J-02-56
administration provisoire – saisie attribution pratiquée par un salarié – violation des articles 8 et 9 aupcAP – procédure collective d'apurement du passif.
C'est en violation de l'article 9, alinéa 3 AUPCAP que le premier juge refuse la mainlevée d'une saisie attribution pratiquée par un travailleur créancier de dommages-intérêts sur les comptes bancaires de son employeur, une société placée sous administration provisoire.
Article 8 AUPCAP
Article 9 AUPCAP
(Cour d'Appel de Ouagadougou, ordonnance de référé n° 62 du 21 décembre 2000, Faso Fani c/ Golane Boléan Jean Christophe.- Ohada jurisprudences nationales, n° 1, décembre 2004, p. 307).
COUR D'APPEL DE OUAGADOUGOU
(BURKINA FASO)
CABINET DU PRESIDENT
ORDONNANCE DE REFERE N° 62 DU 21/12/2000
Nous, Marc ZONGO, Conseiller à la Cour d'Appel de Ouagadougou;
Assisté de Maître TRAORE Karidiatou, Greffier en Chef près ladite Cour;
Etant en notre Cabinet, statuant contradictoirement, en matière de référé;
Dans l'affaire :
– FASO-FANI, ayant pour Conseil Maître TOE-BOUDA, Avocat à la Cour;
c/
– GOLANE Boléan Jean-Christophe, représenté par Maître Frédéric, Avocat à la Cour;
Vu l'ordonnance n° 050/2000 du 18 juillet 2000;
Vu l'acte d'appel en date du 24 juillet 2000;
La société FASO-FANI, sous administration provisoire, a assigné GOLANE B. Jean-Christophe le 22 juin 2000 par-devant le Juge des référés, pour voir ordonner la mainlevée de la saisie attribution pratiquée sur ses comptes bancaires sur la base de l'Acte uniforme de l'OHADA portant organisation des procédures collectives qui suspend toutes poursuites judiciaires en pareille situation.
Le 18 juillet 2000, le juge des référés déclarait en substance que "il est constant que les dommages et intérêts accordés à un travailleur en vue de la réparation d'un préjudice subi de suite d'un licenciement abusif n'en révèlent pas moins les caractères d'une créance de salaire en ce qu'ils ont autant une nature alimentaire et urgente ».
En conséquence de cette déclaration, il ordonnait tout d'abord un cantonnement de la saisie attribution à concurrence du montant de la condamnation, outre les intérêts de droit et les frais.
Ensuite il ordonnait la mainlevée pour le surplus.
Contre cette décision, FASO-FANI relevait appel le 24 juillet 2000 pour défaut de base légale, au motif que le juge aurait statué extra petita en interprétant une loi suffisamment claire.
La société FASO-FANI précise que la question de droit qui se pose est de savoir si les dommages et intérêts sont ou non des salaires et non celle de savoir s'ils peuvent être assimilés à des salaires;
Attendu qu'aux termes des articles 8 et 9 de l'Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif, la décision rendue par le Président de la juridiction compétente qui suspend toutes les poursuites individuelles contre les entreprises impliquées dans une procédure collective, concerne aussi bien les voies d'exécution que les mesures conservatoires; elle s'applique à tous les créanciers chirographaires et munis de privilèges généraux ou de sûretés réelles à l'exception des créanciers de salaires;
Que dans le cas d'espèce, la Société FASO-FANI n'a pas été condamnée au paiement d'arriérés de salaires ou de différentiels de salaires attachés à une quelconque reconstitution de carrière;
Qu'elle a été condamnée au paiement de dommages et intérêts suite à un licenciement abusif au profit de GOLANE Boléan Jean-Christophe;
Attendu qu'il résulte des débats et des pièces du dossier que les dommages et intérêts ne constituent pas un élément du salaire qui peut être défini comme étant toute somme d'argent versée par l'employeur au travailleur, en contrepartie de la prestation du travail proprement dit ainsi que toutes autres commissions, primes, prestations diverses ou indemnités représentatives de ces prestations; le tout dans le cadre d'un contrat de travail;
Que de surcroît, la loi susvisée, en des termes très précis, exclut de la suspension de poursuites individuelles les créanciers de salaires; que nulle part, elle ne fait état de salaires et/ou assimilés;
Qu'en conséquence de ce qui précède, c'est à tort que le premier juge a inclus les dommages et intérêts en les assimilant ou en les considérant comme éléments du salaire.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, en matière de référé;
EN LA FORME :
Déclarons l'appel de FASO-FANI recevable pour avoir été interjeté dans les formes et délais prévus par la loi;
AU FOND :
Informons l'ordonnance querellée;
Disons que les dommages et intérêts ne sont pas constitutifs d'éléments du salaire auxquels peuvent être applicables les dispositions de l'article 9 alinéa 3 de l'Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif;
Ordonnons la mainlevée des saisies attributions pratiquées sur les comptes de FASO-FANI;
Mettons les dépens à la charge de GOLANE Boléan Jean-Christophe.
Donnée en notre Cabinet le 21 décembre 2000.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Cette décision est étonnante à plusieurs égards.
1.- En premier lieu, il nous semble qu'elle confond deux situations : l'administration provisoire d'une société et sa mise en règlement préventif.
S'il s'agit vraiment d'une administration provisoire, cette décision est erronée puisqu'elle fait application d'un texte (l'Acte uniforme sur les procédures collectives d'apurement du passif) qui ne s'applique absolument pas à une telle situation.
Si, au contraire, il s'agit bien d'une procédure de règlement préventif telle qu'organisée par les articles 5 à 24 de l'Acte précité, l'expression "administration provisoire" ne convient pas. Mais même dans cette dernière hypothèse, la solution au fond portée par cette ordonnance est discutable.
2.- Pour résister à la saisie attribution pratiquée contre lui et en obtenir mainlevée, l'employeur invoquait l'article 9, alinéa 3 AUPC en vertu duquel, une fois une ordonnance de suspension des poursuites individuelles rendue, les créanciers ne peuvent plus poursuivre le recouvrement de leurs créances, sauf s'il s'agit de créances de salaires, ce qui n'est pas le cas d'un travailleur créancier de dommages-intérêts.
Le premier juge des référés avait repoussé cette argumentation en arguant de la nature urgente et alimentaire des dommages-intérêts qui leur conférait le caractère d'une créance de salaires. La Cour d'Appel refuse une telle assimilation, s'en tenant à une notion stricte de salaires, excluant les dommages-intérêts.
A vrai dire, la solution est peut-être dans le Code du Travail, qui assimile toutes les créances nées de l'exécution ou de la résiliation du contrat de travail à des salaires lorsqu'il s'agit de la protection des créances du travailleur contre l'employeur sans citer les dommages intérêts, ce qui est dommage (article 116 du code du travail burkinabé; contra, par exemple, article L.118 du code du travail Sénégalais).