J-02-130
droit des sûretés – droit de rétention – conditions d’exercice – lien de connexité – existence de relation d’affaires entre les parties. ARTICLE 42 AUPSRVE.
Le lien de connexité exigé par l’article 42 de l’Acte Uniforme relatif au droit des sûretés étant établi en raison des relations d’affaires existant entre les parties, le créancier peut exercer le droit de rétention. Ainsi, la banquier envers qui un de ses clients s’est porté caution pour garantir les engagements du débiteur principal, lui-même également client de la même banque, peut sur la base des relations d’affaires unissant ces trois personnes, refuser d’honorer un chèque émis par la caution sur un de ses comptes personnels gérés par la banque créancière.
Article 42 AUPSRVE
(Cour d’appel d’Abidjan, arrêt n° 321 du 7 mars 200, D.D c/ SGBCI, Bulletin Juris Ohada, n° 1/2002, janvier-mars 2002, p. 35)
Cour d’Appel d’Abidjan
Arrêt N° 321 du 7 mars 2000
LA COUR
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs conclusions;
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions et moyens des parties et motifs ci-après;
Suivant exploit du 31 janvier 2000, Monsieur D.D. a relevé appel de l'ordonnance N° 3897/99 rendue le 16 août 1999 par la juridiction présidentielle du Tribunal d'Abidjan qui, en la cause, l’a débouté de son action;
Monsieur D. expose qu’il a ouvert dans les livres de la SGBCI, un compte titre n° 111 245 034 24 créditeur à ce jour de 76.711.944 francs;
Il ajoute que la banque s’est opposée au paiement d’un chèque de guichet émis par lui-même, au motif qu’aucun retrait ne pouvait se faire directement sur ce compte et que tout mouvement devait transiter par le compte principal qui est lui-même, comme tous ses engagements globaux, au contentieux;
Monsieur D. contestant un tel procédé, fait valoir que le compte litigieux est son compte personnel et aucune convention n’existe entre les parties, liant ce compte à un autre. Il précise que ce compte appelé compte principal a été ouvert au nom de la société E.;
Dès lors, il estime que le refus de la banque de payer un chèque tiré sur son compte personnel ne se justifie pas;
Il sollicite en conséquence l’infirmation de l’ordonnance déférée et demande à la Cour d’ordonner à la SGBCI d’autoriser le retrait et ce, sous astreinte comminatoire de un million de francs par jour de retard;
La SGBCI, pour sa part, explique qu’elle est en relations d’affaires avec monsieur D. depuis 1973;
A ce titre, précise-t-elle, monsieur D. a ouvert divers comptes pour les activités de la société E. dont il est le gérant et s’est porté caution à hauteur de 50 millions de francs pour la garantie de la bonne exécution des obligations nées desdits comptes;
Poursuivant, la SGBCI fait observer qu’elle a initié devant le juge du fond, une procédure en paiement contre la société E. et monsieur D. débiteurs de près de 300 millions de francs;
Elle ajoute qu’elle se prévaut de l’article 41 de l’Acte uniforme du traité OHADA sur les sûretés, qui accorde au créancier un droit de rétention sur les biens du débiteur jusqu’à complet paiement.
DES MOTIFS
Il résulte des pièces produites que le compte litigieux a été ouvert au nom de monsieur D.D.;
Cependant, il est constant que monsieur D. s’est porté caution des engagements de la société E. à hauteur de 50 millions de francs. Par ailleurs, les pièces produites, notamment le rapport d’expertise du Cabinet Fiduciaire d’expertise comptable de Côte d’Ivoire révèlent l’existence d’une créance certaine liquide et exigible au profit de la SGBCI;
Dès lors, il est incontestable que celle-ci, en sa qualité de créancière détenant légitimement un bien de débiteur, peut exercer le droit de rétention institué par l’article 41 de l’Acte uniforme du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés;
Le lien de connexité exigé par l’article 42 du même acte est établi compte tenu des relations d’affaires existant entre les parties;
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le premier juge a débouté monsieur D.D. de sa demande;
Il convient par substitution des motifs, de confirmer l’ordonnance attaquée.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement en matière civile et commerciale et en dernier ressort;
EN LA FORME
Reçoit D.D. en son appel.
AU FOND
– L'y dit cependant mal fondé;
– L’en déboute;
– Confirme l’ordonnance querellée;
– Le condamne aux dépens.
Président : Mr SEKA ADON Jean-Baptiste.
Note anonyme
Il s’agit là d’une illustration du droit de rétention, version OHADA, en tout cas depuis que l’Acte Uniforme portant droit des sûretés est venu en déterminer les conditions d’exercice (cf. BROU Kouakou Mathurin, Le droit de rétention en droit ivoirien : conditions d’exercice et prérogatives du rétenteur à propos de l’affaire société SATA MALI c/ Société Incart Fiat, in Penant. Sept – décembre 2001).
En effet, aux termes de l’article 42 qui fixe les conditions de validité de l’exercice du droit de rétention, le droit de rétention ne peut s’exercer que si, entre autres, il existe un lien de connexité entre la naissance de la créance et la chose retenue.
Qu’en est-il en l’espèce ?
Il ressort des faits que le sieur D., dans le cadre des activités de la société E. dont il est le gérant, a ouvert divers comptes à la SGBCI. Pour la bonne exécution des obligations nées de ces comptes, il s’est personnellement porté caution, à concurrence de 60 millions de francs.
Devant le non-paiement de la somme de 300 millions de francs, résultant des débits des comptes de la société E., la SGBCI, créancière, retient le compte personnel du gérant. Autrement dit, la SGBCI exerce son droit de rétention sur ce compte dont le solde est créditeur de 76.711.944 francs pour avoir paiement de sa créance. Ce que conteste le sieur D., moyen pris de ce que ce compte serait son compte personnel et qu’aucune convention n’existe entre les parties, liant ce compte à un autre.
Ainsi le problème posé à la Cour était de savoir si le droit de rétention exercé par la SGBCI était régulier, valable. En d’autres termes, les conditions d’exercice du droit de rétention étaient-elles réunies en l’espèce ?
En confirmant l’ordonnance, la Cour décide de la régularité de la procédure et donc valide de droit de rétention exercé par la SGBCI, sur trois points :
1.- La détention du bien.
Aux termes de l’article 42 de l’Acte Uniforme portant droit des sûretés, l’exercice du droit de rétention suppose la détention légitime du bien.
En l’espèce, le bien est le compte litigieux du sieur D., créditeur de 76.711.344 francs. Ce compte ayant été ouvert dans les livres de la SGBCI, par le sieur D. à son nom et de façon volontaire, l’application de l’article 42 ne souffre d’aucune difficulté, l’existence d’une autre sûreté, en l’occurrence la caution personnelle, n’étant pas un obstacle.
2.- Les conditions relatives à la créance.
La créance dont le recouvrement est poursuivi doit être certaine, liquide et exigible. Elle doit donc, non seulement exister, c’est-à-dire ne pas faire l’objet d’une quelconque contestation, mais en outre doit être déterminée ou déterminable dans son montant et son paiement et ne pas être subordonné à un terme non encore avenu.
Ces caractères, selon la Cour, sont justifiés notamment sur la base du rapport d’expertise produit.
3. – Le lien entre la créance et le bien détenu.
Aux termes de l’article 42, un lien de connexité doit exister entre la naissance de la créance et la chose retenue. Il doit donc y avoir un lien entre la créance de 300 millions et le compte retenu. La créance est née à l’occasion des activités de la société que dirige le sieur D., activités pour lesquelles des comptes ont été ouverts. Or, ce n’est pas un de ces comptes qui est détenu mais son compte personnel, c’est-à-dire un compte qui n’est pas ouvert au nom et pour le compte de la société E. C’est pourquoi, il conteste tout lien entre les comptes de la société E. et son compte personnel qui porte le nom D.
Le lien auquel fait allusion D. peut être matériel ou juridique. En ce qui concerne particulièrement le lien juridique, il peut résulter soit d’une convention expresse ou des relations d’affaires existant entre les parties (cf. BROU Kouakou Mathurin art. prec.).
En l’absence de convention expresse, la Cour fait appel aux relations d’affaires.
A./ L’absence de connexité juridique.
C’est ce lien que conteste le sieur D.
Tout en reconnaissant le lien existant entre lui et la SGBCI à propos des comptes ouverts au nom de sa société, D. nie en revanche, tout lien entre le compte litigieux et les autres, pour servir de garantie à la dette de la société.
Cela signifie que si un de ces comptes pouvait servir de fondement au droit de rétention exercé par la SGBCI, il n’en va plus de même pour son compte personnel. D’ailleurs, si tel était le cas, on peut utilement se demander l’opportunité de la caution, tous les comptes étant au nom de la société.
Or, il résulte des documents produits que le compte litigieux est bien ouvert au nom du sieur D. dans les livres de la SGBCI. Ce qui signifie indirectement qu’il n’a pas de lien avec les autres comptes ouverts au nom de la société E. que dirige le sieur D.
Dès lors, comment peut-on justifier le droit de rétention exercé par la SGBCI ?
B./ Le lien de connexité fondé sur les relations d’affaires.
Selon la Cour, le lien de connexité est établi en raison des relations d’affaires existant entre les parties.
Il faut préciser qu’il ne s’agit pas de connexité juridique reposant sur une convention. Ce que reconnaît implicitement la Cour, mais plutôt de connexité reposant sur les relations d’affaires. C’est ainsi qu’on pourra parler de relations d’affaires entre une société de transport qui, régulièrement, remet ses véhicules en réparation chez un garagiste, alors qu’il n’existe pas entre eux un contrat d’entretien ou de réparation, les relations d’affaires ne pouvant exister de façon épisodique.
Y a-t-il en l’espèce des relations d’affaires entre le sieur D. et la SGBCI au sens de l’article 42 de l’Acte Uniforme ?
Il est difficile de répondre par l’affirmative pour trois raisons :
– D’abord, l’ouverture d’un compte dans un établissement bancaire ne crée pas de relations d’affaires entre le banquier et le titulaire du compte. Certes, le sieur D. est le gérant de la société E., mais il a ouvert un compte, en son nom personnel qui est différent de ceux ouverts au nom de la société E. Si les premiers ont été ouverts dans le cadre des activités de la société E., sur la base des ouvertures de compte (connexité juridique), le compte litigieux, lui repose sur un contrat différent puisque n’ayant pas le même objet. Dès lors, de quelles relations d’affaires s’agit-il ?
– Ensuite, l’article 42 fait expressément mention de relation d’affaires entre le créancier et le débiteur. S’il ne fait pas de doute pour le créancier, en l’espèce, la SGBCI, il n’en est plus de même pour le débiteur. En effet, le sieur D. n’est pas le débiteur des 300 millions, mais la société E. dont il est le gérant. S’il était le débiteur, comme le soutient la Cour, la caution serait nulle, du fait de la confusion des personnes de débiteur et de tiers, car la caution est une personne indépendante du débiteur, qui se porte garante des engagements du débiteur, de sorte qu’en cas de non-paiement, elle sera actionnée en lieu et place.
Le sieur E., caution des engagements de la société qu’il gère ne peut donc être le débiteur des 300 millions, mais il peut être amené à payer en sa qualité de caution.
– Enfin, les relations d’affaires auxquelles fait allusion l’Acte Uniforme ne peuvent exister qu’entre le débiteur principal, en l’espèce la société E. et la SGBCI et non entre la caution et la SGBCI.
En tout état de cause, la caution est poursuivie sur la base de son engagement, devant la défaillance du débiteur de l’obligation principale, à savoir le non-paiement des 300 millions de francs par la société E.
Mais la décision de la Cour a le mérite de garantir le crédit.
4.- La garantie du crédit dans le monde des affaires.
La décision de la Cour a toutefois son mérite, car elle tient compte de la pratique et garantit le crédit. Il faut noter qu’au niveau des sociétés à responsabilité limitée, le gérant est généralement détenteur de plus de la moitié des parts sociales. C’est d’ailleurs pour ces raisons que très souvent, il est appelé à se porter garant des engagements de la société, qui a une personnalité morale distincte de la sienne. Mais malgré cette distinction, les mouvements entre les comptes personnels du gérant ne sont pas à négliger, surtout dans la situation décrite plus haut. C’est dire que les comptes personnels sont alimentés en partie ou en totalité, à partir des comptes de la société qui sont les sources de revenu.
Il ne faut pas non plus minimiser le fait que le gérant, généralement propriétaire de l’affaire, n’hésite pas à utiliser ses comptes personnels comme obstacle au paiement des dettes sociales, en opposant les personnalités distinctes, alors que ceux-ci ont été alimentés à partir des comptes de la société, en relation d’affaires avec un établissement bancaire qui lui faisait des facilités de trésorerie ou des découverts bancaires.
En validant le droit de rétention, la Cour a opté pour le développement du crédit, dans le monde des affaires.
Cette décision d’équité permet au banquier de recouvrer sa créance. Ce qui garantit le crédit, en ce sens qu’elle permet d’un côté à l’établissement financier ou bancaire de recouvrer sa créance et, de l’autre, à l’opérateur économique de bénéficier du crédit nécessaire à l’exploitation de ses activités.
Néanmoins, on peut se demander pourquoi la Société Générale ne s’est pas engagée sur le terrain de la caution, pour avoir paiement de la créance plutôt que d’exercer un droit de rétention dont les conditions semblent difficilement réunies.