J-02-21
DROIT DE RETENTION – CAUTIONNEMENT EN FAVEUR D'UNE BANQUE CREANCIERE – CAUTION TITULAIRE D'UN COMPTE PERSONNEL DANS LA BANQUE – DROIT DE LA BANQUE DE RETENIR LE SOLDE CREDITEUR DU COMPTE (oui).
Une banque, créancière d'une société cautionnée par une personne titulaire d'un compte personnel chez elle, peut refuser de payer un chèque émis par la caution et tiré sur ce compte à son propre bénéfice et retenir le solde créditeur de ce compte, un lien de connexité existant entre le compte personnel de la caution et la créance de la banque.
(Cour d’appel d’Abidjan, arrêt n° 321 du 7 mars 2000, Djiriga Diahi c/ SGBCI, Revue Ecodroit, AIDD, n° 1, juillet-août 2001, p.35. – Ohada jurisprudences nationales, n° 1, décembre 2004, p. 109).
COUR D'APPEL D'ABIDJAN
ARRÊT N°321 du 07 mars 2000
LA COUR
Vu les pièces du dossier;
Oui les parties en leurs conclusions;
Ensemble l'exposé des faits procédure, prétentions et moyens des parties et motifs ci-après;
Suivant exploit du 31 janvier 2000, monsieur Djiriga Diahi a relevé appel de l'ordonnance n° 3897/99 rendue le 16 août 1999 par la juridiction présidentielle du Tribunal d'Abidjan qui en la cause l'a débouté de son action;
Monsieur Djiriga expose qu'il a ouvert dans les livres de la SBGCI un compte titre n° 111 245 035 24 créditeur à ce jour de 7 671 944 francs;
II ajoute que la banque s'est opposée au paiement d'un chèque de guichet émis par lui même au motif qu'aucun retrait ne pouvait se faire directement sur ce compte et que tout mouvement devait transiter par le compte principal qui est lui-même comme tous ses engagements globaux, au contentieux;
Monsieur Djiriga contestant un tel procédé, fait valoir que le compte litigieux est son compte personnel et aucune convention n'existe entre les parties, liant ce compte à un autre; il précise que ce compte appelé compte principal a été ouvert au nom de la société EGEFROBA;
Dés lors il estime que le refus de la banque de payer un chèque tiré sur son compte personnel ne se justifie pas;
II sollicite en conséquence l'infirmation de l'ordonnance déférée et demande à la Cour d'ordonner à la SGBCI d'autoriser le retrait et ce, sous astreinte comminatoire de un million de francs par jour de retard;
La SGBCI pour sa part explique qu'elle est en relations d'affaires avec Monsieur Djiriga depuis 1973.
A ce titre, précise-t-elle, Monsieur Djiriga a ouvert divers comptes pour les activités de la société Egefroba dont il est le gérant et s'est porté caution à hauteur de 50 millions de francs pour la garantie de la bonne exécution des obligations nées desdits comptes.
Poursuivant, la SGBCI fait observer qu’elle a initié devant le juge du fond une procédure en paiement contre la société EGEFROBA et Monsieur Djiriba débiteurs de près de 3000 millions de francs;
Elle ajoute qu’elle se prévaut de l’article 41 de l’acte uniforme du traité OHADA sur les sûretés qui accorde au créancier un droit de rétention sur les biens du débiteurs jusqu’à complet paiement;
DES MOTIFS
Il résulte des pièces produites que le compte litigieux a été ouvert au nom de monsieur Dijiria Diahi;
Cependant il est constant que monsieur Dijiria Diahi s’est porté caution des engagements de la société EGEFROBA à hauteur de 50 millions de francs. Par ailleurs, les pièces produites, notamment le rapport d’expertise du Cabinet fiduciaire d’expertise comptable de Côte d’Ivoire révèlent l’existence d’une créance de certaine liquide et exigible au profit de la SGBCI; dès lors il est incontestable que celle-ci, en sa qualité de créancière détenant légitimement un bien de débiteur, peut exercer le droit de rétention institué par l’article 41 de l’acte uniforme du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés;
Le lien de connexité exigé par l’article 42 du même acte est établi compte tenu des relations d’affaires existant entre les parties;
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le premier juge a débouté monsieur Dijiria Diahi de sa demande;
Il convient par substitution de motifs, de confirmer l’ordonnance attaquée;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement en matière civile et commerciale et en dernier ressort;
EN LA FORME :
Reçoit Dijiria Diahi en son appel;
Au fond :
L’y dit cependant mal fondé
L’en déboute;
Confirme l’ordonnance querellée;
Le condamne aux dépens;
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour d’appel d’Abidjan, les jours, mois et an que dessus.
Et ont signé le Président et le Greffier./.
OBSERVATIONS de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur, Consultant
Le client d'une banque, titulaire d'un compte personnel auprès de celle-ci, à qui il a donné sa caution (à hauteur de 50 millions de francs) pour garantir les dettes d'une société (dont il était gérant) envers cet établissement financier, tire un chèque (dont le montant n'est pas précisé dans la décision) sur son compte, que la banque refuse d'honorer en invoquant son droit de rétention sur le solde créditeur (7 671 944 francs) de ce compte.
La caution actionne la banque (en référé) pour obtenir le paiement de ce chèque; il est débouté de sa demande en première instance et en appel. La Cour d'appel approuve la banque d'avoir exercé son droit de rétention en application de l'article 41 AUS. Au soutien de sa décision, la Cour d'appel retient le motif qu'en vertu d'un rapport d'expertise, il est démontré l'existence d'une dette certaine, liquide et exigible en faveur de la banque et qu'il existe un lien de connexité entre sa créance et le compte personnel de la caution compte tenu des relations d'affaires entre les parties.
Le laconisme de cette motivation suscite des réserves sur ces deux points.
1. Sur l'existence d'une créance certaine, liquide et exigible en faveur de la banque.
En premier lieu, rien dans l'arrêt de la Cour ne permet de convaincre le lecteur de l'existence d'une créance certaine, liquide et exigible au profit de la banque, et on ne peut croire cette juridiction sur parole même si elle s'appuie sur un rapport d'expertise qui n'a pas l'autorité de la chose jugée. Tout au plus, ce rapport pourrait-il justifier des mesures conservatoires. En outre, dire qu'une telle créance existe au profit de la banque ne suffit pas : encore faut-il indiquer à l'encontre de qui cette créance existe. On relève néanmoins que la caution ne paraît pas avoir contesté la créance de la banque à son encontre, ce qui a vraisemblablement autorisé la Cour d'appel à déduire que cette créance existait, et était certaine, liquide et exigible. Encore fallait-il, si c'était cette dernière raison qui avait déterminé sa décision, qu'elle le dît.
2. Sur le lien de connexité.
Sur le lien de connexité, la caution faisait valoir que le compte litigieux était son compte personnel et qu'aucune convention n'existait entre les parties liant ce compte à un autre; elle précisait que cet autre compte (appelé compte principal) avait été ouvert au nom de la société EGEFUBRA (le débiteur garanti) avec lequel il n'avait aucun lien. En réponse, la Cour d'appel, par une formule laconique et lapidaire, juge que "le lien de connexité exigé par l'article 42 AUS est établi compte tenu des relations d'affaires existant entre les parties ». Ce laconisme relève plus de l'affirmation péremptoire que de la motivation.
1 On croit pouvoir comprendre de cet exposé des faits que la caution prétendait qu'il n'y avait aucun lien entre son compte personnel et celui ouvert au nom du débiteur principal.