J-02-59
procedure collective – declaration de cessation des paiements – demande de redressement judiciaire – proposition de concordat sérieuse (non) – ouverture de la procédure de liquidation des biens.
Lorsque la proposition de concordat n'est pas sérieuse, il y a lieu de prononcer la liquidation des biens au lieu du redressement judiciaire demandé par le débiteur.
Pour être sérieuse et entraîner la conviction du tribunal, la proposition de concordat ne doit pas consister en des perspectives, même bien évaluées, mais en des mesures concrètes et des propositions réelles relatives au personnel, aux ressources, à des remises et des délais susceptibles d'être accordés par les créanciers en vue de redémarrer l'activité et apurer le passif. Tel n'est pas le cas d'un projet de concordat consistant en des propositions simplement théoriques.
Article 25 AUPCAP ET SUIVANTS
(Tribunal de grande instance de Ouagadougou, jugement n° 100 bis du 24 janvier 2001, Liquidation des biens des Etablissements Korgo Issaka et frères).
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE OUAGADOUGOU
(BURKINA FASO)
AUDIENCE DU 24 JANVIER 2001
Jugement Commercial : Etablissements KORGO Issaka & Frères
LE TRIBUNAL
Par requête présentée le 17 Octobre au Greffe du Tribunal de céans sous le n° 3114, Monsieur KORGO Issaka, Commerçant exerçant à l'enseigne "Etablissements KORGO et Frères", en abrégé EKOF, 08 BP 11219 Ouagadougou, et assisté du Cabinet d'Avocats Barterlé Mathieu SOME, Avocat à la Cour, sollicite sur le fondement de l'article 25 de l'Acte uniforme sur les procédures collectives d'apurement du passif du Tribunal de céans :
– qu'il prononce l'ouverture de son redressement judiciaire;
– nomme tel Juge qu'il conviendra Juge Commissaire et le Cabinet d'Avocats Barterlé Mathieu SOME et d'expertise comptable KIENTEGA Abel syndic;
– ordonne l'accomplissement de toutes formalités requises à cet effet;
– mette les dépens à la charge du redressement judiciaire;
A l'appui de sa requête, KORGO Issaka produit un récépissé de déclaration de cessation des paiements délivré le 6 octobre 2000 par le Greffier en chef, un document intitulé Etats Financiers au 30/09/2000 des Etablissements KORGO Issaka et Frères, EKOF, et une offre de concordat;
Il expose à l'appui de ses prétentions qu'il aurait cessé ses paiements le 30 Septembre 2000, et procédé à la déclaration requise par la loi au greffe du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, ainsi que l'atteste la copie de ladite déclaration ci-jointe et sollicite donc l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire en application des articles 25 et suivants de l'Acte uniforme de l'OHADA ci-dessus cité;
DECISION
EN LA FORME
Attendu qu'au terme de l'article 25 de l'Acte uniforme de l'OHADA portant sur les procédures collectives d'apurement du passif et de liquidation judiciaire, "le débiteur qui est dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible doit faire une déclaration de cessation des paiements aux fins d'obtenir l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, quelle que soit la nature de ses dettes;
La déclaration doit être faite dans les trente jours de la cessation des paiements et déposée au greffe de la juridiction compétente contre récépissé »;
Attendu que l'article 26 du même acte énumère une série de pièces qui doivent être jointes à la déclaration;
Attendu en l'espèce que les Etablissements KORGO Issaka ont déclaré la cessation de paiement au greffe le 17 Octobre 2000, après une cessation d'activités intervenue le 30 Septembre;
Que Monsieur KORGO Issaka a joint à sa requête les pièces requises par l'article 26 de l'Acte uniforme;
Attendu que la requête a satisfait aux conditions de forme prescrites par la loi et mérite en conséquence d'être déclarée recevable;
AU FOND
Attendu que pour prétendre à la procédure collective de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, l'article 25 de l'Acte uniforme exige que le débiteur soit dans l'impossibilité de faire face à son passif avec son actif disponible;
Que l'article 2 du même acte précise que le redressement judiciaire est une procédure destinée à la sauvegarde de l'entreprise et à l'apurement de son passif au moyen d'un concordat de redressement;
Enfin, l'article 33 du même Acte uniforme dispose que : « la juridiction compétente qui constate la cessation des paiements doit prononcer le redressement judiciaire ou la liquidation des biens; elle prononce le redressement judiciaire s'il lui apparaît que le débiteur a proposé un concordat sérieux. Dans le cas contraire, elle prononce la liquidation des biens »;
Attendu en l'espèce qu'il ressort des pièces du dossier que les Etablissements KORGO Issaka et Frères totalisent des pertes nettes d'un montant de Cent Vingt-Quatre Millions Deux Cent Quatre-Vingt Treize Mille Cent Sept (124.293.107) Francs CFA pour le dernier exercice contre des créances douteuses et irrécouvrables d'un montant de Trois Cent Trente Six Millions Quatre Cent Mille (336.400.000) francs CFA;
Qu'ils sont redevables à l'égard des établissements bancaires de la place de Cent Quatre-Vingt Seize Millions Cent Trente Quatre Mille Huit Cent Soixante Douze (196.134.872) francs CFA;
Qu'il en résulte que EKOF ne peut plus poursuivre ses activités du fait de pertes successives et cumulées l'ayant contraint à déposer son bilan;
Qu'eu égard à la situation financière déficitaire ainsi présentée, il en résulte que les Etablissements EKOF ne sont point à même de faire face à leur passif par leur actif disponible;
Qu'ils sont fondés à faire leur déclaration de cessation de paiement en vue de l'ouverture d'une procédure collective;
Mais attendu que la proposition de concordat doit être sérieuse pour donner lieu à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, sinon le Juge prononce l'ouverture d'une procédure de liquidation des biens;
Attendu en l'espèce que des documents produits au dossier, notamment des états financiers, il ressort que la situation économique et financière de EKOF est irrémédiablement compromise, ne laissant aucun espoir pour une procédure de redressement;
Qu'en effet, l'entreprise a accumulé d'énormes dettes avec les banques pour un montant de Cent Quatre Vingt Seize Millions Cent Trente Quatre Mille Huit Cent Soixante Douze (196.134.872) Francs CFA;
Que rien ne rassure pour un redressement lorsque le débiteur déclare bien qu'il serait souhaitable que "les institutions financières lui ouvrent une ligne de crédit de vingt millions (20.000.000) francs CFA pour lui permettre de financer le redressement, alors qu'en la matière, il n'est plus opportun de s'en tenir aux suppositions, étant donné surtout que l'établissement est en état de cessation d'activités;
Attendu en effet que la proposition de concordat, pour être sérieuse et gagner la conviction du Tribunal, ne doit pas consister en des perspectives bien évaluées mais plutôt en des mesures concrètes et des propositions réelles tout aussi bien quant au personnel qu'aux ressources et à des remises des créanciers et délais obtenus en vue de redémarrer l'activité et apurer collectivement le passif;
Or attendu en l'espèce que les pertes enregistrées par EKOF sont énormes face à un actif lourd mais incertain;
Que le débiteur ne peut compter que sur des interventions extérieures et des concessions des créanciers, ce qu'il n'a pu obtenir dans le cas d'espèce en ce sens que le concordat proposé n'apparaît pas suffisamment convaincant pour assurer le redressement de l'entreprise, car consistant en des propositions simplement théoriques;
Qu'il apparaît dès lors que seule la procédure de liquidation des biens reste la voie permettant à KORGO Issaka d'envisager la reprise de son affaire pour lui permettre d'entreprendre d'autres activités;
Attendu, enfin, que la juridiction compétente qui prononce la liquidation des biens nomme un Juge Commissaire et désigne tel expert chargé respectivement de surveiller et de procéder aux opérations pratiques de la liquidation;
Qu'il échet d'y pourvoir en l'espèce en nommant Madame DERME Maïmouna, Juge Commissaire, et Monsieur KIENTEGA Abel, expert comptable en qualité de syndic liquidateur;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après débat en chambre du Conseil, en matière civile et commerciale, contradictoirement et en premier ressort;
En la forme : déclare les Etablissements KORGO et Frères recevables en leur requête;
Au fond : constate que la cessation des paiements est intervenue le 30/09/2000;
Prononce la liquidation des biens des Etablissements KORGO Issaka et Frères;
Nomme Madame DERME Maïmouna, Juge au siège, Juge Commissaire chargé de superviser et de contrôler les opérations de liquidation;
Désigne Monsieur KIENTEGA Abel, expert comptable agréé près les cours et tribunaux du Burkina, en qualité de syndic liquidateur des Etablissements KORGO Issaka et Frères.
Met les dépens à la charge de la liquidation.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, les jour, mois et an que dessus;
Et ont signé, le Président et le Greffier.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Il ne fait pas de doute qu'une proposition de concordat doit être sérieuse pour justifier le redressement judiciaire. Mais il est difficile de juger du caractère sérieux dès la saisine du tribunal. C'est pourquoi, on peut se demander s'il n'eût pas été plus prudent d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire, quitte à la convertir en liquidation des biens le plus tôt possible si la négociation des termes du concordat avec les créanciers prévue par l'article 119, alinéa 4 AUPC s'avère infructueuse, voire l'issue de l'assemblée concordataire si les propositions s’avèrent inacceptables par les créanciers.