J-02-38
Injonction de payer le solde d’un prix de vente – Opposition fondée sur l’absence et la nullité de la vente – Recevabilité de l’opposition au fond.
Nullité de la vente imputable à l’opposant – conséquences – indemnité d’occupation de l’immeuble objet de la vente annulée (oui) – dommages intérêts en faveur du vendeur (oui) – remboursement des IMpenses à l’occupant (oui).
L’opposition formée contre une ordonnance d’injonction de payer le reliquat (100.000.000 FCFA) du prix de vente d’un immeuble, doit être déclarée recevable au fond si l’opposant démontre que la vente est nulle pour défaut d’obtention d’une autorisation administrative exigée par la loi pour sa validité.
Si la nullité de la vente est imputable à l’acheteur (opposant à l’injonction) qui n’a pas accompli les diligences auxquelles il s’était engagé, il doit en supporter les conséquences. Il doit, notamment, payer une indemnité pour la période effective d’occupation de l’immeuble et des dommages-intérêts au vendeur pour le préjudice résultant de la nullité de la vente. En revanche, l’occupant a droit au remboursement des impenses faites par lui à condition d’en justifier.
(Tribunal de première instance de Lomé, Chambre Civile et Commerciale, jugement n°1749 du 15 décembre 2000, Société BIOCHEM c/ SAS).
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE LOME
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE
DU VENDREDI QUINZE DECEMBRE DEUX MILLE
LE TRIBUNAL
Ouï les Conseils des parties et leurs déclarations et conclusions respectives;
Le Ministère Public entendu;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par exploit d'huissier de justice en date à Lomé du 21 Avril 2000, signification a été faite à la Société BIOCHEM Sarl, Société ayant son siège social à Lomé et représentée par son Gérant le sieur DOGBATSE Yao Winny domicilié audit siège, et à son Gérant Statutaire, le susnommé, d'une ordonnance n° 348/2000 rendue le 21 Avril 2000 par le Président du Tribunal de Première Instance de Lomé et qui leur enjoignait de payer à la Société d'Affaires et de Services (S.A.S.) Sarl représentée par son Gérant Statutaire, le sieur Nadim Michel KALIFE, demeurant et domicilié à son siège social sis à Lomé, la somme de 140.637.750 FCFA principal et frais, que par exploit de Maître Messan ABALO, huissier de justice à Lomé en date du 5 Mai 2000, ceux-ci formaient opposition à ladite ordonnance;
Attendu qu'au soutien de leur opposition, les demandeurs exposent que la Société BIOCHEM a accepté d'acheter les installations d'une usine de production d'alcool, construite par la Société d'Affaires et de Services sur le domaine industriel appartenant au Centre National de Promotion des Petites et Moyennes Entreprises (C.N.P.P.M.E.), qu'après pourparlers la Société BIOCHEM et la S.A.S. ont conclu le prix d'achat à la somme de 130.000.000 FCFA et que la Société BIOCHEM a payé un acompte de 30.000.000 FCFA, qu'elle a lié la signature du contrat de vente de l'entrepôt et le paiement des 100.000.000 FCFA restants à l'autorisation préalable du C.N.P.P.M.E.; qu'aux termes de l'article 19 de l'autorisation d'installation au profit du sieur KALIFE Nadim portant cahier des charges en date du 26 Mars 1982, celui-ci ne pouvait pas transmettre l'immeuble à des tiers sans autorisation préalable du CNPPME, que dans cette optique, la S.A.S. avait écrit le 14 Mai 1999 à l'Etat Togolais en vue de solliciter l'autorisation du C.N.P.P.M.E. pour la cession du droit au bail du terrain, qu'à ce jour cette autorisation n'est pas obtenue par le sieur KALIFE, raison pour laquelle la BIOCHEM n'a pas signé le contrat de vente et s'est gardée de payer les 100.000.000 FCFA restants sur le prix de vente convenu, qu'elle craint en effet un refus éventuel de l'autorisation préalable du C.N.P.P.M.E. sans laquelle la cession ne peut se faire, que dans ces conditions la S.A.S. ne saurait valablement obtenir une ordonnance d'injonction de payer à son encontre sur la base d'un contrat de vente qu'elle n'a pas signé, faute d'autorisation du C.N.P.P.M.E., qu'elle a fait réaliser des travaux de réfection après un relevé de l'état des lieux fait par un agent à la demande de la S.A.S. et aurait élevé une contestation si la S.A.S. lui avait fait délaisser une sommation de payer avant de faire prendre l'ordonnance d'injonction de payer dont opposition, que la créance que tente de recouvrer la S.A.S. ne remplit pas les conditions des articles 1 et 2 de l'Acte Uniforme et que le contrat dont elle se prévaut n'a pas été signé par la BIOCHEM, qu'ils sollicitent qu'il plaise au Tribunal, les recevoir en leur opposition;
– Constater que la S.A.S. ne peut valablement vendre l'entrepôt à la Société BIOCHEM sans avoir préalablement obtenu l'autorisation du C.N.P.P.M.E.;
– Constater que le contrat de vente allégué ne porte pas de date et n'a pas été signé par la BIOCHEM, faute d'accord du C.N.P.P.M.E.;
– En conséquence, dire et juger que les 100.000.000 FCFA réclamés à la Société BIOCHEM ne sont pas exigibles en ce qu'ils ne remplissent pas les conditions exigées par les articles 1 et 2 de l'Acte Uniforme de l'OHADA;
– Dire et juger que les pénalités de retard de 1% par jour ne sont pas dues et n'avaient d'ailleurs pas été acceptées par BIOCHEM qui n'a même pas signé le contrat de vente;
– Annuler purement et simplement l'ordonnance d'injonction de payer n° 348/2000 du 21 Avril 2000.
Attendu que conformément aux dispositions de l'article 12 de l'Acte Uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement des créances, la tentative de conciliation a été initiée, mais s'est soldée par un échec, que réagissant aux prétentions ci-dessus énoncées par les demandeurs à l'opposition, Me AGBEKPONOU, Avocat Conseil de la S.A.S. SARL, relève que la BIOCHEM avait bien lu le cahier des charges susvisé et en connaissait les termes et conditions d'exécution, que les parties au contrat ont comparu devant le Notaire DZONOUKOU, choisi par la BIOCHEM SARL pour la rédaction de l'acte de vente et ont, de commun accord, convenu aux termes de l'article 9 dudit acte préparé, que la BIOCHEM SARL prenait à sa charge l'autorisation préalable de cession du C.N.P.P.M.E., qu'à partir du moment où cet engagement promis est devenu pour elle une obligation contractuelle, son inexécution par elle devient automatiquement fautive et ouvre droit au profit de la S.A.S. SARL à la réparation des préjudices subis du fait du non paiement, dans les délais convenus, du prix d'achat de l'entrepôt en question, réparation qui se résout en la condamnation de la BIOCHEM SARL au paiement des pénalités de retard convenues d'accord parties;
Sur le moyen tiré de la non signature du contrat de vente par la BIOCHEM Sarl et du défaut de date sur ledit contrat, il fait valoir que du fait qu'il y avait eu accord des parties sur la chose et sur le prix, que l'acheteur (la BIOCHEM Sarl) a payé un acompte sur le prix d'acquisition et a pris possession des lieux depuis Janvier 1999, a choisi son Notaire pour la rédaction de l'acte de vente et avait convié la S.A.S. Sarl à signer ledit acte, ce que celle-ci a fait, la vente de l'entrepôt en question était parfaite entre les parties, qu'il importait donc peu que l'acheteur n'ait pas signé ledit acte et que le Notaire n'y ait pas porté de date, que la date de la convention même régularisée ultérieurement, demeure, aux termes de l'article 1589 alinéa 3 du Code Civil, celle du versement du premier acompte, que la vente étant ainsi parfaite, c'est à juste titre que la S.A.S. Sarl a fait recours à la procédure d'injonction de payer pour demander le paiement du reliquat du prix de vente et des pénalités de retard, toutes les conditions légales étant réunies; qu'il conclut en conséquence au débouté;
Attendu qu'en réplique à ces moyens, la BIOCHEM Sarl écrit que la vente des bâtiments de la S.A.S. Sarl était nulle parce qu'elle n'avait pas obtenu l'autorisation administrative de cession, que l'ordonnance d'injonction de payer obtenue sans cette autorisation doit elle-même être déclarée nulle et non avenue parce que le contrat de vente qu'elle n'avait pas signé, du fait du défaut de l'autorisation, ne l'engageait pas et ne pouvait donc constituer une pièce la justifiant; que la nullité une fois prononcée, elle est disposée à négocier avec la S.A.S. les modalités de paiement du reliquat du prix de vente, mais que si le contraire devait être décidé, elle se réserve le droit de renoncer à la vente;
Attendu qu'en l'état du dossier, la question fondamentale que pose l'opposition formée par la Société BIOCHEM Sarl est celle de savoir si la créance de 100.000.000 FCFA retenue par l'ordonnance d'injonction de payer querellée était exigible, donc justifiait le recours à la procédure d'injonction de payer dès lors que l'autorisation préalable du C.N.P.P.M.E. n'était pas encore obtenue et que l'acte de vente préparé par le Notaire DZONOUKOU n'était pas signé par la BIOCHEM Sarl, que pour y répondre il convient d'abord d'examiner les moyens des demandeurs à l'opposition tirés du défaut d'autorisation et du défaut de signature de l'acte de vente;
SUR LE MOYEN TIRE DU DEFAUT DE SIGNATURE;
Attendu qu'il est exact que dans le cadre de leur transaction, les parties ont comparu devant Maître DZONOUKOU, Notaire choisi par la BIOCHEM et lui ont fait préparer un acte constatant la cession par la S.A.S. Sarl de l'entrepôt en question à la BIOCHEM Sarl, mais qu'à ce jour ledit acte demeure sans date et ne porte pas la signature de la BIOCHEM Sarl, le sieur Nadim KALIFE l'ayant déjà signé pour le compte de la S.A.S.;
Attendu qu'en droit un contrat est avant tout un accord de volontés, qu'en matière de vente, comme c'est le cas dans la présente cause, le contrat de vente est parfait dès lors que les parties ont convenu de la chose et du prix, que dans le cas d'espèce les parties avaient convenu de la chose (l'entrepôt objet de la vente) et du prix (130.000.000 FCFA), qu'un acompte de 30.000.000 FCFA a même été payé par la BIOCHEM Sarl qui a, ensuite, pris possession des lieux, qu'il suit de là que la vente était parfaite, même si l'acte notarié qui matérialise le contrat de vente n'était pas encore signé par la BIOCHEM;
Mais attendu qu'étant donné que les parties étaient en matière immobilière où il est exigé un contrat notarié, la transaction ci-dessus décrite ne s'analyse que comme une promesse de vente, qu'à propos des promesses de vente, l'article 1589 du Code Civil énonce qu'elles valent vente lorsqu'il y a consentement réciproque des parties sur la chose et sur le prix et que la date de convention, même régularisée ultérieurement, reste celle du versement du premier acompte;
Attendu qu'il y a eu comme ci-dessus démontré consentement réciproque de la S.A.S. Sarl et de la BIOCHEM Sarl sur la chose (l'entrepôt) et sur le prix (130.000.000 FCFA) et que la BIOCHEM Sarl a payé un acompte de 30.000.000 FCFA, qu'il importe donc peu qu'elle n'ait pas signé l'acte préparé par le notaire et que la date n'y soit pas encore portée, dans la mesure où cette date, dès que le contrat sera régularisé par l'apposition de la signature, sera celle du versement du premier acompte;
Attendu qu'il résulte de l'analyse qui précède que dans les rapports entre les deux parties, la transaction même valait vente parce que réunissant toutes les conditions requises, que ni l'une ni l'autre ne doutaient de la vente qu'elles avaient conclue, que la seule question qui se pose est de savoir si cette vente qu'elles ont conclue était valable à partir du moment où elle a été conclue sans l'autorisation préalable du C.N.P.P.M.E., propriétaire du terrain sur lequel était construit l'entrepôt;
SUR LE MOYEN TIRE DU DEFAUT D'OBTENTION DE L'AUTORISATION PREALABLE DU CNPPME
Attendu qu'il est constant que la S.A.S. n'est pas propriétaire de l'immeuble, terrain sur lequel elle a érigé l'entrepôt dont s'agit que ledit terrain est en effet la propriété de l'Etat Togolais représenté pas le CNPPME, que S.A.S. Sarl n'y a érigé son entrepôt que suite à une autorisation d'installation signée entre elle et le CNPPME pour une durée de 99 ans renouvelable;
Attendu qu'aux termes de l'article 19 de l'autorisation d'installation portant cahier des charges, l'exploitation de l'entrepôt ne pouvait être confiée à un autre exploitant qu'après accord écrit du CNPPME, que l'exploitant, c'est-à-dire la S.A.S. Sarl n'était pas autorisée à relouer ou à transmettre à des tiers l'immeuble, même en partie, y compris les bâtiments construits par elle, sans l'autorisation préalable du CNPPME;
Attendu que pour céder l'entrepôt à la Société BIOCHEM Sarl, la S.A.S. Sarl n'a pas obtenu au préalable l'autorisation ci-dessus du CNPPME, que ceci signifie que le préalable à la transaction n'a pas été respecté, que par conséquent cette vente, quoique régulière en apparence, demeure nulle et insusceptible de produire ses effets;
Attendu qu'en raison de cette nullité, l'acheteur, c'est-à-dire la Société BIOCHEM Sarl ne pouvait pas être débitrice du prix ou du reliquat du prix de cette vente, que c'est donc à tort que la S.A.S. Sarl s'est prévalue d'une vente nulle pour obtenir l'ordonnance dont opposition, qu'il échet tout simplement de rétracter ladite ordonnance;
Attendu que dans les faits, la BIOCHEM Sarl, sans même attendre l'obtention de l'autorisation du CNPPME et avant d'avoir elle-même signé le contrat préparé par le notaire, avait pris possession de l'entrepôt depuis le 5 Janvier 1999 qu'elle occupe jusqu'à ce jour, qu'il en résulte ainsi que la vente en question, quoique nulle, avait créé une situation particulière consistant en la jouissance effective des lieux par la BIOCHEM Sarl, qu'en prononçant la nullité de cette vente aujourd'hui, le Tribunal se doit, comme le demande la S.A.S. Sarl, de tirer toutes les conséquences de cette situation au regard des deux parties;
Attendu qu'à ce sujet la S.A.S. Sarl soutient que l'occupation des lieux par la BIOCHEM Sarl doit être compensée par le paiement d'une contrepartie qui prendra la forme de loyers mensuels, qu'elle demande alors que sa contradictrice soit condamnée à lui payer 2.500.000 FCFA par mois depuis le 5 Janvier 1999 jusqu'à ce jour, c'est-à-dire 2.500.000 FCFA multipliés par le nombre de mois de jouissance effective des lieux depuis le 5 Janvier 1999 jusqu'à ce jour, que ce montant de 2.500.000 FCFA est le loyer mensuel qu'elle avait fait à la Société NIOTO qui avait loué les lieux en 1997, qu'elle sollicite en outre qu'il plaise au Tribunal, condamner la BIOCHEM Sarl à lui payer la somme de 75.000.000 FCFA à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices moral et financier qu'elle lui a causés par sa mauvaise foi consistant en ce que, bien qu'elle ait fait siennes les démarches administratives à accomplir pour l'obtention de l'autorisation de cession, elle s'est abstenue de faire lesdites démarches pour après soutenir que c'est la non obtention de cette autorisation qui explique son refus de payer le reliquat du prix de vente;
Attendu que la demanderesse à l'opposition rétorque :
– Sur le paiement de 2.500.000 FCFA par mois, qu'elle n'a conclu aucun contrat de bail avec la S.A.S. Sarl pour être tenue au paiement des loyers, que si la vente devait être transformée en contrat de bail, les loyers doivent être convenus d'accord parties et non fixés unilatéralement par la S.A.S. Sarl, que la S.A.S. Sarl ne rapporte pas la preuve du contrat de bail qu'elle aurait conclu avec la Société NIOTO pour des loyers mensuels de 2.500.000 FCFA, qu'elle est toutefois disposée à payer un loyer mensuel de 1.500.000 FCFA par mois pour régler définitivement ce contentieux, qu'elle sollicite à son tour qu'il plaise au Tribunal condamner la S.A.S. Sarl à lui payer les sommes de 3.025.050 FCFA représentant le coût des travaux de réfection qu'elle a effectués avant son entrée en jouissance de l'entrepôt et 5.000.000 FCFA représentant la valeur des engrais détruits par la pluie, l'entrepôt ayant été pris dans un état défectueux;
– Sur la demande reconventionnelle, que la finalisation du contrat de vente avait été perturbée par le défaut d'obtention de l'autorisation préalable et qu'elle n'a commis aucune faute pour être condamnée à payer des dommages-intérêts.
SUR LE POINT RELATIF AU PAIEMENT D'UNE CONTREPARTIE SOUS FORME DE LOYERS MENSUELS
Attendu qu'il est exact que la BIOCHEM Sarl n'avait conclu aucun contrat de bail avec la S.A.S. Sarl, mais qu'elle ne peut pas nier avoir pris possession de l'entrepôt et en avoir joui jusqu'à fin Octobre 2000, comme cela ressort de sa correspondance en date du 30 Octobre 2000, et ce en vertu de la vente ci-dessus discutée dont elle ne doutait d'ailleurs pas de la validité et des effets, que le présent jugement prononçant la nullité de ladite vente intervenant après plus de vingt (20) mois de jouissance effective des lieux, la S.A.S. Sarl est bien fondée à demander compensation de cette jouissance par une contrepartie;
Attendu en effet que la nullité d'un contrat synallagmatique comme la vente discutée entre les deux parties implique nécessairement que le jugement rétablisse les deux parties dans la situation où elles se trouvaient au point de départ, c'est-à-dire lorsqu'elles n'avaient pas encore les qualités de vendeur et d'acheteur, qu'à partir du moment où la BIOCHEM Sarl a joui de l'entrepôt pendant plus de 20 mois, il ne suffira pas, pour ce rétablissement, d'ordonner la restitution par la S.A.S. Sarl de l'acompte de 30.000.000 FCFA et par la BIOCHEM Sarl de l'entrepôt objet de la vente; que le Tribunal doit faire en sorte que tout se passe comme si la BIOCHEM Sarl n'avait pas joui de l'entrepôt dont s'agit, que dans ces conditions, seul le paiement d'une contrepartie pour compenser l'occupation et la jouissance de l'entrepôt conviendrait;
Attendu que c'est bien cette contrepartie que la S.A.S. Sarl demande et qui prend la forme de loyers mensuels, que c'est donc en vain que la BIOCHEM Sarl tente de l'esquiver en soutenant n'avoir conclu aucun contrat de bail avec la S.A.S.Sarl, car sans être, à proprement parler, un loyer elle est tout de même assimilable à celui-ci;
Attendu que pour en déterminer le montant la S.A.S. Sarl se réfère aux loyers qu'elle avait faits à la Société NIOTO qui avait précédé la BIOCHEM Sarl dans lesdits entrepôts et qui s'élevaient à 2.500.000 FCFA par mois; qu'elle verse aux débats copie du contrat en date du 22 Décembre 1997 qu'elle avait signé avec cette Société, une correspondance en date du 17 Décembre 1997 à elle adressée par la NIOTO et enfin un reçu délivré le 20 Janvier 1998 à ladite Société desquels il ressort clairement que la NIOTO payait un loyer mensuel de 2.500.000 FCFA;
Attendu que pour fixer le montant de la contrepartie due par la BIOCHEM Sarl en compensation de la jouissance de l'entrepôt et qui prend la forme des loyers, le Tribunal doit s'appuyer sur un repère, que la Société BIOCHEM Sarl le savait bien, qui proposait 1.500.000 FCFA par mois;
Attendu que si pour le même entrepôt elle percevait mensuellement 2.500.000 FCFA en 1997-1998, c'est-à-dire un ou deux ans plus tôt, il n'est pas surprenant ou exagéré qu'elle veuille percevoir aujourd'hui le même montant, voire plus, car de 1997-1998 à l'an 2000, le coût de la vie n'a pas diminué, mais plutôt augmenté, que le Tribunal tire donc des éléments qui précèdent les éléments nécessaires pour retenir les 2.500.000 FCFA par mois demandés par la S.A.S. Sarl;
Attendu que la BIOCHEM Sarl a déclaré avoir libéré l'entrepôt dont s'agit à compter de fin Octobre 2000, soit après 22 mois d'occupation et de jouissance effective, que sans engager de discussions sur la notion de remise des lieux, il convient de considérer le départ de la BIOCHEM des lieux comme étant cette remise, même si l'état des lieux n'est pas encore fait, comme cela se doit, que sur cette base donc, elle restera devoir à la S.A.S. la somme de 2.500.000 FCFA multipliée par 22, soit au total la somme de cinquante cinq millions (55.000.000 FCFA);
SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES-INTERETS
Attendu qu'avant de préparer le contrat écrit, le notaire DZONOUKOU, d'ailleurs choisi par le sieur DOGBATSE de la BIOCHEM Sarl, avait reçu les deux parties et recueilli leurs volontés, que c'est en toute liberté donc que la BIOCHEM avait fait siennes les démarches administratives à accomplir pour l'obtention de l'autorisation de cession du C.N.P.P.M.E., volonté que ledit notaire a transcrite dans l'acte par lui préparé, même si cet acte n'a pas été signé par elle (BIOCHEM), qu'à aucun moment elle n'a contesté ou émis des réserves sur le contenu de cet acte, qu'au contraire elle reconnaissait que le contrat qui la liait à la S.A.S. Sarl était un contrat de vente, contrat sur lequel elle ne voulait plus revenir et que l'acte de vente préparé par le notaire était le seul acte juridique et que dès que la S.A.S. l'aura signé, elle respectera les modalités de paiement (cf. sa correspondance en date du 5 Juillet 1999 adressée au sieur Nadim KALIFE);
Attendu que suite à cette correspondance, le sieur Nadim KALIFE est allé signer l'acte préparé par le notaire, que de son côté la BIOCHEM Sarl n'a pas cru devoir le signer ni respecter les modalités de paiement comme elle le promettait, ni encore moins faire les démarches administratives pour l'obtention de l'autorisation de cession du CNPPME, que c'est finalement la S.A.S. Sarl qui a accompli ces formalités et obtenu le 16 Mai 2000, ladite autorisation, lorsque la BIOCHEM Sarl lui a dévoilé au cours de la présente procédure, que c'est pour, entre autres conditions, la non-obtention de cette autorisation qu'elle ne payait pas le reliquat du prix de vente convenu;
Or, attendu que s'il ne tenait qu'à cela, la BIOCHEM Sarl devait, l'autorisation ayant été obtenue le 16 Mai 2000, automatiquement verser les 100.000.000 FCFA de reliquat, étant donné que les délais qu'elle avait sollicités auparavant pour les payer en 1999 étaient expirés et qu'elle était censée, en bon père de famille, avoir consigné ladite somme auprès du notaire, que loin de procéder ainsi ou d'adopter une démarche proche, elle a préféré opposer à la S.A.S. Sarl une vive résistance, allant jusqu'à demander la nullité de la vente, vente qu'elle avait reconnue comme la liant à la S.A.S. Sarl et sur laquelle elle déclarait ne plus revenir;
Attendu qu'il n'est point besoin d'autres faits ou actes pour établir la mauvaise foi de la BIOCHEM Sarl, que donc par sa mauvaise foi ainsi établie elle a causé à la S.A.S. Sarl des préjudices moral et financier dont celle-ci est fondée à demander réparation, qu'il échet en conséquence de faire droit à sa demande de ce chef, mais d'en ramener le quantum à sa juste valeur, c'est-à-dire 15.000.000 FCFA;
SUR LES DEMANDES DE LA BIOCHEM RELATIVES AU PAIEMENT DES SOMMES DE 3.025.000 FCFA et 5.000.000 FCFA
Attendu que la BIOCHEM Sarl soutient qu'avant son entrée en jouissance de l'entrepôt, elle avait effectué, avec l'autorisation de la S.A.S. Sarl, des travaux de réfection dont le coût est provisoirement évalué à la somme de 3.025.000 FCFA et qu'elle doit lui être remboursée par celle-ci;
Attendu qu'il est versé aux débats un écrit en date du 18 Février 1999 signé par le sieur Nadim KALIFE dans lequel celui-ci autorisait Monsieur DOGBATSE à réaliser dans le local qu'il achetait, toutes réparations et tous travaux si bon lui semblait, qu'il est vrai qu'à l'époque la BIOCHEM Sarl était acheteur et a dû effectuer lesdits travaux de réfection en tant que nouveau propriétaire, mais qu'aujourd'hui elle ne l'est plus, que l'entrepôt dont s'agit étant la propriété de la S.A.S. Sarl, il est normal que les frais occasionnés par ces travaux soient remboursés à la BIOCHEM Sarl, à condition qu'elle les prouve;
Attendu que pour cette preuve, elle verse aux débats un devis manuscrit en date du 12 Février 1999 d'un montant de 204.000 FCFA, un devis dactylographié en date du 19 Février 1999 d'un montant de 1.948.050 FCFA, deux reçus manuscrits délivrés à la BIOCHEM Sarl par un certain SIGGINI les 24 Février et 12 Mars 1999 de 200.000 FCFA et 227.000 FCFA et enfin un autre manuscrit sans date intitulé "travaux de réfection de dépôt" récapitulant dans les rubriques, les sommes suivantes :
I- Maçonnerie : 204.000 F
II- Etanchéité : 1.948.050 F, premièrement
III- deuxièmement, voir madame
IV- Badigeonnage clôture : 107.000 F
V- Désherbage :intérieur 35.000 F
extérieur 100.000 F
soit selon ce récapitulatif, la somme totale de 2.394.050 FCFA;
Attendu qu'en dehors des reçus manuscrits en date des 24 Février et 12 Mars 1999 qui établissent que le sieur SIGGINI a reçu de la BIOCHEM Sarl les sommes respectives de 200.000 FCFA et 227.000 FCFA, soit au total 427.000 FCFA pour les travaux sur l'entrepôt dont s'agit, la BIOCHEM ne verse aux débats aucune facture ou reçu attestant que les matériaux énumérés dans les différents devis susvisés ont été effectivement achetés, qu'on est tenté de conclure que lesdits matériaux n'ont pas été achetés et que les travaux dont s'agit n'auraient pas été effectués;
Mais attendu que dans le devis dactylographié susvisé signé par le sieur SIGGINI, la main-d'œuvre représentait la somme de 449.500 FCFA, qu'en comparant ce montant avec les 427.000 FCFA qu'il a reconnu avoir perçus pour les travaux de l'entrepôt, on déduit que ces 427.000 FCFA étaient perçus au titre de la main-d'œuvre, que la main-d'œuvre ne pouvait être payée sans que les travaux aient été effectués, les matériaux énumérés dans ledit devis ont dû être achetés, même si les factures et reçus ne sont pas produits;
Attendu en outre que les travaux de maçonnerie et de badigeonnage ne sont que la suite sinon le complément des travaux ci-dessus approuvés, qu'il convient alors de retenir leur coût ainsi que celui du désherbage qui n'est rien d'autre que le sarclage des lieux;
Attendu que sur cette base les travaux de réfection n'auront coûté que la somme de 2.821.050 FCFA au lieu de 3.025.050 FCFA comme le prétend la BIOCHEM, qu'elle ne peut donc être remboursée qu'à concurrence de cette somme;
Attendu enfin en ce qui concerne sa demande de 5.000.000 FCFA, que le Tribunal ne peut pas y faire droit, car en effet c'est en tant que propriétaire de l'entrepôt, pour l'avoir acheté, que la BIOCHEM Sarl s'y était installée, ce après l'avoir pris dans l'état où il était, avec tous les risques possibles, qu'en outre elle-même a soutenu ci-dessus avoir effectué des travaux de réfection avant son entrée en jouissance, travaux dont les frais viennent de lui être remboursés à sa demande, qu'en conséquence elle n'est pas fondée à demander réparation du préjudice dont elle se prévaut, préjudice auquel elle était censée avoir paré par les travaux de réfection, que sa demande de ce chef doit donc être rejetée;
Attendu qu'en définitive, on retiendra que pour avoir été conclu avant l'obtention de l'autorisation de cession du CNPPME, le contrat de vente susvisé encourt la nullité, que cette nullité étant prononcée, l'ordonnance d'injonction de payer dont opposition doit être rétractée et les parties litigantes remises dans la situation où elles étaient avant cette vente, que pour cela la BIOCHEM Sarl doit être condamnée, non seulement à restituer l'entrepôt à la S.A.S. Sarl, mais aussi à payer sous forme de loyers, le temps de jouissance effective des lieux, sans compter les dommages-intérêts au titre des préjudices moral et financier subis par la S.A.S. Sarl, que de son côté, celle-ci est tenue de rembourser à la BIOCHEM Sarl le coût des travaux de réfection par elle effectués dans l'entrepôt;
Attendu que l'exécution provisoire du présent jugement est demandée, que n'étant pas une mesure incompatible avec la nature de la cause, elle doit être ordonnée;
Attendu enfin qu'il y a lieu de mettre les dépens à la charge des deux parties par moitié;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en premier ressort;
En la forme, reçoit la société BIOCHEM Sarl en son opposition;
Au fond, déclare nulle et de nuls effets la vente de l'entrepôt dont s'agit;
En conséquence, rétracte l'ordonnance d'injonction de payer n° 348/2000 du 21 Avril 2000;
Lui donne acte de ce qu'elle déclare avoir libéré ledit entrepôt à compter du 31 Octobre 2000;
Condamne la Société S.A.S. Sarl à lui payer la somme de 2.821.050 FCFA au titre des frais occasionnés par les travaux de réfection;
La déboute de toutes ses autres demandes et prétentions;
Reçoit la Société S.A.S. Sarl en ses demandes reconventionnelles;
Dit que pour la période d'occupation de l'entrepôt par la BIOCHEM Sarl, celle-ci est tenue de payer à la S.A.S. Sarl une contrepartie sous forme de loyers;
La condamne à ce titre à payer à la Société S.A.S. Sarl la somme de 55.000.000 FCFA et juge que l'acompte de 30.000.000 FCFA par elle déjà versé vient en déduction de ce montant;
La condamne en outre à lui payer la somme de 15.000.000 FCFA à titre de dommages-intérêts pour préjudice financier et moral;
Déboute la S.A.S. Sarl de toutes ses autres demandes et prétentions;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant toutes voies de recours et sans caution;
Met les dépens à la charge des deux parties par moitié;
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé (Togo) en son audience publique ordinaire du vendredi 15 décembre 2000 à laquelle siégeait Monsieur YABA Mikémina, Premier Vice-Président dudit Tribunal, PRESIDENT, assisté de Maître Apoko Biova JOHNSON, Attaché de justice faisant office de Greffier, en présence de Monsieur N'DAKENA Atara, Procureur de la République.
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur, Consultant
Ce jugement est un exemple de motivation détaillée et cohérente à laquelle on ne peut qu’adhérer. Cela est rare pour être signalé.
Pour retenir le caractère exigible de la créance du reliquat du prix de vente justifiant la délivrance de l’ordonnance d’injonction de payer, le tribunal s’est employé à démontrer que la vente d’immeuble, bien que soumise à un acte notarié pour sa validité, n’en liait pas moins les parties qui s’étaient accordées sur la chose et le prix. Seul le comportement passif de l’acheteur qui n’avait pas déployé toutes les diligences nécessaires pour obtenir l’autorisation administrative avait empêché celle-ci d’être parfaite.
De la nullité de la vente encourue de ce fait, le tribunal déduit les conséquences qui s’imposent : une indemnité d’occupation est due par l’acquéreur qui avait pris possession de l’immeuble(indemnité d’occupation improprement appelée loyer par le tribunal) et des dommages-intérêts pour réparer le préjudice moral et financier subi par le vendeur du fait de la négligence de l’acquéreur.
Ainsi, le tribunal, saisi d’une opposition contre une injonction de payer se trouve amené à prononcer la nullité de l’acte juridique ayant causé cette ordonnance et à prononcer des condamnations tout à fait différentes de celles demandées par le requérant de l’injonction. L’ordonnance aurait dû être refusée par le juge s’il avait eu connaissance de ces difficultés de fond. Mais une foi saisi, le tribunal se devait de se prononcer sur le fond.. Voilà comment le caractère non exigible ou contestable d’une créance peut, grâce à la procédure d’injonction de payer, aboutir à une procédure classique. Il n’y a pas lieu de s’en étonner ni de s’en offusquer dans la mesure où le débiteur poursuivi n’en subit aucun préjudice.