory, Zone 4, 10 B.P. 2309 Abidjan 10;
INTIME
Représenté et concluant par la SCPA SONTE – BLEOUE - KOFFI, Avocats à la Cour, ses Conseils;
D'AUTRE PART
Sans que les présentes qualités puissent nuire ni préjudicier en quoi que ce soit aux droits et intérêts respectifs des parties en cause, mais au contraire, sous les plus expresses réserves des faits et de droit.
FAITS :
La juridiction présidentielle du Tribunal d'Abidjan, statuant en la cause, en matière de référé, a rendu le 29 novembre 2000, une ordonnance n° 4580 non enregistrée, aux qualités de laquelle il convient de se reporter;
Par exploit en date du vendredi 08 Décembre 2000 de Maître KONIN ASSEMIAN Gabriel, Huissier de Justice à Abidjan, le sieur LOOKY LAMSEH a déclaré interjeter appel de l'ordonnance sus-énoncée et a, par le même exploit, assigné M. FOFANA BIRAHIMA à comparaître par-devant la Cour de ce siège à l'audience du mardi 19 Décembre 2000 pour entendre annuler ou infirmer ladite ordonnance;
Sur cette assignation, la cause a été inscrite au rôle général du Greffe de la Cour, sous le numéro 1235 de l'an 2000;
Appelée à l'audience sus-indiquée, la cause, après des renvois, a été utilement retenue le 23 janvier 2001 sur les pièces, conclusions écrites et orales des parties;
DROIT :
En cet état, la cause présentait à juger les points de droit résultant des pièces, des conclusions écrites et orales des parties;
La Cour a mis l'affaire en délibéré pour rendre son arrêt à l'audience du 06 février 2001;
Advenue l'audience de ce jour, 06 février 2001, la Cour, vidant son délibéré conformément à la loi, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR
Vu les pièces du dossier;
Ensemble l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties;
Considérant que par exploit d'huissier de justice en date du 8 décembre 2000, M. LOOKY LAMSEH a relevé appel de l'ordonnance de référé rendue le 29 novembre 2000 par le Président du Tribunal de première instance d'Abidjan qui, en la cause, a statué comme suit :
« … Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, mais dès à présent, vu l'urgence et par provision; déclarons recevable l'action initiée par M. FOFANA BIRAHIMA, l'y disons bien fondé; constatons que le procès-verbal de vérification précédant la vente suivi d'enlèvement du 17 novembre 2000 est irrégulier; en prononçons en conséquence la nullité; ordonnons la restitution des véhicules litigieux au demandeur sous astreinte comminatoire de 300.000 F par jour de retard;
Considérant qu'au soutien de son appel M. LOOKY LAMSEH expose que suite à sa plainte déposée devant le doyen des Juges d'instruction du Tribunal de Lomé contre M. TAMBARI ILLA, les parties ont signé le 31 juillet 2000, en présence du Président du Tribunal, un procès-verbal de conciliation revêtu de la formule exécutoire en vertu de l'article 33 de l'Acte uniforme portant sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution; qu'aux termes de ce procès-verbal, M. TAMBARI a offert en garantie du paiement de sa dette, outre des garanties bancaires, des sûretés réelles portant sur des biens dont des véhicules en Côte d'Ivoire;
Considérant que l'appelant ajoute que M. TAMBIRI ILLA ayant failli à l'exécution volontaire de son engagement et entrepris d'organiser son insolvabilité, il s'est vu contraint de procéder à l'exécution forcée du procès-verbal de conciliation du 31 juillet 2000;
Que pour ce faire, il a sollicité et obtenu l'apposition de la formule exécutoire de l'Etat de Côte d'Ivoire et a fait procéder à une vérification suivie d'appréhension des véhicules le 16 novembre 2000;
Considérant que M. LOOKY LAMSEH reproche au premier Juge d'avoir préjudicié au principal en prononçant la nullité du procès-verbal de vérification suivi d'enlèvement du 16 novembre 2000;
Que de surcroît, c'est à tort que la juridiction présidentielle a jugé qu'une décision d'exequatur était nécessaire avant toute exécution forcée et qu'une saisie aurait dû précéder le procès-verbal litigieux;
Considérant que l'appelant estime qu'aux termes de l'article 33 de l'Acte uniforme relatif aux voies d'exécution, l'exequatur n'est pas exigée pour les procès-verbaux de conciliation signés par le Juge et les parties;
Que par ailleurs, le grief résultant du défaut de saisie préalable n'est pas plus fondé, s'agissant de l'appréhension d'un bien en vertu d'un titre exécutoire, matière soumise aux dispositions des articles 219 et suivants de l'Acte uniforme précité;
Considérant qu'il soutient aussi que dans le cas particulier où le bien a été appréhendé pour être remis à un créancier gagiste, l'acte de remise ou d'appréhension vaut saisie et il est procédé à la vente selon les modalités applicables à la saisie-vente;
Considérant que de façon subsidiaire, il sollicite la suppression de l'astreinte, compte tenu de sa totale bonne foi;
Considérant que l'intimé conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise; qu'il explique que c'est à juste titre que le premier Juge a estimé que l'exequatur du procès-verbal de conciliation était nécessaire;
Qu'il précise que les procès-verbaux visés par l'article 33 et non soumis à exequatur, sont ceux du for et non ceux provenant de l'étranger;
Que, par ailleurs, il indique que la connaissance de la régularité des actes de procédure relève de l'office du Juge des référés;
Qu'en annulant les procès-verbaux des 16 et 17 novembre 2000, le premier Juge n'a nullement préjudicié au principal;
Qu'il sollicite en conséquence la confirmation de l'ordonnance entreprise;
DES MOTIFS
Considérant que l'appel relevé par LOOKY LAMSEH l'a été dans les forme et délai prescrits par la loi, qu'il y a lieu de le déclarer recevable;
AU FOND
Considérant que s'il est exact que l'article 33 de l'Acte uniforme portant sur les procédures simplifiées de recouvrement de créances et voies d'exécution énumère les procès-verbaux de conciliation parmi les titres exécutoires, il n'en demeure pas moins vrai que ces procès-verbaux, s'ils émanent de l'étranger, doivent être soumis à l'exequatur avant toute exécution sur le territoire ivoirien;
Que dès lors, c'est à juste titre que le premier Juge a prononcé la nullité du procès-verbal de vérification suivi d'enlèvement, établi en vertu d'un titre non exécutoire en Côte d'Ivoire;
Considérant que FOFANA BIRAHIMA, qui a justifié son droit de propriété sur les véhicules litigieux, subit un énorme préjudice du fait de la saisie desdits véhicules;
Qu'en conséquence, c'est à bon droit que le premier Juge en a ordonné la restitution sous astreinte comminatoire de 300.000 francs par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir;
Qu'il convient, dès lors, de confirmer l'ordonnance sur ce point;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile, commerciale et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare l'appel de LOOKY LAMSEH recevable;
AU FOND
– L'y dit mal fondé;
– L'en déboute;
– Confirme l'ordonnance entreprise.
En foi de quoi, le présent arrêt prononcé publiquement, contradictoirement, en matière civile, commerciale et en dernier ressort par la Cour d'Appel d'Abidjan (5ème Chambre civile B), a été signé par le Président et le Greffier.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
On ne peut qu'approuver la solution de la Cour d'Appel, dans la mesure où, malgré l'unification du droit dans l'espace Ohada, ni le Traité, ni les Actes uniformes (à part les dispositions relatives à l'arbitrage) n'étendent la force exécutoire des décisions rendues dans un Etat partie à tous les autres.
Il reste qu'on peut s'étonner de ce qu'une procédure de saisie ait pu être entreprise à partir d'un procès-verbal de conciliation établi et revêtu de l’exequatur à l’étranger. D'après les faits, tels que relatés par l'arrêt, on peut reconstituer ce qui s'est passé.
A la suite d'un différend entre les parties, celles-ci se sont rapprochées et un procès-verbal de conciliation avait été signé par elles, revêtu de la formule exécutoire, en présence du doyen des juges d'instruction du Tribunal de Lomé, sans qu'on puisse savoir si cette procédure était reconnue par la loi togolaise. En garantie du paiement de sa dette, le débiteur avait donné des sûretés réelles à son créancier, dont des véhicules situés en Côte d'Ivoire (sans que l'on sache s'il s'agissait d'un gage ou d'un nantissement de matériel professionnel). Le créancier n'ayant pas été payé, obtint l'apposition de la formule exécutoire de l'Etat de Côte d'Ivoire (sans que l'arrêt précise comment) et fit procéder à une vérification suivie d'appréhension des véhicules. Il semble donc que c’est à tort que l’apposition de la formule exécutoire lui ait été accordée par la justice ivoirienne; sur ce point, en l’absence d’information sur une telle procédure, il n’est pas possible d’émettre une opinion.
Le créancier, se croyant légitimement détenteur d’un titre exécutoire, aurait dû suivre la procédure de réalisation prévue pour le gage ou le nantissement tel que prévu par l'article 56 de l'Acte uniforme sur les sûretés, qui ne prévoit pas la vérification.
Quant à l'appréhension, il s'agit probablement de la saisie appréhension réglée par les articles 219 et suivants AUVE qui n'est prévue que contre les personnes tenues de la remise ou de la restitution d'une chose (obligation de faire) en vertu d'un titre exécutoire, ce qui n'est pas le cas d'un débiteur constituant de gage.
Finalement, le créancier eût été plus avisé de requérir une saisie conservatoire des véhicules et d'introduire parallèlement une procédure d'injonction de payer devant le juge ivoirien, afin d'obtenir un titre exécutoire en Côte d'Ivoire.