J-02-189
DROIT DES SOCIETES COMMERCIALES – PROCEDURE DE LIQUIDATION D’UNE SOCIETE COMMERCIALE – PRONONCE DE LA LIQUIDATION PAR ORDONNANCE DE REFERE (NON).
DEMANDE DE LIQUIDATION INTRODUITE APRES UNE MESURE D’EXECUTION FORCEE – FRAUDE AUX DROITS DE CREANCIERS (OUI) – REGULARITE DE LA MESURE (OUI).
La mise en liquidation d’une société commerciale ne peut se faire que par jugement et non par ordonnance de référé. Lorsque la liquidation est sollicitée alors qu’une mesure d’exécution forcée est à son terme, celle-ci doit être déclarée valable car, en pareil cas, la procédure collective est sollicitée en fraude des droits des créanciers.
[ C.A. Abidjan, arrêt n° 86 du 16 janvier 2001, Agence CARACTERE (Me DOUMBIA Issiaka) c / Société BAZAFRIQUE (Me DIARRASSOUBA Lamine), ECODROIT, n° 11, mai 2002, p. 61 ].
Cour d’appel d’Abidjan – Côte d’Ivoire
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs conclusions;
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
Considérant que par exploit d’huissier en date du 20 novembre 2000, l’Agence CARACTERE a relevé appel de l’ordonnance de référé d’heure à heure n° 2773/2000 rendue le 20 juillet 2000 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan;
Considérant que l’Agence CARACTERE, par l’organe de son conseil Maître DOUMBIA Issiaka fait connaître que l’ordonnance querellée a pour fondement une autre ordonnance ayant autorisé la liquidation de la société BAZAFRIQUE;
Or, selon l’Agence CARACTERE, cette liquidation a été obtenue sur requête de personnes, fussent-elles gérantes, qui n’avaient pas qualité pour solliciter la liquidation de la société BAZAFRIQUE;
Que la liquidation litigieuse de la société BAZAFRIQUE ayant été obtenue en violation des articles 25 et suivants du Traité OHADA portant procédures collectives d’apurement du passif, elle sollicite de la Cour d’infirmer l’ordonnance querellée, pour procédure irrégulière de liquidation;
Qu’elle fait remarquer qu’au cas où la Cour passait outre l’hypothèse d’irrégularité, l’ordonnance entreprise encourt tout de même infirmation pour interprétation erronée des faits de la cause;
Qu’en effet, elle signale que la saisie conservatoire est datée du 28 mars 2000, l’exploit de conversion de celle-ci en saisie vente datant du 7 juin 2000;
Que c’est au lendemain de cette conversion, le 8 juin 2000, que la société BAZAFRIQUE s’est empressée d’obtenir une ordonnance aux fins de liquidation, dans le dessein d’organiser le non-remboursement de sa dette;
Que le 16 juin 2000, précisa l’Agence CARACTERE, une sommation d’assister à la vente était adressée à BAZAFRIQUE et qui fixait ladite vente au 28 juin 2000, sans qu’aucune procédure d’annulation ou de mainlevée de la source soit entreprise;
Qu’elle fait remarquer que la publication de la liquidation n’a été faite que le 13 juillet, soit plus d’un mois après la vente;
Qu’elle estime que c’est donc à tort que la juridiction présidentielle a annulé la saisie pratiquée par elle Agence CARACTERE;
Considérant que pour sa part, la société BAZAFRIQUE, par l’organe de son conseil Maître DIARRASSOUBA Lamine, conclut à l’irrecevabilité de l’appel de l’Agence CARACTERE, au motif que ledit appel ne comporte pas de date, alors que la date est une mention substantielle prescrite par l’article 246 du code de procédure civile;
Qu’au fond, elle fait connaître que dans la requête présentée pour obtenir l’ordonnance n° 2773/2000 du 20 juillet 2000, il n’a été question que d’une liquidation anticipée;
Que donc pour elle, la société BAZAFRIQUE, les textes applicables en la matière sont ceux prévus par le traité OHADA portant sur le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique et non ceux prévus par l’Acte uniforme portant procédures collectives d’apurement des passifs;
Qu’elle précise que justement, l’article 200 paragraphes 5 et 6 de l’Acte uniforme OHADA portant sur le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, dispose que la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par la juridiction compétente à la demande d’un associé, pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre les associés empêchant le fonctionnement normal de la société;
Qu’elle soutient que sur la base de l’article 200 susvisé, il est conforme à la loi que les requérants soient le sieur PINGHON René Joël et dame PERRONET Muriel qui sont les seuls associés de BAZAFRIQUE;
Que dès lors, aucun problème de qualité ne se posant et la requête aux fins de mise en liquidation étant alors conforme à la loi, elle sollicite de la Cour la confirmation de l’ordonnance querellée.
DES MOTIFS
EN LA FORME
Considérant que l’appel de l’Agence CARACTERE a été fait selon les forme et délai prescrits par la loi; qu’il échet de le déclarer recevable.
AU FOND
Considérant que pour obtenir la liquidation de la société BAZAFRIQUE, les gérants ont saisi par la requête le Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, qui a rendu une ordonnance de référé;
Or, considérant que l’article 200 du traité OHADA portant droit uniforme des sociétés commerciales et groupements d’intérêt économique dispose que la société prend fin par la dissolution anticipée à la demande d’un des associés pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé ou par l’effet d’un jugement ordonnant la liquidation des biens de la société, que l’analyse du texte susvisé conclut à dire que ce n’est pas par une ordonnance sur requête que la société BAZAFRIQUE aurait dû être mise en liquidation, mais elle aurait dû l’être plutôt par une juridiction de fond pouvant apprécier le caractère juste des motifs invoqués à l’appui de la demande de mise en liquidation;
Que ceci est d’autant plus vrai que l’alinéa 7 de l’article 200 précité précise qu’une société prend fin par l’effet d’un jugement ordonnant la liquidation des biens de la société.
Qu’il s’impose donc d’infirmer l’ordonnance querellée;
Qu’en outre, il ressort des pièces versées aux débats que les gérants de la société BAZAFRIQUE ont sollicité la mise en liquidation de celle-ci, après que la saisie conservatoire portant sur ses biens ait été convertie en saisie vente; qu’il y a là manifestement une intention malicieuse de frauder au droit des créanciers.
Qu’aussi convient-il, statuant de nouveau, de déclarer bonne et valable la saisie pratiquée par l’Agence CARACTERE sur les biens de la société BAZAFRIQUE.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare l’Agence CARACTERE recevable en son appel;
AU FOND
– L’y dit bien fondé, infirme l’ordonnance de référé n° 2773 du 20 juillet 2000.
Statuant à nouveau, déclare bonne et valable la saisie pratiquée par l’Agence CARACTERE sur les biens de la société BAZAFRIQUE.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Que la dissolution d’une société ne puisse être prononcée que par jugement, c’est à dire par un tribunal et non par une ordonnance de référé, cela va de soi. En effet, la dissolution judiciaire est la sanction d’un dysfonctionnement de la société ou d’une mésentente des associés qui nécessite que la juridiction saisie se prononce sur le fond, ce que ne peut faire le juge des référés.
Mais la motivation utilisée par la cour d’appel n’est pas celle-ci et elle est erronée pour deux raisons :
– l’article 200-6 AUSCGIE en disposant que « la société prend fin…par l’effet d’un jugement ordonnant la liquidation des biens de la société », vise le jugement prononçant la liquidation des biens pour cessation des paiements qui, à la différence de celui prononçant le redressement judiciaire, entraîne automatiquement la dissolution de la société;
– le mot « jugement » utilisé dans cet article vient de ce que l’ouverture d’une des trois procédures collectives d’apurement du passif ne peut être prononcée que par le tribunal (articles 3, 5 et 25 AUPC) mais aurait dû être remplacé par le terme générique de décision pour se conformer aux impératifs de rédaction posés par la commission plénière .
1 NDLRS : Il s’agit, non pas du Traité, mais de l’Acte uniforme…
2 NDLRS . Il nous semble qu’il faut lire « saisie » au lieu de « source ».
3 NDLRS Il ne s’agit pas du Traité Ohada mais de l’Acte uniforme…
4 Sur ces contraintes, voir Joseph ISSA-SAYEGH, Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des Actes uniformes de l’OHADA. Revue de droit uniforme, UNIDROIT, Rome,1999-1, p.5..