J-02-193
LETTRE DE CHANGE – DEFAUT DE PAIEMENT A L’ECHEANCE – absence de protêt faute de paiement – déchéance du porteur (oui) – absence de provision à l’échéance – déchéance du porteur à l’égard du tireur (NON) – ARTICLEs 121 et 157 DE LA LOI 97–518 du 4 septembre 1997.
Le porteur d’une lettre de change qui n’a pas dressé protêt faute de paiement perd ses recours cambiaires et ne peut invoquer à son profit l’inopposabilité des exceptions. Cette exception n’a lieu cependant à l’égard du tireur que s’il justifie avoir fait provision à l’échéance; ce qui n’est pas le cas si le non-paiement est justifié par le défaut de provision.
(Cour d'Appel d'Abidjan, arrêt du 9 mars 2001. Affaire Société HERMES AFRIQUE c/ Société St STAR COLOR, Ecodroit, n° 11, mai 2002, p. 37).
COUR D'APPEL d'Abidjan – Côte d’Ivoire
LA COUR,
Ouï le Ministère Public;
Vu les pièces du dossier;
Ensemble les faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
Des faits, procédure et prétentions et moyens des parties
Suivant exploit daté des 30 et 31 août 1999, la Société HERMES AFRIQUE SARL, agissant aux poursuites et diligences de son représentant légal Monsieur Jean-Marie HOGGARD, son directeur général, et ayant pour conseil Maître OUANGUI, Avocat à la Cour, a relevé appel au jugement civil contradictoire n° 423 rendu le 30 juillet 1999 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan, qui, en la cause, a statué ainsi qu’il suit :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort;
– Déclare l’opposition recevable mais mal fondée;
En conséquence, restitue à l’ordonnance n° 4506/99 du 07 juillet 1999 son plein et entier effet;
– Condamne la société HERMES AFRIQUE aux entiers dépens »;
Il ressort des énonciations du jugement entrepris que par exploit daté du 22 juillet 1999, la Société HERMES AFRIQUE, ayant pour conseil Maître OUANGUI, Avocat à la Cour, a formé opposition à l’exécution de l’ordonnance n° 4506/99 du 07 juillet 1999 portant condamnation au paiement de la somme de 5.000.000 F outre les intérêts et frais, à la société Star Color;
La Société HERMES AFRIQUE a, en effet, soulevé in limine litis l’irrecevabilité de la demande de la Star Color, en vertu de la loi n° 97-518 du 04 septembre 1997 relative aux instruments de paiement, aux motifs qu’en espèce, la société STAR COLOR, qui ne se trouve pas dans le cas de perte d’une lettre de change acceptée ou le cas de rejet du mandat de virement émis en paiement de la lettre de change par la Banque Centrale ou par le centre de chèques postaux, n’a pas fait dresser protêt, faute de paiement dans les délais légaux; l’attestation remise par la banque n’étant pas un acte pouvant suppléer le protêt faute de paiement;
Elle a ajouté que la société STAR COLOR ne justifie pas non plus avoir donné avis du non-paiement à son endosseur dans les délais légaux;
Pour sa part, la société STAR COLOR a estimé que l’exception soulevée par la société HERMES AFRIQUE n’est pas applicable en l’espèce, dans l’hypothèse d’une émission de traite endossée et revenue impayée;
Elle a conclu au débouté de cette dernière de son opposition;
Pour restituer à l’ordonnance de condamnation son plein et entier effet, le Tribunal, après avoir rappelé les dispositions de l’article 2 de l’Acte Uniforme relatif aux procédures de recouvrement simplifié de créances, a relevé qu’en l’espèce, le requérant produit diverses pièces au dossier, notamment une lettre de change d’un montant de 5.000.000 F et une attestation de rejet pour défaut de provision;
Au soutien de son appel, la société HERMES AFRIQUE affirme qu’en application de la loi n° 97-518 du 04 septembre 1997 relative aux instruments de paiement, la STAR COLOR a perdu ses recours cambiaires et ne saurait valablement invoquer à son profit l’inopposabilité des exceptions tirée de l’article 121 de ladite loi;
En réplique, la société STAR COLOR relève qu’il résulte de l’article 157 alinéa 2 de la loi n° 97-518 du 4 septembre 1997 relative aux instruments de paiement, que la déchéance du porteur qui n’a pas dressé protêt faute de paiement avant le délai fixé à cet effet, n’a lieu à l’égard du tireur que si ce dernier justifie qu’il a fait provision à l’échéance;
Or, soutient-elle, il est constant en l’espèce, comme le prouve l’attestation de rejet délivrée par la SGBCI, que la société HERMES AFRIQUE, qui est le tireur de la lettre de change querellée, n’a pas fait provision, car c’est pour défaut de provision que la traite n’a pas été payée;
Ainsi, poursuit l’intimée, l’appelante, qui n’a pas fait provision à l’échéance, ne peut pas se prévaloir de ce qu’elle, STAR COLOR, n’a pas dressé protêt faute de paiement pour échapper au paiement du montant de la traite;
Elle conclut donc à la confirmation du jugement entrepris.
DES MOTIFS
EN LA FORME
L’appel de la société HERMES AFRIQUE, élevé conformément aux prescriptions légales, est parfaitement recevable;
AU FOND
La société HERMES AFRIQUE soutient qu’en application de la loi n° 97-518 du 04 septembre 1997 relative aux instruments de paiement, la société STAR COLOR, pour n’avoir pas fait dresser protêt faute de paiement, a perdu ses recours cambiaires et ne saurait valablement invoquer à son profit l’inopposabilité des exceptions tirée de l’article 121 de ladite loi;
Cependant, si l’article 157 de cette loi dispose que le porteur est déchu de ses droits contre les endosseurs, contre les tireurs et contre les autres obligés à l’exception de l’accepteur, après expiration des délais fixés pour…la confection du protêt faute d’acceptation ou faute de paiement, il ajoute que « toutefois, la déchéance n’a lieu à l’égard du tireur que s’il justifie qu’il a fait provision à l’échéance… »;
Or, en l’espèce, la société HERMES AFRIQUE, tireur de la lettre de change, ne justifie pas avoir fait provision à l’échéance puisque, justement, le non-paiement de celle-ci est motivée par le défaut de provision, ainsi que le prouve l’attestation produite au dossier délivrée par la SGBCI, tirée;
Dès lors, il convient de rejeter de la société HERMES AFRIQUE en ce qu’il n’est pas fondé et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort;
– Déclare recevable mais mal fondé et rejette comme tel l’appel relevé par la société HERMES AFRIQUE du jugement n° 423 rendu le 30 juillet 1999 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan;
– Confirme ledit jugement en toutes ses dispositions;
– Condamne l’appelante aux dépens.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
La loi 97-518 du 4 septembre 1997 sur les instruments de paiement peut être considérée comme une loi uniforme dans la mesure où elle a été proposée et votée par tous les Etats membres de l'UEMOA dans les mêmes termes, à l'initiative de l'Union elle-même. Nous avons déjà démontré les vertus et les inconvénients d'une telle méthode d'uniformisation 1 et c'est pour y parer que l'UEMOA a adopté un Règlement en la matière, qui se substituera à toutes les lois nationales ayant le même objet.
La solution énoncée par la Cour d'appel fait une application exacte des principes de la déchéance du porteur négligent et de l'exception de ces principes. Mais la motivation de cette juridiction nous laisse sur notre faim par son imprécision et son laconisme. En voici le texte : " Or, en l’espèce, la société HERMES AFRIQUE, tireur de la lettre de change, ne justifie pas avoir fait provision à l’échéance puisque, justement, le non-paiement de celle-ci est motivée par le défaut de provision, ainsi que le prouve l’attestation produite au dossier délivrée par la SGBCI, tirée ». Dire que le défaut de provision de la lettre de change réside dan le fait que le non paiement de cet effet est motivé par le défaut de provision invoqué par le tiré et établi par lui au moyen d'une attestation est une prétérition consistant à tenir pour établi un fait simplement invoqué par le débiteur cambiaire; On aurait aimé connaître la nature de la provision (crédit, prête bancaire; fourniture de marchandises….? et le contenu de l'attestation de la banque pour apprécier la pertinence de la solution de la Cour. Autant dire que cette décision pêche par insuffisance de motifs.

1 Joseph ISSA-SAYEGH, L’intégration juridique dans les Etats africains de la zone franc. Article in Revue Penant 1997, n° 823, p. 5 et s. et n° 824, p. 125 et s.