J-02-203
voir Ohadata J-02-63, Ohadata J-02-78
code cima – rupture d’égalité entre les victimes d’accidentS de la circulation terrestre – violation de l’article 8 de la constitution du nigér – inconstitutionnalité des articles précités du code cima.
Article 229 CODE CIMA
Article 257 A 266 CODE CIMA
Les dispositions des articles 229 et 257 à 266 du code CIMA imposant aux victimes d’accidents de la circulation terrestre et aux juges qui les leur octroient, des indemnités forfaitaires ou barémisées ou plafonnées, tout en excluant de la réparation par les assureurs des responsables des dommages causés, certains chefs de préjudice, contreviennent aux principes du pouvoir et de l’indépendance des juges (articles 98 et 100 de la Constitution du Niger), du droit de chacun à un procès équitable (article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948; article 7 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981) et de l’égalité des victimes devant la loi (article 8 de la Constitution nigérienne du 9 août 1999).
En conséquence, ces dispositions doivent être considérées comme inconstitutionnelles, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par le requérant, notamment celui relatif à l’inconstitutionnalité du code CIMA pour violation de la procédure de ratification.
(Cour constitutionnelle du Niger, arrêt n° 2002-14/CC du 4 septembre 2002, Requête Ousmane Garba et Tanimoune Abdou).
République du Niger
Cour Constitutionnelle
ARRET N°2002-014/CC du 4 septembre 2002
La Cour Constitutionnelle statuant en matière d’exception d’inconstitutionnalité, en son audience tenue au palais de ladite Cour, le quatre septembre 2002, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
LA COUR CONSTITUTIONNELLE,
– Vu la Constitution du 09 août 1999;
– Vu la loi n°2000-11 du 14 août 2000 déterminant l’organisation, le fonctionnement et la procédure à suivre devant la Cour Constitutionnelle;
– Vu la requête en exception d’inconstitutionnalité en date du 22 juillet 2002 de Maître Yahaya Abdou, Avocat à la Cour, agissant pour le compte des sieurs Ousmane Garba et Tanimoune Abdou, cultivateurs demeurant à Mayahi;
– Vu l’ordonnance n°17-2002/PCC en date du 23 juillet 2002 du Président de la Cour Constitutionnelle portant désignation d’un rapporteur;
– Vu les autres pièces du dossier;
Après audition du rapporteur et en avoir délibéré conformément à la loi;
EN LA FORME
Considérant que par requête en date du 22 juillet 2002, enregistrée au greffe de la Cour le même jour sous le numéro 142, Maître Yahaya Abdou, Avocat à la Cour, Conseil des Sieurs Ousmane Garba et Tanimoune Abdou, cultivateurs demeurant à Mayahi, a saisi la Cour de céans en vertu des dispositions des articles 113 de la Constitution et 21 de la loi 2000-11 du 14 août 2000 déterminant l’organisation, le fonctionnement et la procédure à suivre devant la Cour Constitutionnelle aux fins de déclarer inconstitutionnel le code CIMA dans son ensemble, ou tout au moins les dispositions contenues en son livre II;
Considérant qu’il résulte des dispositions des articles 113 de la Constitution et 21 de la loi n°2000-11 du 14 août 2000 déterminant l’organisation, le fonctionnement et la procédure à suivre devant la Cour Constitutionnelle, que :
Toute personne partie à un procès peut soulever l’inconstitutionnalité d’une loi devant toute juridiction par voie d’exception.
Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour Constitutionnelle, décision qui doit intervenir dans un délai de trente (30) jours.
Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’alinéa ci-dessus est caduque de plein droit;
L’arrêt de la Cour Constitutionnelle établissant cette inconstitutionnalité est publié au Journal Officiel suivant la procédure d’urgence;
Considérant que le Tribunal Régional de Niamey a, dans son jugement n° 237 du 10 juillet 2002, ordonné un sursis à statuer jusqu’à la décision de la Cour Constitutionnelle;
Considérant que de tout ce qui précède, la requête de Maître Yahaya Abdou, Avocat à la Cour, remplit les conditions de forme prescrites à l’article 19 de la loi n°2000-11 du 14 août 2000 ci-dessus précitée; qu’il convient de la déclarer recevable.
AU FOND
Sur le premier moyen pris de la négation du pouvoir et de l’indépendance du juge.
Considérant que le titre V de la Constitution est intitulé du pouvoir judiciaire;
Que les articles 98 et 100 de la même Constitution sont ainsi rédigés :
Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
Il est exercé par la Cour Constitutionnelle, la Cour Suprême, les cours et tribunaux créés conformément à la présente Constitution.
Dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants et ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi.
Le Président de la République est garant de l’indépendance des juges.
Il est assisté par le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Considérant que l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 stipule que : « toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par le tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle »;
Que l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 dit que :
1.- Toute personne a droit à que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
a.- le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant des droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur;
b.- le droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente;
c.- le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix;
d.- le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale.
2.- Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue au moment où l’infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant.
Considérant que le requérant soutient que le code CIMA en son livre II intitulé : « les assurances obligatoires », notamment aux articles 229, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 263, 264, 265 et 266 méconnaît les principes et valeurs ci-dessus précités en ce qu’il enlève au juge tout pouvoir d’appréciation des causes qui lui sont soumises;
Que l’expert auquel un barème fonctionnel indicatif des incapacités en droit commun est fixé, duquel il ne peut se départir au risque de se voir censurer;
Que le juge n’a plus aucun pouvoir, aucune indépendance pour apprécier les causes qui lui sont soumises;
Qu’ainsi le code CIMA contrevient à la Constitution en ce qu’il fait échec au pouvoir judiciaire et à ses attributs;
Considérant par ailleurs que l’article 257 du code CIMA dispose que : « Les seuls préjudices susceptibles d’être indemnisés sont ceux mentionnés aux articles 258 à 266 »;
Considérant qu’en dehors des postes de préjudice limitativement énumérés par les articles 258 à 266, aucun préjudice ne peut donner lieu à indemnisation et les montants à allouer en fonction du préjudice subi sont fixés d’avance;
Considérant que le juge est tenu de statuer sur les postes de préjudice énumérés et allouer l’indemnité tel que prévu par le Code CIMA, même si par ailleurs il estime que le préjudice subi est sans commune mesure avec la somme prévue à sa réparation;
Qu’il s’ensuit que le pouvoir d’appréciation des causes à lui soumises et son intime conviction qui sont les attributs cardinaux de l’indépendance du juge se trouvent anéantis;
Considérant que, dans ces conditions, le code CIMA en ses articles 229, 257, 258, 259, 260, 261, 263, 264, 265 et 266, viole l’article 100 de la Constitution du 9 août 1999 et les principes des valeurs constitutionnelles définies aux articles 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981.
Sur le 2ème moyen pris de la négation du principe d’égalité des citoyens devant loi.
Considérant que l’article 8 de la Constitution stipule que : « La République du Niger est un Etat de droit;
Elle assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction de sexe, d’origine sociale, raciale, ethnique ou religieuse.
Elle respecte et protège toutes les croyances. Aucune religion, aucune croyance ne peut s’arroger le pouvoir politique ni s’immiscer dans les affaires de l’Etat.
Toute propagande particulariste de caractère régionaliste, racial ou ethnique, toue manifestation de discrimination raciale, ethnique, politique ou religieuse, sont punies par la loi.
Les étrangers bénéficient sur le territoire de la République, des mêmes droits et libertés que les citoyens nigériens, dans les conditions déterminées par la loi. »
Considérant que l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 dit que :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Que l’article 3 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 quant à lui dispose que :
1.- toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi;
2.- toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
Considérant que les articles 257, 259, 260 (b) et 264 du Code CIMA sont ainsi rédigés :
Les seuls préjudices susceptibles d’être indemnisés sont ceux mentionnés aux articles 258 à 266 (article 257);
La durée de l’incapacité temporaire est fixée par expertise médicale.
L’indemnisation n’est due que si l’incapacité se prolonge au-delà de huit jours.
En cas de pertes de revenus, l’évaluation du préjudice est basée :
– pour les personnes salariées, sur le revenu net (salaires, avantages ou primes de nature statuaire) perçu au cours des six mois précédant l’accident;
– pour les personnes non salariés disposant de revenus, sur les déclarations fiscales des deux dernières années précédant l’accident;
– pour les personnes majeures ne pouvant justifier de revenus, sur le SMIG mensuel.
Dans les deux premiers cas, l’indemnité mensuelle à verser est plafonnée à trois fois le SMIG mensuel. Le SMIG s’entend pour le pays sur le territoire duquel s’est produit l’accident (article 259).
Préjudice économique : ce préjudice n’est indemnisé que s’il est lié à l’attribution d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 50%.
L’indemnité est calculée :
– pour les salariés, en fonction de la perte réelle et justifiée;
– pour les actifs non salariés, en fonction de la perte de revenus établie et justifiée.
Dans tous les cas, l’indemnité est plafonnée à sept fois le montant du SMIG annuel du pays où s’est produit l’accident (article 260 b);
Que l’article 264 quant à lui stipule que : les frais funéraires sont remboursés sur présentation des pièces justificatives et dans la limite du SMIG annuel;
Considérant que la notion de discrimination (rupture d’égalité des citoyens devant la loi) englobe d’ordinaire les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu’un autre;
Considérant qu’il est de jurisprudence constante que les principes constitutionnels d’égalité des citoyens devant la loi sans distinction de sexe, d’origine sociale, n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre les catégories de personnes, si elle repose sur des critères objectifs et raisonnablement justifiés;
Considérant que de l’examen du livre II du Code CIMA, notamment en ses articles 259, 260 (b) et 264, il ressort que les victimes d’accident de la circulation sont indemnisées en fonction non pas de l’étendue du préjudice subi, mais en fonction de leurs revenus et de leur position sociale, c’est-à-dire personne salariée, non salariée, exerçant des activités commerciales et autres;
Considérant qu’en tenant compte des critères et de position sociale pour le calcul des indemnités dues aux victimes d’accident, le livre II du (code) CIMA en ses articles 257, 259, 260 (b) et 264 crée une rupture d’égalité entre les victimes et viole, par conséquent, l’article 8 de la Constitution du 9 août 1999 et les principes de valeur constitutionnelle contenus aux articles 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et 3 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981;
Considérant qu’il n’est point besoin pour la Cour d’examiner les autres moyens invoqués par le requérant, notamment celui relatif à l’inconstitutionnalité du Code CIMA pour violation de la procédure de ratification.
PAR CES MOTIFS
Vu les textes susvisés;
Déclare recevable la requête de Maître Yahaya Abdou, Avocat à la Cour, Conseil des Sieurs Ousmane Garba et Tanimoune Abdou, cultivateurs demeurant à Mayahi;
Déclare que les articles 229, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 263, 264, 265 et 266 du code CIMA ne sont pas conformes à la Constitution du 9 août 1999;
Dit que le présent arrêt sera notifié au requérant et publié au Journal Officiel de la République du Niger selon la procédure d’urgence;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour Constitutionnelle, les jour, mois et an que dessus;
Où siégeaient MM. Elhadj Sani Koutoubi Président, Lawan Oumara Grema Ari, Vice-Président, Abdou Inazel Abderahamane et Badroum Mouddour, conseillers; en présence de Monsieur Hamado Mohamed, Greffier en Chef;
Ont signé le Président et le Greffier Chef.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Voir les observations de Justin N’JAPOU (Ohadata J-02-63) et Joseph ISSA-SAYEGH (Ohadata J-02-78).