J-02-39
injonction de payer – jugement sur opposition – délais de grâce – article 39 auPSRve – pouvoir du tribunal de les ordonner – frais de poursuite – contestation du montant – réduction du montant
En application de l’article 39, alinéas 2 et 3 AUVE et en présence de difficultés rencontrées par le débiteur pour s’acquitter de sa dette, le tribunal saisi d’une opposition à une ordonnance d’injonction de payer peut accorder douze mois de délai de grâce, surtout si ce délai est plus court que celui obtenu précédemment, d’accord parties, par le débiteur.
Si le créancier défendeur à l’opposition ne peut justifier le montant des frais de poursuite qu’il réclame tandis que le débiteur opposant le conteste et en demande la réduction à de justes proportions, le tribunal peut l’apprécier souverainement à 100%, surtout si le calcul des frais selon un pourcentage élevé aggrave les difficultés du débiteur.
(Tribunal de première instance de Lomé, Chambre Civile et Commerciale, jugement n°161 du 11 février 2000, Ets Polytra c/AFD).
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE LOME
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE
DU VENDREDI ONZE FEVRIER L'AN DEUX MIL
LE TRIBUNAL
Ouï Maître ALONYO pour les demandeurs en ses conclusions;
Ouï Maître BATAKA W. pour la défenderesse en ses conclusions;
Le Ministère Public entendu;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par exploit d'Huissier en date du 11 Août 1999, les Etablissements POLYTRA représentés par leur Directeur Général, le sieur GBEDESSI Afatchao Prosper, demeurant et domicilié à Lomé, assistés de Me ALONYO Kodjo, Avocat à la Cour de Lomé, 121 Boulevard du 13 janvier en l'Etude de qui domicile est élu, ont formé opposition contre l'ordonnance n° 857/99 du 14 Juillet 1999 par laquelle le Président du Tribunal de Première Instance de Lomé leur enjoignait de payer à l'Agence Française de Développement (A.F.D.) la somme de 499.108,524 FF représentant le principal et les frais de poursuite sans préjudice des intérêts de droit, frais et accessoires;
Attendu qu'au soutien de leur action, les demandeurs reconnaissent devoir à la défenderesse la dette dont le paiement leur est réclamé, du reste en principal mais prétendent que le défaut de paiement est imputable aux difficultés financières qu'ils traversent en ces temps qui, malheureusement se prolongent; que par ailleurs, les frais de poursuite évalués à la somme de 83.184,754 FF sont exagérés; que dans ces conditions, ils sollicitent qu'il plaise au Tribunal :
– ramener lesdits frais à de justes proportions entre 10 et 15 % du montant de la créance;
– leur accorder un délai de grâce d'un an pour payer la dette en principal et les frais de poursuite;
Attendu que la tentative de conciliation entreprise n'a pas abouti; qu'il y a lieu de statuer sur l'opposition;
Attendu que par écritures de son conseil en date du 22 Octobre 1999, la défenderesse se rapporte au Tribunal quant à la recevabilité de l'opposition; que sur les frais de poursuite, elle précise que la requête des demandeurs ne contient aucun élément propre à justifier leurs prétentions; qu'ils ne disent pas sur la base de quel texte les justes proportions se situeraient entre 10 et 15 % du montant de la créance, alors qu'il est de principe notoirement et universellement reconnu qu'il revient à quiconque conteste une créance, de préciser les éléments propres à justifier sa contestation; qu'en ce qui concerne la demande de délai de grâce, elle fait valoir que le motif invoqué par les requérants n'est autre que celui allégué par tous les débiteurs de mauvaise foi; qu'en effet, c'est aux termes d'une convention d'ouverture de crédit datée du 23 Décembre 1994 qu'elle a octroyé aux demandeurs un crédit d'un montant de 400.000 FF remboursables en sept échéances égales, payables les 30 Avril et 31 Octobre de chaque année; qu'en garantie du remboursement du principal, frais et accessoires dudit crédit, les requérants ont nanti à son profit leurs matériels d'exploitation et roulant ci-après :
– une soufflante annulaire double étage marque LASM;
– une pompe piscine Type FILTRA 14 D tri/230-400 V/50 h 3;
– une balance automatique 203 BL marque DURU LHERME;
– deux blocs climatiseurs 1,5 CV;
– un quartet TOSHIBA;
– une machine à écrire AX 11 "VOYAGER »;
– un groupe électrogène GET DELTA (diesel) marque GENELEC;
– que le 07 Mars 1995, une inscription de privilège sur lesdits matériels a été prise à son profit; que le 31 Octobre 1995, devait être payée la première échéance, alors que la septième était prévue pour le 31 Octobre 1998; que suite à des difficultés de trésorerie des requérants, elle a, sur leur demande, modifié par avenant N° 28/36/YM/TG en date du 11 Décembre 1995, l'échéancier de remboursement du crédit en leur accordant un différé supplémentaire en capital jusqu'au 30 Avril 1996; que face aux difficultés financières continues des requérants, elle a accepté, par avenant n° 2 en date du 28 Janvier 1997, réaménager l'échéancier initial de la façon précisée d'un commun accord sur ledit avenant (Page 2) que malgré les réaménagements intervenus et une mise en demeure en date du 20 Mars 1998, les demandeurs n'ont pas cru devoir honorer leurs engagements; que ceci témoigne de leur part une mauvaise foi qui frise le subterfuge; que par ailleurs, elle ajoute qu'il est de jurisprudence constante que les juges du fond peuvent tenir compte de l'ancienneté de la créance pour rejeter la demande de délai de grâce (Com. 8 Février 1972 : J.C.P. 73 II 17386 note Kahn) que c'est du reste sur la base de cette jurisprudence que l'ancienne loi n° 88-02 du 20 Avril 1988 portant procédure simplifiée de recouvrement des créances civiles et commerciales prévoit en son article 16 qu' " il ne peut y avoir recours à l'article 1244 du Code civil lorsque la créance est échue depuis plus de trois (3) ans;
– qu'en l'espèce, la convention d'ouverture de crédit étant signée le 23 Décembre 1994, son ancienneté, quatre (4) ans, est évidente et constitue un obstacle majeur insurmontable pour le Tribunal pour accéder à la demande de délai de grâce; que dans ces conditions, elle sollicite qu'il lui plaise;
– dire ce que de droit quant à la recevabilité de l'opposition;
– dire et juger que la demande d'arbitrage quant aux frais de poursuite est mal fondée et la rejeter;
– dire et juger que la demande de délai de grâce est aussi mal fondée et la rejeter;
– En conséquence, condamner les requérants à lui payer la somme de 499.108,524 FF spécifiée dans l'ordonnance n° 857/99 du 14 Juillet 1999;
– ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir sur minute, avant enregistrement, nonobstant toutes voies de recours et sans caution;
– condamner les demandeurs aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître W. B. BATAKA, Avocat à la Cour, aux offres de droit;
SUR LA FORME
Attendu que l'ordonnance d'injonction de payer N° 857/99 a été rendue le 14 Juillet 1999; que le 11 Août de la même année, les Etablissements POLYTRA ont formé opposition contre ladite ordonnance; qu'il y a lieu, conformément aux articles 9 et 10 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, de dire que cette opposition est formée dans les forme et délai légaux et donc de la déclarer recevable;
SUR LE FOND
Attendu en droit que l'article 39 alinéas 2 et 3 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution énonce que : " Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, la juridiction compétente peut, sauf pour les dettes d'aliments et les dettes cambiaires, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans la limite d'une année; elle peut également décider que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Elle peut en outre subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette »;
Attendu en l'espèce que la défenderesse a reconnu elle-même les difficultés de trésorerie continues auxquelles sont confrontés les demandeurs, raison pour laquelle elle leur a accordé des échéances pour s'exécuter; que par avenant N° 2 du 28 Janvier 1997, la requise a accepté de réaménager l'échéancier initial de la façon suivante :
« - Remboursement des impayés en intérêt au 31 Janvier 1997, soit 2.532,43 FF (deux mille cinq cent trente deux francs français et quarante neuf centimes);
– Octroi d'un différé supplémentaire en capital, la première échéance étant fixée au 31 Août 2003. En conséquence, à compter du 28 Février 1997, la S.A.R.L. POLYTRA paiera mensuellement une commission fixe de 1.852,00 FF (mille huit cent cinquante deux francs français) à laquelle s'ajoutera un remboursement mensuel de 6.060,61 (six mille soixante francs français et soixante et un centimes) au titre du capital à partir du 31 Août 1997. La dernière échéance en capital, au 31 Janvier 2003, s'élève à 6.060,35 (six mille soixante francs français et trente cinq centimes);
Attendu que par acte en date du 23 Décembre 1994 les requérants ont affecté en nantissement au profit de la défenderesse leur matériel d'exploitation et leur matériel roulant pour le remboursement en principal, en intérêts, frais et accessoires de la dette à eux réclamée; que par acte N° 32/95 du 07 Mars 1995 au Greffe du Tribunal de céans, inscription de premier rang a été prise sur ledit matériel au profit de la requise;
Attendu qu'aux termes de l'article 1134 du Code civil, " les conventions légalement formées tiennent lieu de la loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi »; qu'en conséquence, les parties devaient en principe respecter les clauses de leur acte en date du 28 Janvier 1997 qui octroyait aux requérants un échéancier supplémentaire jusqu'au 31 Janvier 2003; que cependant, si les demandeurs, en parfaite connaissance de leur situation financière difficile, sollicitent un délai d'un an qui, de surcroît, est plus avantageux à la requise, le Tribunal ne peut que leur en donner acte et, par conséquent, leur accorder ledit délai;
Attendu que sur les frais de poursuites, l'article 47 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution ne précise ni le montant ni le pourcentage desdits frais; que, de même que les demandeurs ne rapportent pas les éléments de preuve visant à faire réduire à leurs justes proportions les frais dont s'agit, le défenderesse ne justifie pas non plus du montant par elle réclamé, qu'il en résulte que la détermination du montant est laissée à l'appréciation souveraine du Tribunal; qu'en outre, en raison des difficultés financières éprouvées par les demandeurs, les condamner à payer à la requise, les frais calculés suivant un pourcentage élevé, reviendrait à les plonger davantage dans une situation plus compliquée; qu'il échet de ramener lesdits à 10 % seulement de la créance exigible;
Attendu que la mesure d'exécution provisoire sollicitée paraît inopportune en raison du différé et des délais de grâce; qu'il n'y a pas lieu de l'ordonner;
Attendu qu'il échet de condamner les opposants aux entiers dépens dont distraction au profit du conseil de la défenderesse aux offres de droit;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard des parties en matière civile et commerciale, et en premier ressort;
En la forme : Reçoit les Etablissements POLYTRA en leur action régulière en la forme;
Au fond : Accorde aux Etablissements POLYTRA, un délai de douze (12) mois pour payer leur dette d'un montant de 415.923,77 FF ainsi que les frais de poursuite à hauteur de 10 % sans préjudice des intérêts de droit;
Dit n'y avoir lieu d'ordonner la mesure d'exécution provisoire sollicitée;
Condamne les requérants aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître W. BATAKA, Avocat à la Cour, aux offres de droit;
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé (TOGO) en son audience publique ordinaire du Vendredi 11 Février 2000 à laquelle siégeait Monsieur YABA Mikémina, Juge audit Tribunal, Président, assisté de Maître NOUMADJI Ayaovi Richard, Greffier, en présence de Monsieur N'DAKENA Atara, Procureur de la République;
Et ont signé le Président et le Greffier.
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur, Consultant
1. Le débiteur ayant obtenu une ouverture de crédit auprès de l’AFD, remboursable en sept échéances, avait connu des difficultés telles que, par deux fois, il avait obtenu, par voie conventionnelle, des moratoires qu’il n’avait pas respectés davantage – Sur opposition à une injonction de payer, sans contester le principal de la créance qui lui était réclamée, il sollicite un délai de douze mois pour s’acquitter, ce que lui accorde le Tribunal au motif que cette demande est plus avantageuse pour le créancier que le dernier moratoire que celui-ci avait consenti et qui s’achevait au 31 août 2003.
Le simplisme de cette motivation étonne et inquiète. Ce n’est pas parce qu’un moratoire conventionnel (un deuxième avait été consenti jusqu’en 2003) qu’accorder un moratoire s’achevant plus tôt est un avantage pour le créancier. C’est méconnaître que les moratoires précédents intégraient plusieurs échéances intermédiaires qui n’avaient pas été respectées et qui entraînaient la déchéance de ces termes. En outre, le Tribunal ne s’est pas inquiété de savoir si la situation financière du débiteur lui permettait de respecter ce nouveau délai. Enfin, la juridiction ne précise pas si le nouveau différé de paiement à un an concernait la totalité de la somme due ou devait s’étaler sur un an à raison de X mensualités, bimestres, trimestres ou semestres …
2. On peut également s’étonner de la solution relative aux frais réclamés. Ou bien ils étaient dus et justifiés, et il y avait lieu de condamner le débiteur à les payer totalement – ou bien ils n’étaient pas justifiés totalement, et le créancier devait être débouté de sa demande de ce chef – ou bien, enfin, ils n’étaient dus et justifiés que partiellement, et ce n’est que dans cette mesure qu’il fallait y faire droit. En aucun cas, le Tribunal n’a à arbitrer – de façon discrétionnaire – les frais à 10% du montant du principal sans justifier sa décision outre mesure.
3. Enfin, on peut s’étonner, même s’irriter, de découvrir, dans le dispositif d’une juridiction africaine, une condamnation à payer une créance en Francs français, surtout s’agissant d’une créance dont le caractère international n’est pas soulevé ni mis en évidence.