J-02-201
injonction de payer – opposition à l’ordonnance d’injonction de payer – exceptions tirées de la violation de : article 4 AUPSRVE et ARTICLE 8 auPSRve – exceptions irrecevables.
uemoa – loi sur les instruments de paiement – pluralité de lettres de change à des échéances différentes – établissement d’un protêt unique pour toutes les lettres de change impayées – violation de l’article 147 de la loi sur les instruments de paiement (non).
recours du porteur négligent contre le tireur – tireur n’ayant pas fourni la provision – déchéance du porteur (non) – violation de l’article 157, alinéa 2 de la loi sur les instruments de paiement (non).
L’opposition à une ordonnance d’injonction de payer ayant pour effet d’anéantir l’ordonnance et de saisir la juridiction d’opposition de la demande initiale en paiement, il y a lieu de rejeter les exceptions tirées de la violation des articles 4 et 8 de l’AUVE.
Aucune disposition légale n’interdit au porteur de plusieurs lettres de change tirées par la même personne, de dresser un protêt unique pour constater le non-paiement de tous ces effets de commerce. L’article 147 de la loi du 28 août 1996 sur les instruments de paiement n’est donc pas violé.
Si l’article 157, alinéa 2 de la même loi prévoit la déchéance du porteur négligent de son recours contre le tireur, c’est à la seule condition que le tireur ait fourni provision. Faute d’établir la fourniture de provision par lui, le tireur peut être poursuivi par le porteur.
(Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement n° 853 du 8 mai 2001, Serigne Cissé c/ SIEPA).
Tribunal régional hors classe de Dakar
Audience Publique et Ordinaire du 08 Mai 2001
LE TRIBUNAL,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les avocats des parties en leur déclaration respective;
EN LA FORME
Attendu que l’opposition est régulière pour avoir été formée dans les conditions de forme et délai prévues par la loi; qu’il y a lieu de la recevoir et d’y statuer au fond.
AU FOND
Attendu que le sieur CISSE soutient que la requête aux fins d’injonction de payer présentée par la SIEPA viole les dispositions de l’article 4 de l’Acte Uniforme sur les Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution en ce qu’elle ne comporte pas sa profession ni n’indique avec précision la somme qui serait due avec le décompte des différents éléments de la créance; que cette requête ne contient, en outre, aucune indication sur la forme juridique de la SIEPA, qui est une personne morale;
Qu’il fait valoir, par ailleurs, que l’exploit de signification de ladite ordonnance viole les dispositions de l’article 8 du même texte en ce qu’il ne comporte pas l’indication précise des intérêts, alors que cette mention est requise à peine de nullité;
Que, toujours selon lui, l’acte de protêt est pris en violation de l’article I47 de la loi relative aux instruments de paiement en ce qu’il est établi un seul et même protêt pour les lettres de change à des dates d’échéances distinctes;
Qu’il poursuit en faisant valoir enfin que la sommation à lui faite de payer est irrégulière pour avoir indiqué un montant qui ne correspond à aucun des montants des quatre traites; qu’il en résulte, selon lu,i que la SIEPA est un porteur négligent qui s’expose, en conséquence, aux sanctions prévues à l’article I57 de la loi précitée;
Attendu que la SIEPA rétorque par écritures en date des 28 août et 16 décembre 2000 que les nullités soulevées par le sieur CISSE doivent être rejetées en tant que celui-ci ne prouve avoir subi aucun grief, comme l’exige l’article 826 du Code de Procédure Civile; qu’il s’y ajoute, selon elle, que même si ces exceptions sont reçues, il n’en demeure pas moins que le Tribunal doit statuer sur sa demande en paiement en vertu de l’article 14 de l’Acte Uniforme précité;
Qu’elle estime en outre que les intérêts qui n’ont pas encore commencé à courir ne peuvent pas être indiqués avec précision dans l’acte de signification;
Attendu que la SIEPA fait valoir en outre que la déchéance de l’article 157 de la loi du 28 août 1996 ne profite au tireur que s’il prouve avoir fait provision à l’échéance; que même si tel est le cas, cette déchéance ne touche, selon une jurisprudence constante, que la procédure cambiaire et laisse subsister la créance comme résultant du rapport fondamental et qu’il y a, par conséquent, survivance du recours de droit commun; que, par ailleurs, le sieur CISSE, en tant que tireur accepteur, ne peut pas se prévaloir de la déchéance en vertu de l’article 157 al.1 de la loi précitée;
Qu’enfin, la SIEPA fait valoir qu’elle ne se prévaut pas du commandement du 23 février 2000 dont CISSE demande la nullité.
SUR CE,
Attendu que la juridiction de céans n’est pas saisie d’un appel dirigé contre l’ordonnance du 05 juillet 2000 et qui lui donnerait compétence à examiner la régularité de la procédure afférente à ladite ordonnance; qu’il y a lieu de rappeler au sieur CISSE que l’opposition a pour effet d’anéantir l’ordonnance et de saisir la juridiction d’opposition de la demande initiale en paiement, même si la procédure est introduite par le débiteur; que tel est le sens des art. 8, 12, 13 et 14 de l’Acte Uniforme précité; qu’il y a lieu en conséquence de rejeter les exceptions tirées de la violation des articles 4 et 8 de l’Acte Uniforme;
Attendu que le commandement de payer n’est pas produit aux débats et la SIEPA fait valoir qu’elle ne s’en prévaut pas contre le sieur CISSE;
Que celui-ci ne peut, en conséquence, poursuivre son annulation dans la présente procédure.
SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT
Attendu que l’argument servi par le sieur CISSE pour contester la créance et tiré de ce qu’un seul protêt ne peut être établi pour des lettres de change à dates d’échéance différentes ne saurait prospérer dans la mesure où rien ni aucun texte ne s’y oppose, le protêt étant tout simplement un acte qui constate le non-paiement du montant de la traite;
Que l’argument tiré de la déchéance en application des art. 147 et 157 de la loi du 28 août 1996 relative aux instruments de paiement est tout autant mal fondé, dans la mesure où, en application de l’alinéa 2 de l’article 157, la déchéance n’a lieu à l’égard du tireur que s’il prouve avoir fait provision à l’échéance, ce que CISSE ne prouve, ni n’offre de prouver;
Attendu qu’il résulte de tout ce qui précède, des lettres de change et de l’acte de protêt produits aux débats, que la demande de la SIEPA est fondée;
Qu’il échet, en conséquence, de condamner le sieur CISSE à lui payer la somme de 1.985.199 FCFA;
Attendu que le sieur CISSE a succombé; qu’il y a lieu de mettre les dépens à sa charge.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et sur opposition;
EN LA FORME
– Reçoit l’opposition de Serigne CISSE.
AU FOND
– Déclare Serigne CISSE débiteur à l’égard de la SIEPA de la somme de 1.985.199 FCFA);
– Le condamne à lui payer ladite somme;
– Met les dépens à sa charge.
Ainsi fait, jugé et prononcé, les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé le Président et le Greffier./.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Si la décision rapportée ci-dessus n’appelle aucune observation critique sur l’application des articles 147 et 157 de la loi du 28 août 1996 sur les instruments de paiement (), elle appelle des réserves sur la manière laconique dont les exceptions invoquées par le débiteur ont été rejetées.
Le demandeur à l’opposition prétendait que les articles 4 et 8 de l’AUVE avaient été violés par le demandeur à l’injonction, en ce que la requête ne comportait pas la profession du débiteur ni la somme précise de ce qu’il devait avec le décompte des différents éléments de la créance; que la forme juridique de la SIEPA (personne morale) n’était pas précisée (article 4 AUVE); par ailleurs, la signification de l’ordonnance d’injonction ne comportait pas l’indication précise des intérêts (article 8), la sanction prévue pour ces omissions étant l’irrecevabilité de la requête (article 4) et la nullité de la signification (article 8).
Pour rejeter ces exceptions, le tribunal emploie un raisonnement spécieux. Il a considéré, en effet, que l’opposition a pour effet d’anéantir l’ordonnance d’injonction et de saisir le tribunal de la demande initiale en paiement, ce qui n’est pas tout à fait exact. L’opposition n’a pas pour effet d’anéantir l’ordonnance d’injonction de payer, mais de la réexaminer, en la forme et au fond, pour en décider le maintien ou la rétractation. Mais en réalité, le tribunal n’a examiné que le fond de l’affaire et pour juger que la créance qui avait motivé l’ordonnance était fondée. Il s’est abstenu d’examiner la régularité, en la forme, de la requête et de la signification et les arguments du créancier qui prétendait que ces irrégularités n’avaient causé aucun grief à son débiteur.
En réalité, la première irrégularité ne concernait que la requête et la sanction de l’irrecevabilité de celle-ci : en rendant son ordonnance d’injonction de payer, le juge avait déclaré implicitement recevable ladite requête, et c’est sur ordonnance que le tribunal de l’opposition devait apprécier sur le fond. Quant à la nullité de la signification, à supposer qu’elle fût reconnue, elle aurait eu pour résultat d’anéantir l’acte de signification lui-même et non l’ordonnance d’injonction qui serait restée intacte et qu’il faudrait réexaminer… sur le fond.
Le raisonnement était intuitivement bon, mais aurait mérité d’être développé.
1 Cette loi peut être dite « uniforme » dans la mesure où elle est empruntée à la Convention de Genève de 1930 sur les effets de commerce, qui avait été transposée dans le code de commerce, puis reprise par l’UEMOA, sous forme d’une loi modèle unique proposée et adoptée telle quelle par les Etats membres de l’Union. Aujourd’hui, ce texte est repris dans un projet de Règlement uniforme de l’UEMOA (équivalent d’un Acte uniforme de l’OHADA). Sur l'action du porteur négligent contre le tireur qui n'a pas fourni provision, voir Ohadata J-02-199.