J-02-185
VOIES D’EXECUTION – saisie des biens du débiteur – VENTE DU VEHICULE DU DEBITEUR ALORS QUE LE PRODUIT DE LA VENTE DU MOBILIER DU DEBITEUR A LARGEMENT COUVERT SA DETTE – RESPONSABILITE SOLIDAIRE DE L’HUISSIER ET DU COMISSAIRE-PRISEUR (oui).
En exécution d’un jugement social ayant condamné N’GUESSAN Boa Kouassi à payer à son ex-employer la somme de 450.000 F, Maître CLA Charles, huissier de justice, procédait, après une saisie préalable de ses biens meubles, à la saisie de son véhicule de marque Mitsubishi, ayant fait l’objet de récolement et d’enlèvement pour être vendu aux enchères publiques par Maître Jacob YAPI, commissaire-priseur, au prix de 650.000 F, alors qu’il ne restait devoir que la somme de 214.000 F après règlement partiel de celle de 236.000 F sur la créance initiale.
Jugeant cette vente irrégulière, N’GUESSAN Kouassi assignait Maître CLA Charles et Jacob YAPI devant le Tribunal de Première Instance d’Abidjan, aux fins de les voir condamnés solidairement à lui payer certaines sommes à titre de dommages-intérêts, remboursement et manque à gagner. Le Tribunal faisait droit à la demande de N’GUESSAN Kouassi par un arrêt du 14 janvier 1998. C’est cet arrêt qui a fait l’objet d’un appel devant la Cour d’Appel d’Abidjan. Appel interjeté par Maître CLA Charles. A l’appui de son appel, Maître CLA soutient divers arguments.
Eu égard à la régularité de la saisie, il relève que seul le véhicule de marque Mitsubishi a été enlevé, ramenant en réalité la saisie à ce seul véhicule. Laquelle saisie ne peut constituer une faute, dès lors que le Code de Procédure Civile ne fait pas obstacle à la saisie d’un bien de valeur nettement supérieure à la créance.
Par ailleurs, il précise que seul le commissaire-priseur doit assumer la responsabilité de la vente irrégulière dont il a pris l’initiative, nonobstant la lettre à lui adressée, l’invitant à surseoir à la vente après règlement de l’acompte effectué par le saisi.
En somme, il estime qu’il n’a commis aucune faute ni dans la saisie, ni dans la vente et sollicite, par conséquent, sa mise hors de cause.
Le problème soumis à la Cour d’Appel est le suivant : « l’huissier qui procède à la saisie du véhicule de son débiteur alors que le produit de la vente du mobilier initialement saisi dudit débiteur aurait largement couvert sa dette, commet-il une faute susceptible d’engager sa responsabilité professionnelle ? »
Oui, répondent en chœur le Tribunal et la Cour d’Appel. Et cette dernière de préciser : » la responsabilité de l’huissier dans la vente du véhicule est parfaitement engagée, dans la mesure où il ne conteste pas avoir saisi des meubles meublants dont la valeur aurait pu permettre de désintéresser le créancier ».
D’où la confirmation du jugement du Tribunal.
Article 178 DU CODE IVOIRIEN DE PROCEDURE CIVILE
Article 246 DU CODE IVOIRIEN DE PROCEDURE CIVILE
Article 267 DU CODE IVOIRIEN DE PROCEDURE CIVILE
Article 351 DU CODE IVOIRIEN DE PROCEDURE CIVILE
(Cour d’Appel, arrêt n° 241 du 23 février 2001, CLA CHARLES c/ NGUESSAN BOA, Actualités juridiques, n° 28, juin 2002, p. 15).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ensemble les faits, procédure et prétentions des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCEDURES ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par exploit en date du 4 août 2000, Maître CLA Charles, ayant pour conseil Maître KOUASSI KOUADIO Pierre, Avocat à la Cour, a relevé appel du jugement civil contradictoire n° 37 rendu le 14 janvier1998 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan, dont le dispositif est ainsi conçu :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort :
– Déclare recevable et partiellement fondée l’action de N’GUESSAN Boa Kouassi;
– Condamne solidairement Maître CLA Charles et Maître Jacob YAPI à lui payer la somme globale de 15.361.221 F;
– Les condamne aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître ASSAMOI Alain, Avocat à la Cour aux offres de droit »;
Il résulte des productions, écritures des parties et énonciations du jugement querellé, que par exploit du 5 mai 1997, N’GUESSAN Boa Kouassi assignait Maîtres CLA Charles et Jacob YAPI, respectivement huissier de justice et commissaire-priseur, devant le Tribunal de Première Instance d’Abidjan, aux fins de les voir condamnés solidairement à lui payer les sommes de 9.661.121 F à titre de remboursement, 3.000.000 F à titre de dommages-intérêts et 5.000.000 F au titre du manque à gagner (recette journalière du 28 août 1993 jusqu’au prononcé du jugement);
Pour soutenir sa demande, il exposait qu’en exécution d’un jugement social l’ayant condamné à payer à son ex-employé la somme de 450.000 F, Maître CLA Charles, huissier de justice, après une saisie préalable de ses biens meubles, procédait en outre à la saisie de son véhicule de marque Mitsubishi, âgé seulement d’un an, ayant fait l’objet de récolement et d’enlèvement, pour être vendu aux enchères publiques par Maître Jacob YAPI, commissaire-priseur, au prix de 650.000 F, alors qu’il ne restait devoir que la somme de 214.000 F, après règlement partiel de celle de 263.000 F sur la créance initiale;
La responsabilité de cette vente entachée d’irrégularité, faisait valoir N’GUESSAN Kouassi, incombe non seulement au commissaire priseur, mais également à Maître CLA Charles, dont les manquements graves ont occasionné les fautes du susnommé;
Maître CLA Charles, précisait-il, a procédé à la saisie de son véhicule, alors que le produit de la vente du mobilier initialement saisi aurait largement couvert sa dette, qui n’était que de 214.000 Francs;
Cette saisie, faisait-il remarquer en outre, pratiquée au-delà de ce qui est nécessaire et entre les mains d’un tiers, en l’occurrence son garagiste, viole les dispositions des articles 267 et 351 du Code de Procédure Civile;
La vente consécutive à cette saisie, achevait de conclure N’GUESSAN Boa Kouassi, est nulle et nul effet et les défendeurs doivent être condamnés à lui payer diverses sommes d’argent à titre de remboursement du prix du véhicule, au titre de manque à gagner, et à titre de dommages-intérêts;
En réplique, Maître Jacob YAPI a conclu au débouté du demandeur;
Maître CLA Charles quant à lui, n’a fait valoir aucun moyen de défense;
Pour statuer comme il l’a fait, le premier juge a d’abord relevé les fautes commises par l’huissier instrumentaire, tenant à la violation des dispositions des articles 267 et 351 du Code de Procédure Civile;
Il a ensuite relevé le caractère irrégulier de la vente, dès lors qu’il n’apparaît nulle part au dossier que le saisi, en la personne de N’GUESSAN Kouassi, a été régulièrement informé et qu’il était présent sur les lieux de la vente;
Il a également noté que la date du 6 septembre 1993 prévue pour la vente n’a pas été respectée et que, ce faisant, le commissaire-priseur a procédé à la vente du véhicule automobile litigieux au mépris des règles;
Le premier juge a donc conclu que les responsabilités pleines et entières de l’huissier et du commissaire-priseur doivent être retenues pour justifier leurs condamnations solidaires au paiement de la somme globale de 15.661.121 F;
Au terme de son acte d’appel motivé, Maître CLA Charles soutient qu’il n’a commis aucune faute ni dans la saisie, ni dans la vente, à laquelle il n’est nullement impliqué;
S’agissant de la régularité de la saisie, il allègue que seul le véhicule de marque Mitsubishi a été enlevé, contrairement aux autres biens, ramenant en réalité la saisie à ce seul véhicule;
Il fait observer que cette saisie, quelle que soit la valeur marchande, ne peut constituer une faute, dès lors que l’article 267 du Code de Procédure Civile ne fait pas obstacle à la saisie d’un bien de valeur nettement supérieure à la créance;
Le commissaire-priseur doit seul, précise-t-il, en outre, assumer la responsabilité de la vente irrégulière dont il a pris l’initiative, malgré la lettre à lui adressée l’invitant à surseoir à la vente, après règlement de l’acompte effectué par le saisi;
Dans ces conditions, aucune faute ne peut lui être reprochée; sa mise hors de cause doit donc être prononcée;
Il sollicite en conséquence l’infirmation du jugement querellé sur ce point;
N’GUESSAN Boa Kouassi, pour sa part, soulève l’irrecevabilité de l’appel de Maître CLA Charles, au motif que l’exploit introductif doit être déclaré nul du fait de l’omission des date et lieu de naissance, mentions prévues par l’article 246 du Code de Procédure Civile;
Il a également conclu à l’irrecevabilité de l’appel de Jacob YAPI relevé le 11 août 2000 et non enrôlé pour être intervenu hors délai;
Subsidiairement, il sollicite la confirmation du jugement querellé, au motif que CLA Charles, en renonçant à l’enlèvement des meubles meublants pour procéder à la saisie du véhicule litigieux, a étendu la saisie au-delà de ce qui est nécessaire, en violation des dispositions de l’article 267 du Code de Procédure Civile;
Il a également, ajoute-t-il, commis une faute en pratiquant cette saisie entre les mains d’un tiers;
La responsabilité de l’huissier, conclut-il, doit être retenue de même que celle du Commissaire-priseur ayant procédé à la vente;
CLA Charles rétorque que son appel est recevable, les mentions de l’article 246 du Code de Procédure Civile n’étant pas prescrites à peine de nullité.
DES MOTIFS
EN LA FORME
Il est constant, ainsi qu’il ressort de l’acte d’appel en date du 4 août 2000, que CLA Charles a omis d’indiquer sa date et son lieu de naissance;
Cependant, ces mentions n’étant pas prescrites à peine de nullité, la partie qui s’en prévaut se doit de justifier l’existence d’un préjudice par elle subi du fait de cette omission;
Non seulement N’GUESSAN Boa Kouassi ne rapporte pas cette preuve, mais il a comparu et a produit pour sa défense;
Par ailleurs, l’appel de Maître Jacob YAPI dont l’intimé soulève l’irrecevabilité n’a pas été enrôlé;
En tout état de cause, s’agissant d’une condamnation solidaire, conformément aux dispositions de l’article 178 du Code de Procédure Civile, l’appel régulièrement relevé par CLA Charles profite à Maître YAPI Jacob, de sorte qu’en définitive, les moyens d’irrecevabilité soulevés par N’GUESSAN Boa, doivent être rejetés;
AU FOND
CLA Charles soutient que sa responsabilité doit être écartée pour ne retenir que celle du Commissaire-priseur;
Contrairement à ses allégations, sa responsabilité dans la vente du véhicule Mitsubishi est parfaitement engagée, dans la mesure où il ne conteste pas avoir saisi des meubles meublants dont la valeur aurait pu permettre de désintéresser le créancier;
Il reconnaît lui-même que les meubles saisis n’ont pas été récolés et que seul le véhicule a fait l’objet de récolement, sans indiquer les raisons pour lesquelles les meubles meublants ont été délaissés au profit du véhicule;
Dans ces conditions, c’est à tort que CLA Charles se targue de n’avoir pas commis de faute;
Ainsi le premier juge, en le condamnant solidairement avec Maître YAPI Jacob à payer à N’GUESSAN Boa la somme de 15.361.221 F, a fait une saine appréciation des faits;
Aussi, convient-il de déclarer l’appel de Maître CLA Charles mal fondé et de confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions;
L’appelant, qui succombe, doit en outre être condamné aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
– Reçoit Maître CLA Charles en son appel relevé du jugement civil contradictoire n° 37 rendu le 14 janvier 1998 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
AU FOND
– L’y dit mal fondé;
– Et l’en déboute;
– Confirme en toutes ses dispositions ledit jugement;
– Condamne l’appelant aux dépens.