J-02-22
CAUTION EXIGEE PAR UNE LOI NATIONALE ANTERIEURE A L'ACTE UNIFORME SUR LES SURETES – ARTICLE 150 AUS – APPLICATIONS DE L'ACTE UNIFORME (OUI).
CAUTIONNEMENT – NON RESPECT DES FORMES PREVUES PAR L'ACTE UNIFORME RELATIF AUX SURETES – NULLITE (OUI).
EXERCICE DE L'ACTION EN NULLITE PREVUE PAR LE DEBITEUR CAUTIONNE – INTERET POUR AGIR (OUI) – RECEVABILITE DE L'ACTION EN NULLITE (OUI).
Si le décret 95-637 du 23 Août 1995 crée une obligation de constituer caution à la charge des exportateurs de café-cacao, il n'en précise pas les formes qui demeurent soumises à l'Acte uniforme sur les sûretés.
Les actes de cautionnement critiqués ayant été établis les 6 octobre et 18 novembre 1998, ils sont soumis à l'Acte uniforme sur les sûretés entré en application le 1er janvier 1998 (article 150 AUS).
Le débiteur garanti, bien que tiers au contrat de cautionnement a intérêt pour agir en nullité contre cette convention.
Article 150 AUS
(Tribunal 1ère Instance Abidjan, jugement n° 31 du 22 mars 2001, CSSPA c/ Sté Afrocom, Ecobank et BACI, Revue Ecodroit n° 1, juillet 2001, p. 39)
TRIBUNAL DE 1ERE INSTANCE D’ABIDJAN
Jugement N°31 du 22 mars 2001
LE TRIBUNAL
Vu les pièces du dossier;
Oui les parties en leurs moyens fins et conclusions
Le Ministère Public en ses réquisitions écrites du 07 juin 2000 Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Exposé du litige :
Attendu que par exploit d'huissier de justice en date du 29 novembre 1999 La société Afrocom a assigné Ecobank Côte d'Ivoire, la Banque Atlantique de Côte d'ivoire et la Caisse de Stabilisation et de soutien des prix des produits agricoles d'avoir à comparaître par devant le Tribunal de céans pour s'entendre déclarer :
Recevable et bien fondée en son action;
Déclarer nuls et de nuls effets avec toutes conséquences de droit, les actes de caution postérieurs et la BACI au profit de la Caisse de Stabilisation;
Ordonner l'exécution provisoire de la décision;
Condamner les défendeurs aux dépens;
Attendu qu'au soutien de son action, la société Afrocom expose que dans le cadre de ses activités d'exportation de Café-cacao et conformément à la réglementation en vigueur, elle a été amenée à constituer des cautions bancaires d'un montant minimum de 100 000 000 F/CFA;
que Ecobank-CI et la BACI ont accepté de lui fournir cette caution les 06 octobre et 18 novembre 1998 pour le terme du 30 septembre 1999; qu'à la suite de différend son agrément d'exportateur lui a été retiré par arrêté ministériel n° 23 juin 1999;
Que cette décision administrative fait l'objet d'un recours à l'effet d'obtenir son retrait; que sur le fondement de l'arrêté précité, la Caisse de Stabilisation et de soutien des produits agricoles a appelé la caution Ecobank à payer la somme de 100 000 000 Fcfa correspondant à son engagement du 06 octobre 1998;
Attendu que la société Afrocom fait valoir en droit que les actes de caution donnés au profit de la Caisse de stabilisation étant postérieurs au 1er janvier 1988, le traité OHADA relatif aux sûretés s'appliquent; que les alinéas 1 et 2 disposent que le cautionnement ne se présume pas, quelque soit la nature de l'obligation garantie;
A peine de nullité, il doit être convenu de façon expresse entre la caution et le créancier; le cautionnement doit être constaté dans un acte comportant la signature des deux parties et la mention écrite de la main de la caution, de la somme maximale garantie, en toutes lettres et en chiffres;
Que le Tribunal constatera que les différentes formalités n'ont pas été accomplies de sorte que les actes de caution sont nuls et de nuls effets; qu'il s'en suit que Ecobank et la BACI ne se sont jamais engagées au profit de la caisse de stabilisation;
Attendu que Ecobank et la BACI expliquent qu'elles s'en remettent à la décision du Tribunal car leur engagement étant nul, elles doivent observer la plus stricte prudence afin de ne pas payer deux fois pour avoir mal payé;
Attendu que pour sa part, la Caisse de Stabilisation soulève in limine titis l'irrecevabilité de la demande de Afrocom au motif que celle-ci n'a pas qualité pour agir parce qu'elle est tiers à la convention de cautionnement entre les banques et la Caisse de stabilisation;
Que subsidiairement au fond, elle soutient la validité des cautions données car la caution litigieuse est une création spécifique à travers la convention de fonctionnement de 1996, ce par décret 95-637 du 23 Août 1995; Que cette sûreté étant antérieure à l'acte uniforme reste régie par la loi nationale en vertu de l'article 150 du traité OHADA;
Que dés lors, elle échappe au champ d'application du traité OHADA; Que par ailleurs, la nullité soulevée est relative car créée dans l'intérêt du créancier et de la caution; Que celui qui l'invoque doit démontrer le préjudice qu'elle lui cause; que ce faisant, Afrocom doit être déboutée de son action;
Attendu qu'en réplique Afrocom fait valoir qu'elle a qualité pour agir étant donné qu'elle est débitrice principale; Que si la caution paie en ses lieu et place, il est évident qu'elle va se retourner contre elle; Qu'elle sollicite que son action soit déclarée recevable; Que le traité OHADA est bien applicable en l'espèce. Que si la convention prévoit la caution demeure régie par la loi applicable; Que cette loi n'ayant pas été respectée, les actes de cautionnement sont nais alors et surtout qu'un décret ne peut déroger à une norme supérieure;
Que les matières qui échappent au domaine d'application du traité OHADA ont été prévues à son article 150; Que dès lors le Tribunal fera droit à sa demande et annulera les actes de caution;
Attendu que par conclusions en date du 07 juin 2000, le Ministère Public s'en est rapporté à la justice;
SUR CE
Attendu que toutes les parties ont fait valoir leurs moyens;
Qu'il convient de rendre une décision contradictoire
Exposé DES MOTIFS
EN LA FORME
Attendu que s’il est vrai que la société Afrocom est tiers au contrats de cautionnement liant les banques à la caisse de stabilisation, il n’en demeure pas moins qu’en sa qualité de débitrice principale elle a intérêt à contrôler la régularité des actes de caution ce d’autant qu’elle sera tenue de payer les sommes que la caution aura payées en ses lieu et place; Qu’il s’ensuit que la société Afracom a qualité pour agir;
Qu’il convient de rejeter cette fin de non recevoir et de déclarer l’action recevable;
AU FOND
Attendu que les actes que le décret n°95-637 du 23 août 1995 crée une obligation de constituer une caution à titre de garantie en matière d’exportation de café-cacao, il n’est pas contestable que ledit décret ne précise pas les formes de la caution, lesquelles demeurent soumises à la loi;
Attendu que les actes de caution dont la nullité est invoquée ont été établis les 6 octobre et 18 novembre 1998; que le traité OHADA relatif aux sûretés étant entré en vigueur le 01 janvier 1998, il est manifeste qu’il est applicable aux actes litigieux conformément à l’article 150 alinéa 1 de l’acte uniforme;
Attendu que l’article 4 de l’acte uniforme précité dispose que le cautionnement ne se présume pas. A peine de nullité il doit être convenu de façon expresse entre la caution et le créancier. Le cautionnement doit être constaté dans un acte comportant la signature des deux parties et la mention écrite de la main de la caution, de la somme maximale garantie en toute lettres et en chiffre en cas de différence, le cautionnement vaut pour la somme exprimée en lettre;
Attendu que les actes de caution critiquées ne comportent ni la signature de la bénéficiaire, ni la mention écrite de la main de la caution de la somme maximale garantie;
Que dès lors, ils sont nuls et de nul effet;
Attendu que les conditions d’application des articles 145 et 146 du code de procédure civile commerciale et administrative relatifs à l’exécution provisoire ne sont pas remplies qu’il n’y a donc pas lieu à exécution provisoire;
Attendu que les défenderesses succombent; qu’il y a lieu de les condamner aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière commercial et en premier ressort;
Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir soulevée par la Caisse de stabilisation;
Reçoit la Société Afrocom en son action;
Déclare nuls effet les actes de caution fournis par Ecobank Côte d’Ivoire et la Banque Atlantique Côte d’Ivoire au profit de la Caisse de stabilisation et de soutien des prix des produits agricoles;
Dit que l’exécution provisoire ne se justifie pas en l’espèce;
Condamne les défenderesses eux entiers dépens
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur, Consultant
L'article 4 AUS dispose que le cautionnement ne se présume pas. A peine de nullité, il doit être convenu entre la caution et le créancier, constaté dans un acte comportant la signature des deux parties et la mention écrite de la main de la caution de la somme maximale garantie en toutes lettres et en chiffres; en cas de différence, le cautionnement vaut pour la somme exprimée en lettres.
En l'espèce, les actes de cautionnement ne comportaient pas la signature du créancier bénéficiaire de la garantie, ni la mention écrite de la main de la caution de la somme maximale garantie.
En application de l'article 4 AUS, la nullité de ces actes était encourue. Pourquoi une telle nullité? Ces actes échappent-ils à l'acte uniforme sur les sûretés? Le débiteur garanti avait-il le droit d'exercer l'action en nullité?
Pourquoi la nullité?
La nullité sanctionne le défaut de signature des deux parties, l'une et l'autre, l'une ou l'autre. Cette disposition sanctionne en fait l'absence de contrat si l'une ou les deux parties ne signe(nt) pas, c'est à dire ne donne(nt) pas son ou leurconsentement; en fait, elle sanctionne l'inexistence de l'acte de cautionnement qu'elle considère comme un acte bilatéral.
La nullité sanctionne également le défaut d'indication, par la caution, de la somme maximale garantie. Cette exigence de l'Acte uniforme est motivée par la volonté du législateur OHADA d'éviter les interminables querelles sur le montant de la dette garantie opposant les parties (principal seulement? Principal outre les accessoires? Quels accessoires?) et les surprises fâcheuses pour la caution.
Les parties au contrat de cautionnement seront avisées, surtout s'il s'agit de professionnels du crédit, de prêter une grande attention à cette double exigence.
Les actes de cautionnement étaient-ils soumis à l'AUS?
Les actes de cautionnement avaient été établis les 6 octobre et 18 novembre 1998, alors que l'acte uniforme était entré en vigueur le 1er janvier 1998.
Néanmoins, la CSSPA, bénéficiaire du cautionnement, prétendait, pour les soustraire à l'Acte uniforme, que ces actes provenaient d'une convention de fonctionnement de 1996, et que le cautionnement légal des exportations de café-cacao trouvait sa source dans le décret 95-637 du 23 août 1995.
Le tribunal rejette ce moyen au motif que le décret de 1995 créant une obligation de cautionnement sans en préciser les formes, c'est "la loi" qui s'applique; or, cette loi est l'Acte uniforme sur les sûretés en application de l'article 150 de cet Acte (et non le traité OHADA comme cela est écrit dans le jugement. Cette juridiction a raison, mais qu'il nous soit permis d'ajouter à sa solution les observations suivantes. Si l'Acte uniforme sur les sûretés de l'OHADA est applicable à l'espèce, c'est parce que :
l'article 4, dernier alinéa dispose que cet Acte s'applique aussi bien aux cautions contractuelles, légales que judiciaire;
si le décret 95-637 du 23 août 1995 avait créé des formes spéciales ou différentes de celles de l'Acte uniforme, c'est celui-ci qui l'emporterait en cas de contradiction entre les dispositions de ces deux textes, en raison de la supranationalité des Actes uniformes (voir Ohadata J-02-04);
lorsque l'article 150 AUS dispose que cet Acte ne s'applique pas aux sûretés constituées ou consenties avant le 1er janvier 1998, il vise la date de la confection du contrat de cautionnement et non celle du texte législatif ou réglementaire créant une obligation de cautionner.
Le débiteur garanti avait-il un intérêt pour agir en nullité?
Non, selon la CSSPA (créancier); oui selon le débiteur garanti à qui le Tribunal donne raison au motif qu'il a intérêt à contrôler la régularité des actes de caution, d'autant plus que la caution serait amenée à payer en ses lieux et place.
Cet argument ne convainc pas. En effet, il n'y a aucun préjudice à ce qu'une caution paye en lieu et place du débiteur garanti dès lors que la dette de ce dernier est certaine, liquide et exigible (donc aucun intérêt à agir en nullité pour l'éviter) payent la dette et se retourne, ensuite, contre le débiteur si son paiement a été utile. Elle peut même le faire en dehors du cautionnement, en qualité de gérant d'affaires d'autrui, voire en tant que responsable de la nullité ayant causé un préjudice au créancier.
En effet, la CSSPA ne peut-elle reprocher à Ecobank et à CABI, professionnels du crédit, une méconnaissance aussi grossière de la loi nouvellement applicable, et engager leur responsabilité (contractuelle? délictuelle?). A quoi, d'ailleurs, celles-ci pourraient faire le même reproche, ce qui pourrait aboutir à un jugement de Salomon. Quoiqu'il en soit, si pour cause de responsabilité, les "cautions" étaient amenées à payer la dette d'autrui (Société Afrocom), elles pourraient se retourner contre lui, sauf si le paiement n'était pas utile (exceptions personnelles).