J-02-32
UEMOA – ENTENTES ILLICITES – ABUS DE POSITION DOMINANTE – AIDES PUBLIQUES AUX ENTREPRISES – COMPETENCE NORMATIVE EXCLUSIVE DE L'UEMOA – ARTICLES 88 A 90 DU TRAITE DE L'UNION.
Les matières visées par les articles 88 à 90 du Traité de l'UEMOA (ententes illicites, abus de position dominante, aides publiques aux entreprises) sont de la compétence exclusive de l'Union.
Article 88 TRAITE de l'UEMOA
Article 89 TRAITE de l'UEMOA
Article 90 TRAITE de l'UEMOA
(Cour de justice, avis n° 3/2000 du 27 juin 2000, Observations de Joseph ISSA-SAYEGH et Michel Filiga SAWADOGO, Professeurs agrégés).
AVIS N°003/2000 du 27 Juin 2000
Le Président de la Commission de l'UEMOA a saisi la Cour de Justice de I'UEMOA par lettre n° 1886/PC/DPCD/DCC/499, du 26 mai 2000 dont la teneur suit :
« Monsieur le Président,
L'article premier du Protocole additionnel n°1 relatif aux Organes de contrôle de l'UEMOA charge la Cour de Justice de veiller « au respect du droit quant à l'interprétation et à l'application du Traité de l'Union ».
Lors des travaux de l'atelier sur le projet de législation communautaire de la concurrence à l'intérieur de l 'Union, qui s'est tenu au siège de la Commission du 10 au 14 avril 2000, des divergences de vue sont apparue entre la Commission et les experts des Etats membres, quant à l'interprétation des dispositions au Traité relatives aux règles de concurrence, en ce qui concerne la coexistence, des législations nationales et de la législation communautaire en matière de concurrence.
Sur cette question, la Commission considère qu'aux termes des articles 88, 89 et 90 du Traité, l'union a compétence exclusive pour légiférer dans les trois domaines couverts par le Traité en matière de concurrence, à savoir les ententes, les abus de position dominante et les aides d'Etat. Pour elle, les législations nationales ne peuvent porter que sur les autres domaines de la concurrence non couverts par le Traité, la concurrence déloyale par exemple.
Quant aux Expert des Etats membre, ils estiment que la législation communautaire doit coexister avec les législations nationales, pourvu que les dispositions de ces dernières soient conformes au Droit communautaire; en cas de conflit, la primauté va à la législation communautaire.
Aussi, saurais-je gré à la Cour de Justice de dire le droit, sur la portée des articles 88, 89 et 90 du Traité de l'Union, relativement à ce point de divergence, afin de permettre à la Commission de finaliser le projet de législation communautaire de la concurrence.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma parfaite considération.
Younoussi TOURE
Le Commissaire chargé de l'intérim »
La Cour, siègeant en Assemblé Générale Consultative sous la Présidence de Monsieur Mouhamadou Moctar MBACKE, assurant l'interim du Président de la Cour de Justice de l'UEMOA, sur son rapport, en présence de Messieurs :
Youssouf ANY MAHAMAN, Juge à la Cour
Martin Dobo ZONOU, Juge à la Cour
Daniel Lopes FERREIRA, Juge à la Cour
Malet DIAKITE, Premier Avocat Général à la Cour
Kalédji AFANGBEDJI, Avocat Général
et assistée de Monsieur Raphaël P.OUATTARA, Greffier de la Cour, a examiné en sa séance du 27 Juin 2000, la demande ci-exposée.
LA COUR
Vu le Traité de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en date du 10 Janvier 1994;
Vu le Protocole additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle de l'UEMOA;
Vu l'Acte additionnel n°10/96/CM portant Statuts de la Cour de Justice de l'UEMOA;
Vu le Règlement n°01/2000/CDJ abrogeant et remplaçant le règlement n°1/196/CDJ relatif au Règlement Administratif de la Cour de Justice de l'UEMOA en date du 6 Juin 2000;
Vu la demande n°1886/PC/DPCD/DCC/499 du 26 mai 2000 du Président de la Commission de l'UEMOA;
L'objet de la consultation, tel qu'il ressort de la lettre précitée n°1886/DPCD/DCC/499 du 26 mai 2000, peut être considéré comme fondé sur les disposition de l'article 27, dernier alinéa de l'Acte Additionnel n°10/96 portant statuts de la Cour de Justice et de l'article 15 7ème du Règlement de Procédures de ladite Cour, relatifs à la compétence consultative de la Cour saisie par les organes de l'Union, lorsque ces derniers rencontrent des difficultés dans l'application ou l'interprétation des actes relevant du Droit communautaire.
Cette requête peut donc valablement être examinée, toutes les conditions de recevabilité prescrites par les articles précités ayant dûment remplies.
I. EXPOSE DE L'OBJET DE LA CONSULTATION
Si l'on se réfère aux termes de la lettre précitée du Président de la Commission, il s'agit en substance d'une divergence d'interprétation des articles 88, 89 et 90 du Traité et plus précisément des dispositions des paragraphes a), b) et c)de l'article 88 du Traité de l'UEMOA.
En effet, se fardant sur les termes des articles 88, 89, et 90, la Commission soutient, sans du reste en administrer la preuve que l'Union a compétence exclusive pour légiférer dans les trois domaines visés par le Traité en matière de concurrence à savoir :
88 a) : Les ententes, associations et pratiques concertées
88 b) : Les abus de position dominante
88 c) : Les aides d'Etat;
Les domaines non régis par les régimes juridique susvisés, relèvent selon l'interprétation de la Commission, de la compétence résiduelle des Etats, et tel serait le cas de la concurrence déloyale par exemple.
Quant aux experts ces Etats, toujours selon la Commission, leur avis consiste à affirmer que :
1) La législation communautaire ne remet pas en cause l'existence et l'application du droit interne des Etats en matière de Droit de la concurrence qui va subsister.
2) Cette coexistence ne peut souffrir d'exception que lorsqu'il y a conflit entre les deux Droits ce qui va entraîner l'application du principe de primauté du Droit communautaire devant lequel le droit national va s'effacer.
II. DISCUSSION
Pour dégager un avis motivé sur l'objet de la consultation, il conviendrait au préalable, sur le plan méthodologique de :
a) Procéder, pour en appréhender les similitudes et les différences qui fondent leur sens et leur portée à un examen comparatif de la rédaction des textes d'interdiction en matière de concurrence dans le Traité de Rome par rapport à ceux sus indiqués de Traité de Dakar, qui s'est du reste, profondément inspiré du droit européen.
Car aussi bien dans le Traité de Rome que dans le Traité de Dakar, ces règles sur les atteinte à la concurrence par ententes, associations et pratiques concertées ou abus de domination ou aides d'Etat constituent les principes de base du Droit de la concurrence auxquels on se réfère pour caractériser tout acte anticoncurrentiel.
b) Circonscrire la notion de compétence en droit institutionnel communautaire; que recouvre cette notion? Quel est son contenu et ses différents aspect? C'est une fois ces préalables levés par la consolidation de leur fondement, que l'adaptabilité à ce canevas, des interprétations divergents sus exposées, laissera entrevoir l'option juridique qui paraîtrait la plus compatible avec les dispositions des articles 88 a), b) et c) du Traité de l'Union.
A/ DE L'EXAMEN COMPARTIF DES DISPOSITIONS DES DEUX TRAITES PRECITES EN MATIERE D'ACTES COLLECTIF ANTICONCURRENTIELS ET D'ABUS DE POSITION DOMINANTE
Les dispositions des articles 85 et 86 du Traité de Rome (81 et 82 du Traité de Maastricht) sont ainsi libellées :
Articles 85 : " Sont incompatible avec le Marché Commun et interdits, tous accords entre entreprises, toutes décisions d'association d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché Commun... ».
Article 86 : " Est incompatible avec le Marché Commun et interdit dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'être affecté, le fait pour une ou pour plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ».
Selon ce Traité, il y a donc deux conditions cumulatives pour que l'interdiction communautaire s'applique :
1) La restriction volontaire ou effective de la concurrence à l'intérieur du Marché Commun européen ou dans les limites géographiques de l'Union.
2) La susceptibilité d'affecter le commerce intercommunautaire c'est-à-dire entre les Etats membres de l'Union. L'accord, la Décision ou la pratique concerté ou l'abus doit pouvoir exercer une influence directe ou indirecte actuelle ou potentielle sur les courants d'échanges entres les Etats membres.
C'est l'association de ces deux critères qui, matériellement, limitent le champ d'application du Droit communautaire de la concurrence selon le Traité de Rome.
En revanche, si l'on se réfère au texte du Traité de Dakar, dont les articles 88 a) et b) contrairement aux articles 85 et 86 du Traité de Rome, sont ainsi libellés :
« Sont interdites de plein DROIT :
a) Les accords, associations et pratiques concertées entre entreprises, ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur de l'Union.
b) Toutes pratiques d'une ou plusieurs entreprises assimilables à un abus de position dominante sur le Marché commun ou dans une partie significative de celui-ci ».
L'interdiction faite selon ce Traité diffère fondamentalement de celle édictée par le Traité de Rome en ce sens qu'en l'espèce, il suffit que les accords, associations ou pratiques concertées ou l'abus de domination aient pour but ou pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur de l'Union, autrement dit, du Marché Commun dans ses limites géographiques et peu importe qu'ils affectent ou pas les échanges entres les Etats, pour que le Droit communautaire s'applique. Le seul fait de restreindre la concurrence à l'intérieur de l'Union et quel que soit le marché en cause et ses limites, constitue selon le Traité de l'UEMOA, une infraction communautaire au Droit de la concurrence.
Au regard de ce qui précède on constate que les Etats membre de l'Union européenne peuvent être régis par deux Droits de la concurrence :
1) Celui communautaire qui suppose non seulement une restriction de la concurrence à l'intérieur de l'Union mais encore une modification structurelle de l'état des relations commerciales entre Etats membres.
2) Celui national qui n'est appliqué que dans le cadre des limites territoriales et de souveraineté, de l'Etat membre et qui, à cause de son caractère infra communautaire est soumis en cas de conflit entre les deux Droits au principe de primauté sous l'emprise duquel il est tenu d'évoluer.
En ce qui concerne les Etats membre du Traité de Dakar, l'analyse exégétique des dispositions, laisse entendre que le Droit communautaire de l'UEMOA est un droit à vocation centralisateur en ce sens qu'il intègre dans son champ d'action tous accords, associations ou pratiques concertées ou abus de domination ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans l'espace communautaire. Le Traité de Dakar consacre ainsi un nivellement par le haut du marché de l’Union où les différents marchés nationaux sont confondus dans un marche unique qui ignore toute satisfaction des marchés nationaux et communautaires; en somme, il s'est produit en quelque sorte un processus de phagocytose du Droit national de la concurrence par le Droit communautaire qui exerce la plénitude de sa primauté par pure substitution.
Le contexte conceptuel de ce droit vient renforcer l'option non équivoque des rédacteurs du Traité de Dakar, qui ont entendu manifestement se détacher de la conception de la double barrière adoptée par le droit européen. C'est ainsi que contrairement à l'article 92 du Traité de Rome, relatif aux aides d'Etats qui reprend la notion constitutive « d'affectation du commerce entre Etats », l'article 88 c) du Traité de l' UEMOA, quant à lui, parle simplement « d'aides susceptibles de fausser la concurrence »), de même le Traité de Dakar, contrairement à ce qui est prévu à l'article 87, paragraphe 2 e) du Traité de Rome, n'a pas cru devoir charger la Commission de définir les rapports entre les législations nationales et le Droit communautaire de la concurrence, sans doute à cause de la compétence exclusive réservée à l'Union en matière de Droit de la concurrence compris comme partie intégrante du Marché Commun de l'UEMOA.
Il est certain qu'une telle conception du Droit communautaire de la concurrence peut comporter des avantages appréciables. Elle est de nature à simplifier les rapports qui pourraient naître entre les autorités communautaires chargées de la mise en oeuvre du Droit de la concurrence et les autorités nationales des Etats membres dans l'éventualité d'une application du Droit de la concurrence sur le territoire de l'Etat.
Le sens et la portée de deux Droits pourraient être différemment interprétés par les différentes autorités qui les appliquent. En outre la primauté du Droit communautaire et surtout les décisions d'exemption de la Commission pourraient faire peser des incertitudes sur l'efficacité réelle des activités des autorités administratives nationales appelées à appliquer voire interpréter séparément le Droit national et le Droit communautaire dont les limites ne sont pas toujours précises.
En effet, la manipulation de la notion d'atteinte au Droit de la concurrence réputée de géométrie variable, avec sa dimension nationale et sa dimension communautaire concernant un même objet, peut être source de confusion voire de dissension d'interprétation, toute chose préjudiciable à la bonne marche des affaires dont les premières victimes sont les entreprises, exposées qu'elles sont à un double contrôle opéré par des administrations différentes tant dans les buts poursuivis que dans leur manière d'opérer surtout lorsque les sanctions qui résultent de ces contrôles, peuvent se cumuler.
Les rédacteurs du Traité de Dakar ont, sans doute, tiré les leçons des difficultés rencontrées dans l'expérience européenne de l'application de la théorie de la double barrière qui a été consacrée judiciairement par un arrêt de la Cour de Justice du Luxembourg dans l'affaire 14/68 INAIJTWALT WILHEM C/ BUNDESXARTELLANT du 13 février 1969 Rec.1.
Dans cette décision, la Cour de .Justice du Luxembourg tolère que les autorités nationales puissent appliquer leur loi interne de la concurrence « sous réserve que cette mise en oeuvre du Droit national ne puisse porter préjudice à l'application pleine et uniforme du Droit communautaire et à l'effet des actes d'exécution de celui-ci ». Dans ce droit, la compétence de l'Union se limite au Droit de la concurrence, comprenant dans sa définition comme élément constitutif, l'affectation du flux des échanges entre Etats membres.
Il convient de relever également que ces autorités nationales, aux termes de l'article 9 du règlement n°17 du 9 février 1962 du Conseil, exercent à titre transitoire une compétence précaire et révocable en matière d'application du Droit communautaire de la concurrence, compétence qu'elles perdent, dés que la Commission prend une décision d'engagement d'instruire une affaire. C'est donc dire que l'application de cette double barrière par ses subtilités dans son fonctionnement paraît poser plus de problèmes qu'elle n'en résout, même sur le plan judiciaire où les juridictions nationales sont en mérite temps juges de droit commun du Droit communautaire de la concurrence en raison de l'effet direct de ses dispositions. L'existence ou l'éventualité de l'intervention d'exemptions par décisions de la Commission, lesquelles peuvent avoir pour effet de « légitimer » même en cours de procédure judiciaire certains comportements anticoncurrentiels viennent s'ajouter aux difficultés indiquées plus haut. Assurément, l'application du Droit communautaire de la concurrence présente une certaine originalité qui peut dérouter les autorités administratives et les juges nationaux. C'est pourquoi une certaine simplification voire homogénéisation du Droit de la concurrence pour rendre sa lecture plus limpide et sa pratique plus aisée ne peut être que souhaitable surtout à ce stade initiatique où même en droit interne, règne un certain syncrétisme dans la conception et l'application de ce droit au niveau des Etats membres.
B/ DE LA COMPETENCE RESPECTIVE DE L'UNION ET DES ETATS MEMBRES EN DROIT DE L'UEMOA
Les dispositions du Traité de l'UEMOA ne sont pas très explicites en matière de répartition des compétences entre l'Union et les Etats qui ont entendu transférer partie de leurs droits souverains au profit de la Communauté. Les principes en ce domaine sont dégagés de l'esprit et de la lettre des différentes dispositions du Traité, qui en effet, s'est en général contenté de mettre en évidence certains principes de base, de fixer des objectifs précis à l'Union dont notamment la réalisation de l'union douanière; plus précisément le Marché Commun, l'union économique dans un marché ouvert et concurrentiel, etc.
Pour ce faire, le Traité a mis à le, disposition des organes de l'Union, des instruments juridiques appropriés et vies techniques juridiques comme les directives et les prescriptions minimales pour l'accomplissement de ces missions, tout en prescrivant aux organes d'agir dans les limites des attributions à eux conférées et aux Etats d'apporter leur concours à la réalisation des objectifs définis et surtout de s'abstenir de prendre des mesures inhibitives de l'application du Traité et des actes pris en son application. C'est de l'appréciation de l'ensemble de ces dispositions qu'il a pu être déduit que le Traité constitutif Charte constitutionnelle de l'Union, a reconnu à la Communauté, des compétences d'attribution, à côté des compétences retenues des Etats membres.
Ces compétences d'attribution peuvent coexister avec des compétences portant sur le même objet reconnues aux Etats membre mais, exercées à l'échelle nationale parce que basées sur des faits et des techniques juridiques comme les directives et les prescriptions minimales, réputées n'avoir aucun objet communautaire ni d'effet susceptible d'influer sur les relations entre les Etats membre en somme, il s'agit de domaines strictement et purement nationaux qui laissent indifférentes les autorités communautaires. C'est ce principe de coexistence du Droit communautaire et du Droit national qui est d'application subsidiaire et interne que le droit européen a consacré en matière de Droit de la concurrence.
Quant à la compétence exclusive de l'Union, elle peut se lire à travers les dispositions du Traité notamment à l'exemple des articles 89 et 90 lorsque ces dernières instituent un régime juridique propre à la compétence attribué, détermines les actes juridiques utilisables à cette fin, organise les mécanismes de l'exercice de la compétence qu'il délimite en définissant la matière sur laquelle elle porte et désigne les organes de l'Union chargés de la mise en oeuvre de cette compétence voire leurs conditions de fonctionnement en la matière.
II y a donc compétence exclusive, lorsque la connaissance d'un certain domaine normatif d'intervention est réservée et aménagée pour un organe ou une organisation, seule habilitée à l'exercer dans un intérêt collectif. Elle a un caractère exceptionnel notamment dans le cadre communautaire où elle s'impose toutes les fois que le fait de laisser aux Etats, une capacité d'initiative dans le même domaine est incompatible avec l'unité du Marché Commun et l'application uniforme du Droit communautaire. Elle retire ainsi aux Etats membres tout droit de légiférer ou réglementer dans la matière faisant l'objet de la compétence exclusive sauf s'ils ont été dûment investis de ce pouvoir par l'Union. A l'analyse, l'organisation du Marché Commun apparaît comme le domaine privilégié de la compétence exclusive aux termes du Traité constitutif de l'UEMOA, le Droit de la concurrence en tant qu'élément constitutif du Marché Commun ne peut que lui emprunter son caractère de domaine relevant de la compétence exclusive de l'Union.
III. CONCLUSION
Si l'on part de ce principe de 1a Simple barrière qui correspondrait à l'option du Traité de Dakar, il faudra en tirer toutes les conséquences de droit notamment en ce qui concerne les rapports entre les Droits nationaux de la concurrence existants et le Droit communautaire émergent. Ce principe exclusiviste de la compétence ne permet pas aux Etats membres de légiférer de plein droit dans les matières de l'article 88 du Traité surtout lorsqu'il a pour objet ou effet quelconque de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le Marché Commun de l'Union, exception faite de prescriptions formelles des autorités communautaires les associant à l'exercice de cette compétence qui lui est dévolue. La concurrence déloyale, entendue comme agissements fautifs dans l'exercice d'une profession commerciale ou non, tendant soit à attirer la clientèle, soit à la détourner d'un ou plusieurs concurrents, entre dans ce cadre, lorsqu'elle prend des formes qui tombent sous le coup de l'article 88 a) et b).
Les Etats membre somme toute, compétents en toute exclusivité, pour prendre toutes dispositions pénales réprimant les pratiques anticoncurrentielles, les infractions aux règles de transparence du marché et même à l'organisation de la concurrence.
Dans cette perspective de la compétence exclusive retenue par le Traité de Dakar, deux hypothèses peuvent se présenter :
1) Celle où il a préexiste un Droit national, civil ou commercial de la concurrence dans l'Etat membre, antérieur à la mise en vigueur du Droit communautaire.
Dans ce cas de figure, ce Droit de la concurrence devient inapplicable même s'il subsiste matériellement, il se produit donc un mécanisme de substitution en faveur du Droit communautaire applicable de façon uniforme dans tous les Etats membres.
Le Droit pénal de la concurrence de ces Etats qui ont la compétence retenue en cette matière, devra en conséquence s'adapter au Droit communautaire pour caractériser les infractions pénalement punissables.
Désormais, toute initiative de ces Etats en matière de Droit de la concurrence devient en raison de la compétence exclusive de l'Union dans cette matière du Droit de la concurrence en tant que partie intégrante du Marché Commun, contraire aux engagement de l'Etat membre qui, aux termes de l'article 7 du Traité prescrivent aux Etats de s'abstenir de toutes mesures faisant obstacle à l'application du Traité de l'Union.
2) Celle où le Droit national, civil ou commercial de la concurrence, n'existe pas ou est en cours d'élaboration. Dans ce cas de figure, il n'y a aucune raison ni de droit ni de fait d'envisager ou de poursuivre l'élaboration d'un tel droit, dès lors que le Droit communautaire en vigueur est venu régir de façon impérative et uniforme ce domaine devenu du reste de la compétence exclusive : de l'Union. Toutefois, la répression pénale d'actes anticoncurrentiels reste de la compétence des Etats pourvu qu'elle soit compatible au Droit de la concurrence communautaire de l'Union.
En résumé si selon le principe de la double barrière, c'est le régime juridique de la coexistence des Droits nationaux et communautaire agissant sur un même objet mais dans des champs d'actions différents, qui prévaut, en revanche le principe de la simple barrière exclut la coexistence des deux Droits en faveur du régime de la substitution qui privilégie l'existence solitaire du Droit communautaire qui absorbe le Droit national de la concurrence dans son application uniforme. En tout état de cause, dans ce dernier cas, les services administratifs de la concurrence des Etats membres auront certainement une vocation à opérer une conversion dans l'objet et les mots d'exécution de leurs nouvelles missions de coopération avec les autorités communautaires.
Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour est d'avis :
Que les dispositions des articles 88, 89 et 90 du Traité constitutif de l'UEMOA relèvent de la compétence exclusive de l'Union.
Qu'en conséquence, les Etats membres ne peuvent exercer une partie de la compétence en ce domaine de la concurrence.
Et ont signé le Président par intérim rapport et le Greffier.
Ouagadougou, le 27 juin 2000
Et ont signé le Président et le Rapporteur
Suivent les signatures illisibles
Ouagadougou, le 20 juillet 2000
Rapahaël P.OUATTARA
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH et Michel Filiga SAWADOGO, Professeurs agrégés.
Lors des travaux de l'atelier sur le projet de législation communautaire de la concurrence à l'intérieur de l'UEMOA , une controverse est née entre la Commission et les experts des Etats membres sur le point de savoir s'il pouvait y avoir coexistence entre les législations nationales portant sur certains domaines de la concurrence et la législation communautaire ayant le même objet.
L'opinion de la Commission était qu'en vertu des articles 88, 89 et 90 de son Traité, l'UEMOA a compétence exclusive pour légiférer en matière d'ententes, d'abus de position dominante et des aides de l'Etat, les législations nationales ne pouvant porter que sur les autres domaines de la concurrence comme, par exemple, la concurrence déloyale. A l'inverse, les experts des Etats membres estimaient que la législation nationale communautaire à venir devait coexister avec les législations nationales à condition que ces dernières soient conformes au droit communautaire, étant entendu qu'en cas de conflit entre le droit national et le droit communautaire, la primauté devait aller à ce dernier.
Saisie par le Président de la Commission , la Cour de justice de l'UEMOA, siégeant en assemblée plénière consultative, a émis un avis sur cette question ainsi formulé en son dispositif :
– "les dispositions des articles 88, 89 et 90 du Traité constitutif de l'UEMOA "relèvent de la compétence exclusive de l'Union;
– " les Etats membres ne peuvent exercer une partie de la compétence en ce domaine "de la concurrence ».
Si la compétence de la Cour de justice pour donner un tel avis est incontestable (I), on peut regretter, par contre, qu'elle n'ait pas rendu un avis pertinent (II).
I. LA COMPETENCE DE LA COUR DE JUSTICE POUR DONNER DES AVIS EST INCONTESTABLE.
A ne lire que le Traité, on aurait pu douter de la compétence de la Cour de justice pour émettre des avis. En effet, le Traité (article 16) ne fait que citer cette juridiction parmi les organes de l'Union, l'article 38 précisant que le statut, la composition, les compétences ainsi que les règles de procédure et de fonctionnement de la Cour de justice et de la Cour des comptes sont énoncées par le Protocole additionnel n° 1, ledit Protocole faisant partie intégrante du Traité (article 39).
En se reportant au Protocole additionnel n° 1 relatif aux organes de contrôle de l'UEMOA, on ne relève, dans le chapitre 1 consacré à la Cour de justice, aucune disposition concernant la fonction consultative de cette juridiction. Certes, l'article 1er pose le principe selon lequel la Cour de justice veille au respect du droit quant à l'interprétation et à l'application du Traité de l'Union, mais les dispositions qui suivent pour préciser cette mission montrent, sans aucune ambiguïté possible, que celle-ci ne s'applique qu'à des situations contentieuses qui ne sont résolues que par des arrêts tranchant ces conflits. Il s'agit des contentieux suivants :
– les recours en manquement des Etats membres déterminés conformément aux articles 5 à 7 qui se concluent par des arrêts (article 6);
– les recours en appréciation de la légalité des règlements, directives et décisions (articles 8 à 11) qui se règlent également par des arrêts (article 10);
– les recours en réparation des dommages causés par les organes de l'Union ou par les agents de celle-ci dans l'exercice de leurs fonctions (article 15) qui ne peuvent se résoudre que par des arrêts;
– les litiges entre l'Union et ses agents (article 16) qui ne peuvent se résoudre que par des décisions mettant fin à ces litiges, c'est à dire par des arrêts;
– les différends entre Etats membres relatifs au Traité de l'Union si ces différends lui sont soumis en vertu d'un compromis (article 17); de tels différends ne peuvent trouver de solutions que par des arrêts;
– enfin, la Cour de justice statue, à titre préjudiciel , sur l'interprétation du Traité, sur la légalité et l'interprétation des actes posés par les organes de l'Union; sur la légalité et l'interprétation des statuts des organismes créés par un Acte du Conseil quand une juridiction nationale ou une autorité à fonction juridictionnelle est appelée à en connaître à l'occasion d'un litige (articles 12 à 14); ces recours à titre préjudiciel s'achèvent par des arrêts (article 14) puisque ses interprétations s'imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles dans l'Etat concerné..
Bien que le mot "arrêts" ne soit pas écrit dans certains des articles visés ci-dessus (articles 15, 16 et 17), l'article 20 lève tout doute à ce sujet en disposant, de façon générale, que "les arrêts de la Cour de justice ont force exécutoire conformément aux dispositions de son règlement de procédure" .
C'est dans l'Acte additionnel portant statuts de la Cour de justice qu'on peut lire (article 27) que la Cour peut émettre des avis et recommandations sur tout projet de texte soumis par la Commission; sur la compatibilité d'un accord international existant ou en voie de négociation, avec les dispositions du Traité de l'UEMOA; sur toute difficulté rencontrée dans l'application ou l'interprétation des actes relevant du droit communautaire. Enfin, le règlement des procédures de la Cour de justice prévoit la même compétence en son article 15-7.
En conclusion, la Cour de justice a compétence pour émettre des avis et recommandations sur tout projet de texte soumis par la Commission. Si cette compétence ne peut lui être déniée, on regrette qu'elle ne l'ait pas mise à profit pour émettre un avis pertinent sur une question aussi importante que celle qui lui a été posée.
II. LA COUR DE JUSTICE N'A PAS EMIS UN AVIS PERTINENT.
Il nous paraît que la Cour de justice n'a pas émis un avis pertinent pour deux raisons essentielles : la motivation de cet avis n'emporte pas la conviction; la rédaction de son dispositif est maladroite.
A. La motivation de l'avis est maladroite.
La Cour de justice se fonde exclusivement sur les articles 88, 89 et 90 du Traité et, plus particulièrement sur l'article 88, pour justifier la compétence exclusive de l'UEMOA pour légiférer en matière d'ententes et de positions dominantes. Cette démarche est erronée car l'article 88 contient une règle de droit substantielle posant une interdiction des ententes illicites, des abus de position dominante et des aides publiques; l'article 89 détermine, dans ces domaines, en faveur du Conseil des ministres, une compétence normative qui n'est pas exclusive; l'article 90 institue, en faveur de la Commission, un pouvoir d'application de la législation prévue par l'article 89.
Peut-être aurait-elle pu rechercher les fondements d'une compétence exclusive dans d'autres articles plus pertinents bien que, comme leur analyse le démontrera, ceux-ci ne sont pas d'un plus grand secours.
1. L'article 88 édicte une interdiction des ententes illicites, des abus de position dominante et des aides publiques.
L'article 88 dispose que "sont interdits, de plein droit :
a) les accords, associations et pratiques concertées entre entreprises ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur de l'Union ». Certes, cette interdiction pourrait se suffire à elle-même et entraîner directement la prohibition des ententes dès lors qu'elles ont pour but ou résultat de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.
b) "toutes pratiques d'une ou de plusieurs entreprises assimilables à un abus de position dominante sur le marché commun ou dans une partie significative de celui-ci »;
c) les aides publiques susceptibles de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
A la lecture de cet article, nous faisons deux observations.
On remarquera, en premier lieu, que si les ententes sont prohibées "à l'intérieur de l'Union" sans autre précision, les abus de position dominante le sont lorsqu'elles concernent le marché commun ou une partie significative de celui-ci, tandis que l'impact territorial des aides publiques requis pour justifier leur interdiction n'est pas précisé du tout. Si bien qu'il est bien audacieux, comme le fait la Cour de justice, dans sa motivation, d'inférer de cette rédaction la signification que l'article 88 donne compétence à l'UEMOA pour légiférer exclusivement aussi bien en droit national qu'en droit communautaire dans le domaine des ententes illicites, des abus de position dominante et des aides publiques.
En outre, ces interdictions étant faites en des termes très généraux, aucun de ces textes ne peut se suffire à lui-même pour produire effet direct et immédiat. D'où le recours nécessaire aux articles 89 et 90.
2. Les articles 89 et 90 donnent respectivement compétence réglementaire au Conseil des ministres et pouvoir de contrôle à la Commission en matière d'ententes, d'abus de position dominante et d'aides publiques.
Il est nécessaire de préciser ce qu'il faut entendre par restreindre ou fausser la concurrence, des pratiques assimilables à un abus de position dominante ou favoriser certaines entreprises ou productions. Il en est de même pour déterminer la portée territoriale de ces interdictions.
C'est pourquoi, l'article 89 prévoit que le Conseil arrête, par voie de règlement, les dispositions pour :
– faciliter l'application des interdictions énoncées à l'article 88;
– préciser ces interdictions et leurs exceptions ainsi que leurs sanctions (amendes, astreintes);
– déterminer les règles à suivre par la Commission dans l'exercice du contrôle de l'application de ce règlement.
Quant à l'article 90, il attribue compétence à la Commission, sous le contrôle de la Cour de justice, pour veiller à la bonne application de la réglementation édictée par le Conseil des ministres et de prendre des décisions. Il ne fait pas de doute que les auteurs de cet article ont voulu ériger la Commission de l'UEMOA en commission communautaire de la concurrence. Reste à savoir si la compétence de cette Commission se substituera aux commissions nationales ayant le même objet pour apprécier les ententes illicites, les abus des positions dominantes et les aides publiques faussant le jeu de la concurrence sur le plan national ou s'il y aura un partage de compétence territoriale entre elles selon que les entraves à la libre concurrence auront affecté les relations économiques d'un seul Etat ou entre Etats. Si l'article 90 ne fait pas une telle distinction pas plus qu'il ne l'interdit, on ne peut en inférer une compétence exclusive de contrôle au profit de la Commission de l'UEMOA. La ferait-il que cette compétence exclusive n'exclurait pas, ipso facto, la possibilité d'une dualité de législations.
Nulle part, dans ces deux articles, on ne trouve la trace d'un pouvoir réglementaire communautaire exclusif de tout pouvoir normatif national dans les domaines du droit de la concurrence visés par l'article 88.
On peut même ajouter que l'article 15-3 du règlement de procédure de la Cour de justice incline à penser que ce texte consacre deux types de contentieux en matière d'ententes illicites et d'abus de position dominante : l'un, national, lorsque ces pratiques concernent le marché national, l'autre, communautaire, lorsqu'elles touchent "le marché de l'Union ». Cette expression employée dans le texte tend nettement à faire croire que la Cour de justice est compétente uniquement pour connaître des décisions et sanctions prononcées par la Commission en vertu des articles 89 et 90 du Traité. A moins qu'on admette qu'il n'y ait qu'une législation communautaire et deux procédures de contrôle administratif et judiciaire, l'un national et l'autre communautaire. C'est dire que les textes sont loin d'être univoques comme veut bien le croire la Cour.
3. Le recours possible aux articles 76 et 43 du Traité.
On peut s'étonner que la Cour n'ait pas recouru aux articles 76 et 43 du Traité, de portée plus générale que les articles 88 à 90, même s'ils n'avaient pas permis d'aboutir à un résultat différent.
Article 76. La Cour de justice n'aurait-elle pas pu s'emparer de l'article 76 du Traité qui vise, en vue de l'institution du marché commun prévu à l'article 4 du Traité, la réalisation de cinq objectifs, dont : "c) l'institution de règles communes de concurrence applicables aux entreprises publiques et privées ainsi qu'aux aides publiques" dont les articles 88 à 90 ne sont que l'explicitation et l'application. La manœuvre est tentante. Certes, l'existence de règles communes implique des règles communautaires mais ne signifie pas obligatoirement des règles communautaires exclusives de tout droit national ayant le même objet comme en témoignent d'autres organisations d'intégration juridique (OAPI , OHADA…), si bien que ce texte n'aurait pu être d'aucun secours.
Article 43. Ne serait-ce pas à la force obligatoire des règlements qu'il faut se référer pour déterminer si la législation communautaire à venir en matière d'ententes illicites, d'abus de position dominante et d'aides publiques pourra coexister avec des législations nationales non contraires? Pour cela, il faut se reporter à l'article 43 du Traité qui dispose que "les règlements ont une portée générale. Ils sont obligatoires dans tous leurs éléments et sont directement applicables dans tout Etat membre ». Malheureusement, l'analyse de ce texte ne permet pas de conclure qu'il consacre la compétence exclusive de l'UEMOA .
Il y est dit, en premier lieu, que les règlements ont une portée générale, ce qui veut dire qu'ils s'appliquent dans tous les Etats et à toutes les personnes physiques et morales exerçant leurs activités dans chacun de ces Etats.
Ils sont obligatoires dans tous leurs éléments. Cela signifie que toutes les dispositions d'un règlement ont force obligatoire, sans aucune exception mais que seuls les éléments qui y sont contenus s'imposent. Cela incite, par un raisonnement a contrario, à conclure que si le droit national contient des éléments absents des règlements ou non contraires à ceux des règlements, ces dispositions nationales doivent être maintenues et coexister avec les dispositions du droit communautaire.
Enfin, les règlements sont directement applicables dans tout Etat membre. Cette règle induit que les règlements sont applicables dans tous les Etats membres, dès leur publication par l'UEMOA, sans qu'il soit besoin de recourir à un texte national, législatif ou réglementaire ou judiciaire, d'application. Cette disposition consacre le caractère supranational des règlements.
En conclusion, aucun texte fondant le pouvoir réglementaire général ou spécial du Conseil des ministres n'autorise à dire que le Traité de l'UEMOA consacre un pouvoir normatif communautaire exclusif de tout droit national en quelque domaine que ce soit, y compris en matière d'ententes illicites, d'abus de position dominante ou d'aides publiques. Il se peut que ce soit là un résultat fâcheux et inopportun, ne serait-ce que pour certaines matières, notamment celles visées par l'article 88. Mais il faut s'incliner devant les textes. On ne peut même pas suggérer aux auteurs du règlement prévu par l'article 89 qu'ils prévoient une telle compétence exclusive dans les dispositions préliminaires ou finales du texte à venir, notamment en abrogeant toutes dispositions nationales actuelles ou futures ayant le même objet; une telle démarche referait immanquablement resurgir la question de la légalité d'une telle disposition qui serait réglée de la même façon que nous venons de décrire sauf si la Cour, statuant, cette fois-ci, par un arrêt rendu en matière de contentieux de la légalité du règlement, maintient sa position devant laquelle il faudra s'incliner (sa crédibilité vaut-elle ce prix à payer?). Un seul remède serait possible autrement : la modification du Traité dans le sens d'une compétence exclusive sur ce point particulier.
B. La rédaction du dispositif de l'avis est maladroite.
La Cour de justice conclut son raisonnement par un dispositif articulé en deux propositions :
– "les dispositions des articles 88, 89 et 90 du Traité constitutif de l'UEMOA relèvent de la compétence exclusive de l'UEMOA;
– en conséquence, les Etats membres ne peuvent exercer une partie de la compétence en ce domaine de la concurrence ».
Sur le premier élément du dispositif. En employant le terme "dispositions", la Cour de justice fait usage d'un pléonasme dans la mesure où ce mot désigne une norme ou un texte et non une matière juridique . Ainsi rédigée, cette phrase n'apporte rien dans la mesure où personne ne peut contester que les articles 88, 89 et 90 contenus dans le Traité ont été intégralement et exclusivement écrits par les auteurs du Traité. Le seul moyen d'éclairer une phrase aussi sibylline est donc de rechercher son explication dans la motivation de l'avis dont on a démontré qu'elle n'emportait pas la conviction telle qu'elle a été conduite.
Si on voulait suivre le raisonnement de la Cour de justice, il eût été plus indiqué d'expliciter le dispositif de son avis en affirmant que les matières visées par les articles 88, 89 et 90 du Traité UEMOA (ou, mieux encore, que la réglementation de l'interdiction des ententes illicites, des abus de positons dominantes et des aides publiques abusives ainsi que son application) relèvent de la compétence exclusive de l'UEMOA.
Reste à se demander à qui une telle compétence exclusive de l'UEMOA serait opposable? Certainement aux Etats membres mais non aux autres organisations internationales telles que l'OHADA dont la compétence, ratione materiae, très largement entendue (et étendue) par l'article 2 de son Traité constitutif, inclut très certainement les domaines visés par les articles 88, 89 et 90 du Traité UEMOA. Que se passera-t-il si jamais l'OHADA vient à légiférer dans les domaines de la concurrence visés par le Traité UEMOA? Non seulement, on risquera de se trouver face à deux textes supranationaux différents mais encore à des textes nationaux coexistant avec ceux de l'OHADA et ceux de l'UEMOA . On peut penser que, dans sa sagesse, l'OHADA, s'abstiendra de légiférer dans ce domaine pour éviter un tel résultat fâcheux; mais qui ne voit qu'entre organisations internationales chargées d'harmoniser les mêmes domaines juridiques entre les mêmes Etats membres, la concurrence et la course sont ouvertes. On regrette, dès lors, qu'il n'y ait pas eu concertation entre ces deux organisations internationales .
Sur le deuxième élément du dispositif. La phrase qui exprime ce deuxième élément ne peut se comprendre que comme l'impossibilité des Etats membres de légiférer, même partiellement, dans le domaine de la concurrence constitué par les ententes, les abus de position dominante et les aides publiques abusives. Outre le fait qu'elle est grammaticalement maladroite (pourquoi "la" et non "leur" compétence), elle n'utilise pas le terme juridique approprié en ce qui concerne la "compétence" des Etats membres. En effet, ce qui est en cause, ici, n'est pas une question de compétence mais de souveraineté.
Quant à l'exclusion de la souveraineté des Etats membres, elle ne vaut que pour le domaine de la concurrence visé par les articles 88, 89 et 90 du Traité. En se reportant à la motivation de l'avis, on relèvera que la Cour de justice évoquait la concurrence déloyale comme et le droit pénal comme domaine résiduels de "compétence" des Etats membres. Il n'est pas certain que cette appréciation soit exacte.
L'abandon magnanime du droit pénal des ententes illicites et des abus de position dominante à la souveraineté nationale est une faveur d'autant plus surprenante qu'il n'a été observé que par l'OHADA (et encore, très partiellement) et non par d'autres organisations internationales d'intégration juridique telles que la CIMA ou l'OAPI , par exemple. Quel est le critère de cet abandon, en dehors de tout texte international l'imposant? Il est difficile de l'expliquer.
Quant au droit de la concurrence déloyale évoqué par la Cour de justice, on fera remarquer qu'il en est traité par l'OAPI . On peut difficilement imaginer que face à un texte supranational, les législateurs nationaux en adoptent d'autres, sauf s'ils ne sont pas contraires à ceux de l'OAPI ayant le même objet.
Il faut raisonner de la même façon pour un autre chapitre de la concurrence, lui aussi traité par l'OAPI : la contrefaçon .
A suivre la Cour de justice, il ne resterait donc plus aux Etats membres, comme champ de législation possible, que les pratiques concurrentielles et anticoncurrentielles telles que les ventes réglementées (à condition qu'un droit communautaire de la consommation ne vienne pas les en priver), les clauses de non concurrence (insérées dans les ventes ou les locations-gérances de fonds de commerce, les contrats de travail…) et toutes les pratiques qui n'auront pas été touchées, directement ou indirectement par le texte communautaire (concentration économique, franchise, contrats de concession exclusive, refus de vente, pratiques discriminatoires…). Bref, il ne reste plus aux Etats membres qu'une souveraineté sous bénéfice d'inventaire de ce que traiteront les autres organisations d'intégration juridique.
1 Cet atelier s'est tenu au siège de la Commission du 10 au 14 avril 2000. Le projet en discussion était le droit des ententes et des positions dominantes.
2 Par lettre n° 1886/PC/DPCD/499 du 26 mai 2000.
3 Avis n° 3/2000 du 27 juin 2000.
4 Et non à titre "préjudicionnel" comme cela est malencontreusement écrit dans le Protocole additionnel n° 1 (articles 12 et 13), maladresse heureusement corrigée par l'Acte additionnel n° 10/96 du 10 mai 1996 portant statuts de la Cour de justice (article 27) et par le Règlement n° 1/96/ du 5 juillet portant règlement de procédure de la Cour de justice (article 15-6).
5 Règlement n° 1/96/CM du 5 juillet 1996 portant règlement de procédure de la Cour de justice de l'UEMOA.
6 Acte additionnel n° 10/96 signé le 10 mai 1996 par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement.
7 Règlement n° 1/96/CM du 5 juillet 1996.
8 Cette interdiction a pris effet un an après l'entrée en vigueur du Traité UEMOA.
9 Article 15-3. Du plein contentieux de la concurrence. "La Cour peut être amenée à se prononcer sur les décisions et sanctions que la Commission a pu prendre contre les entreprises qui n'ont pas respecté le principe de la libre concurrence ou qui ont abusé de leur position dominante sur le marché de l'Union. Elle peut modifier ou annuler de telles décisions, réduire ou augmenter le montant des amendes et des astreintes, opérer des constatations, imposer des obligations ». On remarquera que les mots "ententes illicites" et "aides publiques" ne figurent pas dans ce texte et que cela ne manquera pas de susciter des controverses sur l'étendue de la compétence de la Cour ratione materiae qui pourrait englober toutes les pratiques des entreprises qui n'ont pas respecté le principe de la libre concurrence et exclure complètement celle des aides publiques. Les différences de rédaction entre toutes ces dispositions ayant pourtant le même objet, ne sont pas propres à faire considérer qu'il y a un esprit fort et univoque qui les anime.
10 Articles 2 et 14 du Traité.
11 Article 10 du Traité et avis n° 1/2001 du 30 avril 2001 de la CCJA selon lequel les Actes uniformes n'abrogent les textes nationaux ayant le même objet qu'en leurs dispositions contraires.
12 On peut même affirmer que le pouvoir réglementaire n'est conféré au Conseil des ministres que pour l'accomplissement de sa mission et dans les conditions prévues par le Traité (article 42). Or, le pouvoir réglementaire du Conseil des ministres n'est consacré que pour certaines matières, les autres relevant de l'harmonisation des législations (articles 60 et 61 et sous réserve de l'article 61 in fine). Les matières expressément visées comme pouvant faire l'objet de règlements sont indiquées par les articles 82, b (tarif extérieur commun); 82, c (politique commerciale avec les Etats tiers); 86 (fixation des modalités selon lesquelles les Etats peuvent déroger aux règles générales de l'Union douanière et de la politique commerciale commune par des mesures de protection destinées à faire face à des difficultés graves dans un ou plusieurs secteurs de leurs économies); article 91, 2 et 3, 92, 4, 98 (libre circulation des personnes, des services et des capitaux); droit d'établissement).
13 Voir Vocabulaire juridique Capitant, V° Disposition. Selon ce dictionnaire, une disposition est une "prescription énoncée dans un texte; (une) règle résultant expressément de la loi (disposition légale), soit d'un règlement (disposition réglementaire)" . Adde Avis de la CCJA de l'OHADA n° 1/2001 du 30 avril 2001, particulièrement sur la deuxième question, première branche et la quatrième question, troisième branche. Selon la CCJA, "La disposition peut désigner un article d'un texte, un alinéa de cet article ou une phrase de cet article ».
14 Que tolère l'OHADA dès lors qu'ils ne sont pas contraires à ses Actes uniformes. Voir Avis de la CCJA précité, sur la quatrième question, notamment.
15 Celle-ci ne pouvant empêcher une telle coexistence qui est le résultat de l'application d'un autre Traité.
16 Du moins, cela ne résulte pas du texte de l'avis.
17 On imagine mal des sanctions pénales contre les auteurs d'aides publiques!
18 Article 5 du Traité : " Les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions d'incrimination pénale. Les Etats parties s'engagent à déterminer les sanctions pénales encourues."
19 Articles 333-9 à 333-14; 545.
20 Articles 58 et s. de l'Annexe I sur les brevets d'invention; Articles 35 et s. de l'Annexe II sur les modèles d'utilité; articles 37 et s. de l'Annexe III sur les marques de produits et services; articles 32 et s. de l'Annexe IV sur les dessins ou modèles industriels; article 15 de l'Annexe V sur les noms commerciaux et la protection contre la concurrence déloyale; article 13 de l'Annexe VI sur les appellations d'origine; articles 73 et s. de l'Annexe VI sur le droit d'auteur et le patrimoine culturel.
22 Articles précités de la note 20 ci-dessus.