J-02-196
droit commercial général – bail commercial à durée déterminée – absence de demande de renouvellement du bail à l’arrivée du terme – refus de renouvellement du bail par le bailleur – article 93 audcg.
indemnité d’éviction – fixation – demande du preneur de prendre en compte le pas-de-porte – refus du tribunal – demande du preneur de prendre en compte le prix d’achat réel et non simulé du fonds de commerce – refus du tribunal – article 94 audcg.
indemnité d’éviction – éléments de fixation – situation géographique du local – trouble PROVoqué par l’éviction – article 94 audcg.
indemnité d’éviction – fixation – exécution provisoire du jugement.
En application de l’article 93 AUDCG, le preneur qui omet de demander le renouvellement de son bail commercial à durée déterminée, à l’expiration de celle-ci, a droit, néanmoins, à une indemnité d’éviction.
Pour la fixation de l’indemnité d’éviction, le preneur ne peut se prévaloir du prix d’acquisition du fonds de commerce en le présentant comme un pas-de-porte. Il ne peut, en plus, se prévaloir du prix réel d’acquisition à la place du prix déclaré dans l’acte de vente.
En se basant sur les chiffres d’affaires et les bénéfices déclarés à l’administration fiscale, le Tribunal, en application de l’article 94 AUDCG peut fixer l’indemnité d’éviction à la somme de 16.000.000 francs à laquelle il condamne le bailleur, ordonner l’expulsion du preneur et ordonner l’exécution provisoire de sa décision.
Article 93 AUDCG
Article 94 AUDCG
(Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement du 24 juillet 2001, Jacqueline, Laïla, Georgette et Georges Wehbé c/ Melhem Haïdar Wizani).
république du Sénégal
Tribunal régional hors classe de Dakar
Audience publique ordinaire du 24 juillet 2001
LE TRIBUNAL
Vu les pièces du dossier;
Ouï les avocats des parties en leurs conclusions respectives;
Le Ministère Public entendu et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par requête en date 29 juin 2000, les hoirs de Nassib Yousseph WEHBE, notamment Jacqueline, Laïla, Georgette et Georges WEHBE ont saisi le Juge des loyers pour fixer l’indemnité d’éviction à laquelle peut prétendre Melhem HAIDAR WIZANI, leur locataire au 41, rue Galandou Diouf x Blanchot, en vue de son expulsion;
EN LA FORME
Attendu que les parties n’ont pu se concilier à l’audience du 20 novembre 2000, que l’action étant introduite dans les forme et délai de la loi, il échet de la déclarer recevable;
AU FOND
Attendu qu’il n’est pas contesté que les parties étaient liées par un contrat de bail sur un local à usage commercial situé au 41, rue Galandou Diouf x Blanchot à Dakar, que le bail signé le 1er juillet 1988 était conclu pour une durée de trois ans renouvelables par tacite reconduction pour un loyer mensuel de 70.000 francs;
Qu’à la suite d’une demande en renouvellement du locataire le 08 mars 2000, les héritiers de Nassib Yousseph WEHBE lui ont signifié un refus de renouvellement de bail le 10 avril 2000 et ont ainsi saisi le juge des loyers aux fins de fixation de l’indemnité d’éviction;
Attendu que dans ses conclusions en date du 15 novembre 2000, WIZANI sollicite qu’il lui soit alloué la somme de 50.000.000 F à titre d’indemnité d’éviction;
Qu’il fait plaider que l’indemnité d’éviction est fixée conformément à l’article 94 de l’Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général en tenant compte du montant du chiffre d’affaires, sur les investissements réalisés par le preneur et la situation géographique du local;
Qu’il soutient que son chiffre d’affaires oscille entre 750.000.000 et un (1) milliard de francs;
Qu’en ce qui concerne les investissements, WIZANI soutient qu’il n’a réalisé aucun investissement particulier, mais il a réglé un pas de porte de 7.850.000 francs à son bailleur;
Qu’enfin, le local objet du bail est situé dans une des artères les plus commerçantes de la ville de Dakar et qu’un changement d’adresse constituerait un trouble commercial très grave pour ses affaires et sa clientèle étant en place depuis 16 ans;
Qu’il verse aux débats diverses pièces, notamment des fiches d’activités de l’entreprise, des bilans, des comptes de résultats, des tableaux de soldes financiers, des tableaux d’amortissements, des attestations de la Direction des impôts qui attestent que l’entreprise Melhem HAIDAR WIZANI a régulièrement déclaré les résultats de son exploitation au titre des années 1997, 1998, 1999 et 2000;
Attendu que de leur côté, les héritiers de Nassib Yousseph WEHBE concluent au débouté de WIZANI sur sa demande de 50.000.000 francs à titre d’indemnité d’éviction;
Qu’ils soutiennent qu’il n’y a jamais eu de pas-de-porte mais plutôt vente de fonds de commerce par Nassib Yousseph WEHBE par un contrat en date du 10 avril 1984;
Qu’en ce qui concerne le chiffre d’affaires, toutes les pièces versées par le locataire ont été unilatéralement confectionnées et n’ont donc aucune valeur probante;
Qu’ainsi, ils font plaider que les seuls éléments d’appréciation disponibles sont la situation géographique du local et le taux de loyer mensuel qui est de 131.350 Francs et qu’il convient donc de fixer l’indemnité d’éviction à la somme de 500.000 francs;
Qu’à titre subsidiaire, les héritiers WEHBE sollicitent que la somme réclamée par WIZANI soit considérée comme fantaisiste et qu’elle soit ramenée à des proportions raisonnables;
Que dans leurs conclusions en date du 17 mai 2001, les héritiers WEHBE sollicitent que l’indemnité soit fixée à la somme de 2.000.000 francs;
Attendu que l’article 94 de l’Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général dispose que l’indemnité d’éviction est fixée en tenant compte du chiffre d’affaires, des investissements réalisés par le preneur et de la situation géographique du local;
Qu’en l’espèce, il résulte des pièces versées au dossier notamment les bilans, fiches de renseignement, comptes de résultats, déclarations de revenus, contraintes et chèques à l’ordre de l’Administration Fiscale et plus décisivement, du certificat d’imposition en date du 1er juin 2001 de la section commerce et hôtellerie de la Direction Générale des Impôts et des Domaines, qui atteste que l’Entreprise Etablissement Melhem HAIDAR WIZANI a régulièrement déclaré les résultats de son exploitation au titre des années 1997, 1998, 1999 et 2000, que l’Entreprise Melhem HAIDAR WIZANI a un chiffre d’affaire qui oscille entre 648.398.290 F et 738.858.363 F pour un bénéfice annuel variant entre 6.079.783 Francs et 9.936.041 francs;
Qu’en ce qui concerne les investissements réalisés par le preneur, ils sont nuls, la somme de 7.850.000 francs versée par WIZANI à WEHBE lors de l’entrée en jouissance des lieux ne pouvant s’analyser en pas-de-porte;
Qu’il ressort du contrat en date du 10 avril 1984 versé au dossier que les 7.850.000 francs représentaient le prix d’un fonds cédé par WEHBE à WIZANI, ce dernier l’ayant signé en toute connaissance de cause ne peut, s’il s’agit d’une simulation, se prévaloir aujourd’hui de sa propre turpitude;
Que s’agissant de la situation géographique du local loué, en l’occurrence 41, rue Galandou Diouf, il n’est contesté par aucune des parties qu’il s’agit d’un site très commercial dont l’éviction après 16 ans d’exploitation cause un préjudice certain;
Attendu qu’au vu de ces éléments, le Tribunal possède des éléments suffisants pour fixer l’indemnité d’éviction à la somme de 16.000.000 francs;
Qu’il échet de condamner les héritiers de Nassib Yousseph WEHBE à payer à Melhem HAIDAR WIZANI la somme de 16.000.000 francs à titre d’indemnité d’éviction et d’ordonner l’expulsion de ce dernier, de ses biens et de tous occupants de son chef;
Attendu qu’il n’y a lieu à ordonner l’exécution provisoire, aucun péril n’étant démontré;
Attendu qu’il y a lieu de faire masse des dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et commerciale et en premier ressort;
EN LA FORME
Déclare l’action recevable;
AU FOND
Fixe l’indemnité d’éviction à la somme de 16.000.000 francs;
Condamne les héritiers de Nassib Yousseph WEHBE à payer cette somme à Melhem HAIDAR WIZANI;
Ordonne l’expulsion de Melhem HAIDAR WIZANI des lieux loués, tant de sa personne, de ses biens que de tous occupants de son chef;
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire;
Fait masse des dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé le Président et le Greffier./.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant.
Sur l’anomalie de la disposition de l’article 93 AUDCG qui pénalise le preneur d’un bail commercial à durée déterminée, voir nos observations sous Ohadata J-02-67 et Ohadata J-02-120.
L’article 94 AUDCG indique quelques éléments à prendre en considération par le juge pour fixer l’indemnité d’éviction, mais on s’accorde à dire que cette énumération est indicative et non exhaustive, l’adverbe « notamment » autorisant une telle interprétation (voir commentaire de cet article par Pedro SANTOS in Ohada, Traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 1ère et 2e éditions).
Le preneur avait tenté d’invoquer une somme de 7.850.000 francs qu’il avait payée au bailleur à titre de pas-de-porte. Il s’avéra que ce n’était pas le prix du pas-de-porte, mais celui de l’acquisition du fonds de commerce par lui et le tribunal rejeta cet élément. Il s’ensuit, donc implicitement, que le montant d’un pas-de-porte versé au bailleur pourrait, éventuellement, entrer en considération dans l’évaluation de l’indemnité d’éviction.
Les éléments les plus décisifs furent : la situation géographique du fonds, les chiffres d’affaires et les bénéfices déclarés à l’administration fiscale et, enfin, le trouble subi par le preneur après 16 années d’exploitation au même endroit. On peut seulement regretter que la motivation de la décision, sur ce point, soit plutôt succincte.
On peut également regretter que le tribunal ait assorti sa décision de l’exécution provisoire nonobstant appel. Si cette exécution provisoire se justifiait quant à l’expulsion (le bail n’est pas renouvelé et on ne peut revenir dessus; autant libérer les lieux le plus vite possible), elle se justifie moins pour le règlement de l’indemnité, dans la mesure où celle-ci peut être réduite en appel et exposer le bailleur à l’insolvabilité du preneur. N’eût-il pas mieux valu ordonner la consignation de cette somme ?