J-02-62
uemoa. droit communautaire – avis – projet de code communautaire des investissements de l'uemoa – champ d'application matériel et spatial – création de structures nationales par un règlement – structures pouvant être regardées comme des organes communautaires (non) – système de règlement des différends – médiation de la commission – incompétence (oui) – interprétation du droit communautaire par la cour de justice par le mécanisme de la question préjudicielle – notion de juridiction nationale – impossibilité pour un collège arbitral de poser une question préjudicielle (oui) – impossibilité pour la CCJA de l'OHADA d'introduire un recours préjudiciel (oui).
La Cour de Justice de l’UEMOA est compétente pour apprécier l’opportunité.
Cour de justice de l'union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Avis n° 001 du 2 février 2000, Observations Yawovi BATCHASSI.
La Cour,
Vu le Traité de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en date du 10 janvier 1994;
Vu le Protocole additionnel n° 1 relatif aux organes de contrôle de l'UEMOA;
Vu l'Acte Additionnel n° 10/96 portant Statuts de la Cour de Justice de l'UEMOA;
Vu le Règlement n° 01/96/CM portant Règlement de Procédures de la Cour de Justice de l'UEMOA;
Vu le Règlement Administratif de la Cour de Justice de l'UEMOA en date du 9 décembre 1996;
Vu la demande n° 99-144/PC/CJ du 19 novembre 1999 du Président de la Commission de l'UEMOA;
Sur la forme
La demande d'avis est recevable, étant conforme aux textes en vigueur en la matière.
Sur le fond
L'avis de la Cour s'articule autour de deux axes, les observations générales et les observations particulières.
I. Observations générales
Le projet de Code soumis se caractérise fondamentalement par :
1) ses dispositions attractives pour les éventuels investisseurs qui peuvent être séduits par les garanties, libertés et droits assurés;
2) sa tendance égalisatrice en ce que peuvent offrir les Etats, notamment dans le domaine fiscal où un taux minimum d'exonération est consenti et ce, dans des conditions strictes à remplir, par l'investisseur, à peine de retrait de l'agrément.
Ce n'est donc que sur cette base juridique uniforme pour tous les Etats membres que chaque Etat pourra conclure un accord d'établissement avec tout investisseur national ou étranger.
Toutefois, ce dispositif économico-juridique peut susciter des interrogations :
1) La notion d'investissement telle que définie à l'article 1 peut englober les opérations de privatisation en cours dans les Etats membres et qui concernent des entreprises publiques souvent mal en point et auxquelles les Etats réservent un sort particulier sur la base d'actes législatifs ou réglementaires, pour mieux les vendre ou les placer en des mains plus expertes. L'investissement de l'acquéreur de l'entreprise dans ces cas peut obéir à des règles qui ne sont pas forcément celles décrites dans le présent projet, lesquelles peuvent être trop restrictives, sinon inadaptées au contexte de la privatisation.
2) En général, l'investissement, surtout dans les rapports nord-sud, s'accompagne d'un transfert concerté de technologie, apport qui dans les rapports de coopération, peut constituer l'aspect le plus important; c'est dire donc que la mention de cet objectif peut être un rappel déterminant dans le contexte d'un Code des investissements.
3) Les dispositions du titre IV relatives au règlement des différends méritent une attention particulière parce que :
a) elles semblent ignorer que l'arbitrage est un mode de règlement juridictionnel de droit privé des litiges et est basé sur l'autonomie de la volonté des parties à la convention d'arbitrage; ce qui exclut le passage obligatoire à un mode de conciliation (ou de médiation);
b) en raison de l'exigence d'uniformité dans l'interprétation et l'application du droit communautaire, la Cour de Justice de l'UEMOA a l'exclusivité du règlement des litiges portant sur l'interprétation ou l'application de ce droit communautaire;
c) les organes comme la Cour Commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA, le Centre International pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) sans parler de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou les centres nationaux d'arbitrage, comme ceux créés récemment à Dakar et Abidjan, ne sont pas des juridictions mais organisent, conformément à leurs règlements d'arbitrage respectifs, des procédures appliquées par des arbitres librement désignés par les parties, alors que les juridictions comme la Cour de Justice de l'UEMOA et la Cour de Justice de l'OHADA en tant que juridictions de droit public, exercent des compétences exclusives, l'une en matière de droit communautaire, l'autre en matière d'actes uniformes, sans du reste que des compétences concurrentes et accidentelles ne soient totalement exclues;
d) les règlements d'arbitrage cités plus haut (OHADA, CIRDI) comme tous les autres règlements ont prévu une procédure préalable de conciliation qui leur est propre. Ce recours pré-contentieux ne peut être que discrétionnaire et nullement obligatoire. La Commission est statutairement un organe dont les compétences limitées par l'article 16 du Traité ne peut, sans risquer la violation du Traité, s'ériger en une instance de règlement, même conciliatoire, de litiges, son rôle aux termes du Traité consistant parmi tant d'autres fonctions, à veiller à l'application du droit communautaire et à en relever les manquements et non à rapprocher les Etats avec leurs co-contractants en matière d'investissement. Cette fonction de règlement pré-contentieux peut parfaitement être envisagée par les parties selon leur volonté souveraine, une conciliation ne pouvant dans ce cas d'espèce être obligatoire;
e) la coexistence dans le présent texte, de lois uniformes de l'OHADA et du droit communautaire de l'UEMOA va poser des problèmes de contrariétés de décisions voire de base juridique, s'il ne s'agit de conflits de compétence entre la Cour de Justice de l'UEMOA et celle de l'OHADA. Mieux, lorsqu'il est question de régler les litiges nés ou à naître de l'application de ce projet de code par la voie de l'arbitrage, juridiction privée, le droit de recourir au renvoi préjudiciel peut ne pas être recevable devant la Cour de l'UEMOA. En outre on peut se demander si la Cour de l'OHADA peut statuer en tant que juridiction de cassation dans des cas d'espèce où c'est le droit communautaire qui est en cause sans se référer à la Cour de Justice de l'UEMOA. En effet, elle ne peut saisir la Cour de Justice de l'UEMOA en renvoi préjudiciel, parce qu'elle n'est pas une juridiction nationale. D'autre part, la Cour de Justice de l'UEMOA peut-elle englober dans le droit dérivé communautaire, les actes uniformes de l'OHADA dont le Traité, il est vrai, est ratifié par tous les Etats membres de l'UEMOA ? Dans ce cas, que dire de l'exclusivité de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA dans l'application et de l'interprétation des actes uniformes prévue par l'article 14 du Traité ? La même exclusivité étant réservée à la Cour de Justice de l'UEMOA en ce qui concerne l'interprétation et l'application du droit communautaire issu des organes compétents de l'Union.
Le projet de texte faisant à la fois référence et aux actes uniformes de l'OHADA et au droit communautaire de l'UEMOA, un cas d'espèce comprenant l'application des deux ordres juridiques serait de nature à mettre en opposition les deux juridictions.
En conclusion, le mode de règlement par voie arbitrale des litiges nés de l'application du projet de code soumis, qui a pour particularité de faire appel à des garanties d'impartialité, à cause notamment de la nationalité étrangère des investisseurs significatifs, conduit effectivement à l'adoption d'un mode de règlement par une justice privée, parce que conçue et organisée selon le vœu des parties, même si dans le cas d'espèce le contrôle de l'uniformité de l'application et de l'interprétation du droit communautaire applicable va échapper à la Cour de Justice de l'UEMOA.
Toutefois, cette dernière pourra être incidemment saisie en recours préjudiciel si le tribunal arbitral compétent a recours aux juridictions des Etats membres, conformément à la loi du contrat. En somme, rien ne s'oppose à ce que les litiges nés de ce code soient de la compétence de droit commun des juridictions nationales, sous réserve de compromis ou de clauses compromissoires qui dessaisissent les juridictions d'Etat en faveur d'une justice privée.
II. Observations particulières
Sur les visas
Les deux derniers visas portant sur le CIRDI et l'OHADA en tant qu'organes d'arbitrage paraissent inutiles parce que ce ne sont pas les seuls règlements d'arbitrage auxquels les Etats et les investisseurs peuvent recourir, d'autre part, il n'est pas habituel dans des textes de viser des règlements d'arbitrage qui relèvent du reste du libre choix des parties.
Sur les définitions
La notion d'accord d'établissement visé à l'article 20 n'est pas définie. Il s'agit d'une convention définissant les droits et obligations réciproques de l'Etat hôte et de l'investisseur.
Article 2
La dénomination portée par le titre ne correspond pas à celle retenue dans le présent article.
Cet article mérite une reformulation qui pourrait être la suivante :
« Le présent code dénommé « Code Communautaire des investissements de l'UEMOA » s'applique uniformément, sous réserve des dispositions de l'article 3 ci-après, sur toute l'étendue du territoire communautaire à tout investissement y effectué et ce, quels que soient la nationalité de l'investisseur et le secteur de l'investissement ».
Article 3
Cet article pourrait être reformulé ainsi qu'il suit :
« En attendant l'intervention des mesures communautaires d'harmonisation des législations dans ces domaines, prévues dans le cadre de l'Union, les exploitations, minières, pétrolières et forestières restent régies par le droit national des Etats membres ».
Article 4
a) 3e alinéa, 1ère ligne :
Lire : « Dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la requête ».
Article 5
Cet article, qui limite la validité des liens juridiques entre ces entreprises et les Etats membres à vingt (20) ans, est à rapprocher des dispositions de l'article 28 qui prévoient le maintien des accords conclu et les agréments antérieurs jusqu'à leur terme conventionnel.
Il y a lieu de souligner à ce propos, que les avantages consentis par l'Etat hôte aux investisseurs peuvent reposer sur les traités bilatéraux portant sur la promotion et la protection des investissements conclus entre l'Etat hôte et l'Etat de l'investisseur; ce qui nous ramène aux dispositions de l'article 4 du Traité de l'Union.
Article 6
Alinéa 2, 4e ligne :
Les mentions des articles 21 et suivants ne paraissent pas appropriées, les indemnisations pouvant avoir lieu de manière non contentieuse, l'application des dispositions des articles 21 et suivants relatifs au règlement des différends n'est qu'une éventualité et n'est pas la forme normale d'indemnisation.
Cet alinéa peut s'arrêter après les termes : « sauf pour cause d'utilité publique légalement prévue ».
Article 16
L'alinéa 2, 2e ligne, prévoit, après expiration des délais de réponse, l'octroi d'un agrément, ne contenant pas les avantages particuliers consentis; il conviendrait de donner la faculté à l'administration de régulariser l'agrément implicite par un document complémentaire contenant les avantages particuliers auxquels l'investisseur peut prétendre en droit, à défaut, le détenteur d'un agrément implicite n'est pas dans une situation comparable à celui qui a été dûment agréé.
Article 17
Le fait de viser dans un règlement communautaire les règles statutaires et légales de l’OHADA ne fait-il pas de ce texte un acte d’intégration dans le droit communautaire, en d’autres termes, ne s’agit-il pas d’une immixtion dans un ordre juridique autonome ?
En tout état de cause, cette coexistence ou référence dans le même code à des dispositions des deux Traités autonomes l’un par rapport à l’autre est de nature à créer des ambiguïtés juridiques dans l’interprétation et l’application du présent code.
C’est du reste le lieu de souligner la nécessité d’une concertation des deux organisations, l’UEMOA et l’OHADA, en vue d’une coordination et de leur politique normative et de leur juridiction respective qui exercent leur contrôle juridictionnel sur les mêmes juridictions des Etats membres et dans des domaines qui ne sont pas nettement délimités.
Article 18
a) Alinéa 1er, 3e ligne
Lire : « … suspendu en vertu d’une mesure législative, judiciaire ou administrative », au lieu de « … par la loi, le juge ou l’administration ».
Article 19
Les dispositions de cet article créant les Centres de promotion des investissements (CPI) et organisant leurs attributions et leurs règles de fonctionnement dans l’acte communautaire même qui est le règlement portant code des investissements peut prêter à équivoque, en ce sens que ces organismes peuvent être interprétés comme de nature communautaire, alors qu’il s’agit de services publics de droit interne. Le recours à la directive paraît plus heureux parce qu’il permet à chaque Etat membre de prendre des actes de transposition créant son centre avec les mêmes attributions et les mêmes règles de fonctionnement et dans le cadre de son organisation administrative.
TITRE IV : articles 20 et suivants
Ces articles ont déjà fait l’objet d’observations générales relatives à la conception du règlement des différends nés du présent code. Les observations qui suivent ne font que compléter ce qui a été dit plus haut.
Article 20
Cet article devra être totalement revu. Il adopte des procédures de règlement dites graduelles passant par la médiation obligatoire de la Commission avant toute autre procédure, tout en offrant une variété de recours où des juridictions inter-étatiques, comme la Cour de Justice de l’UEMOA, partagent leurs compétences avec des organisations d’arbitrage.
Comme il a été relevé dans les observations générales, le mode de règlement des litiges nés de ce code peut relever des juridictions de droit public (juridictions nationales et Cour de Justice de l’UEMOA) à cause du caractère communautaire du code, et pour renforcer l’impartialité dans le règlement du litige, il est donné la faculté aux Etats membres et à leurs co-contractants investisseurs de recourir à l’arbitrage international selon les règlements d’arbitrage de leur choix (qu’il n’y a du reste pas lieu de citer); ce qui dessaisit la Cour de Justice de tout contrôle juridictionnel dans l’interprétation et l’application du code, sauf dans les cas limites où les tribunaux arbitraux ont recours aux juridictions nationales pour la prise de certaines mesures provisoires ou le cas où les parties à l’arbitrage agissent devant les juges nationaux en exequatur de sentences arbitrales définitives. Dans ces derniers cas, les recours préjudiciels peuvent accidentellement être utilisés dans le cadre de ces procédures somme toute formelles.
Article 21
Cet article relatif à la médiation d’office de la Commission pose le problème :
1) de la compétence de la Commission à exercer une telle attribution,
2) de celui du respect de la volonté des parties à recourir à un médiateur et conciliateur dans le cadre d’un contentieux arbitral,
3) de la composition du comité de conciliation qui, en définitive, n’est pas une émanation de la Commission,
4) de l’exclusion des organes de conciliation prévus dans les règlements d’arbitrage cités.
Article 22
Les mêmes observations faites en ce qui concerne les dispositions de l’article 20 peuvent valoir pour celles de cet article; ni le Protocole additionnel portant contrôle juridictionnel, ni les Statuts de la Cour, ni son Règlement de procédures ne permettent de soumettre la recevabilité d’un recours contre un acte communautaire à un préalable de médiation de la Commission. Par ailleurs, les juridictions arbitrales assurant une justice privée, le contrôle de la Cour de Justice ne peut être exercé directement sur elle.
En conclusion, s’agissant de différends de nature économique entre les Etats membres personnes publiques et des investisseurs personnes physiques ou morales de droit privé, il convient de laisser la faculté aux parties en cause de s’adresser soit aux juridictions nationales, juges de Cour de Justice de l’UEMOA), soit de recourir par clause compromissoire ou compromis à un règlement arbitral de leur choix.
Article 23
Cet article peut ne pas figurer dans ce texte, le recours en manquement des Etats membres étant réglé dans toutes ses phases par le Traité constitutif de l’UEMOA; l’alinéa 2 de l’article relatif au préalable de médiation de la Commission est contraire au Traité précité; le recours en manquement a un objet autre, de contrôle objectif et interne à l’Union des engagements des Etats membres; il ne concerne pas les personnes de droit privé comme les investisseurs dans leurs relations avec les Etats.
Article 27
Cet article semble établir une procédure propre d’élaboration ou de modification du règlement portant code des investissements, ce qui peut être une remise en cause de l’élaboration des actes communautaires telle qu’elle relève du Traité de l’UEMOA.
Il est vrai qu’en matière de textes portant protection et promotion des investissements, il est souvent prévu à titre préventif, des clauses de stabilité et même d’intangibilité des mesures juridiques prises en faveur de l’investisseur, clauses qui sont à la limite du respect de la souveraineté des Etats.
Article 28
Lorsqu’il s’agira de Traités bilatéraux signés entre Etats en matière de promotion et de protection des investissements, c’est plutôt les dispositions de l’article 14 du Traité de l’UEMOA qui devront trouver application, comme dit plus haut à l’article 5.
Article 29
Les mesures nouvelles prévues à la charge de la Commission ne sont pas conformes au Traité.
Article 30
Les mesures de « notification » prévues sont inutiles et inhabituelles en l’espèce; les dispositions de publication suffisent.
NOTE
L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), créée par le Traité de Dakar du 10 janvier 1994 et regroupant aujourd’hui huit Etats d’Afrique de l’Ouest, a franchi un pas décisif dans la construction de son marché commun par l’instauration d’une union douanière depuis le 1er janvier 2000. L’objectif ultime de l’UEMOA n’est pas uniquement l’édification d’une union douanière, mais d’une « union économique ». A l’union douanière s’ajoute l’harmonisation ou l’uniformisation des politiques économique, financière et sociale. C’est dans cet esprit que l’Union a déjà effectué l’harmonisation du cadre juridique, comptable et statistique des finances publiques, l’harmonisation de la fiscalité intérieure indirecte (TVA et droits d’accises), l’harmonisation de la législation comptable (Système Comptable Ouest Africain, SYSCOA). La mise en place d’une zone commerciale commune commande donc une organisation de la concurrence aussi bien entre les particuliers qu’entre les Etats membres.
C’est dans cet ordre d’idée également qu’il faut inscrire le projet de code communautaire des investissements. Le marché devenant commun, les entreprises produiront pour les soixante dix millions de consommateurs de l’UEMOA. Pour donner une égalité de chance aux Etats dans l’établissement de ces entreprises, l’harmonisation des législations relatives aux investissements s’avère indispensable. De même que le tarif extérieur commun (TEC) vise à éviter les détournements de trafic des marchandises, le code communautaire des investissements vise à éviter le détournement des investissements, renforçant ainsi la solidarité entre les Etats membres. En l’absence d’un tel code, en effet, les investisseurs auraient tendance à investir naturellement dans les pays accordant plus d’avantages fiscaux. Ceci aboutirait à une polarisation des investissements, source d’accentuation des disparités de développement entre les Etats. Ceci est d’autant plus vrai qu’au lendemain des indépendances, ces pays s’étaient livrés à une concurrence dans l’élaboration de leur code des investissements, chacun cherchant à accorder plus d’avantages fiscaux que les autres, espérant attirer ainsi davantage d’investisseurs. Cette prolifération concurrente des codes des investissements dans les pays membres de l’UEMOA et dans les ex-colonies françaises en général remonte, en réalité, à l’époque coloniale (). Un code communautaire des investissements serait de nature à mettre fin à cette concurrence ruineuse entre les Etats.
C’est pourquoi le besoin d’harmonisation des législations des investissements en Afrique de l’Ouest s’était déjà fait sentir dans l’ex-CEAO (). Il fallait, dans le cadre communautaire, inciter les investisseurs nationaux et étrangers; le code communautaire avait été perçu comme non seulement un moyen de réalisation d’un développement équilibré de l’espace communautaire, mais également un moyen pour faciliter la libre circulation des personnes, notamment dans son volet portant sur le droit d’établissement (). Cette entreprise de la CEAO n’a cependant pu aboutir, les intérêts nationaux n’ayant, à l’époque, pu être sublimés par l’intérêt communautaire.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’avancée de l’UEMOA dans son processus d’intégration, notamment par l’instauration d’une union douanière, a conduit la Commission, exerçant son pouvoir d’initiative, à entamer la conception d’un code communautaire des investissements. Il s’agit d’un projet de règlement portant code communautaire des investissements. Du fait de l’instrument juridique utilisé, l’Union entend donc opérer une uniformisation et non pas une harmonisation.
Vu l’importance du code des investissements, son élaboration doit être soignée. C’est pourquoi, utilisant la possibilité qui lui est offerte par l’article 27 de l’acte additionnel n° 10/96 du 10 mai 1996 portant statuts de la Cour de Justice de l’UEMOA, la Commission a consulté la Cour afin de recueillir son avis sur la version 5 du projet de code communautaire des investissements. La Cour a donné son avis, l’avis n° 001/2000 du 2 février 2000. C’est précisément cet avis qui fait l’objet de la présente note.
Il n'est pas utile, dans la présente note, de revenir sur les observations d'ordre purement formel de la Cour. D'une façon générale, l'avis de la Cour s'articule autour de deux axes principaux : d'une part sur certaines des conditions d'admission aux avantages accordés par le projet de code (I) et, d'autre part, sur le système de règlement des différends (II).
I. Les observations sur les conditions du bénéfice des avantages accordés
Les observations de la Cour portent aussi bien sur les conditions de fond (A) que sur les conditions de forme (B). Il est bien entendu que notre objectif n'est pas de faire une étude exhaustive des conditions d'octroi des avantages du projet de code mais seulement de porter une réflexion sur les points ayant fait l'objet d'observations par la Cour de Justice.
A. Les observations sur les conditions de fond
Les observations de la Cour portent sur la notion même d'investissement (champ d'application matériel) et sur l'espace dans lequel cet investissement doit être réalisé (champ d'application spatial).
1 Champ d'application matériel
Il faut signaler de prime abord que la personne de l'investisseur est neutre, car aucune discrimination fondée sur la nationalité n'est faite entre investisseurs. L'investisseur est, en effet, « Toute personne physique ou morale, ressortissant ou non de l'Union, quelle que soit sa nationalité, réalisant dans les conditions définies dans le cadre du présent code, des opérations d'investissement sur toute l'étendue du territoire communautaire » (). Le projet de code ne fait pas non plus de distinction entre investissement privé et investissement public.
Par contre, quelle opération peut être regardée comme un investissement ? Aux termes de l'article 1er, § 4 du projet de code des investissements, il y a investissement lorsque les capitaux sont « mobilisés et employés par toute personne physique ou morale, pour l'acquisition des mobiliers, immobiliers, matériels et pour assurer le financement de frais de premier établissement ainsi que les besoins en fonds de roulement, rendus nécessaires à l'occasion de la création d'entreprises nouvelles ou lors de l'extension et/ou de la modernisation d'entreprises déjà fonctionnelles ». L'article 13, § 2 renchérit en disposant que l'investissement doit permettre « soit la création d'une entreprise nouvelle, soit la modernisation, soit l'extension, la diversification d'une entreprise déjà existante, soit le simple renouvellement des équipements ». Il s'agit là d'une conception patrimoniale de l'investissement. Il ressort de cette définition, en effet, que l'investissement doit nécessairement se traduire par l'accroissement du patrimoine matériel. Sur un plan juridique, les droits conférés à l'investisseur doivent, en principe s'analyser, en des droits de propriété (propriété totale ou partielle) et non pas en de simples droits de créance.
En ce qui concerne les domaines d'application du code, il s'agit de tous les secteurs et non pas seulement ceux inscrits en priorité dans les programmes de développement, comme ce fut le cas dans les codes nationaux. Il existe tout de même des exceptions. Les dispositions du code communautaire ne s'appliquent pas aux secteurs minier, pétrolier et forestier. En ces matières, les législations nationales continueront à s'appliquer en attendant leur réglementation par le droit communautaire (). Les Etats pourront également soustraire certains secteurs de l'application du code communautaire sur la base d'une clause de sauvegarde prévue à l'article 4 du projet de code : « Dans le cas où ses intérêts fondamentaux sont menacés ou en péril et exclusivement dans ce cas, un Etat membre peut décider de soustraire, pour une période de temps limitée, un secteur d'activité donné, déterminé avec précision, du champ d'application du présent code ».
Sur les opérations pouvant être qualifiées d'investissements, les observations faites par le juge communautaire visent tantôt à rétrécir, tantôt à étendre le champ d'application du code. Il s'agit de soustraire la privatisation du champ d'application du code et d'y inclure le transfert de technologie.
Sur la privatisation, le juge observe : « La notion d'investissement telle que définie à l'article 1 peut englober les opérations de privatisation en cours dans les Etats membres et qui concernent des entreprises publiques souvent mal en point et auxquelles les Etats réservent un sort particulier sur la base d'actes législatifs ou réglementaires, pour mieux les vendre ou les placer en des mains plus expertes. L'investissement de l'acquéreur de l'entreprise dans ce cas peut obéir à des règles qui ne sont pas forcément celles décrites dans le présent projet, lesquelles peuvent être trop restrictives, sinon inadaptées au contexte de la privatisation » (). Evidemment, l'opération de privatisation, lorsqu'elle se traduit par le transfert total ou partiel de la propriété de l'entreprise () au secteur privé (investisseurs) et par « l'extension et/ou la modernisation » de l'entreprise, pour reprendre les termes de l'article 1 du projet de code, entre dans le champ d'application du code. L'on peut donc très bien partager l'avis du juge lorsqu'il affirme que « La notion d'investissement telle que définie à l'article1 peut englober les opérations de privatisation en cours dans les Etats membres ». On le comprend moins, par contre, lorsqu'il affirme que « L'investissement de l'acquéreur de l'entreprise dans ces cas peut obéir à des règles qui ne sont pas forcément celles décrites dans le présent projet, lesquelles peuvent être trop restrictives sinon inadaptées au contexte de la privatisation ». Est-ce à dire que, comme dans les domaines pétroliers, miniers et forestiers, les Etats conservent la possibilité d'accorder les avantages qu'ils veulent aux repreneurs d'entreprises publiques ? Dans l'affirmative, cela reviendrait à dire que celui qui crée son entreprise ex nihilo est désavantagé par rapport à celui qui rachète une entreprise existante. Ceci ne nous paraît pas juste. Il faut souligner, en effet, que la raison d'être du code des investissements est d'accorder des avantages fiscaux et douaniers aux investisseurs, la liberté de transfert de capitaux. On ne voit donc pas en quoi les règles du code sont inapplicables ou inadaptées au contexte de la privatisation. Dans un autre sens, est-ce qu'il faudrait considérer que le juge entend soustraire l'opération de privatisation du bénéfice de tout avantage fiscal ? Il nous semble qu'accorder les avantages prévus par le code aux privatisations remplissant les critères d'un investissement tel que défini, serait de nature à attirer les éventuels repreneurs des entreprises publiques. En définitive, cette observation du Juge ne paraît pas assez explicite et convaincante.
Concernant le transfert de technologie, le juge observe : « En général l'investissement, surtout dans les rapports nord-sud, s'accompagne d'un transfert concerté de technologie, apport qui dans les rapports de coopération peut constituer l'aspect le plus important; c'est dire donc que la mention de cet objectif peut être un rappel déterminant dans le contexte d'un Code des investissements ».Dans les relations nord-sud, il ressort, en effet, que les pays du nord ont déjà mis au point des technologies éprouvées et leur utilisation par les pays du sud serait un élément important pour leur développement économique. C'est dans cette logique que le juge aurait voulu que le projet de code prévoit des mesures favorables à ces transferts de technologie. Le projet d'harmonisation des codes des investissements des Etats membres de l'ex CEAO visait précisément ces opérations; il définissait le transfert de technologie comme « le transfert de toute connaissance technique nécessaire à l'exercice d'une activité économique, à l'exclusion des simples opérations de vente ou de louage de biens ainsi que de leurs installations et réparations » () et prévoyait que « Tout arrangement relatif au transfert de technologie, notamment le contrat de transfert de technologie, est soumis aux dispositions du présent code » (). Il se pourrait que les rédacteurs du projet de code UEMOA, comme nous le soulignions plus haut, aient entendu privilégier le facteur capital; le simple transfert de technologie ne suffisant pas. Cela pourrait se justifier par le fait que les bénéficiaires d'un simple transfert de technologie auraient des difficultés à l'exploiter. Dans ce cas, il aurait été souhaitable de prévoir l'applicabilité du code communautaire des investissements au transfert de technologie lorsque ce transfert s'accompagne de mesures pouvant faciliter son exploitation. Vu l'importance du facteur technologique dans le développement, l'observation du juge communautaire n'est pas dénuée de toute pertinence.
L'investissement, pour bénéficier des avantages que prévoit le code, doit être effectué dans un espace donné.
2 Champ d'application spatial
Concernant le champ d'application spatial, le projet de code s'applique uniformément sur toute l'étendue du territoire communautaire. Il s'agit donc d'un investissement effectué dans l'un quelconque des Etats membres de l'UEMOA.
Les observations du juge communautaire portent sur l'exception que prévoit le projet de code; il s'agit du cas particulier des zones franches. Les zones franches ne relèvent pas du champ d'application du code communautaire, même si les avantages octroyés dans ce cadre sont plus importants que ceux du code communautaire. L'on pourrait, alors, se demander si le maintien des législations nationales sur les zones franches n'aboutira pas à une prolifération de ces dernières dans les différents Etats membres, remettant ainsi en cause l'objectif visé par le code communautaire des investissements. Il convient de répondre par la négative, parce qu'un certain nombre de conditions doivent être remplies pour que les législations nationales sur ces zones franches continuent à s'appliquer. L'article 5 du projet de code prévoit justement ces conditions : il faut que les entreprises en cause exportent au moins 80 % de leur production en dehors de l'Union, y compris l'Etat d'implantation; les biens produits dans le cadre de ces zones franches ne peuvent bénéficier du schéma de libéralisation des échanges au sein de la Communauté (ils seront considérés comme des produits venant des pays tiers); la durée des avantages accordés ne peut excéder vingt ans. C'est précisément sur cette limitation temporelle que la Cour fait une observation : « Cet article, qui limite la validité des liens juridiques entre les entreprises et les Etats membres à vingt (20) ans, est à rapprocher des dispositions de l'article 28 qui prévoient le maintien des accords conclus et les agréments, antérieurs au code jusqu'à leur terme conventionnel.
Il y a lieu de souligner à ce propos que les avantages consentis par l'Etat hôte aux investisseurs peuvent reposer sur les traités bilatéraux portant sur la promotion et la protection des investissements conclus entre l'Etat hôte et l'Etat de l'investisseur; ce qui nous ramène aux dispositions de l'article 14 du Traité de l'Union » (). Il nous semble qu'il y a là trois situations qu'il faut distinguer : les conventions conclues et les agréments accordés sur la base des codes nationaux des investissements, les avantages particuliers consentis à certains investisseurs du fait des conventions bilatérales entre leur Etat et l'Etat d'établissement, et la situation particulière des zones franches.
L’objectif des rédacteurs du code concernant les zones franches (visées à l’art. 5) est de les soustraire du champ d'application du code communautaire lorsque certaines conditions, déjà évoquées, sont réunies. Le législateur communautaire entend réserver ce traitement particulier aux zones franches parce que les entreprises qui s'y installent sont souvent tournées vers l'exportation. Les pays qui créent ces zones le font généralement dans un but social (politique de l'emploi) et d'accroissement de leur volume d'exportation ().
Concernant les accords et agréments antérieurs conclus ou accordés par les Etats membres, l’article 28 ne fait qu’appliquer un principe général de droit, la non-rétroactivité des lois; la loi ne dispose que pour l’avenir. C’est pourquoi il est prévu « le maintien des accords conclu et les agréments, antérieurs au code jusqu’à leur terme conventionnel ».
Pour ce qui est des avantages consentis par l’Etat hôte aux investisseurs sur la base des traités bilatéraux conclu entre l’Etat hôte et l’Etat de l’investisseur, les avantages incompatibles ou faisant double emploi avec les dispositions du code communautaire pourront effectivement être traités sur la base de l’article 4 du Traité UEMOA ().
En définitive, le code s’appliquera aux investisseurs, qui investissent dans l’espace communautaire après la mise en vigueur du code, à l’exclusion de ceux qui investissent dans les zones franches.
Pour bénéficier des avantages du code, le projet de code préconise une procédure uniforme d’agrément; il préconise également la création de structures nationales chargées d’octroyer les agréments. Il convient d’analyser les observations du juge communautaire sur le mode de création de ces structures.
B. Les observations sur les conditions de forme
Aux termes de l’article 16, « Tout investisseur désireux de bénéficier des avantages particuliers prévus dans le présent code est tenu de déposer un dossier de demande d’agrément auprès des services techniques de l’administration compétents en la matière et qui sont dénommés « Centre de Promotion des Investissements (CPI) ». L’article 19 du projet de code précise l’étendue des attributions de ces centres.
L’attention du juge a été retenue par le mode de création des Centres de promotion des investissements, à savoir un règlement communautaire : « Les dispositions de cet article créant des Centres de promotion des Investissements (CPI) et organisant leurs attributions et leurs règles de fonctionnement dans l’acte communautaire même qui est le règlement portant code des investissements, peut prêter à équivoque, en ce sens que ces organismes peuvent être interprétés comme de nature communautaire alors qu’il s’agit de services publics de droit interne. Le recours à la directive paraît plus heureux, parce qu’il permet à chaque Etat membre de prendre des actes de transposition créant son centre avec les mêmes attributions et les mêmes règles de fonctionnement et dans le cadre de son organisation administrative ».
La question qui se pose ici est de savoir du règlement et de la directive lequel de ces deux instruments juridiques est le plus indiqué pour la création de telles structures. Avant de répondre à cette question, il convient de rappeler les caractéristiques de ces deux catégories d’actes.
Un règlement est un acte de portée générale et obligatoire dans tous ses éléments. Il est directement applicable, c’est-à-dire que tout particulier peut s’en prévaloir directement, sans qu’il faille de réception, de transposition ou même de mesures d’exécution internes. Il est utilisé si l’on recherche une uniformisation dans un domaine particulier ().
Une directive est un acte de portée générale et abstraite qui lie les Etats membres quant au but à atteindre, mais qui allie à cette rigueur une certaine souplesse, leur permettant de choisir – en fonction des impératifs de leur ordre juridique national – le moyen le plus adapté d’y parvenir. La directive requiert donc des mesures internes d’exécution et est l’instrument juridique approprié lorsqu’on veut procéder à une harmonisation ().
Il faut relever d’entrée de jeu que, contrairement à l’affirmation du juge communautaire, rien ne permet d’affirmer que le règlement sert à créer des organes communautaires et la directive des organes nationaux. Tout dépend de ce que l’on entend obtenir et de ce que les Etats sont disposés à accepter. Si l’on veut créer des structures uniformes (la composition, le fonctionnement et les compétences sont identiques dans tous les Etats), on utilisera le règlement alors que si l’on veut seulement des structures harmonisées, c’est-à-dire proches mais pas identiques, la directive est plus appropriée. Et là encore, il faudrait émettre une réserve, car tout dépend de la précision du contenu de la directive. Le seul fait d’utiliser la directive ne donne pas forcément plus de liberté aux Etats membres; une directive prévoyant la composition, le fonctionnement et les attributions de ces structures dans les moindres détails aura pratiquement les mêmes effets qu’un règlement, c’est-à-dire que les Etats n’auront plus besoin de prendre des mesures internes d’application ou alors ces mesures n’auront aucune incidence significative. Une directive pourrait donc avoir les mêmes effets qu’un règlement, à part le délai donné aux Etats. Si l’on se réfère à la directive n° 01/96/CM de l’UEMOA mettant en place les Comités nationaux de politique économique (CNPE), il y est déjà défini les attributions et les règles de fonctionnement. Les Etats n’ont eu besoin de prendre que des décrets de nomination des agents de ces structures. Serait-on arrivé à un résultat différent si on avait utilisé en lieu et place un règlement ? En réalité, aucune différence n’est perceptible si ce n’est les deux mois accordés aux Etats pour la mise en place de ces structures ().
Il est tout de même important de souligner que la psychologie des Etats membres importe beaucoup. Sont-ils ou non enclins à des concessions de souveraineté ? Dans la négative, il est préférable d’utiliser effectivement la directive qui pourrait avoir ainsi un effet purement « anesthésiant ». C’est donc un choix d’opportunité et de circonstance et non pas les conséquences juridiques des deux actes qui doit fonder le choix entre le règlement et la directive.
Après ces approbations et critiques sur les observations de la Cour sur les conditions d’admission aux avantages accordés, il convient d’analyser les remarques de la Cour sur le système de règlement des différends que préconise le projet de code communautaire des investissements.
II. Les observations sur le système de règlement des différends
Lorsqu'un conflit naît entre deux parties, elles peuvent décider de le régler à l'amiable ou recourir à la voie judiciaire. Les deux modes de règlement des différends sont envisagés par le projet de code des investissements.
A. Le règlement amiable
Le règlement amiable d'un différend peut se faire soit par la conciliation, soit par la transaction, soit enfin par la médiation. C'est précisément ce troisième mode de règlement amiable que prévoit le projet de code communautaire des investissements.
L'article 21 du projet prévoit la médiation de la Commission de l'UEMOA avant toute autre procédure de règlement. L'intitulé de cet article « la médiation de la Commission » laisse penser que c'est la Commission dans son ensemble (l'organe collégial composé de l'ensemble des commissaires) qui fait la médiation; mais à la lecture de l'article 21, il n'en est rien. Le rôle de la Commission consiste à mettre en place « un comité de médiation comprenant un représentant de la Commission, Président du comité, un représentant des Centres de Promotion des Investissements des pays concernés par le litige et un représentant d'une organisation professionnelle ou d'une chambre consulaire nationale ou régionale choisi par l'entreprise ».
Le juge fait observer qu'une telle médiation est attentatoire à la liberté des parties au litige et qu'au surplus, la Commission est incompétente en la matière.
Pour ce qui est de la liberté des parties, il faut bien convenir qu'on ne peut imposer un règlement amiable, comme le fait le projet de code, aux parties à un litige. En l'occurrence, lorsqu'un litige naît entre investisseurs et Etats, il leur appartient de recourir, au préalable, à un mode amiable de règlement (et pas seulement la médiation) ou décider de recourir directement à la voie judiciaire. Limiter le règlement amiable à la médiation obligatoire et choisir déjà le tiers médiateur sont, évidemment, attentatoires à la liberté des parties.
Concernant la deuxième observation, il ressort de l'analyse du juge que la Commission est incompétente pour jouer un tel rôle au regard des dispositions de l'article 26 du Traité UEMOA de 1994. En d'autres termes, la Commission ne détient pas une telle attribution de par les dispositions du Traité constitutif. L'article 26 du Traité UEMOA fixe les attributions de la Commission en ces termes : « La Commission exerce, en vue du bon fonctionnement et de l'intérêt général de l'Union, les pouvoirs propres que lui confère le présent Traité. A cet effet, elle :
– transmet à la Conférence et au Conseil les recommandations et les avis qu'elle juge utiles à la préservation et au développement de l'Union;
– exerce, par délégation expresse du Conseil et sous contrôle, le pouvoir d'exécution des actes qu'il prend;
– exécute le budget de l'Union;
– recueille toutes les informations utiles à l'accomplissement de sa mission;
– établit un rapport annuel sur le fonctionnement et l'évolution de l'Union qui est communiqué au Comité Interparlementaire et aux organes législatifs des Etats membres;
– assure la publication du Bulletin officiel de l'Union ».
Il ressort clairement de cette disposition que la médiation de la Commission dans un litige relatif aux investissements n'est ni une compétence expresse, ni une compétence implicite. Or, l'un des principes fondamentaux du droit communautaire est le principe de la compétence attribuée. En d'autres termes, les organes de la Communauté ne jouissent que des compétences qui leur sont attribuées par le Traité constitutif et rien que de celles-là. En effet, seuls les domaines ayant fait l'objet d'abandon de souveraineté de la part des Etats entrent dans le champ de compétence de la Communauté. Le principe de la compétence attribuée ou de spécialité est précisément destiné à protéger la compétence des Etats membres, car il permet à ceux-ci de demander l'annulation de tout acte pris en-dehors des compétences communautaires. La Commission outrepasserait donc ses compétences en voulant s'immiscer dans les relations contractuelles des Etats membres avec les particuliers. C'est dire que si le projet de règlement avait été adopté en retenant la médiation de la Commission comme mode de règlement amiable dans les différends relatifs aux investissements, un Etat pourrait bien introduire, avec succès, un recours en annulation devant la Cour de Justice de l'UEMOA.
Le juge fait bien donc de relever cette violation du principe de la compétence attribuée, anticipant ainsi sur une éventuelle annulation du règlement.
L'avis du juge sur l'article 6 du projet de code emporte, partiellement, notre adhésion. Cet article, en son alinéa 2, prévoit que « L'entreprise est garantie contre toute mesure de nationalisation, d'expropriation ou de réquisition sur toute l'étendue du territoire communautaire, sauf pour causes d'utilité publique, légalement prévues. Dans de telles situations, l'entreprise sera promptement indemnisée, de façon juste et équitable, et ce conformément aux dispositions des articles 21 et suivants, traitant du règlement des différends ». Les articles 21 et suivants consacrent la médiation de la Commission, le recours devant les juridictions communautaires (Cour de Justice UEMOA et la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA) de l'OHADA) et le recours devant les centres d'arbitrage (CCJA de l'OHADA et le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI)). Il n'est donc pas adéquat, comme le fait l'article 6 du projet de code, de contraindre les parties à passer forcément par ces modes de règlement pour l'indemnisation de l'investisseur en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique. Les autres modes de règlement amiable des différends (transaction, conciliation) pourraient être utilisés. Par contre, la formulation préconisée par le juge ne nous paraît pas suffisamment sécurisante. Il propose, en effet, que l'article 6 pourrait « s'arrêter après les termes : « sauf cause d'utilité publique » ». La limitation de l'article 6 à cet endroit ne fait pas ressortir l'indemnisation qui doit être accordée à l'investisseur exproprié pour cause d'utilité publique. Pour mettre en confiance les investisseurs, nous préférerions donc que cet article se poursuive avec la formulation suivante : « Dans de telles situations, l'entreprise sera préalablement indemnisée, de façon juste et équitable » à la place de « promptement » retenu à l'article 6. Promptement laisse penser que l'investisseur ne sera indemnisé que postérieurement à l'expropriation mais seulement de façon prompte, c'est-à-dire dans un délai assez bref ou raisonnable; c'est donc un terme assez vague dans une matière où la sécurité est, à juste titre, considérée comme facteur essentiel du « climat » des investissements.
B. Le règlement judiciaire des différends
Il faut entendre par règlement judiciaire des différends le règlement par l'arbitrage (justice privée) et par les juridictions étatiques et communautaires. Avant d'aborder l'épineux problème des relations entre les juridictions nationales et les juridictions communautaires (Cour de Justice de l'UEMOA et la CCJA de l'OHADA) d'une part, et les relations que ces dernières pourront être amenées à entretenir d'autre part, il convient d'analyser les observations de la Cour sur les dispositions du projet de code prévoyant l'arbitrage du CIRDI et de la CCJA; nous nous prononcerons également sur les dispositions qui semblent concevoir un arbitrage possible devant la Cour de Justice de l'UEMOA.
1. L'arbitrage par le CIRDI et la CCJA
L'arbitrage est une forme de justice privée, ne relevant d'aucun ordre étatique. La saisine des arbitres est fondée sur une clause compromissoire ou un compromis d'arbitrage. L'Etat et l'investisseur peuvent, dans le cadre d'un contrat d'investissement, « convention ou contrat d'établissement », prévoir une clause qui les oblige à recourir à l'arbitrage (compromis d'arbitrage). Dans les deux hypothèses, ils peuvent se référer à un centre permanent d'arbitrage (arbitrage institutionnel) ou décider d'organiser eux-mêmes l'arbitrage en choisissant les arbitres et la procédure d'arbitrage (arbitrage ad hoc) ().
Les dispositions du projet de code portent seulement sur l'arbitrage institutionnel : les deux derniers visas portent sur l'arbitrage de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA) de l'OHADA et le Centre international pour le règlement des Différends relatifs aux investissements (CIRDI); l'article 22 est également consacré à l'arbitrage et cite, en dehors du CIRDI et la CCJA de l'OHADA, la Cour de Justice de l'UEMOA.
Il faut lever toute équivoque sur cette formulation de l'article 22 qui laisse penser qu'un recours arbitral devant la Cour de Justice de l'UEMOA serait recevable : le recours arbitral devant la Cour de Justice de l'UEMOA n'est recevable que sur la base d'un compromis d'arbitrage conclu entre Etats membres, parties à un litige ().
Pour revenir aux centres permanents d'arbitrage de droit privé, le juge fait essentiellement deux observations : d'abord, l'inutilité de l'évocation de ces termes dans le code, ensuite le problème de la question préjudicielle posée par un collège arbitral. Nos propos porteront également sur la procédure de reconnaissance des sentences, en l'occurrence sur celle que prévoit le projet de code.
Concernant le premier point, l'observation de la Cour de Justice consiste à dire que la CCJA et le CIRDI ne sont pas les seuls centres d'arbitrage au monde et comme tel, il n'y a pas lieu de les prévoir dans les visas ou encore de les citer, le choix d'un centre quelconque relevant de la volonté des parties au litige : « … il est donné la faculté aux Etats membres et à leurs co-contractants investisseurs de recourir à l'arbitrage international selon les règlements de leur choix (qu'il n'y a du reste pas lieu de citer) » (). Nous n'irons pas jusqu'à dire, comme le fait le Juge communautaire, que le fait de citer les centres d'arbitrage est inutile. A notre avis, le législateur communautaire peut très bien évoquer ces centres, mais à titre indicatif ou exemplatif. Les Etats membres pourraient même donner d'avance leur consentement pour ce qui est du CIRDI. En effet, « La Convention de Washington de 1965 créant le CIRDI se contente … d'évoquer la notion de « consentement à l'arbitrage » (art. 25, §1) de façon à rendre compte de l'idée que le consentement de l'Etat peut être donné à l'avance dans un Traité ou une loi relative aux investissements » (). Dans un code, comme c'est le cas d'espèce, il serait possible pour les Etats membres de l'UEMOA, tous signataires de la Convention de Washington, de donner d'avance leur consentement à un arbitrage par le CIRDI. Les investisseurs, lorsqu'ils sont ressortissants de pays parties à la même Convention (), pourraient alors, en cas de litige, exprimer leur consentement en le portant devant le CIRDI. Ceci ne semble pas être le cas pour la CCJA de OHADA où il est prévu que « La convention d'arbitrage doit être faite par écrit, ou par tout autre moyen permettant d'en administrer la preuve, … » (). Ceci laisse penser qu'il faudrait une clause compromissoire ou un compromis d'arbitrage entre l'Etat et l'investisseur. En tout état de cause, la référence à ces deux centres ne saurait leur conférer une exclusivité en matière d'arbitrage, les parties restant libres de soumettre leur différend à un autre centre ou à un arbitrage ad hoc.
Concernant le second point, l'observation de la Cour est d'importance. Elle porte sur la problématique du renvoi préjudiciel par les arbitres. Le mécanisme du renvoi préjudiciel vise à assurer l'unité d'interprétation du droit communautaire; les juridictions nationales ont la faculté ou sont tenues () de demander le point de vue de la Cour de Justice de l'UEMOA sur un point de droit communautaire : « La Cour de Justice statue à titre préjudicionnel sur l'interprétation du Traité de l'Union, sur la légalité et l'interprétation des actes pris par les organes de l'Union… quand une juridiction nationale ou une autorité à fonction juridictionnelle est appelée à en connaître à l'occasion d'un litige » (). L'arbitrage étant une justice privée, le collège arbitral pourra-t-il introduire un recours préjudiciel devant la Cour ? Compte tenu de la formulation de l'article 12 du Protocole additionnel n°1 précité, certains auteurs avaient des doutes quant à l'irrecevabilité du recours préjudiciel d'un collège arbitral (). Quelle interprétation fallait-il donner à l'expression « autorité à fonction juridictionnelle » ?
La Cour, dans son avis, se fait hésitante dans un premier temps. Elle estime, en effet, que « …lorsqu'il est question de régler les litiges à naître de l'application de ce projet de code par la voie de l'arbitrage, juridiction privée, le droit de recourir au renvoi préjudiciel peut ne pas être recevable devant la Cour de l'UEMOA » (). Son affirmation devient péremptoire dans un second temps : « le mode de règlement par voie arbitrale des litiges nés de l'application du projet de code soumis, qui a pour particularité de faire appel à des garanties d'impartialité, à cause notamment de la nationalité étrangère des investisseurs significatifs, conduit effectivement à l'adoption d'un mode de règlement par une justice privée parce que conçue et organisée selon le vœu des parties, même si dans le cas d'espèce le contrôle de l'uniformité de l'application et de l'interprétation du droit communautaire applicable va échapper à la Cour de l'UEMOA »; « … il est donné la faculté aux Etats membres et à leurs co-contractants investisseurs de recourir à l'arbitrage international selon les règlements d'arbitrage de leur choix (…); ce qui dessaisit la Cour de Justice de tout contrôle juridictionnel dans l'interprétation et l'application du code, sauf dans les cas limite où les tribunaux arbitraux ont recours aux juridictions nationales pour la prise de certaines mesures provisoires ou le cas où les parties à l'arbitrage agissent devant les juges nationaux en exequatur des sentences arbitrales définitives. Dans ces derniers cas, les recours préjudiciels peuvent accidentellement être utilisés dans le cadre de ces procédures somme toute formelles » ().
La Cour de Justice lève définitivement toute équivoque; le recours préjudiciel d'un collège arbitral, n'est pas recevable. Cette position nous semble judicieuse. L'arbitrage est une justice privée, ne relevant d'aucun ordre juridique étatique. Or, seules les juridictions nationales des Etats membres sont habilitées à recourir au mécanisme du renvoi préjudiciel. « Juridictions nationales et autorités à fonction juridictionnelle » peuvent donc s'entendre des cours et tribunaux judiciaires, des tribunaux administratifs, financiers, économiques ou professionnels des Etats membres. Mais là encore, rien n'est moins sûr. En dehors des cours et tribunaux, il reviendra à la Cour de Justice de préciser si l'on se trouve en présence de « juridictions nationales ou d'autorités à fonction juridictionnelle » au sens de l'article 12 du Protocole additionnel n°1. Du reste, l'arbitrage ne remplit pas les critères de cet article. Dans une procédure arbitrale, selon la Cour, seuls le juge des référés et le juge de l'exequatur ont la possibilité de recourir au mécanisme de la question préjudicielle. La position de la Cour de justice de l'UEMOA par rapport à l'arbitrage est donc la même que celle de son homologue des Communautés européennes ().
Concernant le problème de l'exequatur, le projet de code prévoit une procédure assez curieuse. L'article25, alinéa 3 dispose, en effet : « Dans tous les cas et afin d'assurer une interprétation uniforme des dispositions du présent code et des règles du droit communautaire, l'exequatur ne sera accordé aux sentences arbitrales, qu'après avis obligatoire et dûment motivé de la Commission qui recueillera à son tour, les cas échéant, par voie du recours préjudiciel, l'avis de la Cour de Justice de l'UEMOA ». Cette disposition pèche sur deux points. D'abord, nous l'avons déjà souligné, la question préjudicielle ne peut être posée que par « les juridictions nationales ou les autorités à fonction juridictionnelle ». La Commission de l'UEMOA ne répond nullement à une telle définition; elle n'est même pas une juridiction. Ensuite, il revient au juge de l'exequatur de l'accorder ou de le refuser selon que la sentence viole ou non son ordre public. Au besoin, il pourra recourir à la Cour de Justice de l'UEMOA par le jeu de la question préjudicielle. On voit mal comment la Commission serait compétente à émettre des avis sur les sentences arbitrales avant l'exequatur. La Commission ferait office de juge par le jeu d'un tel mécanisme. Il faut éviter les confusions de pouvoir.
Somme toute, le projet de code pourrait très bien citer certains centres d'arbitrage mais seulement à titre exemplatif. Lorsque les parties choisissent de soumettre leur différend à l'arbitrage, juridiction privée, le recours préjudiciel n'est pas recevable devant la Cour de Justice de l'UEMOA, ce recours étant uniquement du ressort des juridictions nationales.
Il convient précisément d'évoquer les relations que ces juridictions nationales entretiennent avec la CCJA et la Cour de Justice de l'UEMOA et les rapports que ces dernières peuvent établir entre elles.
2. Les juridictions des Etats membres de l'UEMOA et les Cours communautaires
Les juridictions nationales sont les cours (cours d'appel, cours suprêmes, cours constitutionnelles) et tribunaux (tribunaux civils, commerciaux, administratifs, financiers, économiques ou professionnels) des Etats membres de l'UEMOA tandis que les juridictions communautaires visées ici sont la Cour de Justice de l'UEMOA et la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA.
Nos propos porteront sur le recours en manquement de la Commission que préconise le projet de code devant la Cour de Justice de l'UEMOA en cas d'échec de la médiation conduite par cette dernière et le problème du recours préjudiciel devant la Cour de Justice de l'UEMOA ou le pourvoi en cassation devant la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA.
Le recours en manquement devant la Cour de Justice de l'UEMOA fait l'objet de l'article 23 du projet de code. Aux termes de l'alinéa 3 de cet article : « … tout différend qui viendrait à naître entre parties prenantes et qui n'aurait pas trouvé une solution satisfaisante à l'issue de la procédure de médiation de la Commission de l'UEMOA, peut être porté, […], devant la Cour de Justice de l'UEMOA ». Ce recours devant la Cour de Justice doit être fait en accord avec les parties prenantes. Les rédacteurs du projet de code fondent ce recours sur l'article 5 du protocole additionnel n°1 consacré au recours en cas de manquement par les Etats membres de leurs obligations résultant du droit communautaire. La question qui se pose est celle de savoir si la Commission peut introduire un tel recours en manquement devant la Cour de Justice de l'UEMOA sur la base de leurs relatons contractuelles avec les investisseurs, partenaires privés. Le raisonnement qui a, sans nul doute, inspiré les rédacteurs du projet de code est celui qui consiste à dire que les investisseurs étant bénéficiaires des dispositions du code communautaire des investissements, le manquement par les Etats membres de leurs obligations contractuelles serait également un manquement à leurs obligations résultant du code. A cette idée, le juge donne la réponse suivante : « … le recours en manquement a un objet autre, de contrôle objectif et interne à l'Union des engagements des Etats membres, il ne concerne pas les personnes de droit privé comme les investisseurs dans leurs relations avec les Etats » (). Il convient de suivre le juge communautaire dans son raisonnement. Cette disposition du projet de code se méprend, en effet, sur les objectifs poursuivis par le recours en manquement conféré à la Commission en cas d'irrespect par les Etats de leurs obligations. La Commission jouit de la légitimité communautaire et comme tel, elle est chargée de défendre les intérêts de la Communauté ainsi que le droit généré en son sein. Le recours en manquement n'est que le corollaire du principe de la primauté du droit communautaire dur le droit interne des Etats membres. Le juge communautaire parle justement de « contrôle objectif » parce que le recours en manquement ne vise pas à protéger ou défendre un intérêt particulier ou catégoriel, en l'occurrence l'intérêt d'un investisseur, mais l'intérêt de la Communauté en veillant à ce que le principe de la primauté du droit communautaire soit respecté par les Etats membres. En réalité, les deux intérêts sont pris en compte par deux mécanismes différents : l'intérêt des particuliers est protégé par le mécanisme du recours préjudiciel tandis que celui de la Communauté est pris en compte par le recours en manquement. Dans un litige opposant un Etat membre et un investisseur, s'il se pose un problème d'application ou d'interprétation du code communautaire des investissements, il n'appartient pas à la Commission d'introduire un recours en manquement mais à la juridiction nationale devant laquelle le litige est pendant de poser la question préjudicielle. Par contre, s'il subsiste une réglementation nationale contraire au code des investissements ou si un Etat adopte une réglementation contraire aux dispositions du code, la Commission est habilitée à introduire un recours en manquement. Pour emprunter les expressions de la procédure civile, la Commission n'a pas qualité pour introduire un recours en manquement dans un litige opposant un Etat membre et un investisseur.
Concernant les rapports entre les juridictions nationales et les juridictions communautaires, il convient de rappeler que les juridictions nationales ont l'obligation ou la faculté d'introduire un recours préjudiciel devant la Cour de l'UEMOA selon qu'elles statuent ou non en dernier ressort ().
Pour ce qui est de la CCJA, les juridictions nationales ont la faculté de solliciter son avis lorsqu'elles ont à connaître d'un différend relatif à l'application des actes uniformes. D'un autre côté, la CCJA, saisie par voie d'un recours en cassation, se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d'appel des Etats membres ou sur les décisions non susceptibles d'appel rendues par toute juridiction des Etats parties ().
Sur le problème de compétence entre la Cour de Justice de l'UEMOA et la CCJA, le juge communautaire estime que « la coexistence dans le présent texte de lois uniformes OHADA et du droit communautaire de l'UEMOA va poser des problèmes de contrariétés de décisions, voire de base juridique, s'il ne s'agit de conflits de compétence entre la Cour de Justice de l'UEMOA et celle de l'OHADA. […] on peut se demander si la Cour de l'OHADA peut statuer en tant que Cour de cassation dans des cas d'espèce où c'est le droit communautaire qui est en cause sans se référer à la Cour de Justice de l'UEMOA. En effet, elle ne peut saisir la Cour de Justice de l'UEMOA en renvoi préjudiciel parce qu'elle n'est pas une juridiction nationale. D'autre part, la Cour de Justice de l'UEMOA peut-elle englober dans le droit dérivé communautaire les actes uniformes de l'OHADA dont le Traité, il est vrai, est ratifié par tous les Etats membres de l'UEMOA ? » () Cette observation de la Cour comporte deux volets : la coexistence dans le règlement portant projet de code communautaire de lois uniformes OHADA et du droit communautaire, d'une part, et le problème de conflit de compétence entre les cours, OHADA et UEMOA, d'autre part. S'agissant de la coexistence des deux ordres juridiques, il faut signaler que les observations particulières relatives à l'article 17 en font également cas : « le fait de viser dans un règlement communautaire les règles statutaires et légales de l'OHADA ne fait-il pas de ce texte un acte d'intégration dans le droit communautaire, en d'autres termes, ne s'agit-il pas d'une immixtion dans un ordre juridique autonome ?
En tout état de cause, cette coexistence ou référence dans le même code à des dispositions des deux Traités autonomes l'un par rapport à l'autre est de nature à créer des ambiguïtés juridiques dans l'interprétation et l'application du présent code ». La disposition de l'article 17 du projet de code, à laquelle l'avis fait référence, concerne celle qui fait obligation à l'entreprise de tenir la comptabilité « conformément aux règles statutaires et légales de l'OHADA… ». Il faut remarquer qu'il ne s'agit pas d'une appropriation par l'UEMOA des dispositions de tel ou tel acte uniforme. Il s'agit plutôt d'une simple référence à un acte uniforme OHADA. Cette référence ne suffit pas pour faire d'un tel acte uniforme du droit privé de l'UEMOA et partant susceptible d'interprétation par le mécanisme préjudiciel devant la Cour de Justice de l'UEMOA. Dans un souci d'éviter les doubles emplois, une référence ou une reprise par l'une des organisations des acquis de l'autre serait souhaitable. En cas de reprise à l'identique dans un acte communautaire (acte additionnel, règlement …) du droit uniforme OHADA, la Cour de Justice UEMOA serait compétente pour en connaître.
Le problème reste entier concernant la compatibilité des procédures judiciaires devant ces deux cours. La Cour de Justice de l'UEMOA assure l'uniformité d'interprétation du droit communautaire (produit dans l'UEMOA), notamment par le mécanisme du renvoi préjudiciel, tandis que la CCJA assure l'uniformité d'interprétation des actes uniformes (produits au sein de l'OHADA), notamment en tant que juge de cassation des Etats membres dans les litiges qui mettent en cause le droit harmonisé des affaires. L'une des questions qui se pose, et que le juge communautaire n'a pas manqué de soulever, consiste à se demander si les justiciables dans un litige mettant en cause le droit communautaire peuvent se pourvoir en cassation devant la CCJA. Dans l'affirmative, cette dernière pourra-t-elle introduire un recours préjudiciel devant la Cour de Justice de l'UEMOA ? Avant d'y répondre, il faut rappeler que la Cour de Justice de l'UEMOA ne tranche pas le litige en cas de recours préjudiciel, mais donne seulement sa compréhension du droit communautaire; le juge national étant chargé de trancher le litige en s'inspirant de cette interprétation. La CCJA ne se contente pas de juger en droit et de renvoyer devant les juges du fond, comme le ferait une cour de cassation ordinaire, mais tranche également le litige au fond : « En cas de cassation, elle évoque et statue sur le fo3 suscitées par certaines d'entre elles. Il est donc souhaitable que la Commission de l'UEMOA en tienne compte pour amender conséquemment le projet de code communautaire des investissements avant sa soumission pour adoption au Conseil des ministres de la Communauté. L'on ne peut également manquer de relever le problème de la compatibilité entre les ordres juridiques OHADA et UEMOA et celui des compétences des cours de justice qu'elles instituent. Une certaine coordination de leurs actions s'impose pour éviter les doubles emplois, les chevauchements et les incompatibilités.
Yawovi BATCHASSI
Juriste Chercheur au C.E.EI..
1 Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la France avait adopté un régime fiscal dérogatoire en faveur des entreprises qui investissaient dans les colonies, dans le but de favoriser le développement de ces dernières. Cette idée a survécu aux indépendances par l’adoption, dans les pays nouvellement indépendants, des codes des investissements. On a assisté alors à des surenchères, à une rude concurrence entre ces pays dans « leur opération de séduction vis-à-vis des investisseurs ».
2 La CEAO a été dissoute le 15 mars 1994 à la suite de la création de l’UEMOA.
3 v. D.R.M. Bassinga, L’harmonisation des codes des investissements dans les Etats membres de la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest, Mémoire pour l’obtention du diplôme de maîtrise spéciale en droit international et européen, Université Catholique de Louvain, Faculté de droit, département de droit international, année académique 1992-1993; v. aussi Préambule, article 3, article 39 du Traité et Accord de Bamako du 27 octobre 1978 (sur la libre circulation des personnes).
4 Article 1
er, § 7 du projet de Code Communautaire.
5 Article 3 du projet de code communautaire.
6 v. Avis de la Cour, Observations générales, 1).
7 La privatisation pouvant aussi se faire soit par une déréglementation et une libération de l'économie de sorte à soumettre les entreprises aux règles de la libre et égale concurrence, soit par le transfert de la gestion des entreprises publiques au secteur privé. Ces deux formes de privatisation ne répondent pas à la notion d'investissement définie par le projet.
8 Article 3 du projet CEAO.
9 Article 6 du projet CEAO.
10 Avis de la Cour, Observations particulières, article 5.
11 A notre connaissance, les pays membres de l'UEMOA qui disposent d'une zone franche sont le Sénégal et le Togo.
12 L’article 14 du Traité UEMOA de 1994 dispose que « Dès l’entrée en vigueur du présent Traité, les Etats membres se concertent au sein du Conseil afin de prendre toutes les mesures destinées à éliminer les incompatibilités ou les doubles emplois entre le droit et les compétences de l’Union d’une part, et les conventions conclues par un ou plusieurs Etats membres d’autre part, en particulier celles instituant des organisations économiques internationales ».
13 Sur la définition du règlement, v. article 43 du Traité UEMOA de 1994, v. aussi Etienne Cerexhe et Louis le Hardy de Beaulieu, Introduction à l’union économique ouest africaine, De Boeck & Larcier, 1997, p.100.
14 Sur la définition de la directive, ibid.
15 Directive n° 01/96/CM du 15 janvier 1996 relative à la mise en œuvre de la surveillance multilatérale des politiques macro-économiques au sein des Etats membres de l’UEMOA, Bulletin Officiel n° 1, mai 1996, p.22.
16 Sur l'arbitrage, on pourra utilement consulter :
C. Jarosson, La notion d'arbitrage, L.G.D.J., 1987;
P. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, Traité de l'arbitrage commercial international, Litec, 1996;
J. Robert, L'arbitrage, droit interne, droit international privé, Dalloz, 1993.
17 Article 17 du Protocole n°1 relatif aux organes de contrôle de l'UEMOA; v. aussi Etienne Cerexhe et Louis le Hardy de Beaulieu, Introduction à l'union économique ouest africaine, op. cit., p.60.
18 v. Avis de la Cour, Observations particulières, article 20.
19 p. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, Traité de l'arbitrage commercial international, p. 210 et s.; v. aussi G. Burdeau, Nouvelles perspectives pour l'arbitrage dans le contentieux économique intéressant les Etats, Revue arbitrale, 1995.3.
20 Il faut signaler que le CIRDI n'est compétente que dans les différends opposant un Etat contractant à un ressortissant d'un autre Etat contractant (art. 25, §1 de la Convention de Washington).
21 Article 3 de l'acte uniforme OHADA relatif au droit d'arbitrage.
22 Aux termes de l'article 12 du Protocole additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), seules les juridictions statuant en dernier ressort sont tenues de poser la question préjudicielle tandis que les autres juridictions n'en ont que la faculté.
23 L'article 12 du Protocole additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA); bien que cet article utilise le vocable préjudicionnel, il faut convenir qu'il s'agit de préjudiciel, dans la mesure où la terminologie utilisée n'a aucune signification juridique et n'a même pas d'existence en français.
24 Etienne Cerexhe & Louis le Hardy de Beaulieu, Introduction à l'union économique ouest africaine, op. cit. p.59.
25 v. Avis de la Cour, Observations Générales, 3) e).
26 v. Avis de la Cour, Observations particulières, article 20.
27 CJCE, 23 mars 1982, « Nordsee » Deutsche Hochseefischerei c/Reederei Mond Hochseefischerei Nordtsern et a., aff. 102-81, Rec. 1982, p. 1095; v. aussi Etienne Cerexhe, Le droit européen, les objectifs et les institutions, Ed. Bruylant et Nauwelaerts, 1989, p.208 et s.
28 v. Avis de la Cour, Observations particulières, article 22.
29 Article 12 du Protocole additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).
30 v. les articles 13 et 14 du Traité OHADA du 17 octobre 1993
31 v. Avis de la Cour, Observations générales, 3) e).