J-02-40
INJONCTION DE PAYER – ORDONNANCE D'INJONCTION – OPPOSITION FORMEE HORS DELAI – OPPOSITION IRRECEVABLE –OPPOSITION ABUSIVE – PREJUDICE DU DEMANDEUR DE L'INJONCTION – DOMMAGES-INTERETS – FRANC SYMBOLIQUE.
En application de l'article 10, alinéa 1er de l'Acte Uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement des créances et les voies d'exécution, l'opposition formée plus de quinze jours après la signification de l'ordonnance d'injonction de payer doit être déclarée irrecevable sans qu'il soit besoin d'examiner le fond.
La demande de dommages-intérêts du défendeur à l'opposition, bien que fondée, ne peut se résoudre que par l'allocation d'un franc symbolique, sous peine d'enfoncer davantage l'opposant dans ses difficultés
Article 10 AUPSRVE
(Tribunal de première instance de Lomé, Chambre Civile et Commerciale, jugement n° 995 du 28 juillet 2000, CME c/AFD).
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE LOME
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE
DES VACATIONS DU VENDREDI VINGT HUIT JUILLET DEUX MIL
LE TRIBUNAL
Ouï Maître Koffi DOSSOU pour la demanderesse en ses conclusions;
Ouï Maître W.M. BATAKA pour la défenderesse en ses conclusions;
Le Ministère Public entendu;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par exploit d'Huissier en date du 30 Décembre 1999, l'Entreprise Construction Mécanique Express (C.M.E.) représentée par son Directeur, le sieur LAWSON AVLA Pascal, assistée de Me Koffi DOSSOU, Avocat à la Cour, a assigné devant le Tribunal de céans l'Agence Française de Développement, représentée par son Directeur au Togo, en opposition à l'ordonnance d'injonction de payer N° 877/99 du 16 Juillet 1999;
Attendu qu'à l'appui de son action, la demanderesse expose que la somme qui lui est réclamée est exagérée; qu'en effet, elle a réellement reçu de la défenderesse la somme de 320.812,05 FF; que sur ce montant, elle a déjà versé 45.944,03 FF; qu'elle reste devoir à la requise le reliquat de 274.868,02 FF, soit 27.486.802 FCFA; qu'en outre, le non-paiement de sa dette réside d'une part dans le vol dont elle a été victime et d'autre part, dans les difficultés du moment; qu'un délai est alors nécessaire pour l'apurement de ladite dette; que par ailleurs, les frais n'étant dus qu'après taxation, il y a lieu, faute de cette formalité, de rejeter les demandes au titre des frais; que c'est pourquoi elle sollicite qu'il plaise au Tribunal;
– déclarer l'ordonnance fondée;
– Reformer l'ordonnance d'injonction de payer en cause;
– Dire et juger que la créance de la requise est de 274.868,02 FF;
– Lui accorder un délai de vingt-quatre (24) mois pour l'apurement de la dette;
Attendu que la défenderesse, par écritures de son conseil, Me W.M. BATAKA, en date du 19 Janvier 2000, rejette les prétentions de l'Entreprise Construction Mécanique Express (C.M.E.) comme non fondées et soutient de sa part, qu'aux termes de l'article 10 alinéa 1er de l'Acte Uniforme de l'OHADA portant recouvrement simplifié et voies d'exécution, l'opposition doit être formée dans les quinze (15) jours suivant la signification de la décision portant injonction de payer; que l'ordonnance querellée a été signifiée à la requérante le 28 Juillet 1999; que l'opposition a été formée le 30 Décembre 1999, soit plus de cinq (5) mois après l'expiration du délai; que par ailleurs, les déclarations de la requérante selon lesquelles le montant reçu par elle serait de 320.812,05 FF sont fausses; qu'il ressort de la convention d'ouverture de crédit signée le 13 Juillet 1994 par les parties, que ce montant s'élève à 350.000 FF; que la somme de 357.580,71 FF spécifiée dans l'ordonnance en cause constitue le débit du compte de la demanderesse; que c'est à tort que celle-ci conteste le montant de la créance réclamée; qu'en outre, en garantie du remboursement du principal, des frais et accessoires du crédit concédé à la C.M.E., celle-ci a nanti à son profit son matériel d'exploitation et son matériel roulant; qu'une inscription de privilège a été prise à son profit; que, malgré ces aménagements, la C.M.E. n'a pas cru devoir honorer ses engagements; que c'est neuf (9) mois après qu'elle eut envoyé des lettres lui rappelant la déchéance du terme que la demanderesse lui a transmis un procès-verbal de vol dont elle aurait été victime; que la mauvaise foi de la C.M.E. est ainsi clairement établie; que la demande de terme et délai ne peut être acceptée eu égard à l'ancienneté de la créance qui date du 13 Juillet 1994; que d'un autre côté, l'article 47, alinéa 2 de l'Acte Uniforme portant recouvrement simplifié et voies d'exécution dispose que " la juridiction compétente peut, à la demande du créancier, mettre tout ou partie des frais exposés à la charge du débiteur de mauvaise foi »; qu'il convient de rejeter le moyen tiré du défaut de taxation; qu'il résulte de tout ce qui précède que la requise procède d'un abus manifeste et doit être condamnée à lui payer la somme de 20.000 FF à titre de dommages-intérêts; qu'elle sollicite qu'il plaise au Tribunal :
– rejeter les moyens et partant toutes les demandes de la C.M.E.;
– La condamner à lui payer la somme de 429.096,852 FF spécifiée dans l'ordonnance querellée;
– La condamner reconventionnellement à lui payer la somme de 20.000 FF pour action abusive et vexatoire;
– ordonner l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant toutes voies de recours et sans caution;
Attendu que pour étayer ses prétentions, la défenderesse produit copies de la convention d'ouverture de crédit la liant à la C.M.E. et du certificat d'inscription de nantissement;
Attendu que la tentative en vue de concilier les parties a échoué, qu'il convient de statuer sur l'opposition;
Attendu qu'aux termes de l'article 10 alinéa 1 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, l'opposition doit être formée dans les 15 jours qui suivent la signification de la décision portant injonction de payer, que dans le cas d'espèce, l'ordonnance en cause a été signifiée à personne à la demanderesse le 28 Juillet 1999, mais que l'opposition n'a été formée que le 30 Décembre 1999, soit 5 mois et 2 jours plus tard, qu'une telle opposition tardive doit être déclarée irrecevable pour cause de forclusion sans qu'il soit besoin d'examiner le fond; qu'en l'état donc de cette irrecevabilité la demanderesse doit être tenue de payer les sommes spécifiées dans ladite ordonnance;
SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE
Attendu que la demande aux fins de dommages-intérêts paraît fondée, mais que faire droit à cette demande à hauteur d'un quantum quelconque supérieur au franc symbolique serait enfoncer davantage la demanderesse dans ses difficultés, qu'il convient donc de n'y faire droit que pour le principe en allouant le franc symbolique;
Attendu cependant que la demanderesse ne saurait échapper à la condamnation aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en premier ressort;
Déclare irrecevable pour cause de forclusion l'opposition formée par l'Entreprise Construction Mécanique Express représentée par le sieur LAWSON AVLA Pascal;
– La condamne en conséquence à payer à l'Agence Française de Développement les sommes telles que spécifiées dans l'ordonnance d'injonction de payer;
– La condamne en outre à lui payer 1 F symbolique à titre de dommages-intérêts;
– Exécution provisoire nonobstant toutes voies de recours et sans caution;
– La condamne enfin aux dépens;
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé (TOGO) en son audience publique ordinaire des vacations du Vendredi 28 Juillet 2000, à laquelle siégeait Monsieur YABA Mikémina, Juge audit Tribunal, Président, assisté de Maître NOUMADJI Ayaovi Richard, Greffier, en présence de Monsieur M'DAKENA Atara, Procureur de la République;
Et ont signé le Président et le Greffier.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur, Consultant
Que l'opposition formée hors délai doive être déclarée irrecevable en application de l'article 10, alinéa 1er AUVE, sans avoir à examiner les moyens de fond invoqués par l'opposant, nul n'en disconviendra.
Par contre, la décision de reconnaître que la demande formée par le défendeur pour opposition abusive et vexatoire est fondée, mais ne peut donner lieu qu'à l'allocation d'un franc symbolique, sous peine d'aggraver les difficultés du débiteur, doit être désapprouvée. En effet :
– dès lors que la procédure d'office est reconnue abusive et vexatoire, elle doit donner lieu à l'allocation de dommages-intérêts destinés à réparer l'intégralité du préjudice du créancier sans avoir égard à la situation malheureuse du débiteur;
– examiner les raisons pour lesquelles le débiteur n'a pas pu payer (elle a été victime d'un vol et de la mauvaise conjoncture économique) est contradictoire avec la décision du Tribunal d'exclure l'examen des moyens de défense au fond de l'opposant; d'ailleurs, ces moyens ne tendaient pas à obtenir une réduction de la condamnation pour cause d'extinction partielle de la dette réclamée par injonction, mais des délais de paiement pour s'acquitter de celle-ci (24 mois).
On observera, enfin, la curiosité (déjà signalée in Ohadata J-02-39) consistant à faire état, dans une décision de juridiction africaine saisie par des demandeurs tout deux domiciliés ou résident sur le territoire national de cette juridiction, de sommes libellées en francs français et à prononcer condamnation à les payer.