J-02-195
droit commercial général – bail commercial – juridiction compétente pour prononcer la résiliation – compétence du juge des référés (non) – article 101 AUDCG.
L’article 101 de l’AUDCG dispose que le bailleur peut demander à la juridiction compétente la résiliation du bail, pour non-respect des clauses et conditions du bail; le même texte prescrit que le jugement prononçant la résiliation ne peut intervenir qu’après l’expiration d’un délai d’un mois suivant la notification de la demande aux créanciers inscrits. Il s’ensuit qu’en employant le mot « jugement », le législateur Ohada n’a pas entendu attribuer la compétence de la résiliation du bail commercial au juge des référés, qui ne rend que des décisions appelées ordonnances.
Article 101 AUDCG
(Tribunal régional hors classe de Dakar, ordonnance de référé n° 905 du 22 juillet 2002, Sté Civile Immobilière BIR c/ Youssoupha Mbow).
République du Sénégal
Tribunal hors classe de Dakar
Ordonnance de référé du 22 juillet 2002
EN LA FORME
Attendu que suivant écritures de son conseil en date du 26 avril 2002, Youssoupha MBOW- SOLDECO a soulevé l’incompétence du juge des référés au motif que s’agissant d’un bail à usage commercial tel que c’est le cas en l’espèce, la formation de référé ne peut en connaître en l’absence d’une clause attributive de compétence; qu’il a, en outre, soutenu que la SCI BIR a pris soin de faire référence à un contrat en date du 18 mars 1993 qui les lierait; que ce contrat était signé entre Youssoupha MBOW et Babacar NDOYE ès qualité de syndic de la liquidation des biens des Etablissements Freysseline et Fils ex-propriétaires de l’immeuble; que dans ledit contrat, le taux de loyer mensuel était d’ailleurs de 352.000 F toutes taxes comprises; que lorsque l’immeuble a changé de propriétaire, un nouveau contrat lui avait été imposé; que le taux de loyer mensuel a été ainsi augmenté jusqu’à hauteur de 379.998 F; que dès lors, la SCI BIR ne peut invoquer le contrat du 18 mars 1993 pour en faire une application sélective, c’est-à-dire relever les clauses qui l’arrangent et occulter celles qu’elle a violées; qu’assurément, le contrat du 18 mars 1993 ne régit pas les relations entre le concluant et la SCI BIR; qu’il y a lieu, en conséquence, de se déclarer incompétent;
Attendu que suivant écritures en réponse de ses conseils datés du 24 mai 2002, la SCI BIR a conclu au rejet de cette exception; qu’elle a avancé que les parties sont toujours liées contractuellement; qu’en effet, jamais au regard de la loi, un contrat ne peut être annulé en raison d’un changement de propriétaire;
Que, contrairement aux allégations de sieur Youssoupha MBOW, les parties peuvent librement et d’un commun accord faire évoluer les taux de loyers, sans mettre fin au contrat; que c’est le cas en l’espèce; qu’il y a lieu donc de se déclarer compétent;
Attendu qu’il y a lieu de relever que les parties étaient liées par un bail à usage commercial;
Attendu qu’en vertu des dispositions de l’article 101 de l’Acte Uniforme portant Droit Commercial Général, le bailleur peut demander à la juridiction compétente la résiliation du bail et l’expulsion du preneur, en cas de non-paiement par celui-ci du loyer; que le bailleur qui entend poursuive la résiliation du bail dans lequel est exploité un fonds de commerce doit notifier sa demande aux créanciers inscrits; que le jugement prononçant la résiliation ne peut intervenir qu’après l’expiration d’un délai d’un mois suivant la notification de la demande aux créanciers inscrits;
Attendu qu’il ressort du texte sus-reproduit que le juge des référés ne peut pas valablement connaître de ce contentieux; que la loi lui donne compétence pour constater la résiliation et non pour la prononcer; que l’Acte uniforme utilise l’expression « jugement »; or la formation de référé ne rend que des mesures appelées « ordonnances »; qu’il échet en conséquence de nous déclarer incompétent.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en premier ressort;
EN LA FORME
Nous déclarons incompétent;
Condamnons la demanderesse aux dépens.
Et signons avec le Greffier./.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Cette décision résulte d’un malentendu sur l’interprétation de l’article 101 AUDCG. Lors de la rédaction des Actes uniformes, il avait été admis par les Commissions nationales et la Commission plénière d’éviter d’utiliser des termes spécifiques pour désigner les juridictions compétentes (Tribunal, Justice de paix, Cour d’appel…) et les décisions (jugements, arrêts, ordonnances…), de crainte de ne pas voir ces termes consacrés par les textes nationaux d’organisation judiciaire et qu’il fallait leur préférer des termes génériques (juridiction, décision…), quitte à les remplacer par des termes spécifiques dans le droit national de chaque Etat partie 1 . Le mot jugement utilisé dans l’article 101 AUDCG doit donc être entendu comme générique et signifiant la décision de la juridiction nationale telle que désignée par le droit national (Sénégalais en l’espèce).
En principe, donc, la juridiction compétente pour prononcer la résiliation du bail commercial est le Tribunal régional. Mais cela n’exclut pas que les parties, au moyen d’une clause expresse d’attribution de compétence, désignent le juge des référés pour constater la résiliation du bail. Le juge des référés, dans le cas d’espèce, pouvait donc se déclarer compétent si une telle clause existait et si aucune difficulté sérieuse au fond ne se présentait dans le litige pour constater la résiliation.

1 Joseph ISSA-SAYEGH, Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des Actes uniformes de l’OHADA. Revue de droit uniforme, UNIDROIT, Rome,1999-1, p.5..