J-02-157
voies d’exécution – saisie attribution – suspension des poursuites
Article 32 AUPSRVE
Article 336 AUPSRVE
Article 214 CPC ivoirien
L’article 336 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution, qui n’a une portée abrogatoire que relativement aux matières qu’il concerne, ne traite pas de la question du pourvoi, de sorte que l’article 214 du code de procédure civile, qui prévoit la suspension provisoire d’un arrêt en cas de pourvoi reste applicable.
La suspension de l’exécution de l’arrêt n’a pas d’effet sur la validité des actes d’exécution déjà accomplis.
(Cour d'appel d'Abidjan, arrêt n° 148 du 29 janvier 2002, Khourie Marie c/ Induschimie et SGBCI).
COUR D'APPEL d'Abidjan – Côte d’Ivoire
chambre civile et commerciale
arrêt n° 148 du 29 janvier 2002
Affaire : KHOURIE Marie
(Me Agnès OUANGUI)
contre
Induschimie et SGBCI
(Me N’GUETTA Gérard).
Arrêt Civil Contradictoire 5ème Chambre A
La Cour d'Appel d'Abidjan, Chambre Civile et Commerciale, séant au Palais de Justice de ladite ville, en son audience publique ordinaire du mardi Vingt Neuf Janvier Deux Mil Deux, à laquelle siégeaient :
Madame BLE SAKI Irène, Président de Chambre, Président
Mr KOUAO Jean et Mr YAO KOUAME Augustin, Conseillers à la Cour, Membres,
Avec l'assistance de Maître Y. R. Raymond, Greffier,
A rendu l'arrêt dont la teneur suit dans la cause;
ENTRE :
Mme KHOURIE Marie, née le 20 mai 1952 à Daloa, de nationalité française, Comptable de profession, demeurant à Abidjan Marcory Résidentiel, 11 B.P. 292 Abidjan 11;
APPELANTE
Représentée et concluant par Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour, son Conseil;
D'UNE PART
ET :
1°) INDUS-CHIMIE, SARL sise à Abidjan 01 BP 1304 Abidjan 01, prise en la personne de son représentant légal Monsieur HYZAZI Samih, de nationalité française, domicilié à Abidjan Marcory;
2°) La Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire dite SGBCI, SA au capital de 15.000.000.000 FCFA, dont le siège social est Avenue Joseph Anoma, 01 B.P. 1355 Abidjan 01, en son agence de Vridi, INDUS-CHIMIE possède le compte N° 116.331.452.24 prise en la personne de son représentant légal;
INTIMEES
Représentées et concluant par Maître N’GUETTA Gérard, Avocat à la Cour, leur Conseil;
D'AUTRE PART
Sans que les présentes qualités puissent nuire ni préjudicier en quoi que ce soit aux droits et intérêts respectifs des parties en cause, mais au contraire, sous les plus expresses réserves des faits et de droit.
FAITS :
La juridiction présidentielle du Tribunal d'Abidjan, statuant en la cause, en matière civile et en référé, a rendu le 25 octobre 2001, une ordonnance N° 4375 non enregistrée, aux qualités de laquelle il convient de se reporter;
Par exploit en date du mardi 30 octobre 2001 de Maître Nicolas DAGO, Huissier de Justice à Abidjan, dame KHOURIE Marie a déclaré interjeter appel de l'ordonnance sus-énoncée et a, par le même exploit, assigné INDUS CHIMIE et la SGBCI à comparaître par-devant la Cour de ce siège à l'audience du mardi 13 novembre 2001 pour entendre, annuler ou infirmer ladite ordonnance;
Sur cette assignation, la cause a été inscrite au rôle général du Greffe de la Cour, sous le numéro 1252 de l'an 2001;
Appelée à l’audience sus-indiquée, la cause, après des renvois, a été utilement retenue le 18 décembre 2001 sur les pièces, conclusions écrites et orales des parties;
Le Ministère Public, à qui le dossier a été communiqué le 18 décembre 2001, a requis la confirmation;
DROIT :
En cet état, la cause présentait à juger les points de droit résultant des pièces, des conclusions écrites et orales des parties;
La Cour a mis l'affaire en délibéré pour rendre son arrêt à l'audience du 29 janvier 2002;
Advenue l'audience de ce jour, 29 janvier 2002, la Cour, vidant son délibéré conformément à la loi, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï le Ministère Public;
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, sur l'appel relevé le 30 octobre 2001 par Madame KHOURIE Marie, ayant pour Conseil Maître Agnès OUANGUI, de l’ordonnance de référé N° 4375/2001 rendue le 25 octobre 2001 par la Juridiction Présidentielle du Tribunal d'Abidjan, qui, recevant la société INDUS CHIMIE en son action, l’y a déclarée bien fondée et a ordonné la mainlevée de la saisie attribution en date du 08 octobre 2001 opérée sur le compte bancaire de la Société INDUS CHIMIE ouvert à la SGBCI;
Considérant que l'appelante expose aux termes de son appel que par arrêt social confirmatif N° 447/2001 rendu le 17 mai 2001, la Cour d’Appel de ce siège a condamné la société INDUS CHIMIE à lui payer la somme totale de 26.323.094 FCFA à titre d’indemnité de rupture de contrat et de dommages-intérêts;
Que cet arrêt signifié à la société INDUS CHIMIE le 08 octobre 2001, celle-ci s’est pourvue en cassation le 15 octobre 2001;
Qu’en exécution de l’arrêt social, elle (l’appelante) a fait pratiquer le 08 octobre 2001, une saisie attribution de créance sur le compte de la Société INDUS CHIMIE ouvert dans les livres de la Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire dite SGBCI;
Que par requête en date du 17 octobre 2001, l’intimée a sollicité de la juridiction présidentielle de la Cour Suprême, le sursis à exécution de cet arrêt;
Que par ordonnance N° 238/CS/JP/2001 rendue par le Président de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême, il a été sursis à l’exécution de cette décision;
Que sur le fondement de cette suspension des poursuites, l’intimée a sollicité, le 23 octobre 2001, la mainlevée de la saisie attribution de créance en date du 08 octobre 2001;
Que par ordonnance N° 4375/2001 rendue le 25 octobre 2001, la Société INDUS CHIMIE a obtenu la mainlevée;
Considérant qu’après ce rappel des faits et procédures, l’appelante plaide l’infirmation de l’ordonnance entreprise;
Qu’en effet, elle soutient d’une part que l’ordonnance entreprise est intervenue en violation des dispositions de l’article 32 de l’Acte uniforme du Traité OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution;
Qu’à cet égard, elle fait savoir que le Juge des référés a ordonné la mainlevée de la saisie attribution de créance en date du 08 octobre 2001, motifs pris de ce que l’effet exécutoire attribué à l’arrêt N° 447 du 17 mai 2001 serait suspendu par l’ordonnance de sursis à exécution;
Que selon elle, l’article 214 nouveau du code de procédure civile qui a motivé l’ordonnance de sursis à exécution ne saurait s’appliquer en l’espèce et servir de fondement à l’obtention d’une mainlevée, car l’application de ce texte de droit interne s’oppose à celle de l’article 32 de l’Acte uniforme susvisé, texte de droit international;
Qu’elle poursuit que le texte de droit interne suspend toute exécution, tandis que le texte de droit international laisse la latitude au créancier de poursuivre ou non son débiteur à ses risques et périls;
Qu’elle précise qu’en vertu de l’article 87 de la nouvelle constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie »;
Que le Traité OHADA est applicable en Côte d’Ivoire depuis le 10 juillet 1998;
Que l’article 336 de l’Acte uniforme du Traité OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution dispose que « le présent Acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les Etats parties »;
Que, d’autre part, elle fait valoir qu’elle a fait pratiquer la saisie attribution sur le compte de l’intimée le 08 octobre 2001, tandis que l’ordonnance de sursis à exécution a été rendue le 22 octobre 2001, donc postérieurement à la saisie;
Qu’en application de l’article 2 du code civil qui dispose que « la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif », l’ordonnance N° 238 susvisée ne peut rétroagir;
Qu’en conséquence, l’appelante prie la Cour d’annuler l’ordonnance de référé N° 4375/2001 rendue le 25 octobre 2001 et par évocation, ordonner le maintien de la saisie attribution de créances pratiquée le 08 octobre 2001;
Considérant que pour sa part, la société INDUS CHIMIE intimée, concluant par Maître N’GUETTA Gérard, son Conseil, explique qu’en exécution d’un arrêt de la Cour d’Appel de ce siège la condamnant à payer la somme de 26.329.094 FCFA à dame KHOURIE Marie, celle-ci a fait pratiquer le 08 octobre 2001, une saisie attribution de créance sur le compte de ladite société;
Que le 15 octobre 2001, la Société se pourvoyait en cassation et obtenait le 22/10/2001, une ordonnance du Président de la Cour Suprême ordonnant le sursis à exécution de l’arrêt susvisé;
Que sur cette base, le Juge des référés a ordonné, à la requête de la société, la mainlevée de la saisie attribution de créance susvisée par ordonnance du 25 octobre 2001;
Que dame KHOURIE Marie a relevé appel de cette ordonnance pour deux raisons :
Que d’abord, l’appelante estime que le texte de droit interne (article 214 du code de procédure civile) ne saurait faire obstacle au texte de droit international (article 32 du Traité OHADA);
Qu’à cet égard, l’intimée soutient que le terme « peut » utilisé par le Traité de l’OHADA n’est pas fortuit et traduit la possibilité de la suspension d’une exécution;
Qu'il est faux par ailleurs, de dire que l’article 32 du Traité OHADA a pour effet d’abroger l’article 24 du code de procédure civile, en ce sens que la matière visée par cet article (le pourvoi en cassation) n’est pas régie par le Traité OHADA;
Qu’ensuite, l’appelante ayant fait valoir la postériorité de la saisie attribution de créance, la société INDUS CHIMIE soutient que le Juge des référés n’a pas été saisi d’un litige relatif à l’application de la loi civile dans le temps, sinon d’une contestation élevée par la Société et reposant sur des décisions juridictionnelles;
Que le Juge des référés, eu égard à la décision de sursis à exécution de la Cour Suprême, avait toute latitude au regard des faits de la cause, pour prendre la mesure de mainlevée;
Qu’en conséquence, l’intimée demande à la Cour de dire qu’en statuant comme il l’a fait, le Juge des référés n’a fait qu’appliquer la loi et sa décision n’encourt aucune censure;
Considérant que la Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire, autre partie intimée bien que régulièrement citée en ses bureaux, n’a ni comparu ni conclu, il échet de statuer contradictoirement à son égard;
Considérant que le Ministère Public à qui la procédure a été communiquée conclut à la confirmation de l’ordonnance querellée.
DES MOTIFS
De la recevabilité de l'appel
Considérant que l'appel régulièrement intervenu est recevable;
De l’application de l’article 214 du code de procédure civile, commerciale et administrative
Considérant que l’article 336 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement de créance et voies d’exécution dispose que « le présent Acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les Etats parties;
Considérant que le Traité OHADA ne traite que la question du pourvoi;
Que dès lors, l’article 214 du code de procédure civile, commerciale et administrative demeure en vigueur et le moyen tiré de son abrogation ne saurait prospérer.
de la mainlevée de la saisie attribution
Considérant que l’ordonnance de suspension de poursuites prévue par l’article 214 du code de procédure civile a pour effet, comme son nom l’indique, de suspendre provisoirement les poursuites et ce, pour l’avenir attendant la décision de la juridiction saisie;
Qu'il s’ensuit que les choses restent en l’état et cette procédure n’entraîne nullement l’annulation des actes déjà faits, notamment la saisie attribution de créances;
Qu'en l’espèce, la saisie attribution du 08 octobre 2001 sur les comptes de la société INDUS CHIMIE ouverts à la SGBCI n’est pas anéantie du fait de l’ordonnance de sursis à l’exécution de l’arrêt N° 447 du 17 mai 2001 de la Cour d’Appel de ce siège qui est son support, dès lors que cet arrêt n’a pas été annulé par la Cour Suprême saisie;
Qu’en conséquence, l’ordonnance de référé querellée qui a ordonné la mainlevée de la saisie attribution ne repose sur aucun fondement légal et doit être infirmée;
Qu'en statuant à nouveau, il convient de débouter la société INDUS CHIMIE de sa demande de mainlevée de la saisie attribution.
DES DÉPENS
Considérant que l’intimée succombe, il y a ainsi lieu de laisser les dépens à sa charge.
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME
Déclare dame KHOURIE Marie recevable en son appel relevé de l’ordonnance de référé N° 4375/2001 rendue le 25 octobre 2001 par la Juridiction Présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan;
AU FOND
– L'y dit bien fondée;
– Infirme ladite ordonnance;
Statuant à nouveau :
– Déboute la Société INDUS CHIMIE de sa demande de mainlevée de saisie attribution de créance;
– La condamne aux dépens dont distraction au profit de Maître Agnès OUANGUI;
En foi de quoi, le présent arrêt prononcé publiquement, contradictoirement, en matière civile, commerciale et en dernier ressort par la Cour d’Appel d’Abidjan (5ème Chambre Civile A), a été signé par le Président et le Greffier.
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Pour bien comprendre la solution proposée par cet arrêt, il convient de retracer la procédure. La dame K.M avait obtenu condamnation de son employeur, la société IC à lui payer la somme de 26 millions environ en première instance confirmée en appel. Forte de cette décision, elle entrepris une procédure de saisie attribution (le 8 octobre 2001) sur les comptes bancaire de son employeur qui obtint une ordonnance de sursis à exécution de la Cour suprême conformément aux dispositions de droit interne ivoirien relatives à cette question. Se prévalant de cette ordonnance de sursis à exécution, l'employeur obtint du juge des référés une ordonnance de mainlevée de la saisie attribution dont la dame KM releva appel en invoquant deux arguments :
– l'article 214 du CPC ivoirien qui a motivé l'ordonnance de sursis à exécution est contraire à l'article 32 AUVE qui permet aux créanciers de poursuivre, à leurs risques et périls, l'exécution des décisions et, de ce fait, la Cour suprême a violé l'Acte uniforme sur les voies d'exécution qui lui est supérieur dans la hiérarchie des normes en raison de sa supranationalité;
– l'ordonnance de sursis est postérieure à l'acte de saisie attribution pratiquée et ne peut avoir pour effet d'anéantir rétroactivement ce dernier.
1. La réfutation du premier argument de l'appelante par la Cour d'appel laisse perplexe car elle repose sur une motivation laconique et curieuse qu'on peut résumer ainsi : l'article 336 AUVE abroge toutes les dispositions relatives aux matières que l'AUVE traite; le Traité Ohada ne traite pas la question du pourvoi; dès lors, l'article 214 du CPC ivoirien demeure en vigueur.
Or, la question est bien là : en posant la règle de l'article 32 AUVE, le législateur a-t-il voulu neutraliser toutes les dispositions nationales relatives au sursis à exécution? La CCJA a répondu par l'affirmative 1 et l'on aurait été intéressé de savoir ce qu'en pensait la Cour d'appel et connaître son argumentation à ce sujet. Tant qu'à résister à la CCJA, autant argumenter plus solidement sur les raisons de cette résistance.
2. La seconde partie de la solution de la Cour est plus séduisante et intéressante. Elle consiste à dire que l'ordonnance de la Cour suprême n'anéantit pas rétroactivement la saisie attribution mais ne fait que paralyser ses effets provisoirement. Elle répondait ainsi à la critique faite par l'appelante en même temps qu'elle réservait les droits de celle-ci; en effet, en supposant que la Cour suprême rejette le pourvoi en cassation de l'employeur, la dame KM n'aura pas à recommencer une procédure de saisie attribution et conserve sa position privilégiée de première saisissante sur le compte bancaire de son employeur.

1 Voir Ohadata J-02- * et toutes les observations écrites à ce sujet dont les références se trouvent inscrites sous cet arrêt.