J-02-57
procédure collective d'apurement du passif – redressement judiciaire – suspension des poursuites individuelles – saisie vente pour obtenir le règlement de salaires – suspension de la saisie vente (non).
En vertu de l'article 19 de l'ordonnance n° 91/0043/PRES du 17 juin 1991, le plan de redressement est opposable à tous les créanciers sauf aux salariés, qui ne peuvent se voir opposer aucun délai; ce "privilège" (sic) permet de pratiquer une saisie vente contre le débiteur déclaré en redressement judiciaire.
Article 134 AUPCAP
(Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, ordonnance de référé n° 14 du 20 juin 2000, FLEX-FASO c/ dame Yougbaré Antoinette et autres).
(BURKINA FASO)
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE OUAGADOUGOU
CABINET DU PRESIDENT
ORDONNANCE DE REFERE N° 14/CAB/PR
Nous, KONTOGOME O. Daniel, Président du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou;
Etant en notre Cabinet au Palais de Justice de ladite ville et siégeant en audience de référé;
Assisté de Maître WANGRAOUA Daniel, Greffier, avons rendu l'ordonnance dont la teneur suit :
Vu l'assignation en référé en date du 18 mai 2000;
Vu l'ordonnance présidentielle n° 288/2000 rendue le 15 mai 2000 autorisant la Société des Fruits et Légumes du Faso –FLEX-FASO) à assigner Madame YOUGBARE Antoinette et sept (07) autres ex-travailleurs de la société FLEX-FASO en référé;
Vu la requête présentée le 11/05/2000 et les pièces jointes;
Vu les articles 464 et suivants du code de procédure civile;
Ouï les parties en leurs explications fins et moyens;
La société FLEX-FASO, ayant son siège social à Ouagadougou et représentée par Maître Antoinette OUEDRAOGO, Avocat à la Cour, a assigné par-devant le Juge des référés Madame YOUGBARE Antoinette et d'autres anciens travailleurs de la même société, à effet de voir ordonner la mainlevée de la saisie vente pratiquée sur ses biens suivant procès-verbal du 15 février 2000 et voir condamner les défendeurs aux dépens;
Elle soutient qu'en exécution d'un procès-verbal exécutoire n° 15/DRCTSS dressé le 22 mai 1998 par l'Inspecteur du travail, ses anciens agents sus nommés ont fait pratiquer une saisie vente sur ses biens suivant procès-verbal du 15 février 2000 suivi d'un procès-verbal de recollement et d'une signification de vente pour le 27 mai 2000;
Que ces mesures d'exécution interviennent à un moment postérieur à son admission au bénéfice du redressement judiciaire prononcée le 2 avril 1997;
Elle ajoute qu'un plan de redressement aurait été approuvé le 24 mars 1999 alors qu'il est de principe que, dans ce cas, les poursuites individuelles sont suspendues;
Que les règles régissant les procédures collectives de liquidation des biens et d'apurement du passif ne prévoiraient pas d'exception au profit des travailleurs, mais précisent simplement que les créances de salaires doivent être payées immédiatement si le débiteur dispose des fonds nécessaires;
Qu'en l'espèce, la saisie vente aurait été pratiquée à tort et compromettrait gravement le redressement de la société, alors qu'il devrait être préservé.
Elle fait valoir, en outre, que la saisie vente serait illégale en ce qu'elle aurait porté sur des biens dont la valeur excéderait le montant de la créance et que, par ailleurs, lesdits biens auraient fait l'objet d'une précédente procédure de saisie;
Enfin, elle ajoute que la saisie vente aurait été pratiquée dans le seul but de nuire à FLEX-FASO et conclut donc qu'il est urgent d'en ordonner la mainlevée et la restitution des biens;
Les travailleurs, défendeurs, représentés par le Cabinet d'Avocats associés ZONGO et BARRY contestent l'objet de la demande, arguant que s'agissant d'une saisie vente, une action tendant à en obtenir la mainlevée manquerait de base légale, car une telle action ne peut être fondée que sur la saisissabilité des biens et non sur l'illégalité de la saisie;
En outre, il réplique par ailleurs que les mesures favorables prévues par le texte réglementant le redressement ne pourraient plus bénéficier à FLEX-FASO, car la suspension des poursuites ne dure au maximum que six mois;
Enfin, ils précisent que les créances de salaires ne sont pas visées par la suspension des poursuites et il y aurait effectivement une exception instituée en faveur des travailleurs et conclut au débouté de FLEX-FASO de ses demandes;
Attendu qu'il est de principe que les poursuites individuelles sont suspendues contre le débiteur pendant la période d'exécution du plan de redressement judiciaire, que les créanciers ne sont payés que suivant les termes dudit plan;
Mais attendu qu'au terme de l'article 19 de l'ordonnance n° 91/0043/PRES du 17/06/91, "une fois adopté, le plan de redressement est opposable à tous les créanciers, à l'exception des salariés, qui ne peuvent se voir opposer aucun délai, sauf décision spécialement motivée du Tribunal;
Attendu que ce texte confère un privilège aux créances de salaires, comme le reconnaît, du reste, le demandeur qui déclare que la loi précise que les créances de salaires doivent être payées immédiatement si le débiteur dispose des fonds nécessaires »;
Attendu que la saisie vente pratiquée par Madame YOUGBARE Antoinette et ses ex-collaborateurs n'apparaît nullement faite en violation des textes et principes allégués par FLEX-FASO;
Que dès lors, elle ne lui cause aucunement préjudice, pas plus qu'elle n'a été pratiquée pour lui nuire, mais pour permettre aux travailleurs de se payer, le débiteur faisant fi même du plan de redressement;
Attendu que FLEX-FASO est mal fondée à réclamer la mainlevée de la saisie;
Qu'il échet dès lors de l'en débouter;
PAR CES MOTIFS
Statuant en référé, contradictoirement et en premier ressort;
Déclarons la société FLEX-FASO en redressement judiciaire recevable en son action;
La déboutons de ses demandes mal fondées;
La condamnons aux dépens.
Rendue en notre Cabinet ce jour 20 juin 2000.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Munis d'un procès-verbal exécutoire dressé par l'inspecteur du travail, huit salariés avaient pratiqué une saisie vente sur les biens d'une société déclarée en état de redressement judiciaire. La société débitrice demandait la mainlevée de cette saisie en se fondant sur la suspension des poursuites individuelles. La décision du Juge des référés, bien que rendue (nous semble-t-il, mais nous n’en avons pas confirmation d’après le contenu de la décision) sous l'empire de la législation burkinabé antérieure à l'Acte uniforme de l'Ohada sur les procédures collectives, n'en présente pas moins de l'intérêt, car les deux législations se prononcent dans des termes semblables sur la question de la suspension des poursuites individuelles.
En effet, pour repousser cette requête, le Juge invoque l'article 19 de l'ordonnance du 17 juin 1991 selon lequel "une dois adopté, le plan de redressement est opposable à tous les créanciers, à l'exception des salariés, qui ne peuvent se voir opposer aucun délai, sauf décision spécialement motivée du Tribunal ». Le Juge en déduit qu'il s'agit là d'un privilège autorisant les salariés à obtenir le paiement de leurs créances de salaires immédiatement, au besoin, par les voies d'exécution. Il en conclut que la saisie vente pratiquée par les travailleurs n'a pas été faite en violation de la loi.
On ne peut dire que l'inopposabilité des délais concordataires aux travailleurs confère à ces derniers un vrai privilège. Toutefois, on doit reconnaître que la solution est logique dans la mesure où :
– un plan de redressement dûment approuvé met fin au "dessaisissement » du débiteur, qui retrouve la liberté d'administration et de disposition de son patrimoine; cela met donc fin à la suspension des poursuites individuelles;
– l'exigibilité immédiate des créances de salaires arriérés autorise donc les travailleurs à utiliser toutes les voies du droit commun pour en obtenir le paiement.
La solution devait être la même sous l'empire de l'AUPCAP. Selon l'article 134, alinéa 3 AUPCAP, "les travailleurs ne peuvent se voir imposer (par concordat) aucune remise ni des délais excédant deux ans…" De deux choses l'une : ou bien les créanciers n'ont consenti ni ne se sont vus imposer aucun délai et la solution du Juge des référés burkinabé s'applique aussitôt après que l'homologation du concordat est devenue définitive; ou bien ils ont consenti ou se sont vus imposer un délai et cette opposabilité prend fin, si besoin, au terme du délai accordé.