J-02-127
Voir aussi Ohadata J-02-23, Ohadata J-02-161, Ohadata J-02-171
ARBITRAGE – Amiable composition. – Acte Uniforme OHADA relatif à l’arbitrage. – Mission de l’arbitre. – Obligation de confronter la solution légale à l’équité. – Sanction. – Annulation de la sentence (art.26 de l’Acte Uniforme).
Arbitrage.- Acte Uniforme OHADA relatif à l’arbitrage. – Droit transitoire. – Applicabilité de l’Acte Uniforme. – Solutions diverses.
Clause compromissoire. – Droit ivoirien. – Recours en annulation. – Absence alléguée. – Convention principale signée par un prétendu tiers. – Application par l’arbitre de la théorie de l’apparence. – Grief non fondé.
Recours en annulation. – Droit ivoirien. – 1°) Juridiction compétente. – Article 25 de l’Acte Uniforme OHADA relatif à l’arbitrage. – Tribunal de première instance (non). – Cour d’Appel (oui). – 2°) Droit applicable. – Instance arbitrale engagée sur le fondement de la loi ivoirienne du 9 août 1993. – Application de cette loi au recours en annulation. – Inapplicabilité de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif à l’arbitrage. – 3°) Recevabilité. – Clause prévoyant l’absence de recours contre la sentence. – Article 42, alinéa 2, de la loi du 9 août 1993. – Impossibilité de renoncer au recours en annulation. – Conséquence. – Clause réputée non écrite. – Recours recevable. – 4°) Absence alléguée de convention d’arbitrage. – Convention principale signée par un tiers. – Application par l’arbitre de la théorie de l’apparence. – Grief non fondé. – 5°) Annulation de la sentence. – Article 29 de l’Acte Uniforme OHADA relatif à l’arbitrage. (ARTICLE
29 AUA) – Défaut de pouvoir de la Cour d’Appel de connaître du fond de l’affaire.
Traité OHADA. – 1°) Droit transitoire. – Article 35 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage. – Applicabilité de l’Acte Uniforme aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur. Conséquence. – Recours en cassation formé contre la décision d’une Cour d’Appel ivoirienne. – Incompétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. – 2°) Droit transitoire. – Instance arbitrale engagée sur le fondement de la loi ivoirienne du 9 août 1993. – Application de cette loi au recours en annulation. – Inapplicabilité de l’Acte Uniforme OHADA relatif à l’arbitrage. – Droit ivoirien. – Tribunal de première instance (non). – Cour d’Appel (oui). – 4°) Annulation de la sentence. – Article 29 de l’Acte Uniforme relatif à l’arbitrage. (ARTICLE
29 AUA) – Défaut de pouvoir de la Cour d’Appel nationale de connaître du fond de l’affaire.
Le litige ayant été initié sur le fondement de la loi du 9 août 1993 relative à l’arbitrage applicable en Côte d’Ivoire, il est opportun que le recours en annulation de la sentence ait pour fondement la même loi et il s’ensuit que les dispositions du Traité OHADA ne sont pas applicables à ce recours (1ère décision).
Il ne saurait être fait grief à l’arbitre d’avoir statué sans convention contenant la clause compromissoire au motif que la convention contenant la clause compromissoire avait été conclue par un tiers, dès lors que cette personne ne pouvait agir qu’au nom et pour le compte de l’auteur du recours en annulation; c’est à juste titre que l’arbitre, se fondant sur la théorie de l’apparence, a estimé que la convention avait été conclue au nom et pour le compte de l’une des parties à l’arbitrage (1ère décision).
L’article 25 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage prévoyant que la décision d’annulation de la sentence arbitrale n’est susceptible que de pourvoi en cassation devant la Cour commune de justice et d’arbitrage, et les arrêts de cours d’appel, parce que rendus en dernier ressort, faisant l’objet en droit ivoirien d’un pourvoi en cassation, il s’ensuit que la juridiction compétente pour connaître du recours en annulation d’une sentence arbitrale rendue sous les auspices de la Chambre arbitrale de Côte d’Ivoire est la cour d’appel, et non, comme le soutient l’une des parties, le tribunal de première instance (2e décision).
Si la convention des parties prévoit que « la sentence arbitrale ne sera susceptible d’aucun recours », il convient de relever que la loi ivoirienne du 9 août 1993 relative à l’arbitrage, sous l’empire de laquelle les parties se sont engagées, dispose en son article 42, alinéa 2, qu’un recours en annulation contre la sentence arbitrale est recevable malgré toute stipulation contraire »; la renonciation au recours en annulation doit être, dès lors, réputée non écrite (2e décision).
L’arbitre amiable compositeur a l’obligation de confronter les solutions légales à l’équité, à peine de trahir la mission qui lui a été confiée (2e décision).
L’article 29 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage disposant qu’en cas d’annulation de la sentence, il appartient à la partie la plus diligente d’engager, si elle le souhaite, une nouvelle procédure arbitrale, la cour d’appel, qui a annulé une sentence arbitrale, ne peut évoquer l’affaire et il convient donc de renvoyer les parties à mieux se pourvoir (2e décision).
L’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, adopté le 11 mars 1999, prévoyant, en son article 35, qu’il n’est applicable qu’aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur, la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA, saisie sur le fondement de l’article 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique d’un recours en cassation formé contre une décision rendue par la Cour d’appel d’Abidjan, est incompétente, dès lors qu’il apparaît qu’à la date du prononcé de la sentence arbitrale, le 19 mars 1999, ledit Acte n’était pas encore entré en vigueur (3e décision).
(Cour d’appel d’Abidjan, arrêt du 20 avril 2001, Parti démocratique de Côte d’Ivoire c/ SARL J & A International, 1ère espèce; Cour d’appel d’Abidjan, arrêt du 27 avril 2001, Société SOTACI c/ époux Delpech, 2ème espèce; CCJA, arrêt du 10 janvier 2002, Compagnie des transports de Man (CTM) c/ Compagnie d’assurances Colina SA, Revue de l’arbitrage 2002, p. 473, note Philippe Leboulanger).
Ces décisions et leurs commentaires sont publiés sur le site Ohada.com. avec l’aimable autorisation de leurs auteurs et éditeurs. Nous les en remercions vivement.
Première espèce : Cour d’Appel d’Abidjan, 20 avril 2001, Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) c/ SARL J. & A. International Co.
Le Tribunal arbitral de la Cour d’arbitrage de Côte d’Ivoire (composé d’un arbitre unique et), statuant en la cause en matière d’arbitrage, a rendu le 5 novembre 1999, une sentence n° 01/ARB/CACI/99, aux qualités de laquelle il convient de se reporter et dont le dispositif est ci-dessous résumé;
Par exploit en date du 3 décembre 1999 (…), le Parti démocratique de Côte d’Ivoire a déclaré interjeter appel de la sentence arbitrale sus-énoncée et a, par le même exploit, assigné la société J. et A. International Co. Sarl à comparaître par-devant la Cour de ce siège à l’audience du vendredi 22 décembre 1999 pour entendre, annuler ou infirmer ladite sentence arbitrale.
(…)
Exposé de la procédure, des faits et prétentions des parties.
Considérant que par exploit d’huissier en date du 25 avril 2000, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire dit PDCI a donné assignation à la société J. et A. International Co. Sarl à comparaître le 5 mai 2000 par-devant la Cour d’appel de céans pour voir annuler la sentence arbitrale rendue par l’arbitre unique, Me X, le 5 novembre 1999, dont le dispositif est ainsi libellé :
« Statuant contradictoirement en matière d’arbitrage :
– Dit que le Tribunal arbitral est compétent pour connaître du litige;
– Dit que le protocole d’accord signé les 13 et 14 mai 1996 n’est pas nul;
– Dit que la clause compromissoire est valable;
– Dit que le PDCI est tenu par le protocole d’accord qui lui est opposable en conséquence;
– Déclare recevables et bien fondées les demandes de la J. et A. International;
– Condamne le PDCI à payer à la société J. et A. International Co. la somme de 42.047.000 F représentant le reliquat du prix des marchandises (et) la somme de 12.576.000 F à titre de dommages-intérêts;
– Condamne le PDCI à payer les frais d'arbitrage évalués à 5.742.529 F CFA ».
Considérant qu'il résulte des productions, des écritures des parties et des énonciations de la sentence arbitrale que, par un protocole d'accord en date du 13 et 14 mai 1996, la société J. et A. International prétend avoir commandé pour le PDCI dans le cadre de son cinquantenaire 3.000 bouteilles de champagne, 2.500 bouteilles de vin rouge, et 2.500 bouteilles de vin blanc;
Qu'il ressort du même protocole que tout différend qui naîtrait à l'occasion de ce présent contrat et qui n'aurait pu être réglé à l’amiable sera tranché définitivement suivant le règlement de la Cour d'arbitrage de Côte d'Ivoire par un ou plusieurs arbitres nommés conformément audit règlement et que l’arbitrage aura lieu à Abidjan; qu'après avoir livré les marchandises commandées, le PDCI a refusé de payer le reliquat du prix au motif que le protocole ne lui est pas opposable puisqu'il a été signé par un individu non mandaté;
Que c'est ainsi que la société J. et A. International a saisi par lettre du 13 octobre 1998 la Cour d'arbitrage de Côte d'Ivoire d'une demande en arbitrage introduite à l’encontre du PDCl et relative au paiement de la somme de 54 023 000 F en vertu du protocole d'accord précité;
Que la Cour d'arbitrage statuant sur le mérite de cette demande a rendu la sentence arbitrale du 5 novembre 1999 dont l’annulation est soumise à la Cour d'appel de céans;
Considérant que le PDCl RDA, (demandeur) au recours en annulation, soutient que la sentence arbitrale est nulle pour avoir violé l’article 26 alinéa 1er de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage;
Qu'il n'a signé aucune convention d'arbitrage avec la société J. et A. International qui a plutôt conclu une convention avec M. Angaman Jean-Baptiste au motif que ce dernier gérait la boutique du PDCI RDA;
Que ce protocole d'accord n'a pas été signé par des personnes habilitées à le faire;
Que M. Angaman n'a jamais représenté le PDCI dans le cadre de la signature de la convention le liant à M. Djenis;
Qu'aucune commande de champagne, ni de vin n'a été formulée par le PDCI auprès de ladite société;
Qu'aucun bordereau de livraison des produits suscités n'a été signé par l’un des représentants légaux du PDCI;
Que n'étant pas partie au contrat, aucune convention d'arbitrage ne saurait lui être opposable de sorte que la théorie de l’apparence invoquée par le premier juge ne saurait s'appliquer en l’espèce;
Qu'en outre, le PDCI, n'étant pas commerçant et n'étant pas juridiquement habilité à faire des actes de commerce, ne saurait être lié par la convention d'arbitrage dont se prévaut la société J. et A. International Co.;
Que par conséquent la clause compromissoire prévue par le protocole d'accord est nulle;
Que dans ces circonstances la Cour ne peut qu'annuler la sentence arbitrale;
Considérant que pour sa part, la société J. et A. International (…), défenderesse au recours en annulation, a conclu (…) à l'inapplicabilité de l'Acte uniforme de l'OHADA relatif au droit de l'arbitrage à la sentence arbitrale querellée;
Qu'en effet, il résulte de l'article 25 alinéa 2 de l'Acte uniforme que l'acte n'est applicable qu'aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur; que la demande d'arbitrage litigieuse a été introduite le 13 octobre 1998 et enregistrée sous le n° CACl/01/ARB/98 au secrétariat de la Cour;
Qu'il en résulte que l'instance arbitrale est antérieure à l'entrée en vigueur de l'OHADA;
Que la Cour constatera l'inapplicabilité du traité OHADA et déclarera par conséquent l'action du PDCI mal fondée;
Que s'agissant de la nullité de la sentence arbitrale tirée de la nullité de la convention, la défenderesse soutient que pour (que) la sentence encoure nullité, il faut que la convention d'arbitrage soit entachée de nullité sur les fondements suivants :
a) Violation des règles de formes et de fond prévues par les textes;
b) Si la convention d'arbitrage vise l'état des personnes ou un acte portant atteinte à l'ordre public;
c) Enfin la (convention d'arbitrage) est la conséquence de la nullité du contrat principal dont elle constitue l'accessoire (cf. droit français de l'arbitrage);
Qu'elle estime que le contrat de fourniture de champagnes et de vins étant régulier en la forme et au fond, la clause arbitrale l'est par conséquent;
Que la Cour ne peut que rejeter le recours en annulation de la sentence (d'autant que, selon) la défenderesse, M. Angaman, gérant de la boutique, ne pouvait agir que pour le compte du PDCI RDA;
Considérant que dans ses conclusions en réplique, (le) PDCI soutient que s'il est vrai que l'Acte uniforme relatif au droit d'arbitrage ne s'applique pas aux instances arbitrales nées et achevées avant son entrée en vigueur le 15 mai 1999, il n'en demeure pas moins que ledit acte s'applique pleinement aux procédures en cours, au moment de son entrée en vigueur; que certes, la demande en arbitrage a été introduite le 13 octobre 1998 ainsi que l'a relevé l'arbitre unique dans la sentence arbitrale;
Qu'il suffit de se référer à la page 5 de ladite sentence pour s'apercevoir que l'instance a débuté par l'acte de mission du 27 avril 1999 conformément au règlement d'arbitrage de la CACI, puis le 21 octobre 1999 par une prorogation de délai de deux semaines sollicitée par le Tribunal arbitral et accordée par la CACI, et s'est terminée par la sentence arbitrale rendue par le tribunal le 5 novembre 1999;
Que dès lors, l'Acte uniforme de l'OHADA relatif au droit de l'arbitrage s'applique nécessairement aux procédures en cours après son entrée en vigueur et qui n'ont fait l'objet d'aucune décision du Tribunal arbitral avant la ratification dudit traité; qu'il écherra de déclarer l'action du PDCI bien fondée;
Que par ailleurs, le PDCI relève que sur la base de la loi n° 93-671 du 9 août 1993 relative à l'arbitrage applicable en Côte d'Ivoire, le présent recours en annulation se justifie en application de l'article 42 (de ladite loi); qu'en ce qui concerne la demande en nullité de la sentence arbitrale tirée de la nullité de la convention, le PDCI relève que la société J. et A. International a posé des conditions de nullité de la sentence arbitrale qui ne figurent pas dans l'Acte uniforme relatif à l'arbitrage;
Que sa demande est fondée sur l'une des conditions visées à l'article 26 du traité cité, à savoir que le tribunal a statué sans convention d'arbitrage;
Que la Cour prononcera la nullité de la sentence;
Considérant que, dans ses conclusions en réplique, la défenderesse a repris en d'autres termes ses arguments déjà développés dans ses précédentes conclusions;
Considérant que le Ministère public a requis la confirmation de la sentence arbitrale.
DES MOTIFS
(…)
AU FOND
Sur l'inapplicabilité de l'Acte uniforme de l'OHADA relatif à l'arbitrage
Considérant qu'en l'espèce le présent litige a été initié sur la base de la loi n° 93-671 du 9 août 1993 relative à l'arbitrage applicable en Côte d'Ivoire;
Qu'il est opportun que le recours en annulation de la sentence ait pour fondement la même loi;
Que le PDCI a même relevé qu'à défaut de l'application du traité, la présente loi est applicable en l'espèce;
Qu'il s'ensuit que la loi applicable est la loi n° 93-671 du 9 août 1993 relative à l'arbitrage en Côte d'Ivoire et non le traité de l'OHADA.
Sur le bien-fondé du recours en annulation de la sentence arbitrale
Considérant qu'en l'espèce, il est évident que M. Angaman, gérant de la boutique du PDCI, ne pouvait agir qu'au nom et pour le compte du PDCI;
Que dès lors, le PDCI ne peut prétendre que le protocole d'accord signé entre M. Angaman et la société J. et A. International ne lui est pas opposable;
Que c'est à juste titre que le premier juge, se fondant sur la théorie de l'apparence, a condamné le PDCI à payer les sommes dues à la société J. et A. International; qu'en conséquence, il convient de déclarer mal fondée l'action en annulation et de rejeter le recours en annulation de la sentence arbitrale.
Sur ces dépens
Considérant que le PDCI succombe; qu'il convient de le condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement en matière de recours en annulation et en dernier ressort.
EN LA FORME
Déclare le PDCI recevable en son recours en annulation de 1a sentence arbitrage.
AU FOND
– L'y dit mal fondé;
– Rejette le recours en annulation de la sentence arbitrale du 5 novembre 1999;
– Condamne le PDCI aux dépens.
MM. SEKA ADON, prés.; Mme ZEBEYOUX, M. DIALLO, cons.; Mes TIDOU, MOULARE, av.
Deuxième espèce : Cour d’appel d’Abidjan, 27 avril 2001, Société Sotaci c/ époux Delpech.
Voir aussi Ohadata J-02-171
La Chambre arbitrale de Côte d'Ivoire a rendu le 27 avril 2001 une sentence arbitrale n° CACI/02/ARB/99 aux qualités de laquelle il convie de se reporter;
Par exploit en date du 6 juin 2000 (…), la société Sotaci a déclaré interjeter appel de la sentence sus-énoncée et (…) assigné M. Delpech Gérard et Mme Delpech Joëlle à comparaître par devant la Cour de ce siège à l'audience du vendredi 23 juin 2000 pour entendre, annuler ou infirmer ladite sentence;
(…)
Par exploit en date du 6 juin 2000, la société Sotaci a initié devant la Cour d'appel de ce siège, une procédure d'annulation d'une sentence arbitra1e en date du 27 avril 2000, dont le dispositif est ainsi conçu :
« Le passif net définitif de la société Stil au 28 février 1998 s’élevait à 199.790. 811 F et que le complément de prix de cession à payer par la Sotaci aux époux Delpech est de 100.209.189 F;
« Les intérêts de retard conventionnels à payer par la Sotaci aux époux Delpech en application de l'article 34 de la convention s'élèvent à 8.603.360 F;
« Condamne donc la Sotaci en paiement de ces sommes outre 6.393.616 F, représentant le remboursement aux époux Delpech, des frais par eux exposés lors de la présente procédure ».
Au soutien de son action, la société Sotaci, a exposé, dans son exploit introductif d'instance daté du 16 février 1998, que la société de droit togolais dénommée Stil, représentée par les époux Delpech, lui a cédé la totalité de ses actions pour un montant de 850.000. 000 F et les parties ont décidé de déduire de ce montant le passif net de la société Stil provisoirement évalué à 300.000.000 F, réduisant de la sorte le prix net d'acquisition des actions à 555.000.000 F, avec paiement échelonné, dont la dernière échéance réglée était fixée au 31 janvier 1999;
Mais une fois en possession de la totalité de cette somme, les époux Delpech ont estimé que la Sotaci leur doit encore la somme de 100.209.189 F au motif que le passif net tel qu'il apparaît au bilan établi au 28 février 1998, par le Cabinet audit et consulting s'élèverait à 199.790.811 F; alors que, pour la concluante, les époux Delpech lui doivent la somme principale de 63.984.181 F, en application des dispositions de l'article 3-1 de la convention de cession du 16 février 1998; ainsi, en rendant cette décision, précise la requérante, la Cour arbitrale a violé la mission d'amiable composition dont sont investis les arbitres, et qui procède d'une confusion entre les notions comptables d’actif net et de passif net;
La Sotaci estime de ce qui précède que cette sentence encourt l’annulation parce que contraire aux stipulations de l'article 10 alinéa 2 de leur convention, les arbitres ayant statué sans se conformer à leur mission, « statuer en amiables compositeurs », c'est-à-dire en équité suivant la morale des affaires en recherchant si le prix payé par le cessionnaire correspond au juste prix de la transaction, la situation financière de la société s'étant dégradée de 64.773.151 F du 1er janvier au 28 février 1998;
Que mieux, poursuit la Sotaci, bien que les arbitres aient choisi un raisonnement juridique, leur sentence ne repose sur aucun fondement juridique, alors qu'en désignant les experts comptables, leurs parties savaient que leur différend présentait un caractère avant tout comptable; il est donc troublant de voir ceux-ci écrire « que compte tenu des échanges de correspondances intervenus entre les parties, le passif net de la société Stil au 28 février 1998, correspond à son actif net à la même date; alors même que l'un est l'inverse de l’autre;
En clair, les arbitres ont dénaturé la convention des parties en son article 3-1, et méconnu les règles d'évaluation d'une entreprise;
Qu'une exacte application de ce texte, permet pourtant de chiffrer sur le plan comptable, la valeur de rachat de la société Stil après valorisation des actifs immobilisés, comme suit :
– valorisation des actifs immobilisés 850.000.000 F
– actif circulant 247.563.614 F
– total 1.097.563.614 F
et en prenant en compte le passif total de 611.547.795 F, la valeur de rachat s'établit à 486.015.813 F, dégageant ainsi, un trop-payé de 63.984.181 F, qu’elle réclame aux époux Delpech, car au moment de la signature de la convention, la situation financière de la société ne s'était pas améliorée au point d’amener la concluante au paiement de somme supplémentaire, le passif net de 300 millions de francs initialement arrêté provenant de surcroît des pièces comptables produites par les époux Delpech eux-mêmes;
La Sotaci conclut donc à l'annulation de cette sentence arbitrale, et à la condamnation des requis à lui payer les 63.984.181 F réclamés;
Pour leur part, les époux Delpech, par écriture du 14 juillet 2000 (…), relèvent que le Traité OHADA, applicable en l'espèce, ne donne pas clairement à la Cour d'appel compétence pour annuler les sentences arbitrales;
Qu'ils penchent plutôt pour le Tribunal de première instance;
Par ailleurs, ils soutiennent que si l'article 25 de l'Acte uniforme donne pouvoir aux parties d'exercer un recours, il ne leur interdit pas d'y renoncer, et c’est ce qu'ils ont exprimé dans l'acte de cession : « La sentence arbitrale ne sera susceptible d'aucun recours, et (...) les parties s'engagent à l'exécuter spontanément;
Ils expliquent également que le recours à la clause d'amiable composition comporte un effet particulier qui est la renonciation automatique à l'appel; ils concluent dès lors à l'irrecevabilité de cette action;
Evoquant le pouvoir de statuer en amiables compositeurs, ils soutiennent que ce n'est qu'une faculté qui est laissée aux arbitres qui ne sont nullement tenus d'y recourir;
A travers les conclusions additionnelles en réplique (…), en date du 18 octobre 2000, la société Sotaci fait remarquer que suivant l'article 25 de l'Acte uniforme, seule la Cour d'appel est compétente pour statuer en annulation, les tribunaux ne rendant souvent pas de jugement en dernier ressort;
De même, précise-t-elle, la convention de cession de titres prévoyant la clause compromissoire a été établie en février 1998, donc avant l'entrée en vigueur du Traité OHADA relatif à l'arbitrage; c'est pourquoi la convention précise que seule la loi ivoirienne du 9 août 1993 relative à l'arbitrage lui est applicable;
Et l'article 42 de cette loi précise « qu'un recours en annulation de l'acte qualifié de sentence arbitrale peut néanmoins être formé, malgré toute stipulation contraire »;
Il en résulte ainsi que les parties ne peuvent valablement renoncer à cette voie de recours;
Que du reste, l'article 6 du Code civil énonce que « l'on ne renonce valablement qu'à un droit acquis et non à un droit futur »;
Vouloir le contraire consacrerait l'infaillibilité du Tribunal arbitral, ce qui du reste ne résulte point de la volonté des parties;
Revenant sur le non-respect par les arbitres de leur mission, la Sotaci déclare que statuer en amiable compositeur consiste à trancher le litige en équité et l'arbitre qui appliquerait strictement les règles de droit pourrait être sanctionné, car suivant l'article 15 in fine de l'Acte uniforme, l'amiable composition pour un arbitre n'est pas un simple pouvoir, mais une véritable mission; que la jurisprudence française, produite par la partie adverse, précise que « l'amiable compositeur a l'obligation de confronter les solutions légales à l'équité, à peine de trahir la mission qui lui a été confiée »; car, non soumis à une règle unique pour trancher le litige, l'arbitre doit nécessairement recourir aux usages professionnels, rechercher un certain équilibre contractuel et une solution juste; tel n'a pas été le cas de l'espèce, où les arbitres ont confondu les notions comptables ou financières d'actif net et de passif net, pour parvenir à la condamnation de la concluante à un complément de prix, alors que la seule question à laquelle ils étaient tenus de répondre était celle de dire ce qu'il convient d'entendre au point de vue comptable ou financier par passif net;
Les arbitres se sont acharnés sur la Sotaci qui n'aurait pas fourni les éléments (du bilan) connus au 31 décembre 1997, alors que ce document fourni par dame Garjean, à l'époque secrétaire comptable de la société Stil, est versé au dossier, (et) conforte la thèse suivant laquelle le mode de détermination du passif net retenu par les époux Delpech est identique à celui proposé par la Sotaci;
De ce qui précède, elle sollicite l'annulation de la sentence et la condamnation des époux Delpech à lui payer la somme sus-indiquée et aux dépens;
Par voie de conclusion en réplique (...) en date du 28 novembre 2000, les époux Delpech réitèrent leur doute sur la compétence de la Cour d'appel et relèvent qu'en cas d'annulation, le juge compétent ne peut évoquer;
Par un jeu de conclusions en réplique daté du 26 décembre 2000, la Sotaci (..) demande aux intimés de faire une bonne lecture de l'article 6 du Code de procédure civile qui règle le problème de compétence des juridictions;
(…)
DES MOTIFS :
Détermination de la juridiction compétente
Suivant l'article 25 de l' Acte uniforme relatif à l'arbitrage, « la décision d'annulation de la sentence arbitrale n'est susceptible que de pourvoi en cassation devant la Cour commune de justice et d'arbitrage »;
En droit ivoirien, ce sont les arrêts de la Cour d'appel, parce que rendus en dernier ressort, qui font l'objet d'un pourvoi en cassation;
Dès lors, toute allusion au tribunal est inopérante car celui-ci ne statue en dernier ressort que pour des litiges dont l'intérêt n'est pas supérieur à 500 mille francs - ce qui n'est pas le cas d'espèce;
Il échet par conséquent de rejeter les doutes émis sur la compétence de la Cour d'appel, en cette matière;
De la recevabilité de l'action de la Sotaci
S'il est exact que la convention de cession des titres du 16 février 1998 dispose que « la sentence arbitrale ne sera susceptible d'aucun recours, et que les parties s'engagent à l'exécuter spontanément », il convient aussi de relever que la loi ivoirienne du 9 août 1993, relative à l'arbitrage, sous l'empire de laquelle les parties se sont engagées, dispose en son article 42, alinéa 2, « qu'un recours en annulation contre la sentence arbitrale est recevable malgré toute stipulation contraire »;
Ainsi, la Cour ne peut occulter cette volonté affichée des parties au moment de la conclusion de leur contrat, malgré la récente apparition du Traité OHADA, présentement applicable; il résulte de ce qui précède que cette renonciation au recours en annulation est réputée non écrite;
Du reste, sur ce chapitre, l'article 6 du Code civil est sans équivoque : « on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public »;
Du bien-fondé de la requête
Suivant l'article 10 de la convention des parties, « tout différend les opposant sera soumis à la décision définitive de trois arbitres siégeant à Abidjan, et qui auront le pouvoir de statuer comme amiables compositeurs »; en d'autres termes et suivant la jurisprudence de la Cour de cassation française, acceptée par les parties, l'amiable compositeur a l'obligation de confronter les solutions légales à l'équité, à peine de trahir la mission qui lui est confiée;
Sur ce chapitre, les époux Delpech, dans leurs conclusions du 14 juillet 2000 (…), écrivent que « si les arbitres avaient suivi la société Sotaci, dans ses prétentions, ils auraient statué en droit »;
Ils soutiennent (…) que « la société Sotaci ne peut faire de l'amiable composition, simple faculté laissée à la libre appréciation des arbitres, une obligation de statuer »;
Ainsi, pour les époux Delpech, les arbitres n'ont statué ni en droit, ni en équité;
Or c'est le même reproche que leur fait la Sotaci en page 6 de son exploit d'appel, à savoir que la sentence rendue ne repose sur aucune motivation ou raisonnement que l'on pourrait qualifier de juridique mais plutôt sur une appréciation toute partisane des faits;
Alors que leur véritable mission en tant que professionnels de la comptabilité devait les amener à définir le « passif net », aucune indication n'étant fournie par les parties sur cette notion;
Par ailleurs, il y a contradiction entre les motifs de la sentence et son dispositif, lorsqu'elle soutient que la version de la Sotaci sur le passif net provisoire présente tous les caractères de l'objectivité, et dans le même temps, prononcé des condamnations à son encontre;
Ainsi, il résulte de ce qui procède, que manifestement les arbitres ne se sont pas conformés à leur mission et en application de l'article 26 de l'Acte uniforme précité, leur sentence encourt l'annulation;
De la demande (d'évocation) présentée par la Sotaci
L'article 29 de l'Acte uniforme dispose qu'« en cas d'annulation de la sentence arbitrale, il appartient à la partie la plus diligente d'engager, si elle le souhaite, une nouvelle procédure arbitrale »;
Par conséquent, la Cour d'appel saisie en annulation ne peut évoquer l'affaire;
Il échet donc de rejeter cette demande, et renvoyer la Sotaci à mieux se pourvoir;
Par ailleurs, la présente sentence étant annulée, les frais exposé par chacune des parties restent à sa charge;
PAR CES MOTIFS :
EN LA FORME
– Statuant publiquement, contradictoirement en matière arbitrale, et en dernier ressort;
– Reçoit la société Sotaci en sa procédure en annulation dirigée contre la sentence arbitrale en date du 27 avril 2000;
AU FOND
– L'y dit partiellement fondée;
– Annule la sentence dont s'agit;
– Rejette la demande de la Sotaci tendant à l'évocation de l'affaire;
– Dit que les frais exposés par chacune des parties resteront à sa charge.
(…)
M. SEKA ADON, prés.; Mme ZEBEYOUX, M. DIALLO, cons.; Mes HOEGAH, ETTE, SCPA AHOUSSOU KONAN, av.
Troisième espèce : Cour commune de justice et d’arbitrage, 10 janvier 2002, Compagnie des Transports de Man (CTM) c/ Compagnie d’Assurances Colina S.A.
Voir aussi Ohadata J-02-161.
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu le Règlement de procédure de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure que, courant 1999, pour les nécessités de son commerce, la Compagnie des Transports de Man dite « CTM » a assuré ses véhicules à la compagnie d'assurances Colina SA; que lors du calcul des primes d'assurance à payer, un désaccord est survenu entre les parties, la Compagnie d'assurances Colina SA les estimant à 30.011.825 F CFA et la CTM, pour sa part, à 7.718.983 F CFA;
Que pour vaincre la résistance de sa cocontractante, la Compagnie d'assurances Colina SA a saisi le Président du Tribunal de première instance d'Abidjan qui, en exécution des clauses du contrat d'assurance, a renvoyé les parties devant un tribunal arbitral aux fins de trancher le différend; que, dans sa sentence rendue le 19 mars 1999, ce Tribunal a statué en ces termes : « Après avoir délibéré, les arbitres ont rendu en premier ressort la décision suivante :
– Disons que la créance de la société Colina n'est pas contestée dans son principe;
– Disons que les contestations relatives au quantum de la créance ne résistent pas à l'examen;
– Fixons le montant de la créance de la société Colina à la somme de 30.909.258 francs CFA;
– Décision rendue au Cabinet du Président du Tribunal arbitral Me X, sis à (...) Abidjan (…) le 19 mars 1999 »;
Que c'est contre l'arrêt n° 511 rendu le 21 avril 2000 par la Cour d'appel d'Abidjan, qui a confirmé la sentence ci-dessus, que la société CTM s’est pourvue en cassation devant la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA;
Que dans sa requête aux fins de pourvoi en cassation reçue et enregistrée à la Cour le 14 mai 2001 (…) et signifiée à la partie défenderesse par lettre (...) du 28 septembre 2001 du greffier en chef de la Cour commune de justice et d'arbitrage, la requérante a invoqué le moyen unique de cassation tiré de la violation de « l'article 5 de l'Acte uniforme de l'OHADA relatif au droit de l’arbitrage »;
Que les conseils de la Compagnie d'assurances Colina SA (…) ont, dans leur mémoire en réponse en date du 25 octobre 2001, conclu à titre principal à l'incompétence de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA et, à titre subsidiaire, à l'irrecevabilité dudit moyen qui n'avait pas été présenté devant la Cour d'appel;
(…)
Sur le moyen unique
Attendu que le pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué d'avoir violé la loi en ce qu'il ressort de la sentence arbitrale du 19 mars 1999 que les avocats des parties siégeaient au Tribunal arbitral en tant qu'arbitres en violation de l'article 5 de l'Acte uniforme de l'OHADA relatif au droit de l'arbitrage, les avocats des parties censées les représenter ne pouvant être en même temps juges; que l'avocat étant payé par le client pour le représenter et non pour le voir comme arbitre, il s'ensuit que le Tribunal arbitral qui devait être composé de trois arbitres ne l'était pas en fait, car deux des arbitres étaient les représentants des parties en litige; que dès lors, le Tribunal était mal constitué et en rendant une sentence arbitrale alors qu'il était irrégulièrement composé, sa décision est entachée de nullité; qu'il s'ensuit que l'arrêt attaqué encourt la cassation de ce chef;
Mais attendu que l'article 14 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique édicte que la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) assure dans les Etats parties l'interprétation et l'application commune des Actes uniformes et, saisie par la voie du recours en cassation, se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d'appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des Actes uniformes et des Règlements prévus au présent Traité, à l'exception des décisions appliquant des sanctions pénales, ainsi que dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d'appel rendues par toute juridiction des Etats Parties dans les mêmes contentieux;
Attendu en l'espèce que l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage auquel se réfère la requérante a été adopté le 11 mars 1999; qu'il édicte en son article 35 que « le présent Acte uniforme tient lieu de loi relative à l'arbitrage dans les Etats Parties. Celui-ci n'est applicable qu'aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur »; que l'alinéa 2 de l'article 36 du même Acte uniforme précise qu’ » il entrera en vigueur conformément aux dispositions de l'article 9 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique »;
Attendu qu'au regard des dispositions susmentionnées, il apparaît clairement que l' Acte uniforme susvisé ne pouvait être applicable à l'instance arbitrale du fait même de l'antériorité de celle-ci; qu'en effet, à la date du prononcé de la sentence arbitrale, le 19 mars 1999, ledit Acte uniforme n'était pas encore entré en vigueur; qu'il s'ensuit que les conditions de compétence de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA en matière contentieuse, telles que précisées à l'article 14 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique ne sont pas réunies; qu'il échet, en conséquence, de se déclarer incompétent et renvoyer la requérante à mieux se pourvoir;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
– Se déclare incompétente;
– Renvoie la requérante à mieux se pourvoir;
– Met les dépens à sa charge.
MM. BA, Prés.; MBOSSO, premier vice-prés.; OLIVEIRA, second vice-prés.; BAHDJE, MAIDAGI, juges; DICKO, juge rapp.; SCPA SAKHO, KAMARA & ASSOCIES, CABINET GOGUE, ABBE YAO & ASSOCIES, av.
NOTE
Les arrêts ci-dessus rapportés statuent sur les recours en annulation contre les deux premières sentences arbitrales rendues sous l’égide de la Cour d’arbitrage de Côte d’Ivoire (CACI). Celle-ci a été créée en 1993 mais n’a commencé à fonctionner réellement qu’en 1997.
Dès le mois d’octobre 1998, une première affaire lui fut soumise, qui donna lieu à une sentence rendue le 5 novembre 1999. Cette sentence a été frappée d’un recours en annulation devant la Cour d’appel d’Abidjan (1re espèce). La seconde sentence, rendue le 27 avril 2000, a également fait l’objet d’un recours en annulation, tranché par un arrêt de la même Cour d’appel du 27 avril 2001 (2e espèce).
L’arrêt rendu le 10 janvier 2002 par la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) est la première décision de cette juridiction suprême de l’OHADA en matière d’arbitrage depuis sa création (en 1993, par le Traité OHADA) et depuis l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme sur l’arbitrage le 11 juin 1999 (sur l’ensemble du système d’arbitrage de l’OHADA : P. Meyer, « L’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage », RDAI, 1999.629; Ph. Leboulanger, « L’arbitrage et l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », Rev. arb., 1999. 541; N. Aka, Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, Annoté et Commenté, Abidjan; Ph. Fouchard (sous la dir. de), L’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique, Bruylant, Bruxelles, 2000; A. Fénéon, Droit de l’arbitrage, Commentaire de l’Acte uniforme sur l’arbitrage et du règlement de la CCJA, EDICEF, Paris, 2000; P. Meyer, OHADA, Droit de l’arbitrage, Bruylant, Bruxelles, 2002).
Ces trois décisions témoignent du renouveau de l’arbitrage en Afrique et des inévitables questions que l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions ne peuvent manquer de susciter. Les arrêts rapportés apportent ainsi d’utiles réponses aux questions suivantes : l’application dans le temps de l’Acte uniforme sur l’arbitrage (I); la détermination de la juridiction compétente pour statuer sur le recours en annulation (II); la renonciation aux voies de recours (III); le pouvoir d’évocation de la Cour d’appel en cas d’annulation (IV); la portée de l’obligation de statuer en amiable composition (V); la validité de la convention d’arbitrage (VI) et l’indépendance des arbitres (VII).
I. – Dans l’arrêt rendu le 20 avril 2001, la Cour d’appel d’Abidjan avait à statuer sur le recours en annulation d’une sentence rendue le 5 novembre 1999 sous l’égide de la CACI par un arbitre unique siégeant à Abidjan. Aux termes d’un protocole d’accord conclu en mai 1996, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) avait passé commande à la société française J. & A. international Co. d’une importante quantité de bouteilles de vin et de champagne destinées aux cérémonies du cinquantenaire de sa création. Un différend est né au sujet du paiement du reliquat du prix de la vente que le PDCI refusait de régler. Le protocole d’accord contenant une clause compromissoire faisant référence au règlement d’arbitrage de la CACI, le vendeur mit en œuvre une procédure d’arbitrage. Devant l’arbitre, le PDCI soutenait, notamment, que la clause d’arbitrage était nulle car un parti politique n’est pas commerçant et ne peut accomplir aucun acte de commerce. L’arbitrage étant soumis à la loi ivoirienne de 1993 alors en vigueur, la sentence rejette justement ce moyen au motif que la condition de commercialité n’est exigée qu’en matière d’arbitrage interne, alors qu’il s’agit d’un arbitrage international (art. 50. L. 1993; pour un commentaire de cette loi, v. L. Idot, Rev. arb., 1994.783). La société venderesse étant française et les marchandises litigieuses ayant été achetées en France, le contrat était manifestement international. La sentence condamna l’acheteur à payer le reliquat du prix des marchandises ainsi que des dommages-intérêts.
Devant la Cour d’appel d’Abidjan, le PDCI concluait à la nullité de la sentence sur le fondement de l’article 26 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage, qui énonce les cas d’ouverture du recours en annulation (identiques à ceux du droit français avec, en outre, l’absence de motivation de la sentence). Il était soutenu que l’Acte uniforme, entré en vigueur le 11 juin 1999, devait s’appliquer immédiatement aux procédures d’arbitrage en cours, l’instance arbitrale ayant certes commencé avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme mais s’étant achevée (le 5 novembre 1999) postérieurement à celle-ci.
De façon assez curieuse, la Cour d’appel d’Abidjan ne se fonde pas expressément sur l’Acte uniforme de l’OHADA relatif à l’arbitrage, qu’elle cite pourtant, pour le déclarer inapplicable à l’espèce. Elle constate seulement que la procédure d’arbitrage a été initiée sous l’empire de la loi ivoirienne de 1993 et « qu’il est opportun que le recours en annulation de la sentence ait pour fondement la même loi ». Il lui aurait pourtant suffi de se référer à l’article 35 de l’Acte uniforme qui dispose qu’il n’est applicable qu’aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur. Si l’on considère que l’instance était née le 13 octobre 1998, date du dépôt de la requête d’arbitrage par la société J. & A. international Co. (et non, comme le soutenait le PDCI, le 27 avril 1999, date de l’acte de mission), l’Acte uniforme était incontestablement inapplicable à la procédure d’arbitrage ayant donné lieu à la sentence déférée à la Cour. En revanche, en présence d’un texte réglant clairement le conflit de lois dans le temps, les considérations d’opportunité ne sauraient être déterminantes.
La question de l’applicabilité dans le temps de l’Acte uniforme de l’OHADA a également été tranchée par la Cour commune de justice et d’arbitrage dans son arrêt du 10 janvier 2002 (affaire CTM c/ Colina SA). Le litige, qui concernait un désaccord entre un transporteur et son assureur au sujet du calcul des primes d’assurances, avait été tranché par un tribunal arbitral en faveur de l’assureur, et la Cour d’appel d’Abidjan avait rejeté le recours en annulation formé par le transporteur. Celui-ci s’était pourvu en cassation devant la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA, conformément aux dispositions de l’article 14 du Traité OHADA du 17 octobre 1993 (JO OHADA, 1er novembre 1997; Rev. arb., 1999.709) selon lequel la CCJA est juge de cassation des décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats membres de l’OHADA dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des actes uniformes (v. J. Mbosso, « Le rôle des juridictions nationales et le droit harmonisé », RDAI, 2000.216). La sentence ayant été rendue le 19 mars 1999, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage, la CCJA ne pouvait que se déclarer incompétente pour statuer sur le pourvoi en cassation.
II. – Aux termes de l’article 25 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, le recours en annulation doit être porté devant le « juge compétent dans l’Etat partie » dont la décision n’est susceptible que de pourvoi en cassation devant la Cour commune de justice et d’arbitrage.
Dans l’affaire Sotaci c/ Delpech, la société Sotaci émettait des doutes sur la compétence de la Cour d’Appel d’Abidjan au profit du Tribunal de première instance de cette même ville. C’est en principe au législateur, dans chaque Etat membre de l’OHADA, de déterminer la juridiction compétente pour connaître des recours en annulation (il en va de même pour la détermination du juge d’appui (art. 7, 8, 9 et 14 de l’Acte uniforme, récusation d’un arbitre, difficultés de constitution du tribunal arbitral, prorogation du délai d’arbitrage, production forcée des preuves; cf. G. Kenfack Douajni, « Le juge étatique dans l’arbitrage OHADA », Rev. Camerounaise arb., 2001, n° 12, p. 3 et s.). A défaut, ce qui est généralement le cas, il incombe au juge de le faire. A vrai dire, l’hésitation n’est guère permise, dès lors qu’en principe seuls les arrêts des cours d’appel peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation (si l’on excepte les jugements rendus en premier ressort lorsque l’intérêt du litige est minime, ce qui n’était pas le cas ici.
III. – Peut-on renoncer aux voies de recours en matière d’arbitrage ? La question était posée également dans l’affaire Sotaci en présence d’une clause stipulant que la sentence arbitrale n’était susceptible d’aucun recours.
Les défendeurs au recours en annulation en contestaient la recevabilité en invoquant cette clause. La Cour rejette ce moyen par application de la loi ivoirienne de 1993 sur l’arbitrage (aujourd’hui abrogée, cf. Kenfack Douajni, « La portée abrogatoire de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage », Rev. camerounaise arb., n° spécial, octobre 2001, p. 28 et s.; adde, l’avis n° 001/2001 du 30 avril 2001 de la CCJA (http ://www.OHADA.com)) qui disposait que le recours en annulation est recevable malgré toute stipulation contraire. Selon la Cour, la clause de renonciation doit être réputée non écrite, elle est en tout état de cause contraire à l’ordre public.
IV. – Lorsque la Cour d’appel annule la sentence, la partie la plus diligente peut engager une nouvelle procédure d’arbitrage (article 29, Acte uniforme, reproduit in Rev. arb., 1999.722). La Cour n’a donc pas le pouvoir d’évoquer le fond, ce qu’elle peut faire dans le système CCJA (art. 29.5 du Règlement d’arbitrage, reproduit in Rev. arb., 1999.732). La Cour d’appel d’Abidjan rejette donc à juste titre, dans l’affaire Sotaci, la demande de cette société tendant à l’évocation de l’affaire.
V. – Sur la portée de l’obligation de statuer en amiable composition, l’arrêt Sotaci apporte d’utiles précisions, qui demeurent valables sous l’empire de l’Acte uniforme (art. 15).
Par une convention de cession de titres en date du 16 février 1998, les époux Delpech, domiciliés en France, avaient cédé à la société Sotaci la totalité des actions qu’ils détenaient dans le capital de la société Stil SA. Le prix d’achat des actions avait été déterminé sur la base d’un passif net de la société estimé provisoirement au 28 février 1998 et était susceptible de variation après évaluation définitive du passif. Invoquant le rapport du commissaire aux comptes selon lequel le passif définitif était sensiblement inférieur au passif provisoire, les cédants réclamaient le reliquat du prix de cession correspondant à la différence entre le passif provisoire et le passif définitif.
Pour le Tribunal arbitral, la question à résoudre – le mode de détermination du passif net convenu par les parties – constituait une question de droit dont la solution devait être recherchée dans la volonté des parties, en l’absence de disposition particulière dans la convention litigieuse. Se fondant sur les correspondances échangées par les parties et sur leurs déclarations à l’audience, les arbitres avaient conclu que le passif net visé par la convention de cession correspondait à l’actif net négatif de la société Stil SA, ainsi que l’avait déterminé le commissaire aux comptes. La société Stil SA, cessionnaire, fut ainsi condamnée à payer aux cédants un complément du prix.
A l’appui de son recours en annulation, la société Sotaci soutenait que les arbitres n’avaient pas statué en équité, alors qu’ils avaient pour mission de définir le passif net. La Cour d’appel d’Abidjan juge que, ce faisant, ils ne se sont pas conformés à leur mission et prononce en conséquence l’annulation de la sentence sur le fondement de l’article 26 de l’Acte uniforme.
A vrai dire, le raisonnement de la Cour d’appel n’apparaît pas pleinement convaincant. Il est difficile de dire, à la lecture de l’arrêt, en quoi les arbitres n’auraient statué qu’en droit et non pas en équité, alors surtout qu’ils ont fondé leur décision sur la seule interprétation de la volonté des parties et non sur une règle de droit objective (comp. En droit français de l’arbitrage, Paris, 1re Ch. C, 30 mai 1996, Rev. arb., 1996.645, note D. Bureau; Grenoble, 15 décembre 1999, Rev. arb., 2001.135, 2e esp., note E. Loquin; Cass. Civ. 2e, 15 février 2001, Rev. arb. 2001.135, 1re esp., note E. Loquin; D., 2001.2780, note N. Rontchevsky; JCP, 2002 II 10038, note G. Chabot, ayant jugé que les arbitres statuant comme amiables compositeurs, s’ils se prononcent exclusivement par application des règles de droit, doivent s’expliquer sur la conformité de celles-ci à l’équité; adde, Cass. Civ. 2e, 18 octobre 2001, supra, p. 359, note Ch. Jarrosson).
VI. - La validité d’une convention d’arbitrage signée par le mandataire apparent d’une personne morale a été examinée par la Cour d’appel d’Abidjan dans l’arrêt PDCI. Celui-ci soutenait que le contrat de vente litigieux avait été conclu par une personne qui n’était pas habilitée.
Au cours des débats devant le tribunal arbitral, le signataire du contrat avait indiqué qu’il avait été mandaté à cet effet dans le cadre de la gestion de la boutique du PDCI. Se fondant sur les dispositions du Code civil ivoirien, le Tribunal arbitral avait jugé qu’en vertu de la théorie de l’apparence, le contrat était valable de même que, par voie de conséquence, la clause compromissoire. La Cour d’appel approuve en relevant que le signataire n’avait pu agir qu’au nom et pour le compte du PDCI. Elle confirme ainsi l’application en matière d’arbitrage de la jurisprudence Lizardi selon laquelle une partie ne peut se prévaloir du défaut de pouvoir de son représentant apparent lorsque ce défaut de pouvoir a pu être légitimement ignoré par son cocontractant (V. Paris, 4 janvier 1980, Rev. arb., 1981.160, note P. Level; adde, Ph. Fouchard, E. Gallimard, B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, p. 271 et s.; M.-N. Jobard-Bachelier, L’apparence en droit international privé, préf. P. Lagarde, LGDJ, Bibl. dr. Privé, t. 178, 1983).
VII. – L’arrêt rendu par la CCJA dans l’affaire CTM c/ Colina SA, offre l’occasion de faire une dernière observation sur la question de l’indépendance de l’arbitre et la constitution du tribunal arbitral, bien que la Cour n’ait pas eu à se prononcer sur cette question puisqu’elle s’est déclarée incompétente.
Les parties avaient désigné leurs conseils respectifs comme arbitres et le demandeur au pourvoi prétendait que la sentence avait été rendue par un tribunal arbitral irrégulièrement constitué, car deux des arbitres étaient les représentants des parties, et il fondait son pourvoi sur l’article 5 de l’Acte uniforme relatif aux modalités de constitution du tribunal arbitral. En réalité, c’est plutôt l’article 6 qui aurait pu, si l’Acte uniforme avait été applicable et si la Cour avait été compétente, entraîner la cassation. Ce texte dispose en effet que l’arbitre doit demeurer indépendant et impartial vis-à-vis des parties, ce qui n’est certainement pas le cas de leurs avocats (cf. P. Boubou, « L’indépendance et l’impartialité de l’arbitre dans le droit OHADA », Rev. camerounaise arb., 2000 n° 9, p. 3 et s.; en droit français, v. Versailles, 14 novembre 1996, Rev. arb., 1997.361, 2e esp., note A. Hory).
Il en va de même s’il s’agit d’un arbitrage rendu sous l’égide de la CCJA. Le Règlement CCJA stipule expressément (art. 4-1) que l’arbitre doit être et demeurer indépendant des parties.
Philippe BOULANGER
Avocat au Barreau de Paris