J-02-17
SAISIE CONSERVATOIRE DE CREANCE DE SALAIRE VERSE DANS UN COMPTE BANCAIRE – ABSENCE DE TENTATIVE DE CONCILIATION – ABSENCE DE TITRE EXECUTOIRE – NULITE DE LA SAISIE (OUI).
La saisie conservatoire pratiquée sur le solde créditeur d'un compte bancaire sur lequel sont versés les salaires du débiteur est une saisie de rémunération et non de créance. Dès lors, elle doit être soumise à la tentative de conciliation prévue par l'article 174 AUVE et subordonnée à l'obtention d'un titre exécutoire (article 175 AUVE).
(Tribunal de 1ère instance de Yaoundé, ord. référé n° 218 du 16 décembre 1999, dame Tagny née K'Mdemfotso Alice c/ Ngnintedembavoua Joseph et BICEC).
ORDONNANCE DE REFERE N°218 DU 16 DECEMBRE 1999
Dame TAGNY née K’MDEMFOTSO Alice
c/NGNINTEDEMBAVOUA Joseph - BICEC
NOUS, JUGE DES REFERES;
– Vu l’exploit introductif;
– Vu les pièces du dossier de la procédure;
– Après en avoir délibéré conformément à la loi;
– Attendu que par exploit en date du 02 Décembre 1999 de Maître Tchame Deuna Rachel, Huissier de Justice à Yaoundé, non encore enregistré, mais qui le sera en même temps que la minute de la présente ordonnance dame Tagny née Kamdom Fotso Alice a fait donner assignation à Ngnintedem Bavoua d’avoir à comparaître devant nous, en référé d’heure à heure pour, est-il dit dans l’acte servi à cet effet;
– Voir au principal, renvoyer les parties à mieux se pourvoir;
– Mais dès à présent, vu l’urgence et le péril en la demeure, par provision et sur minute avant enregistrement;
– Déclarer nulle et de nul effet la saisie conservatoire de créance pratiquée le 03 Novembre 1999 sur le compte de virement des salaires de Tagny à la BICEC par Ngnintedem;
– Ordonner par conséquent, la main levée de la dite saisie sous astreinte de 300.000 francs par jour de retard; et condamner Ngnitedem Bavoua aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Magne, Avocat aux offres;
– Attendu qu’au soutien de son action, la demanderesse expose;
– Que le 10 Novembre 1999, elle a reçu dénonciation du procès-verbal d’une saisie conservatoire de créances pratiquée par Ngnitedem Bavoua entre les mains de la BICEC sur le compte de virement de ses salaires;
– Que cette saisie a été faite en violation des articles 174 et 175 de l’Acte Uniforme de l’OHADA sur les voies d’exécution;
– Qu’en l’effet l’article 174 suscité dispose que « la saisie de sommes dues à titres de rémunération quel qu’en soit le moment, à toutes personnes salariées ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit... ne peut être pratiquée qu’après une tentative de conciliation... »
– Que l’article 175 quant à lui dispose "que les rémunérations ne peuvent faire l’objet d’une saisie conservatoire;
– Qu’il en résulte que la saisie contestée ayant été pratiquée sur son salaire sans conciliation préalable et par voie de saisie conservatoire l’a été en violation de la loi;
– Qu’elle doit donc être annulée et sa main levée ordonnée;
– Que Ngnitedem qui était déjà en procès avec elle pour avoir pratiqué une saisie-attribution de créance sur le même compte du virement de salaires et dont la main levée a été ordonnée, ne peut pas dire qu’il ne savait pas en procédant à une deuxième saisie qu’il s’agissait de salaires;
– Que cette saisie tout comme la première procède d’une intention manifeste de nuire tant à elle-même qu’à sa famille à la veille des fêtes de fin d’année et de l’esprit de cupidité de Ngnitedem;
– Qu’il suffit pour s’en convaincre de considérer la genèse du problème;
– Qu’en effet dans un contexte économique particulièrement difficile avec quatre enfants étudiant à l’étranger, elle dut courant 1993 recourir auprès de Ngnitedem à un prêt usuraire de 700.000 contre un chèque de garantie de 1.050.000 francs;
– Que ce prêt était également garanti par un certificat de vente fictive de sa voiture;
– Que de cette créance originelle de 700.000 francs alors que le principal a déjà été entièrement payé, Ngnitedem a obtenu à ce jour;
– Une condamnation de 1.350.000 francs pour émission de chèque sans provision sur la base de laquelle, il a le 25 mai 1997 saisi arrêté une portion de son salaire entre les mains du Ministre de l’Economie et des Finances pour avoir un paiement de 1.766.260 francs;
– Une injonction de payer pour voiture vendue non livrée, sur la base de laquelle il a le 30 septembre 1998 pratiqué une saisie-attribution de créances entre les mains de la BICEC sur ce qui restait du salaire après retenue aux Finances pour saisie arrêt, pour avoir paiement de 1.901.820 F;
– Une condamnation de 1.300.000 F pour escroquerie (pour voiture prétendument vendue, non livrée) sur la base de laquelle il a pratiqué la saisie conservatoire contestée, pour avoir paiement de la somme de 1.681.840 francs;
– Qu’il résulte de ce qui précède que la saisie conservatoire de créance pratiquée le 03 novembre 1999 entre les mains de la BICEC sur le compte de virement de salaire doit être annulée et sa main levée ordonnée sous astreinte par jour de retard;
– Attendu que venant aux débats, le défendeur Ngnitedem Bavoua a fait valoir dans ses conclusions du 08 décembre 1999 que :
– Qu’en vertu de l’ordonnance n°467 rendue sur requête non signée, dame Tagny a assigné le concluant pour s’entendre annuler la saisie conservatoire pratiquée entre les mains de la BICEC à Yaoundé;
– Qu’en soutien de sa demande, elle évoque la violation des articles 174 et 175 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécutions;
– Qu’il ne fait pas application des articles 174 et 175 suscités, et que ces articles n’ont pas, non plus, l’explication que Tagny veut leur donner;
– Que la saisie conservatoire de créances est régie par les articles 54 et 62 et articles 77 et 84 de l’Acte Uniforme suscité;
– Que dame Tagny veut ramener la saisie du concluant à la saisie de rémunération pour évoquer la violation des articles 174 et 175;
– Que ces articles sont ainsi conçus :
– Article 174 : la saisie des sommes dues à titre de rémunération, quel qu’en soit le montant, à toutes les personnes salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs, ne peut être pratiquée qu’après une tentative de conciliation... »
– Art 175 : Les rémunérations ne peuvent faire l’objet d’une saisie conservatoire;
– Qu’il ressort des textes prétendument violés qu’on ne peut parler de rémunération qu’au lieu de travail ?
– Que toute la doctrine est unanime là dessus (voir juridis périodique le tout dernier N0 39 p 68) et que nulle part dans la procédure de saisie conservatoire il n’est prévu de conciliation;
– Qu’au regard de toutes ses observations rejeter la demande de dame Tagny, la condamner aux dépens;
– Attendu qu’il résulte du bulletin de paye du mois de Février 1999 versé au dossier que les salaires de la demanderesse dame Tagny née Kamdom Fotso Alice sont virés au compte 00041002017, BICEC agence du Parc Yaoundé;
– Que par procès-verbal en date du 10 Novembre 1999 ledit compte a fait l’objet d’une saisie conservatoire de créances;
– Attendu qu’il résulte des dispositions des articles 174 et 175 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution que non seulement les salaires ne peuvent faire l’objet de saisie conservatoire, mais aussi dans le cas de la sa saisie rémunération, la tentative de conciliation préalable est obligatoire
– Qu’ainsi pour violation de la loi susvisée il échet de donner main levée de la saisie litigieuse sur les seuls salaires de dame Tagny née Kamdom Fotso;
PAR CES MOTIFS
– Statuant publiquement, contradictoirement en matière des référés et en premier ressort;
– Au principal, renvoyons les parties à mieux se pourvoir ainsi qu’elles aviseront, mais dès à
présent, par provision, vu l’urgence;
– Donnons main levée de la saisie litigieuse sur les seuls salaires de dame Tagny née Kamdom Fotso Alice virés mensuellement par son employeur dans le compte n° 00041002017, BICEC, Agence le Parc Yaoundé;
– Disons notre ordonnance exécutoire sur minute par provision et avant enregistrement;
– Condamnons le défendeur aux dépens.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur, Consultant
Il est exact que la saisie des rémunérations du débiteur entre les mains de son employeur est subordonnée à l'obtention d'un titre exécutoire (article 175 AUVE) et à une tentative de conciliation (article 174 AUVE). La saisie pratiquée sur le compte bancaire du débiteur où lui sont versées ses rémunérations peut-elle être assimilée à la saisie attribution des rémunérations ? La réponse affirmative de cette juridiction n'est pas convaincante comme nous l'avons déjà expliqué à propos d'une autre affaire (voir Ohadata. J-02-16).