J-02-47
saisie conservatoire – erreur sur la date de la saisie – absence de grief – nullite (non).
saisie de vehicules n’appartenant pas a la societe saisie – mainlevee – article 54 auPSRve.
societe a responsabilite (sarl) – mesentente entre les associes – dissolution – article
200 AUSCGIE – designation d’un juge commissaire.
saisie abusive – prejudice materiel invoque – absence de preuve – dommages-interets (non).
saisie vexatoire – prejudice moral – dommages-interets.
danger de deterioration des choses saisies – execution provisoire de la decision.
1. Alors même que le procès-verbal de saisie conservatoire porte une date antérieure à celle de l’ordonnance qui l’a autorisée, ladite saisie n’encourt pas la nullité si, comme le prescrit l’article 114 du nouveau code de procédure civile (burkinabé), il n’y a pas de grief, alors même qu’il s’agirait d’une formalité substantielle.
2. Par application d’une jurisprudence constante, il y a lieu d’ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de véhicules appartenant au gérant de la société, alors que la saisie concernait la société elle-même.
3. Faute d’établir le préjudice matériel subi par lui du fait de l’immobilisation de ses véhicules pendant quatre mois, l’associé gérant ne peut prétendre à des dommages-intérêts. Par contre, il échet de condamner le saisissant à des dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
4. Compte tenu du risque de détérioration des véhicules saisis si leur immobilisation se poursuivait, il y a lieu de prononcer la mainlevée de leur saisie conservatoire assortie de l’exécution provisoire.
5. La demande de dissolution formée par l’associé gérant doit être accueillie, par application de l’article
200 AUSCGIE, si les faits de la cause démontrent une mésentente entre les associés. Il s’ensuit que le tribunal doit nommer un liquidateur et un juge-commissaire pour les besoins de la liquidation.
(Tribunal de grande instance de Ouagadougou, jugement n° 303 du 14 avril 1999, Ilboudo Ambroise c/ Vandamme Raphaël).
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE OUAGADOUGOU
(BURKINA FASO)
AUDIENCE DU 14 AVRIL 1999
LE TRIBUNAL
Vu les pièces du dossier;
Vu les écritures des parties;
Ouï à l'audience du 09/04/1997 date à laquelle le dossier a été renvoyé à la mise en état;
Il en ressortira pour être à nouveau enrôlé pour l'audience du 20/01/1999 puis renvoyé au 03/03/1999 pour être mis en délibéré pour le 14/04/1999;
FAITS – PRETENTION DES PARTIES – PROCEDURE
Par acte d'Huissier en date du 1er Avril 1997, ILBOUDO Ambroise ayant pour Conseil Maître Mamadou SAVADOGO, a donné assignation à VANDAMME Raphaël, ayant pour Conseil Maître Antoinette OUEDRAOGO, à l'effet de comparaître devant le Tribunal de céans pour :
– Voir valider la saisie conservatoire pratiquée avec toutes les conséquences de droit;
– Voir condamner VANDAMME Raphaël à faire une reddition de compte;
– L'entendre en outre condamné aux dépens de l'instance;
Au soutien de son action, ILBOUDO Ambroise expose qu'il a constitué le 25 Août 1995, avec le défendeur et deux autres, une Société à responsabilité limitée dénommée BURIMPEX, au capital de deux millions (2.000.000) FCFA;
Qu'alors que la société connaissait une évolution satisfaisante, VANDAMME Raphaël, l'associé gérant, l'informait qu'elle sera mise sous liquidation pour insuffisance de trésorerie. Qu'ayant appris que VANDAMME veut quitter le territoire Burkinabé, il a fait pratiquer, suivant ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de OUAGADOUGOU, une saisie conservatoire sur les véhicules de la Société, pour éviter qu'ils soient bradés par le gérant. Qu'il sollicite du Tribunal, qu'il valide ladite saisie et qu'il condamne VANDAMME Raphaël à faire la reddition des comptes de sa gestion dans un dé1ai de trois (3) mois;
En réplique, le défendeur, par la plume de son conseil, invoque in limine litis la nullité du procès-verbal de saisie, au motif que la date est erronée. Au fond, il fait valoir que les biens saisis sont sa propriété et demande mainlevée de la saisie. S'agissant de la demande de reddition de compte formulée par ILBOUDO Ambroise, il conclut à son débouté au motif qu'il a déposé le bilan de l'exercice 1996;
Reconventionnellement, VANDAMME Raphaël demande la dissolution de la Société BURIMPEX pour mésentente entre associés et invoque à l'appui de sa requête, l'article 200 de l'Acte uniforme relatif au droit des Sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique;
Prétendant qu'au moment de la saisie il venait de changer la pneumatique (sic) de son véhicule Mercedes à 1.800.000 FCFA, il demande que ILBOUDO Ambroise soit condamné à lui rembourser ladite somme et à lui payer en outre 3.400.000 FCFA pour son manque à gagner résultant de l'immobilisation du véhicule, soit 850.000 F x 4 mois d'immobilisation. Pour conclure il demande 1.000.000 FCFA de dommages-intérêts au motif que la procédure engagée contre lui est abusive et vexatoire;
MOTIVATION SUR L'EXCEPTION DE NULLITE
Attendu qu'il est constant que le procès-verbal de saisie conservatoire est daté des 13 et 14 Février 1996 alors que l'ordonnance autorisant la saisie date du 27 Janvier1997;
Que manifestement, il y a erreur de date sur ledit procès-verbal;
Que s'il est également constant que la date constitue une mention substantielle dans tout acte d'huissier, l'article 114 du nouveau code de procédure civile (NDLR : burkinabé) prescrit qu'il n'existe pas de nullité sans grief même lorsque la nullité s'applique à une formalité substantielle;
Qu'il résulte des notes explicatives dudit article, que le préjudice dont il s'agit doit découler de l'irrégularité commise elle-même;
Qu'en l'espèce, le demandeur ne démontre pas cependant en quoi cette erreur lui cause un préjudice;
Que le préjudice par lui invoqué est celui qui résulte de la procédure intentée contre lui et non de l'irrégularité;
Qu'il échet en conséquence de rejeter l'exception soulevée;
SUR LA FORME DE LA SAISIE
Attendu que l'examen des faits révèle que la saisie ne peut pas avoir été pratiquée en Février 1996. Que l'inscription de l'année 1996 sur le Procès-Verbal de saisie constitue une erreur matérielle, la vraie date ne pouvant être que le 13-14 Février1997;
Attendu que la saisie datant des 13-14 Février 1997 et l'assignation en validité étant intervenue le premier Avril 1997, il y a lieu de déclarer la saisie régulière quant à la forme;
AU FOND
Attendu que c'est fort d'avoir soutenu que les véhicules Mercedes 1732 immatriculés 11 H 2216 – 11 H 2277 et RANGE-ROVER immatriculé D 2012-BF appartiennent à la Société BURIMPEX que ILBOUDO Ambroise a obtenu l'ordonnance de saisie;
Que cependant le défendeur a produit la carte grise de la Mercedes qui révèle qu'il en est propriétaire; que quant à la RANGE-ROVER, il verse au dossier une procuration du 24/07 /97 qui atteste que ce véhicule est la propriété d'un tiers nommé Damien Paul Michel LOISSON;
Qu'il est alors patent que la saisie a porté sur des biens n'appartenant pas à la Société BURIMPEX;
Que de jurisprudence constante il y a lieu d'ordonner la mainlevée de cette saisie;
SUR LA REDDITION DE COMPTE
Attendu que la Société sus désignée a principalement fonctionné d'Août 1995 à Janvier l997; que la procédure de saisie ayant débuté en Janvier 1997, la période d'activité de VANDAMME a nécessairement pris fin en Décembre 1996. Que celui-ci a déposé un bilan d'exercice de l'année 1996;
Que la demande de reddition de compte formée par ILBOUDO Ambroise est manifestement sans objet et mérite d'être rejetée;
LA DISSOLUTION DE LA SOCIETE BURIMPEX
Attendu que VANDAMME demande la dissolution de BURIMPEX par application de l'article 200 de l'Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique qui énonce, en son alinéa 5 : la société prend fin par « dissolution anticipée prononcée par la juridiction compétente, à la demande d'un associé, pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés empêchant le fonctionnement normal de la Société;
Attendu que les faits de la cause démontrent qu'une mésentente s'est installée entre les co-associés ILBOUDO Ambroise et VANDAMME;
Que les deux associés, lors d'une assemblée générale tenue le 14 Février 1997, demandaient la liquidation de la Société;
Qu'il convient, au vu de tous ces éléments, de faire droit à la demande de dissolution de VANDAMME et nommer un liquidateur et un juge commissaire pour les besoins de la liquidation;
SUR LES DEMANDES DE 3.400.000 F ET 1.800.000 F
Attendu que le demandeur reconventionnel soutient qu'au moment de la saisie il venait de renouveler la pneumatique (sic) de son camion Mercedes à 1.800.000 F et que ledit véhicule lui rapportait par mois 850.000 FCFA;
Qu'il y a lieu de condamner ILBOUDO Ambroise à lui payer le manque à gagner de 4 mois soit 850.000 F x 4 + 1.800.000 F;
Attendu cependant que VANDAMME n'apporte aucune preuve à l'appui de ses demandes;
Qu'en l'application de l'article 1315 du code civil qui dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, il échet de le débouter;
SUR LA DEMANDE DE 1.000.000 FCFA
Attendu que ILBOUDO Ambroise a requis l'autorisation de saisir les véhicules de la Société BURIMPEX qu'il a pourtant fait pratiquer la saisie sur les biens appartenant à VANDAMME;
Qu'il s'ensuit que cette procédure de saisie contre le demandeur reconventionnel est abusive et vexatoire; qu'il échet de condamner son contradicteur à lui payer 1.000.000 F à titre de dommages-intérêts;
SUR L'EXECUTION PROVISOIRE
Attendu que l'immobilisation prolongée d'un véhicule le met en péril à raison de l'usure de la pneumatique (sic) et de la rouille des pièces qui peuvent s'ensuivre;
Qu'ainsi il convient d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement;
SUR LES DEPENS
Attendu qu'aux termes de l'article 696 du nouveau code de procédure civile (NDLR : burkinabé) il est de principe que les dépens sont à la charge de la partie perdante;
Qu'ainsi il convient de condamner ILBOUDO Ambroise aux dépens de la présente instance;
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal statuant publiquement contradictoirement en matière commerciale et en premier ressort;
– Rejette l'exception soulevée par le défendeur;
– Déclare régulière quant à la forme la saisie pratiquée le 13/02/1997;
– Ordonne la mainlevée de ladite saisie conservatoire comme étant mal fondée;
– Reçoit les demandes reconventionnelles de VANDAMME Raphaël quant à la forme;
– Condamne ILBOUDO Ambroise à lui payer la somme de 1.000.000 FCFA à titre de dommages-intérêts;
– Prononce1a dissolution de la Société BURlMPEX;
– Nomme ZAMPOU Téné Boukary expert agréé près les Cours et Tribunaux à l'effet de procéder à la liquidation de ladite Société;
– Nomme KAM Hervé Juge Commissaire;
– Déboute les parties du surplus de leurs demandes;
– Ordonne l'exécution provisoire;
– Met les dépens à la charge de la liquidation.
Ainsi fait et jugé publiquement par le Tribunal de Grande Instance de OUAGADOUGOU, les jour, mois et an que ci-dessus;
Et ont signé le Président et le Greffier.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
1.- Une société à responsabilité limitée avait été constituée entre quatre personnes dont les deux parties au procès faisant l’objet du jugement rapporté. Pour raison d’insuffisance de trésorerie, l’associé gérant avait annoncé sa liquidation prochaine. L’un des associés, craignant que l’associé gérant brade les biens de la société, demande et obtient une saisie conservatoire sur deux véhicules qu’il prétendait (ou qui lui semblaient) appartenir à la société.
Il est étonnant que le juge des saisies ait ordonné une telle mesure car, en l’espèce, le requérant n’avait aucune créance certaine de somme d’argent à protéger contre la société et ne produisait pas une attestation de l’administration indiquant le propriétaire des véhicules saisis. Si le propriétaire avait été le débiteur prétendu (la société), la mesure la plus adéquate eût été le placement de ces biens sous séquestre, voire la désignation d’un administrateur provisoire pour gérer l’ensemble du patrimoine social.
Quoi qu’il en soit, l’associé gérant faisait valoir que le procès-verbal de saisie, comportait une date erronée (antérieure à la date de l’ordonnance autorisant ladite saisie) et que, de ce fait, elle devait être déclarée nulle par application, sans doute, de l’article 64 AUVE (qui n’est absolument pas mentionné ni évoqué dans le jugement). Curieusement et sans rien expliquer, le Tribunal, invoquant l’article 114 du nouveau code burkinabé de procédure civile qu’il applique à la place de l’Acte uniforme, rétorque qu’il n’existe pas de nullité sans grief, même lorsque la nullité s’applique à une formalité substantielle; qu’en l’espèce, le gérant n’invoquant ni n’établissant aucun grief, il n’y a pas lieu d’annuler le procès-verbal de saisie. Il n’y a pas lieu de s’étonner de l’attitude du Tribunal; en effet, l’article 64 AUVE ne vise pas, parmi les mentions obligatoires du procès-verbal de saisie exigées à peine de nullité, la date de cet acte. Il en résulte que l’erreur de date sur ce point n’est pas régie par le droit uniforme mais par le droit national du juge saisi. On eût préféré que celui-ci nous le dît plus explicitement.
2.- L’associé gérant ayant démontré que les véhicules saisis n’appartenaient pas à la société mais à lui-même, la mainlevée était inévitable; c’est pourquoi le tribunal l’a ordonnée. Mais pour cela, il invoque que c’est en vertu d’une jurisprudence constante. Certes, mais celle-ci puise son fondement et sa justification dans un texte. En l’espèce, il s’agit de l’article 62 AUVE, renvoyant lui-même aux articles 54, 55, 59, 60 et 61 du même Acte uniforme, sans parler des articles 140 à 142 qui, bien que prévus pour les contestations relatives à la propriété lors de la saisie vente sont transférables à la saisie conservatoire. En particulier, c’est l’article 54 AUVE qui devait être visé puisqu’il indique que la saisie doit porter sur les biens meubles du débiteur.
Pour éviter le dépérissement des véhicules, le tribunal assortit son jugement sur ce point précis, de l’exécution provisoire.
3.- L’associé gérant prétendait avoir subi un préjudice matériel et moral résultant de la procédure abusive et vexatoire de la saisie conservatoire. N’ayant pu établir la réalité de son préjudice matériel, il fut débouté de sa demande de réparation de ce chef. Pour ce qui est du préjudice moral, le Tribunal l’a estimé à 1.000.000 FCFA, somme raisonnable et dont on ne peut penser qu’elle peut s’accommoder d’une absence de motivation pour la justifier (les frais de procédure, les tracas, la réputation entachée etc…); mais ce qui lui est reproché, c’est de s’être trompé et de n’avoir pas vérifié la propriété des véhicules avant de les saisir (motivation implicite).
4.- Plus discutable est la décision du tribunal sur la question de la dissolution, à la fois, quant à la motivation et quant au dispositif :
4.1. Pour justifier sa décision de prononcer la dissolution de la société, le Tribunal se contente de citer l’article 200, alinéa 5 et de dire « Attendu que les faits de la cause démontrent qu'une mésentente s'est installée entre les coassociés Ilboudo Ambroise et Vandamme; que les deux associés, lors d'une assemblée générale tenue le 14 février 1997 demandaient la liquidation de la société ».
Il faut rappeler que les associés étaient au nombre de quatre et qu'on ignore tout du comportement ou de la décision des deux autres associés. Etaient-ils d'accord avec le projet de dissolution ? N'envisageaient-ils pas de renflouer la société ? de racheter les parts des deux associés en litige ? On aurait aimé être édifié sur ces questions pour être convaincus qu'il y avait une mésentente profonde entre les associés, empêchant le fonctionnement normal de la société.
4.2. Enfin, pourquoi nommer un juge-commissaire alors qu'un tel magistrat n'est prévu que pour les procédures collectives d'apurement du passif ouvertes pour cause de cessation des paiements, ce qui n'est absolument pas le cas en l'espèce ?
Le Tribunal n'a-t-il pas confondu la procédure collective de liquidation des biens prévue par l'Acte uniforme portant le même nom (articles 25 et s) et la liquidation du patrimoine d'une société non déclarée en cessation des paiements réglée par les articles 203 et s. AUSCGIE ? (Sur cette question, voir Ohadata J-02-48).
De plus, est-ce au tribunal de nommer un liquidateur si les statuts en ont déjà prévu un ? A cet égard, il faut se rappeler que l'AUSCGIE (article 223) distingue selon que la liquidation est faite selon les statuts ou une convention expresse ou selon une décision de justice à défaut des deux premiers modes. Faute d’avoir évoqué cette distinction pour justifier sa décision, le tribunal n’a pas suffisamment motivé celle-ci.