J-02-142
voies d’exécution – délai de grâce – conditions – bonne foi du débiteur – trésorerie difficile.
La société débitrice ne pouvant, de bonne foi, faire face à ses obligations à l’égard de son créancier, eu égard à sa situation difficile de trésorerie, il y a lieu de lui accorder un délai de grâce, conformément à l’article 39 de l’Acte Uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
(Cour d’appel d’Abidjan, arrêt n° 683 du 30 mai 2000, Abidjanaise d’Assurances c/ Société Afrique Energies Industries, Bulletin Juris Ohada, n° 3/2002, juillet-septembre, p. 41, note anonyme).
Cour d’Appel d’Abidjan
Arrêt N° 683 du 30 mai 2000
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs conclusions;
Ensemble l'exposé des faits, procédure, prétentions et moyens des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par acte d'huissier de justice du 21 avril 2000, l’Abidjanaise d’Assurances, représentée par son liquidateur, Monsieur A. et ayant pour conseil Maître Mohamed Lamine FAYE, Avocat à la Cour d’Appel d’Abidjan, a relevé appel de l'ordonnance N° 5154 rendue le 16 novembre 1999 par le Président du Tribunal de Première Instance d'Abidjan Plateau, qui a accordé un délai de grâce de huit mois et prononcé la suspension des poursuites pendant ce délai;
L'Abidjanaise d'Assurances fait valoir d’une part qu'étant en liquidation judiciaire depuis le 9 décembre 1999, elle a intérêt à recouvrer rapidement ses créances afin de pouvoir désintéresser ses créanciers; que, d'autre part, pour obtenir le délai de grâce, la société Afrique Energies Industries n'a pas rapporté la preuve de la situation difficile de sa trésorerie, et encore moins justifié de sa bonne foi; qu'ensuite, la convention des parties ne stipule nullement que l'appelante devait se faire payer directement par la Présidence de la République; qu'à preuve, l'article 5 de la convention de prêt indique que "la société Afrique Energies Industries s'engage fermement à payer les 50 % de la marge nette sur les travaux réalisés ainsi que la mise qui s'élève à 30.000.00 F;
Elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance ou à tout le moins, à voir ramener le délai de grâce à quatre mois à compter du 16 novembre 1999;
La Société AFRIQUE ENERGIES INDUSTRIES n'a pas comparu ni déposé d'écritures;
DES MOTIFS
EN LA FORME
Bien que l'acte d’appel ait été remis à Monsieur E., son employé, en ses bureaux, la Société Afrique Energies Industries n'a pas comparu ni conclu;
Conformément à l'article 144 alinéa 1 du code de procédure civile, il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard;
SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL
L'ordonnance querellée ayant été signifiée à l'Abidjanaise d'Assurances le 13 avril 2000, l'appel relevé le 21 avril 2000 est donc intervenu dans le délai de huit jours prescrit par l'article 228 alinéa 1 du code de procédure civile. L'appel doit en conséquence être déclaré recevable;
AU FOND
Au regard de l'article 39 du Traité OHADA relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, le Juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans la limite d'une année;
En l'espèce, s'il ne fait pas de doute que l'Abidjanaise d'Assurances est en liquidation et a besoin de recouvrer ses créances pour pouvoir faire face aux exigences de ses propres créanciers, il n'est pas non plus contesté que la société Afrique Energies Industries est débitrice de la somme de 364.294.225 F envers 35 créanciers dont l'appelante, bénéficiaire d'une créance de 30.000.000 F; la Société Afrique Energies ne peut s'acquitter de ses dettes que si elle-même est payée; or il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ait reçu de la Présidence de la République une quelconque somme en paiement des travaux effectués;
Au demeurant, au regard de l'article 5 de la convention de prêt, la Société Afrique Energies Industries s'engageait à lui payer 50 % de la marge des travaux et les 30.000.000 F;
L'article 5 indiquait les conditions de rémunération de l'Abidjanaise d'Assurances, conditions sans lesquelles elle n'aurait pas prêté l'argent. Nulle part dans la convention, il n'est prévu que l'Abidjanaise d'Assurances devait se faire payer directement par la Présidence de la République. En vertu de l'article susvisé, l'Abidjanaise d'Assurances devait être payée par la Société Afrique Energies Industrielles qui, à son tour, devait recevoir de la Présidence de la République, la somme représentant le coût des travaux de barrage de l'autoroute du nord;
Il ne résulte cependant pas des pièces du dossier que la société Afrique Energies ait reçu paiement, comme indiqué plus haut;
Il s’ensuit que c’est de bonne foi que la société Afrique Energies ne peut pas faire face à ces obligations à l'égard de son créancier, et a donc sollicité un délai de grâce. La décision ayant fait droit à cette requête mérite d'être confirmée;
L’Abidjanaise d’Assurances succombant à l’instance, doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
– Déclare L’Abidjanaise d’Assurances recevable en son appel relevé de l'ordonnance N° 5154 du 16 novembre 1999.
AU FOND
– L’y dit mal fondée;
– L’en déboute;
– Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions;
Président : M. AGNINI Youssouf.
Note anonyme
A quelles conditions un délai de grâce peut être accordé à un débiteur pour payer sa dette, et quelle en est la durée maximale ?
Si les conditions générales d'octroi du délai de grâce n'ont pas varié fondamentalement, par rapport à la situation antérieure (art. 1244 al.2 c.civ.), il n'en va plus de même pour la durée du délai.
En effet, en ce qui concerne les conditions, le débiteur poursuivi doit rapporter la preuve de la situation difficile de sa trésorerie, obstacle essentiel du non-respect de ses engagements vis-à-vis de ses créanciers, mais il doit en outre être de bonne foi.
Par rapport au délai, une innovation importante est apportée par l'Acte Uniforme portant voies d'exécution, en ce sens que le délai de grâce ne peut excéder une année, pour tenir compte des besoins du créancier, alors que sur la base de l'article 1244 al.2 du code civil, il n'y avait pas de limitation, des "délais modérés" pouvant seulement être accordés par le juge, précision étant seulement faite qu'il pouvait user de ce pouvoir avec "une grande réserve ».
Désormais, le délai de grâce peut être accordé par le juge au débiteur pour paiement de sa dette, mais dans la limite d’une année. (Pour l’efficacité d’une telle mesure, voir Anne-Marie Assi Esso. Actes Uniformes commentés. Juriscope, 1999 p. 730).
C’est ce que rappelle utilement l’arrêt ci-dessus publié.