J-02-194
droit des sûretés – cautionnement – modalités de poursuite de la caution – ARTICLE 15 AUS.
Le créancier ne peut poursuivre la caution simple ou solidaire qu’en appelant en la cause le débiteur principal.
(Cour d'Appel d'Abidjan, arrêt n° 1070 du 27 juillet 2001, Touré Gaoussou et Touré Abdramane (Me Touré Marame) c/ BICICI (Me Adjoussou) Ecodroit, n° 13-14, juillet-août 2002, p. 57).
COUR D'APPEL d'Abidjan – Côte d’Ivoire
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï le Ministère Public en ses conclusions écrites;
Ensemble les faits, procédure, prétentions et moyens des parties et motifs ci-après;
Des faits, procédure et prétentions et moyens des parties
Considérant que suivant exploit d’huissier en date du 09 mars 2001 comportant ajournement au 06 avril 2001, Messieurs TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane ont relevé appel du jugement civil contradictoire n° 28 rendu le 15 février 2001 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan, lequel, saisi par les sus-nommés d’une opposition à l’exécution des ordonnances n° 563 du 27 janvier 2000 et 1531 du 28 février 2000 portant leur condamnation à payer les sommes respectives de 276.128.685 francs et 282.219.050 francs en principal, a décidé ainsi qu’il suit :
« - Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et commerciale et en premier ressort;
– Reçoit Messieurs TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane en leur action;
– Les y déclare mal fondés;
– Les en déboute;
– Donne acte à la BICICI de ce qu’elle ne prétend pas se prévaloir des effets de l’ordonnance n° 563/2000 du 27 février 2000;
– Restitue à l’ordonnance n° 135/2000 du 28 février 2000 son plein et entier effet;
– Condamne les opposants aux dépens ».
Considérant que les deux parties ont conclu;
– Qu’il échet de statuer contradictoirement;
Considérant qu’au soutien de leur appel, TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane exposent que la BICICI, se prévalant d’un cautionnement du 23 novembre 1998 et de traites émises par la société Multi-Produits revenues impayées, a obtenu une ordonnance portant leur condamnation à lui payer solidairement la somme de 276.128.685 francs, sans avoir produit lesdites traites;
Considérant qu’ils articulent qu’ils ont formé opposition à l’ordonnance, mais que contre toute attente, la BICICI a obtenu une seconde ordonnance de condamnation portant sur la somme principale de 282.219.050 francs;
Que de plus, ils se sont vainement opposés à la renonciation par la BICICI de la première ordonnance;
Considérant que les appelants font grief au Tribunal d’avoir déclaré recevable la requête de la BICICI aux fins d’injonction de payer, alors que, selon eux, ladite requête, non accompagnée des documents justifiant la créance en originaux ou en copies certifiées conformes, aurait dû être déclarée irrecevable comme violant les dispositions d’ordre public de l’article 4 de l’acte uniforme OHADA portant procédures simplifiées de recouvrement de créances et des voies d’exécution;
Qu’en effet, font-ils valoir, la BICICI n’a joint à ses requêtes ni les originaux ni les copies certifiées conformes des lettres de change dont elle s’est prévalue pour obtenir l’ordonnance querellée;
Qu’en outre, la condamnation porte sur la somme de 282.219.050 francs, alors que le montant des traites s’élève à 273.425.000 francs;
Qu’une telle requête, irrégulière, doit être déclarée irrecevable;
Considérant que par ailleurs, les appelants font valoir que la créance de la BICICI n’est ni certaine ni, ni liquide ni exigible parce que, d’une part, les paiements des échéances des traites se font par mois, que, d’autre part, la BICICI n’a pas, comme le prévoit l’article 2 de l’acte de cautionnement, préalablement justifié que la société Multi-Produits, débitrice principale, n’a pas honoré ses engagements;
Que seul le non-paiement par la débitrice principale pouvant justifier leur poursuite, Messieurs TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane font valoir que le défaut de preuve de cette condition conventionnelle rend incertaine, non liquide et non exigible la créance de la BICICI à leur égard et qu’il convient dès lors d’infirmer le jugement entrepris statuant que la BICICI, au mépris des dispositions d’ordre public de l’article 15 de l’Acte Uniforme relatif aux droits des sûretés, n’a pas appelé en cause la société Multi-Produits, débitrice principale;
Considérant que la BICICI, intimée, expose que dans le cadre de ses relations d’affaires avec la Société Multi-Produits, elle a pris à l’escompte des lettres de change titrées par ladite société sur Monsieur TOURE Abdramane à hauteur de 273.425.000 F et que lesdites traites n’ayant pas été honorées, la créance s’élevait au 31 août 1998, intérêts de retard et TPS compris, à la somme de 276.128.685 F, et au 25 août 1999, à celle de 282.219.050 F;
Que suivant acte du 23 novembre 1998, Messieurs TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane se sont portés cautions solidaires et indivisibles de la société Multi-Produits;
Que suivant exploit d’huissier du 23 février 2000, elle, BICICI, a expressément mis en demeure la société Multi-Produits de lui payer le principal et les frais;
Que cette mise en demeure n’ayant pas produit d’effet, elle a dû attraire les cautions devant le juge compétent pour obtenir paiement de sa créance;
Considérant que la BICICI résiste aux arguments des appelants et sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Qu’en effet, elle fait valoir que, contrairement aux allégations des appelants, la requête aux fins d’injonction de payer satisfait pleinement aux dispositions de l’article 4 de l’Acte Uniforme OHADA portant procédures simplifiées de recouvrement de créances et des voies d’exécution;
Que si l’irrecevabilité de la requête est la sanction de l’inobservation des dispositions des paragraphes 1er et 2e de l’article 4 susvisé, cette irrecevabilité ne s’étend pas à l’alinéa 3 dudit article qui dispose que la requête « est accompagnée des documents justificatifs en originaux ou en copies certifiées conformes »;
Qu’en tout état de cause, articule la BICICI, les justificatifs de sa créance ont été produits, à savoir l’acte de cautionnement du 23 novembre 1998 qui constitue la cause de l’engagement des sieurs TOURE, de sorte que la non-production des effets impayés, à l’appui de la requête, ne saurait être une cause d’irrecevabilité;
Que dans ces conditions, la Cour d’Appel ne peut suivre le Tribunal qui a déclaré la requête recevable;
Considérant que la BICICI fait en outre valoir que c’est vainement que les sieurs TOURE soutiennent que sa créance n’est pas certaine, liquide et exigible;
Qu’elle articule que TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane, cautions solidaires de la Société Multi-Produits à concurrence de 276.128.685 F, ne peuvent se soustraire à leur engagement indiscutable, dès lors que la débitrice principale s’est montrée défaillante;
Que le non-visa des traites impayées dans la requête n’a pas d’incidence sur la certitude de la créance poursuivie, dès lors que les effets litigieux ont été versés aux débats et que leur montant correspond exactement à ladite créance;
Considérant qu’au regard de ce qui précède, la BICICI sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Considérant que le Ministère Public, par conclusion écrite du 10 juillet 2001, s’en rapporte;
DES MOTIFS
EN LA FORME
Considérant que l’appel commun de TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane est recevable pour avoir satisfait aux exigences de la loi;
AU FOND
Considérant qu’aux termes de l’article 15 alinéa 2 de l’Acte Uniforme OHADA sur le droit des sûretés, le créancier ne peut poursuivre la caution simple ou solidaire qu’en appelant en cause le débiteur principal;
Considérant cependant qu’en l’espèce, la BICICI, créancier, n’a engagé ses poursuites qu’à l’encontre des seules cautions TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane, sans toutefois appeler en la cause la Société Multi-Produits, débitrice principale;
Qu’en omettant d’appeler en cause la Société Multi-Produits, la BICICI a vicié la procédure de recouvrement simplifiée de créance, de sorte que le Tribunal, saisi de l’opposition des cautions, aurait dû mettre à néant l’ordonnance d’injonction de payer portant la condamnation desdites cautions;
Qu’en s’abstenant d’annuler ladite ordonnance de condamnation, pour le motif susvisé, sans qu’il ait eu besoin d’analyser les autres motifs évoqués, le Tribunal a manifestement erré;
Qu’ainsi donc, il échet de déclarer bien fondé l’appel commun de TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane et de réformer conséquemment le jugement entrepris en mettant à néant l’ordonnance d’injonction de payer du 28 février 2000, étant donné que bien entendu il y a lieu de confirmer le fait que le Tribunal a donné acte à la BICICI de ce qu’elle n’entend pas se prévaloir de l’ordonnance du 27 janvier 2000;
Considérant que la BICICI succombe;
Qu’il échet de la condamner aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et commerciale et en dernier ressort, après conclusions écrites du Ministère Public;
EN LA FORME
Reçoit TOURE Gaoussou et TOURE Abdramane en leur appel commun;
AU FOND
– Les y dit bien fondés;
Réformant le jugement entrepris;
– Met à néant l’ordonnance d’injonction de payer n° 1531/2000 rendue le 28 février 2000 par le Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan;
– Confirme le surplus;
– Condamne la BICICI aux dépens.
Président : SEKA ADON Jean-Baptiste
Conseillers : ZEBEYOUX Aimée
DEDOH Dakouri
Greffier : Me Soilio TOURE.