J-02-199
voies d’exécution – hypothèque judiciaire conservatoire – omission, dans l’ordonnance autorisant l’hypothèque, du délai d’abstention et du délai d’obligation d’agir au fond – ordonnance irrégulière (non) – caducité de l’ordonnance (non) – article 136 AUS.
droit commercial – prescription quinquennale – dette matérialisée par des effets de commerce – exigibilité de la dette aux dates d’échéances des effets de commerce – commandement de payer – effet interruptif de la prescription – articles 218 et 224 du code Sénégalais des obligations civiles et commerciales (cocc).
Article 136 AUS
L’article 136, alinéa 3 portant droit des sûretés (AUS) dispose que l’ordonnance autorisant la prise d’hypothèque judiciaire fixe au créancier un délai dans lequel il doit, à peine de caducité de l’autorisation, former une action en validité, au fond, de l’hypothèque conservatoire et un délai pendant lequel le créancier ne peut saisir la juridiction du fond.
L’article 134, alinéa 4 AUS dispose que si le créancier enfreint les dispositions de l’alinéa précédent, l’ordonnance peut être rétractée. Ces dispositions sanctionnent le non-respect, par le créancier, de ces délais et non leur omission par le juge. Il s’ensuit que si seul le délai pour servir une assignation au fond a été fixé par l’ordonnance et si ce délai a été respecté par le créancier, cette décision n’est pas caduque.
La prescription quinquennale des obligations entre commerçants prévue par l’article 224 COCC ne court qu’à compter de la date de l’exigibilité de la dette; si celle-ci est matérialisée par des lettres de change successives, ce sont les dates d’échéance respectives de ces effets de commerce qui constituent les dates d’exigibilité de la dette (article 218 COCC). Un commandement de payer servi avant la date d’expiration du délai de cinq ans pour l’acquisition de la prescription du premier effet de commerce interrompt le délai de prescription (article 219 COCC).
(Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement n° 1602 du 28 août 2001, SGBS c/ FINANCO S.A.).
Tribunal régional hors classe de Dakar
LE TRIBUNAL,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les avocats des parties en leurs conclusions respectives;
Le Ministère public entendu et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Attendu que par exploit d’huissier du 11 août 2000, la SOCIETE GENERALE DE BANQUES AU SENEGAL (SGBS) a assigné la SOCIETE FINANCIERE DE PARTICIPATION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE (FINANCO) devant le Tribunal de céans en paiement de la somme de 33.000.000 de francs outre les intérêts de droit, en validation d’inscription hypothécaire conservatoire et en transformation en saisie-vente, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire;
EN LA FORME
Attendu que dans les écritures du 26 février 2001, la FINANCO a soulevé l’exception d’irrecevabilité de l’action de la SGBS pour irrégularité de la procédure résultant de la caducité de l’ordonnance n° 858 du 11 juillet 2000 autorisant l’inscription hypothécaire conservatoire; que selon elle, dans ladite ordonnance, le juge a, en violation des dispositions de l’article 136 alinéa 3 de l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés, omis d’indiquer les deux délais prévus par ce texte, dans lesquels le créancier doit d’abord s’abstenir de saisir la juridiction du fond, puis former sa demande devant celle-ci; qu’elle a en conséquence, sollicité la rétractation de l’ordonnance et la mainlevée de l’inscription hypothécaire;
Attendu qu’en réponse, la SGBS a demandé le rejet de l’exception en faisant valoir d’abord que la rétractation de l’ordonnance est additionnée au non-respect par le créancier des délais de l’article 136 alinéa 3 précité prescrite au préalable par le juge dans sa décision d’autorisation; qu’en l’espèce, elle s’est conformée au seul délai qui lui a été imparti pour servir son assignation; qu’ensuite, l’omission par le juge desdits délais n’est sanctionnée par aucun texte;
Attendu qu’il ressort de l’article 136 alinéa 3 précité que la décision portant autorisation d’inscription hypothécaire provisoire « fixe au créancier un délai dans lequel il doit, à peine de caducité de l’autorisation, former devant la juridiction compétente, l’action en validité de l’hypothèque conservatoire, la demande au fond…Elle fixe en outre le délai pendant lequel le créancier ne peut saisir la juridiction de fond »; qu’à la suite, l’alinéa 4 du même article ajoute « si le créancier enfreint les dispositions de l’alinéa précédent, la décision peut être rétractée par la juridiction qui a autorisé l’hypothèque »;
Attendu qu’il résulte clairement de ces dispositions que la caducité de l’autorisation d’inscription hypothécaire et la rétraction de la décision d’autorisation sanctionnent le non-respect par le créancier des délais prévus à l’article 136 alinéa 3 précité et non leur omission pour le juge dans sa décision; qu’en l’espèce, l’ordonnance n° 858 n’a fixé à la SGBS qu’un délai d’un mois pour servir son assignation en validation; que ce délai a bien été respecté par la créancière; qu’il s’ensuit que l’autorisation d’inscription hypothécaire contenue dans l’ordonnance indiquée n’est pas caduque; qu’il échet de rejeter l’exception, la procédure étant régulière, et de déclarer l’action de la SGBS recevable.
AU FOND
SUR LE PAIEMENT
Attendu que par écritures datées du 30 novembre 2000, la SGBS a soutenu être créancière de la FINANCO pour une somme de 33.000.000 de francs, reliquat d’une créance initiale d’un montant de 70.000.000 FCFA qu’elle lui avait accordée pour l’acquisition en décembre 1990, aux enchères, d’un immeuble objet du titre foncier n° 2162/DP;
Attendu qu’en réponse, la FINANCO a fait valoir par conclusions du 26 février 2001, que la créance réclamée par la SGBS, née entre deux sociétés commerciales et remontant au 12 décembre 1990, est atteinte par la prescription quinquennale de l’article 224 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, résultant du fait qu’entre 1991, date à laquelle un acompte avait été fait sur la créance initiale, et 1998, quand elle s’est vu servir un commandement de payer, il n’y a eu ni mise en demeure ni acte de poursuite de la SGBS;
Attendu qu’en réplique, la SGBS a exposé, par écritures du 28 avril 2001, qu’il était convenu avec la FINANCO d’un règlement du reliquat par échéances suivant virements bancaires mensuels allant du 05 août 1998 au 05 avril 1999; qu’ainsi donc, le paiement de la créance étant affecté d’un terme suspensif, cela correspond aux modalités particulières du contrat prévues par l’article 172 du Code des Obligations Civiles et Commerciales quant à la date d’exigibilité de la créance; qu’il s’ensuit que le reliquat n’était exigible, pour chaque traite, qu’à compter des 05 août, 05 septembre, 05 octobre, 05 novembre, 05 décembre 1995, 05 janvier, 05 février, 05 mars, 05avril 1996; que ce faisant, en application de l’article 218 alinéa 4 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, la prescription ne pouvait être acquise qu’à compter, respectivement, des 05 août, 05 septembre, 05 octobre, 05 novembre, 05 décembre 2000, 05 janvier, 05 février, 05 mars, 05 avril 2001; or cette prescription ayant été interrompue suite au commandement de payer versé à la FINANCO le 22 décembre 1998, un nouveau délai de 5 ans a commencé à courir à partir de cette date, conformément à l’article 219 du Code des Obligations Civiles et Commerciales;
Attendu qu’en réponse, la FINANCO a, par écritures du 18 juin 2001, fait état de ce que la SGBS n’a pour étayer ses allégations, produit aucun contrat formalisant le règlement de la créance reliquataire des virements mensuels;
Attendu qu’il n’est pas contesté qu’en décembre 1990, la SGBS avait consenti à la FINANCO un concours financier d’un montant global de 70.000.000 de francs pour l’acquisition d’un immeuble; qu’un acompte correspondant à la moitié de la créance ayant été versé en 1991, la FINANCO restait devoir la somme de 35.000.000 de francs à la demanderesse;
Attendu que l’examen des neuf ordres de virement produits par la demanderesse permet de relever quelques constatations : ils ont tous pour donneur d’ordre Samir BOURGI, Directeur Général de la FINANCO, dont la signature figure au bas de chaque document; qu’ils ont tous pour bénéficiaire la SGBS; qu’ils ont, enfin, tous pour objet un certain règlement FINANCO; que ces constatations constituent autant d’éléments justifiant que ces ordres de virement ont bien été établis dans le cadre d’un règlement suivant des échéances allant d’août 1995 à avril 1996, du reliquat de créance détenue par la SGBS sur la société FINANCO;
Qu’ainsi, s’agissant d’un règlement par traites, la créance correspondant à chacune d’elles n’était exigible qu’à l’échéance de celle-ci, à savoir, successivement les 05 août, 05 septembre, 05 octobre, 05 novembre, 05 décembre 1995, 05 janvier, 05 février, 05 mars, 05 avril 1996;
Que par suite, s’agissant d’obligations entre sociétés commerciales, la prescription quinquennale prévue par l’article 224 du Code des Obligations Civiles et Commerciales ne pouvait courir qu’à compter des dates ci-dessus indiquées, conformément à l’article 218 du Code des Obligations Civiles et Commerciales; qu’ainsi, rien que pour la première traite datant du 05 août 1995, la prescription ne pouvait être acquise qu’en août 2000; et par exploit d’huissier daté du 22 décembre 1998, la SGBS a servi à la FINANCO un commandement de payer qui a eu pour effet d’interrompre la prescription pour faire courir un nouveau délai; qu’il n’y a donc pas eu de prescription de la créance de la SGBS; qu’il s’ensuit au vu des pièces produites, notamment les ordres de virement, que la demande en paiement de la SGBS est fondée; que cependant, le montant total de ces ordres de virement n’attaquant 1 que la somme de 31.500.000 francs; qu’il échet de la déclarer créancier de la FINANCO pour ce montant outre les intérêts de droit, et condamner cette dernière au paiement.
SUR LA VALIDATION DE L’INSCRIPTION HYPOTHECAIRE
Attendu que suivant ordonnance n° 858 du 11 juillet 2000, la SGBS a été autorisée à inscrire une hypothèque conservatoire sur le titre foncier n° 2162 /DP; que par exploit d’huissier du 31 juillet 2000, une hypothèque conservatoire a été inscrite sur l’immeuble ci-dessus désigné;
Attendu que cette inscription d’hypothèque conservatoire est régulière en la forme et juste au fond; qu’il échet de la valider et de la transformer en saisie-vente 2.
SUR L’EXECUTION PROVISOIRE
Attendu qu’il s’agit d’une créance ancienne; qu’il y a donc urgence; qu’il échet d’ordonner l’exécution provisoire jusqu’à concurrence de 500.000 francs;
SUR LES DEPENS
Attendu que la FINANCO a succombé; qu’il échet de la condamner aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort;
EN LA FORME
– Rejette l’exception soulevée par la FINANCO;
– Déclare l’action recevable;
AU FOND
– Déclare la SGBS créancière de la FINANCO pour un montant de 31.500.000 FCFA outre les intérêts de droit;
– Condamne la FINANCO à lui payer ladite somme;
– Valide l’inscription hypothécaire conservatoire;
– Ordonne l’exécution provisoire jusqu’à concurrence de 500.000 FCFA;
– Condamne la FINANCO aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé, les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé, le Président et le Greffier./-
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Sur les deux solutions adoptées par cette décision, on doit faire quelques réserves.
1.- L’article 136 alinéa 3 AUS exige que, dans l’ordonnance autorisant le créancier à prendre hypothèque judiciaire conservatoire, le juge fixe deux délais :
– un délai pendant lequel il ne doit rien entreprendre, au fond, pour permettre au débiteur qui reçoit signification de cette ordonnance lui apprenant la prise d’hypothèque (3) sur son ou ses immeubles, de réagir pour contester cette mesure, en la forme ou au fond;
– un délai pendant lequel il doit, obligatoirement, agir en validité, ceci afin d’éviter que la prise d’inscription judiciaire pèse indéfiniment sur le ou les immeubles du débiteur.
Si ces deux délais ne sont pas prévus par le juge, l’ordonnance est caduque.
Quant à l’alinéa 4 du même article, il dispose et signifie que si le créancier n’observe pas les délais fixés par le juge, il s’expose à la rétractation de l’ordonnance qui a autorisé l’hypothèque.
Ces deux alinéas s’adressent donc, respectivement, au juge et au créancier, avec des sanctions distinctes et non au seul créancier dans les deux cas, comme le soutient le Tribunal.
Reste alors à se demander si, face à la fixation d’un seul délai (en l’espèce, celui de l’abstention d’agir au fond) ou des deux, la sanction de la caducité est automatique. Nous pensons que oui, pour la sauvegarde impérieuse des intérêts du débiteur. Il ne doit pas être déraisonnable d’attendre des magistrats chargés de rédiger de telles ordonnances, de respecter une telle exigence de forme, d’autant qu’elle n’est pas nouvelle et doit être courante dans ce genre de procédure.
Pour éviter que la carence du juge n'expose le créancier à la caducité de l'ordonnance autorisant la prise d'hypothèque, nous pensons qu'une nouvelle rédaction de l'article 136 AUS s'impose aux termes de laquelle la loi fixerait elle-même un délai (de quinze jours) d'abstention d'agir et un délai (de quinze jours) pour l'obligation d'agir, à peine de caducité de l'ordonnance.
2.- Quant à la prescription, on peut s’étonner que l’article 18 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général (AUDCG) n’ait pas été invoqué par les parties, voire par le tribunal. L’AUDCG est entré en application le 1er janvier 1998, c’est-à-dire à une date où le délai quinquennal de prescription prévu par l’article 224 COCC n’était pas encore accompli; il devait donc se substituer à lui, au moins en la forme, même si, au fond, le délai quinquennal de prescription était maintenu.
Quant à l’application des articles 218 et 219 COCC, elle ne suscite aucune réserve, dans la mesure où ces deux dispositions du droit interne Sénégalais n’ont pas d’équivalents en droit uniforme de l’Ohada; elles devaient compléter le raisonnement du tribunal.
Par contre, on peut se demander sur quel fondement l’action du créancier était basée : sur le droit commun des obligations ou sur le droit cambiaire ? Si c’était sur le terrain cambiaire, l’action était prescrite par trois ans (article 179 du Code de commerce ou son équivalent dans la nouvelle loi Sénégalaise sur les instruments de paiement, bientôt remplacée par un Règlement uniforme de l'UEMOA ayant le même objet) et, dans ce cas, le délai de prescription devait expirer à la date du troisième anniversaire de l'échéance de chaque traite; si c’était sur le plan du rapport fondamental entre le créancier et le débiteur, le délai était de cinq ans à partir de la date d'exigibilité de l'ensemble de la dette et non de chaque anniversaire quinquennal de l'échéance des traites comme l'argumente le tribunal.

1 NDLRS . Nous pensons qu'il faut lire "n'atteignant" au lieu de "n'attaquant ».

2 La réalisation d'une hypothèque, fût-elle judiciaire, passe par la saisie immobilière et non par la saisie vente qui n'est réservée qu'aux biens meubles.

3 Celle-ci fait d’ailleurs, l’objet d’une inscription provisoire à la Conservation foncière aussitôt que possible.