J-02-200
voies d’exécution – saisie conservatoire sur comptes bancaires – demande de mainlevée – urgence – compétence du juge des référés – articles 247 et 249 du code Sénégalais de procédure civile.
ordonnance de référé sur difficulté d’exécution – appel contre ordonnance de mainlevée de saisie conservatoire – effet suspensif de l’appel (non).
La mainlevée d’une saisie conservatoire sur les comptes bancaires d’une société commerciale revêt, pour cette dernière, une urgence justifiant la compétence du juge des référés en application des articles 247 et 249 du code (Sénégalais) de procédure civile.
Les termes « jugements » et « décision juridictionnelle » utilisés respectivement par les articles 356 du code (Sénégalais) de procédure civile et 34 de l’AUPSRVE doivent s’entendre au sens de décisions rendues par le juge du fond et non au sens des ordonnances de référé.
En application des articles 250 du code Sénégalais de procédure civile qui dispose que l’ordonnance de référé n’est pas susceptible d’opposition et 49 AUVE qui décide que la décision du président de la juridiction statuant en matière d’urgence sur une mesure d’exécution forcée ou une saisie conservatoire est susceptible d’appel sans que cette voie de recours ait un effet suspensif, il y a lieu d’ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire des comptes bancaires du débiteur.
(Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement n° 333 du 26 mars 2002, Air Afrique c/ SGBS, Citibank, Crédit Lyonnais Sénégal ).
Tribunal régional hors classe de Dakar
Ordonnance de référé du 26 Mars 2002
NOUS, Juge des référés,
Vu la demande mainlevée de saisie présentée par la Compagnie multinationale Air Afrique à l'encontre des défendeurs,
Après avoir entendu les parties en leurs conclusions respectives,
Attendu que par exploit du 21 mars 2002 servi par Mame Gnagna Seck, huissier de justice à Dakar, à la Cie Air Afrique a assigné à bref délai la Société Générale, dite SGBS, la City Bank, le Crédit Lyonnais Sénégal suivant une autorisation présidentielle n° 397 datée du 20 mars 2002 pour entendre ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée par exploit de maître Aloyse NDONG en date du 18 février 2002 sur les comptes d'Air Afrique
Q'une astreinte d'un million de francs CFA par heure de retard a été, en outre, sollicitée.
Attendu que Maître François SARR et associés pour le Crédit Lyonnais a soulevé l'incompétence du juge des référés au motif que, s'agissant d'interprétation, notamment des articles 356 du code de procédure civile et 34 de l'Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution pour répondre à la question de savoir s'ils sont applicables aux ordonnances de référé, le juge des référés dont la compétence est uniquement fondée sur l'urgence, doit se déclarer incompétent;
EN LA FORME
SUR LA COMPETENCE
Attendu qu’il y a lieu de relever sur ce point que l’objet de la demande introductive d’instance est d’entendre ordonner la mainlevée sur la saisie conservatoire pratiquée sur les comptes bancaires d’Air Afrique, qui est une société commerciale;
Que la mainlevée d’une saisie conservatoire sur les comptes bancaires d’une société commerciale revêt pour cette dernière une urgence justifiant la compétence du juge des référés, en application des articles 247 et 249 du Code de Procédure Civile;
Qu’il y a lieu pour le Juge des référés, de se déclarer compétent.
SUR LA RECEVABLITE
Il y a lieu de déclarer recevable l’action introduite dans les forme et délai de la loi;
AU FOND
Attendu que Maître Alassane CISSE pour la compagnie Air Afrique, a développé que l’ordonnance n° 279 du 11 mars 2002 a ordonné la mainlevée de la saisie pratiquée par exploit de Me Aloyse NDONG, en date du 18 février 2002, sur les comptes bancaires d’Air Afrique;
Que par exploit de Me Mame Gnagna SECK, huissier de justice à Dakar en date du 15 mars 2002, Air Afrique a fait procéder à la signification de ladite ordonnance aux tiers saisis, à savoir la SGBS, la Citibank, le Crédit Lyonnais Sénégal, la BICIS, la Banque ECOBANK et la CBAO;
Que, par exploit de Me Aloyse NDONG, huissier de justice, en date du 13 mars 2002, l’Agence pour la Sécurité Aérienne et la Navigation en Afrique dite ASECNA a interjeté appel de l’ordonnance n° 279 du 11 mars 2002;
Que par autre exploit de Me Aloyse NDONG, huissier de justice à Dakar, en date du 13 mars 2002, l’ASECNA a fait signifier aux tiers saisis une opposition à la mainlevée de saisie conservatoire de créances précitée sur le fondement de l’article 356 du Code de Procédure Civile et de son appel en date du 13 mars 2002;
Que la BICIS, la Banque ECOBANK ont procédé à l’exécution de l’ordonnance n° 279 du 11 mars 2002;
Que par contre, la SGBS, le Crédit Lyonnais Sénégal, la CBAO et la Citibank refusent toujours de procéder à la mainlevée de la saisie conservatoire précitée, en se fondant sur l’appel et l’opposition à la mainlevée faite par l’ASECNA le 13 mars 2002, en application de l’article 356 du Code de Procédure Civile;
Attendu que Me Alassane CISSE a ensuite soutenu en premier lieu que le Crédit Lyonnais Sénégal, la CBAO, la SGBS et la Citibank ont fait une interprétation erronée de l’article 356 du Code de Procédure Civile qui vise les « jugements » à l’exclusion des ordonnances de référé; qu’une ordonnance de référé n’est pas susceptible d’opposition tel que prévu par l’article 356; que la référence par cet article à « la partie condamnée » exclut son application à une ordonnance de référé, puisque cette dernière ne comporte jamais de condamnation;
En second lieu, qu’en vertu des dispositions de l’article 250 du Code de Procédure Civile, applicable en l’espèce puisque s’agissant d’ordonnance de référé, celle-ci est exécutoire sur provision;
Qu’enfin et surtout, l’article 49 de l’Acte Uniforme de l’OHADA portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution prévoit que la décision du Président de la juridiction statuant en matière d’urgence est susceptible d’appel dans un délai de 15 jours à compter de son prononcé et que le délai d’appel, comme l’exercice de cette voie de recours, n’ont pas un caractère suspensif, sauf décision contraire spécialement motivée du Président de la juridiction compétente;
Attendu que Maître François SARR et Associés pour le Crédit Lyonnais, a développé que l’ordonnance n° 279 du 11 mars 2002 a fait l’objet d’un appel par l’ASECNA le 13 mars 2002;
Que le terme « jugement » employé par l’article 356 du Code de Procédure Civile est un terme générique désignant toute décision rendue par un juge;
Que le traité relatif aux transports aériens en Afrique, signé à Yaoundé le 28 mars 1961, prévoit que la Compagnie Air Afrique ne bénéficie d’aucune immunité;
Que l’article 34 dispose que lorsqu’une décision juridictionnelle est invoquée à l’égard d’un tiers, il doit être produit un certificat de non-appel et de non-opposition; que le caractère suspensif de l’appel ne concerne que les parties et non les tiers comme elle;
Attendu que Me Koïta pour la SGBS, a développé que l’article 356 du Code de Procédure Civile a été abrogé et remplacé par l’article 34 de l’OHADA portant sur le recouvrement simplifié et les voies d’exécution;
Que ledit article parle de « décision juridictionnelle » sans autre précision;
Qu’elle fonde sa position sur cette disposition, l’ordonnance de référé étant une décision juridictionnelle;
Attendu que la Citibank, bien que régulièrement citée, n’a pas comparu ni personne pour la représenter;
Qu’il convient de se prononcer par défaut contre elle;
Attendu qu’il y a lieu de faire remarquer que toutes les parties s’accordent sur la nature de la décision de justice déférée au juge des référés, à savoir une ordonnance de référé en l’occurrence celle n° 279 du 11 mars 2002;
Attendu que l’article 250 du Code de Procédure Civile dispose expressément que l’ordonnance rendue sur référé n’est pas susceptible d’opposition;
Que l’article 49 de l’Acte Uniforme sur les Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution dispose de son côté que la décision du Président de la juridiction statuant en matière d’urgence sur une mesure d’exécution forcée ou une saisie conservatoire est susceptible d’appel, mais que cet appel n’est pas suspensif;
Qu’il résulte de l’analyse de ces dispositions que les termes « jugements » et « décisions juridictionnelles » prévus respectivement par les articles 356 du Code de Procédure Civile et 34 de l’Acte Uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement des voies d’exécution doivent s’entendre au sens de décisions rendues par le juge du fond, en tout cas pas au sens d’ordonnances des référés pour lesquelles le législateur a entendu instituer, à la fois une procédure de prise de décision et une voie d’exécution très rapides;
Attendu en conséquence qu’il y a lieu de dire que l’ordonnance de référé n° 279 du 11 mars 2002 est exécutoire par provision nonobstant appel et d’ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de créances pratiquées par exploit du 18 février 2002 sur les comptes bancaires de la Compagnie Air Afrique, conformément au dispositif de l’ordonnance n° 279 du 11 mars 2002;
Attendu que vu l’urgence il y a lieu d’assortir l’exécution de l’ordonnance à intervenir d’une astreinte de 200.000 FCFA par heure de retard;
PAR CES MOTIFS
Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront, mais dès à présent par provision, vu l’urgence, tous droits et moyens des parties réservées au fond;
– Nous déclarons compétent;
– Donnons défaut contre la Citibank;
– Déclarons l’action recevable;
– Ordonnons la mainlevée de la saisie conservatoire de créances pratiquées par exploit du 18 février 2002 sur les comptes bancaires de la Compagnie Air Afrique, conformément au dispositif de l’ordonnance n° 279 du 11 mars 2002, sous astreinte de 200.000 FCFA par heure de retard;
Mettons les dépens à la charge des défenderesses.
Et signons avec le Greffier./.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
1. On ne peut qu’être d’accord avec le juge du référé lorsqu’il considère que l’ordonnance de référé n’est pas susceptible d’opposition (article 250 CPC Sénégalais), mais seulement d’appel et que l’appel n’a pas d’effet suspensif (article 49 AUVE).
2. Mais on ne peut le suivre lorsqu’il estime que les termes génériques « jugement » et « décision juridictionnelle » prévus respectivement par les articles 350 CPC Sénégalais et 34 AUVE ne concernent que les décisions rendues par les juges du fond à l’exclusion des ordonnances de référé. C’est peut-être vrai pour l’article 356 CPC Sénégalais (nous n’entrerons pas dans cette discussion), mais pour l’article 34 AUVE qui emploie, exprès, un terme générique (cf. Joseph ISSA-SAYEGH, Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des Actes uniformes de l’OHADA. Revue de droit uniforme, UNIDROIT, Rome,1999-1, p.5..).
3. Enfin, qu'il nous soit permis de dire quelques mots de l'astreinte prononcée sur son principe et sur son point de départ.
Sur le principe même de l'astreinte, le juge des référés condamne d'avance le tiers saisi à obtempérer puisque, même en cas d'appel du créancier, l'ordonnance devra être exécutée. l'appel n'étant pas suspensif. Or, les exemples ne manquent pas où l'on a vu des tiers saisis condamnés à dédommager le créancier saisissant qui avait obtenu gain de cause en appel, au motif qu'il se serait exécuté à la légère, alors même qu'il n'avait fait qu'obéir à un ordre légitime. Certes, ce sont les décisions de condamnation qui sont critiquables, dans ce cas, mais cela démontre l'incohérence ou le défaut d'harmonisation du comportement des juges.
Deuxième question : pourquoi n'avoir pas fixé le point de départ de cette mesure (au jour de la signification de l'ordonnance ou à partir d'un délai déterminé postérieurement au prononcé de l'ordonnance ? Il est évident qu'en l'absence d'une telle précision, c'est la date du prononcé de l'ordonnance qui en constitue le point de départ, ce qui est tout à fait irréaliste si on considère qu'il faut un minimum de quelques jours pour que le tiers saisi prenne ses dispositions afin d'opérer la mainlevée de la saisie d'une façon effective et correcte.