J-02-183
UEMOA – LOI SUR LES INSTRUMENTS DE PAIEMENT – chèque – paiement à vue – fonction de garantie (non).
Le chèque est un instrument de paiement, payable à vue. Dès lors, il ne peut servir de garantie de paiement d’une créance.
(C.A. Abidjan, arrêt n° 324 du 16 mars 2001. Affaire Camara Lancei c/ Ahmad Hussein Rodwan, Ecodroit, n° 12, juin 2002, p. 34).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï, le Ministère Public;
Ouï les parties en leurs demandes, fins et conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Suivant exploit en date du 06 juillet 2000 de Maître AMALANDO TANOH Jean-Baptiste, Huissier de Justice à Abidjan, comportant ajournement au 20 octobre 2000, CAMARA Lancei et l’Etablissement KAMAN, ayant pour conseil Maître Mohamed Lamine FAYE, Avocat à la Cour, ont relevé appel du jugement civil rendu par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan le 05 juin 2000, décision par laquelle ladite juridiction les a reçus en leur opposition, les en a déboutés et a restitué à l’ordonnance n° 3393/99 du 23 juin 1999 son plein et entier effet;
Des énonciations du jugement entrepris, il ressort que CAMARA Lancei, Directeur et propriétaire de l’Entreprise individuelle KAMAN, entretenait des relations d’affaires avec Ahmad Hussein RODWAN, dans le cadre des activités de ladite entreprise; que Ahmad Hussein RODWAN lui fournissait des matériaux de construction pour son chantier et recevait en contrepartie des chèques;
Le 23 juin 1999, Ahmad Hussein R., s’estimant créancier de CAMARA Lancei et son entreprise KAMAN, aux motifs que les chèques reçus sont impayés, obtenait de la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, une ordonnance d’injonction de payer les condamnant à lui payer la somme de 25.915.100 F;
S’opposant à l’exécution de ladite ordonnance, CAMARA Lancei et la KAMAN expliqueraient devant le Tribunal de Première Instance d’Abidjan où ils avaient assigné Ahmad Hussein RODWAN, que la créance de ce dernier n’était pas certaine, liquide et exigible;
En effet, poursuivaient-ils, il y avait compte à faire entre les parties, et en tout état de cause, Hussein RODWAN avait exigé les chèques qu’il savait sans provision, pour avoir paiement de créance après l’achèvement et la livraison des travaux, de sorte que lesdits travaux n’étant pas terminés et remis au destinataire, la CAA, l’ordonnance d’injonction de payer n’était pas justifiée;
De son côté, Ahmad Hussein RODWAN sollicitait la confirmation de l’ordonnance, en précisant que contrairement aux allégations de ses adversaires, il n’avait jamais été convenu que les chèques remis ne constituaient que des sûretés de paiement;
Le Premier Juge a estimé qu’en dehors d’une preuve attestant que les chèques remis ne servaient que de sûreté, les demandeurs en opposition étaient mal fondés, et les avait déboutés;
En cause d’appel, CAMARA Lancei et la KAMAN sollicitaient l’infirmation du jugement entrepris, en reprenant les arguments développés en Première Instance, à savoir que le montant de la créance dont le recouvrement est poursuivi ne tient pas compte du paiement de la somme de 6.000.000 F qu’ils ont effectué, que l’intimé n’a pas exécuté ses obligations contractuelles et que les chèques remis à titre de garantie ne représentent pas une quelconque créance;
Ahmad Hussein RODWAN, par le canal de son conseil, Maître KOUADIO François, Avocat à la Cour, a in limine litis, soulevé la nullité de l’exploit d’assignation, en expliquant qu’il ne contient pas le numéro du jugement attaqué; sur le fond, poursuit-il, les appelants ne lui ont jamais payé la somme de 6.000.000 F, alors qu’il leur a livré tous les matériaux commandés, conformément à ses obligations contractuelles; il explique enfin que les chèques lui ont été remis en paiement de la créance et non en garantie de cette créance; il conclut qu’une telle clause se heurterait aux dispositions du Code de Commerce relativement au paiement des chèques;
Le Ministère Public, dans ses conclusions écrites du 20 février 2001, a requis la confirmation du jugement attaqué, en estimant, d’une part, que les appelants ne rapportaient pas la preuve que les chèques ne servaient que de garantie de paiement, et d’autre part, que le non-paiement de la créance par le débiteur fonde le créancier à faire jouer la garantie;
DES MOTIFS
EN LA FORME
Du caractère de la décision
L’intimé a conclu par le canal de son conseil; il y a donc lieu de prononcer contradictoirement;
De la recevabilité de l’appel
Ahmad Hussein RODWAN soutient que l’exploit d’appel est nul, au motif qu’il ne contient pas le numéro de la décision frappée d’appel;
Cependant, il est constant qu’aucun texte ne prévoit la nullité des exploits d’appel en cas de d’omission du numéro de la décision frappée d’appel. En outre, la mention du numéro de la décision n’est pas indispensable à la raison d’être de l’exploit d’appel ou pour remplir son objet; il y a donc lieu d’écarter cette exception;
Par ailleurs, l’appel a été interjeté dans les forme et délai légaux; il convient donc de le déclarer recevable;
SUR LE FOND
SUR LA CREANCE
CAMARA Lancei et l’entreprise KAMAN estiment que la créance n’est pas certaine, liquide et exigible, contrairement aux prétentions de l’intimé;
Cependant, il convient de faire remarquer que d’une part, les appelants qui reconnaissent avoir reçu les matériaux fournis par AHMAD HUSSEIN ROAWAN ne rapportent pas la preuve du paiement de la somme de 6.000.000 F qu’ils soutiennent avoir effectué;
D’autre part, en vertu de l’article 39 de la loi 97-518 du 04 septembre 1997 relative aux instruments de paiement, qui dispose que « le chèque est payable à vue et que toute mention contraire est réputée non écrite » et de l’article 18 de la même loi, les appelants, en l’espèce les tireurs des chèques, ne sauraient valablement invoquer le fait que les chèques émis ne devaient servir que de garantie de paiement de sa créance virtuelle;
Aussi, il y a lieu de dire que le Premier Juge, en rejetant l’opposition de CAMARA Lancei et la KAMAN, a fait une bonne application de la loi et de confirmer le jugement attaqué;
SUR LES DEPENS
Il est constant que les appelants succombent; il y a donc lieu de les condamner aux dépens, conformément à l’article 149 du Code de Procédure Civile;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
– Déclare recevable l’appel de CAMARA Lancei et la Société KAMAN, régulièrement relevé du jugement civil n° 455-CIV 2 rendu le 05 juin 2000 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan;
AU FOND
– Les déclare mal fondés et les en déboute;
– Confirme ledit jugement en toutes ses dispositions;
– Condamne les appelants aux dépens.