J-02-165
droit de rétention – exigibilité de la créance (non) – violation de l’article 41 aus (non).
En présence d’un accord entre les parties à un contrat de prêt stipulant que l’emprunteur, pêcheur, s’engage à rembourser totalement le prêt dans un délai maximal de deux mois à compter de la date du premier départ en mer par prélèvement, à hauteur de 50 %, de la valeur nette de la pêche, le prêteur qui prétend exercer un droit de rétention sur les pirogues de son débiteur, sans établir que le délai de deux mois ainsi imparti est expiré ne justifie pas de l’exigibilité de sa créance comme l’exige l’article 41 AUS.
La Cour d’appel qui rejette le droit de rétention du prêteur ne se contredit pas dans ses motifs en déclarant que la condition d’exigibilité de l’article 41 AUS n’est pas satisfaite, tout en admettant que le débiteur avait demandé, implicitement en appel, la confirmation du jugement de première instance le condamnant à payer le montant du prêt.
Article 41 AUS
(CCJA, arrêt n° 16/2002 du 27 juin 2002, Société MAREGEL c/ Serigne Moustapha MBACKE, Le Juris-Ohada, n° 4/2002, octobre – décembre 2002, p. 43, note anonyme.- Recueil de jurisprudence CCJA, n° spécial, janvier 2003, p. 31).
Organisation pour l’harmonisation en afrique
du droit des affaires (OHADA)
Cour commune de justice et d’arbitrage (C.C.J.A.)
Audience Publique du 27 juin 2002
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a rendu l’arrêt suivant en son audience publique du 27 juin 2002, où étaient présents :
Messieurs Seydou BA, Président
Jacques M’BOSSO, Premier Vice-président
Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge
Maïnassara MAIDAGI, Juge-rapporteur
Boubacar DICKO, Juge
et Maître Pascal Edouard NGANGA, Greffier en chef;
Sur le pourvoi non daté, mais enregistré à la Cour de céans le 24 août 2001 sous le n° 014/2001/PC, formé par la SCP DIOUF et FALL, Avocats à la Cour, 38, rue Félix Faure à Dakar, BP 9018, agissant au nom et pour le compte de la Société à responsabilité limitée MAREGEL, dans une cause l’opposant à Serigne Moustapha MBACKE, ayant pour conseil Maître Cheikh Amadou DIOP, Avocat à la Cour;
En cassation de l’arrêt n° 120 du 16 février 2001 rendu en matière civile et commerciale par la première chambre de la Cour d’Appel de Dakar, République du Sénégal, dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
– Déclare recevables l’appel de la Société MAREGEL et celui incident de Serigne Moustapha MBACKE;
– Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Serigne Moustapha MBACKE à payer à la Société MAREGEL la somme de 5.000.000 FCFA, ordonné la restitution des pirogues sous astreinte de 100.000 FCFA par jour de retard, débouté Serigne Moustapha MBACKE de sa demande de dommages-intérêts;
Statuant sur la demande en paiement de dommages-intérêts de la Société MAREGEL;
Déboute celle-ci de cette prétention;
Fait masse des dépens »;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAIDAGI;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que par acte intitulé « PRET DE MAREGEL » signé par Serigne Moustapha MBACKE et par un autre acte date du 09 février 1999 appelé « CONTRAT COMMERCIAL » signé par le même Serigne Moustapha MBACKE et Monsieur Francisco MANUEL, la Société MAREGEL a consenti un prêt de cinq millions (5.000.000) FCFA à Serigne Moustapha MBACKE d’une part, et, d’autre part, s’est engagée à offrir au même bénéficiaire du prêt, en qualité de propriétaire des pirogues SENPA 1, SENPA 4 et SENPA 2, une garantie à hauteur de dix millions (10.000.000) FCFA en cas de saisie définitive des pirogues due à une faute administrative à elle imputée; que Serigne Moustapha MBACKE, de son côté, a donné en garantie pour le remboursement du prêt, les produits de la pêche de ses pirogues et s’est engagé à rembourser la totalité de la somme dans un délai maximum de deux mois à compter de la date du premier départ en mer, ledit remboursement s’effectuant par prélèvement à concurrence de 50 % de la valeur nette de la pêche dans trois pirogues, ou plus s’il y a lieu; qu’il s’est engagé aussi à mettre à la disposition de la Société MAREGEL, ses trois pirogues sus-indiquées, pour la pêche des produits destinés exclusivement à ladite Société; qu’enfin, il s’est engagé à vendre exclusivement à la Société MAREGEL la quasi-totalité de ses pêches; qu’entre autres clauses insérées dans les deux actes signés, il est spécifié, d’une part, qu’à l’expiration du délai, les pirogues ne peuvent pas retourner en mer tant que la totalité de la somme avancée n’est pas remboursée et, d’autre part, qu’en cas de non-respect des engagements de remboursement, la Société MAREGEL se réserve le droit de s’approprier la totalité de la pêche d’une ou de plusieurs pirogues, en compensation des sommes dues; qu’avant estimé que Serigne Moustapha MBACKE ne respectait pas ses engagements, les pirogues ayant d’ailleurs été, entre-temps, arraisonnées par la marine mauritanienne, la Société MAREGEL a, par exploit d’huissier en date du 02 août 1999, dénoncé le contrat et mis son cocontractant en demeure de payer sa dette; que cette mise en demeure ayant été infructueuse, elle a saisi le tribunal régional de Dakar pour voir condamner Serigne Moustapha MBACKE à lui payer non seulement les cinq millions (5.000.000) FCFA prêtés, mais également la somme de trois millions quatre cent onze mille cent treize (3.411.113) FCFA qu’elle aurait avancée pour le financement des marées, ainsi que la somme de deux millions (2.000.000) FCFA à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, le tout assorti de l’exécution provisoire; que, pour sa part, Serigne Moustapha MBACKE s’est porté demandeur reconventionnel pour obtenir, d’une part, la restitution immédiate de ses pirogues retenues par la Société MAREGEL sous astreinte de cinq cent mille (500.000) FCFA par jour de retard et, d’autre part, le paiement de la somme de quinze millions (15.000.000) FCFA à titre de dommages-intérêts; que par jugement n° 625 du 05 avril 2000, le Tribunal Régional de Dakar a condamné Serigne Moustapha MBACKE à payer à la Société MAREGEL la somme de cinq millions (5.000.000) FCFA; débouté la Société MAREGEL du surplus de sa demande; ordonné la restitution des pirogues sous astreinte de cent mille (100.000) FCFA par jour de retard et débouté Serigne Moustapha MBACKE de sa prétention aux dommages-intérêts; que sur appel de la Société MAREGEL, la première chambre civile de la Cour d’appel de Dakar a confirmé le jugement entrepris par arrêt n° 120 du 16 février 2001 dont pourvoi;
Sur le premier moyen.
Vu les articles 41 et 42 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 41 de l’Acte uniforme susvisé, en ce que la Cour d’Appel a refusé à la Société MAREGEL le bénéfice du droit de rétention, alors qu’elle dispose d’une créance certaine, liquide et exigible; que selon la requérante, il n’est pas discuté qu’elle a une créance certaine – la Cour l’admet puisqu’elle confirme la condamnation du juge d’instance -, liquide et exigible – le contrat de prêt stipulait expressément que le remboursement total devait intervenir dans les deux mois suivant le premier départ en mer et l’article 3 du contrat de prêt indique expressément que les pirogues ne pouvaient pas retourner à la mer sans le remboursement du montant du prêt -; que toujours selon la requérante, la Cour a violé deux principes de droit : le principe de la force obligatoire du contrat et celui tiré des articles 41 et suivants de l’Acte uniforme susvisé;
Mais attendu qu’aux termes des articles 41 et 42 alinéa 1er de l’Acte uniforme susvisé, « le créancier qui détient légitimement un bien du débiteur peut le retenir jusqu’à complet paiement de ce qui lui est dû, indépendamment de toute autre sûreté », le droit de rétention ne peut s’exercer que :
avant toute saisie;
si la créance est certaine, liquide et exigible;
s’il existe un lien de connexité entre la naissance de la créance et la chose retenue »;
Attendu qu’il ressort du contrat de prêt signé par Serigne Moustapha MBACKE, que ce dernier s’est engagé à rembourser la totalité de la somme dans un délai maximum de deux mois à compter de la date du premier départ en mer, et qu’à l’expiration dudit délai, les pirogues ne pouvaient pas retourner en mer tant que la totalité de la somme avancée n’était pas remboursée;
Attendu qu’il n’est pas établi que le délai de deux mois imparti par le contrat à Serigne Moustapha MBACKE pour s’acquitter de sa dette était expiré avant l’immobilisation des pirogues, d’abord par les autorités mauritaniennes et ensuite, du fait de la Société MAREGEL elle-même; qu’il s’ensuit que la preuve de l’exigibilité de la créance de la Société MAREGEL n’est pas rapportée; que dès lors, en déclarant que « toutes les conditions pour l’exercice d’un droit de rétention par la Société MAREGEL ne sont pas réunies… », la Cour d’appel n’a en rien violé les articles 41 et suivants de l’Acte uniforme susvisé et qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi sur ce point;
Sur le second moyen.
Attendu qu’il est également reproché à l’arrêt attaqué « une contrariété de motifs ne permettant pas à la Cour de céans d’exercer son contrôle » en ce que la Cour d’Appel, après avoir relevé elle-même que le sieur Serigne Moustapha MBACKE demandait la confirmation du jugement entrepris sur le montant du prêt, admettant ainsi implicitement avoir failli à son obligation, « ne pouvait plus tard, de son propre fait, juger que la dette n’était pas exigible »;
Mais attendu, s’il est vrai, qu’en statuant sur la demande en paiement de la Société MAREGEL, la Cour d’Appel a effectivement considéré que Serigne Moustapha MBACKE avait, implicitement, dans ses conclusions du 22 décembre 2000, demandé que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu’il l’a condamné à payer la somme de cinq millions (5.000.000) FCFA, cette constatation n’est en rien contredite par l’affirmation ultérieure que toutes les conditions pour l’exercice du droit de rétention n’étaient pas réunies, la date du premier départ en mer des pirogues n’ayant pas été déterminée au préalable pour permettre de connaître celle de l’expiration du délai de deux mois rendant exigible la somme due par Serigne Moustapha MBACKE; que la contrariété de motifs n’étant pas établie, il y a lieu de rejeter ce moyen;
Attendu qu’en conséquence il y a lieu de rejeter le pourvoi et de condamner la Société MAREGEL aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré;
– Rejette le pourvoi;
Condamne la Société MAREGEL aux dépens.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Sur le premier moyen, si nous comprenons bien les faits tels qu’exposés par la Haute Cour de Justice, le contrat par lequel la date de remboursement du prêt avait été fixée à deux mois après le départ en mer des pirogues, avait été dénoncé, et ce n’est qu’après cette dénonciation que le droit de rétention avait été exercé. Dès lors, cette date d’exigibilité devenait caduque, le remboursement devait être anticipé et le droit de rétention, surtout après le commandement de payer servi, pouvait se justifier. C’est ce qu’aurait dû vérifier la Cour d’appel à la demande du débiteur, et si ce dernier ne l’avait pas demandé dans ses conclusions, il admettait, implicitement, la déchéance du terme.
Sur le second moyen, il est exact de dire que reconnaître sa dette ou être reconnu débiteur d’une dette (certitude et liquidité) ne justifie pas que celle-ci soit exigible et, partant, justifie le droit de rétention. Il n’y a donc pas contradiction de motifs, apparemment. Cependant, il ne faut pas oublier que les pirogues avaient été arraisonnées par la marine mauritanienne, sans doute pour faute administrative, ce qui pouvait entraîner une déchéance du terme par le fait fautif du débiteur. Encore fallait-il que le créancier eût fait valoir ce moyen.
Finalement, le prêteur eût été mieux avisé de recourir à une saisie conservatoire des pirogues, qui lui aurait été, très certainement, accordée.
Note anonyme au Juris-Ohada
A quelles conditions le droit de rétention peut-il valablement s'exercer?
Quelles sont les conditions d'exercice régulier du droit de rétention?
La créance pour laquelle le créancier exerçait son droit de rétention sur les pirogues du débiteur était-elle exigible?
1/ Faits et procédure
Par acte intitulé "Prêt de M", la société M. a consenti un prêt à S., et s'est engagé à offrir au même bénéficiaire du prêt, en qualité de propriétaire de trois pirogues une garantie en cas de saisie définitive des pirogues due à une faute administrative à elle imputée. En retour, Monsieur S., d'une part, a donné pour le remboursement du prêt, les produits de la pêche de ses pirogues et s'est engagé à rembourser la totalité de la somme dans un délai maximum de deux mois à compter de la date du premier départ en mer et, d'autre part, a mis à la disposition de la société ses trois pirogues pour la pêche des produits destinés exclusivement à ladite société.
Devant le non respect des engagements pris par S, la société a, après dénonciation du contrat et une mise en demeure infructueuse, saisi le Tribunal régional de Dakar qui a condamné S. à rembourser la somme prêtée, débouté la société du surplus de sa demande, à savoir la somme de 3 411 113 F CFA avancée pour le financement des marées et 2 000 000 de F CFA à titre de dommages intérêts.
Par ailleurs, le Tribunal a ordonné, sous astreinte, la restitution des pirogues à S.
Sur appel de la société, la Cour d'appel de Dakar a confirmé le jugement entrepris. C'est cet arrêt qui fait l'objet du pourvoi devant la CCJA par la société M, qui invoque la violation de l'article 41 de l'Acte uniforme portant organisation des Sûretés.
2/ Moyens
En réalité deux moyens sous tendent le pourvoi de la société' M.
D'une part, la violation de l'article 41 précité, la Cour d'appel lui ayant refusé le bénéfice du droit de rétention alors que sa créance est certaine, liquide et exigible. Pour la requérante, les conditions d'exercice du droit de rétention étaient réunis.
D'autre part, la requérante reproche à l'arrêt de la Cour d'appel une contrariété de motif, dès lors qu'après avoir relevé que S. demandait la confirmation du jugement entrepris sur le montant du prêt, elle ne pouvait plus tard, de son propre chef, juger que la dette n'était pas exigible, S. ayant implicitement admis avoir failli à son obligation.
Mais en rejetant le pourvoi, la CCJA décide que les moyens de la société M. n'étaient pas fondés.
En effet, selon la CCJA, les conditions d'exercice du droit de rétention n'étaient pas réunies, notamment l'exigibilité de la créance.
3/ L'exigibilité de la créance de la société M.
Après avoir rappelée les conditions générales d'exercice du droit de rétention, la CCJA s'est interrogée sur l'exigibilité de la créance, eu égard aux termes du contrat.
En effet, S., s'étant engagé à rembourser la totalité de la somme dans un délai de deux mois à compter de la date du premier départ en mer et qu'à l'expiration dudit délai, les pirogues ne pouvaient pas retourner en mer tant que la totalité de la somme avancée n'était pas remboursée, il apparaît sans équivoque que cette clause constituait le terme du remboursement et, donc, l'exigibilité de la créance de la société M.
C'est donc à l'expiration du délai de deux mois imparti à S. pour s'acquitter de sa dette que la créance devient exigible. Ce qui suppose que soit établie cette date. Or, en l'espèce, la société M. n'établit nullement l'expiration de ce délai, le caractère certain de la créance étant insuffisant pour exercer le droit de rétention. (Joseph Issa Sayegh et autres. OHADA. Sûretés. Ed. Bruylant, 2002, Collection Droit Uniforme Africain p. 69. - Brou Kouakou Mathurin. Droit de rétention en droit Ivoirien : conditions d'exercices et prérogatives du rétenteur, à propos de l'affaire SATA MALI c/Société Incar Fiat, à paraître).
Ce délai était-il expiré avant l'immobilisation des pirogues, d'abord par les autorités mauritaniennes et, ensuite, du fait de la société M. elle-même ?
Il appartenait à la société M de rapporter la preuve de l'expiration de ce délai, qui rend exigible sa créance. A défaut, les conditions d'exercice du droit de rétention n'étaient pas réunies et elle ne pouvait valablement exercer son droit de rétention, surtout qu'en l'espèce, la date du premier départ en mer des pirogues n'était pas déterminée pour permettre de connaître celle de l'expiration du délai de deux mois, terme du remboursement du prêt.
C'est donc principalement sur la base de ce motif que la CCJA a rejeté le pourvoi formé par la société M. (Sur l'exercice du droit de rétention, voir C.A. Abidjan, arrêt N° 321 du 07 mars 2000, Juris OHADA, n° 1/2002 p.35.- Ohadata J-02-130)