J-02-63
Voir Ohadata J-02-78
Voir Ohadata J-02-203
cima – république centrafricaine – contrôle constitutionnel des textes – contrôle par la voie d'exception – erreur – engagements internationaux de l'état – loi de ratification – saisine de la cour par un tiers – déclaration d'inconstitutionnalité de certains articles du traité – autorité de la chose jugée – appréciation des articles du traité – conséquences de la décision.
Cour constitutionnelle centrafricaine, décision n° 003 du 9 juin 1998 (Note de M. Justin N'DJAPOU) – Penant 2001, Janvier – Avril 1999, n° 829, p. 86.
COUR CONSTITUTIONNELLE CENTRAFRICAINE
9 JUIN 1998
La Cour constitutionnelle a été saisie le 21 août 1997 par le président de la cour d'appel de Bangui, conformément à l'article 44, alinéa 2, de la loi n° 95/006 du 15 août 1995 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, de la question de savoir si la loi n° 95-004 du 2 juin 1995 autorisant la ratification du Traité instituant l'organisation intégrée de l'industrie des assurances dans les États africains dénommée "Conférence internationale des marchés d'assurances", en abrégé "CIMA", signé par la République centrafricaine le 10 juillet 1992 à Yaoundé, comporte des clauses contraires à la Constitution.
Vu la Constitution du 14 janvier 1995;
Vu la loi n° 95-006 du 15 août 1995 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, notamment la section 4 en ses articles 43 à 47;
Vu le Traité instituant une organisation intégrée de l'industrie des assurances dans les États africains signé à Yaoundé le 10 juillet 1992;
Vu la loi n° 95-004 du 2 juin 1995 autorisant la ratification du Traité instituant une organisation intégrée de l'industrie des assurances dans les États africains;
Le rapporteur ayant été entendu :
Considérant qu'à l'audience de la cour d'appel en date du 6 juin 1997, le conseil de Namkoïna, refusant d'intervenir au fond dans l'affaire d'accident de circulation qui l'opposait à l'assurance UCAR, a soulevé l'exception constitutionnelle du code CIMA au motif que l'application de ce code en ses articles 259, 260 et 264 qui placent les personnes blessées et les ayants-droit des personnes mortes à la suite d'un accident de circulation dans leur position sociale (personnes salariées, non salariées, actifs non salariés) pour leur attribuer des indemnités est contraire à l'article 5 de la Constitution du 15 janvier 1995 qui dispose : « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi sans distinction de race, d'origine, de sexe, de religion, d'appartenance et de position sociale. »
Considérant que par arrêt en date du 4 juillet 1997 la cour d'appel a fait droit à sa demande et le 21 août 1997, le président de ladite cour, conformément à l'article 44, alinéa 2, de la loi n° 95-006 du 15 août 1995 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, a saisi le président de la Cour constitutionnelle de l'exception d'inconstitutionnalité soulevée par le conseil de Namkoïna;
Considérant que notre système constitutionnel a prévu deux sortes de contrôle de constitutionnalité des lois, un contrôle a priori et un contrôle a posteriori;
Considérant que le contrôle a priori s'exerce avant la promulgation de la loi;
Que c'est le cas des lois organiques et des ordonnances prises en vertu de l'article 27 de la Constitution qui, avant leur promulgation, sont déférées à la Cour constitutionnelle par le Président de la République pour vérification de leur conformité à la Constitution (cf. article 28 de la loi n° 95-006 du 15 août 1995 ci-dessus visée);
Que c'est également le cas des lois de ratification des engagements internationaux qui peuvent être déférés à la cour constitutionnelle avant l'autorisation de ratification, soit par le Président de la République, soit par le président de l'Assemblée nationale, soit par un tiers des députés (cf. art. 51 de la loi n° 95-006);
Considérant, quant au contrôle a posteriori, qu'il est prévu d'abord par l'article 34 de la loi précitée qui permet au Président de la République, au président de l'Assemblée nationale, au tiers des députés, à tout intéressé de saisir, par voie d'action, la Cour constitutionnelle et ensuite par l'article 70 de la Constitution et l'article 43 de la loi n° 95-006 du 15 août 1995 qui permet à tout intéressé de saisir par voie d'exception la Haute Cour;
Considérant en effet que l'article 70, alinéa 3, de la Constitution dispose que « toute personne qui s'estime lésée peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure d'exception d'inconstitutionnalité invoquée devant une juridiction dans une affaire qui la concerne »;
Considérant que par loi il faut entendre en principe la loi uniquement votée par le Parlement; qu'ainsi le Conseil constitutionnel français, dans sa décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1997, Rec. p. 31, a accepté de se prononcer sur la constitutionnalité d'une loi d'habilitation prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution française, retenant simplement le fait qu'une telle loi ait été votée par le Parlement;
Que dans la décision n° 80-116 DC du 17 juillet 1980, Rec., p. 36, la Haute Cour est allée plus loin en considérant que si les deux actes formaient juridiquement un tout et que le contrôle exercé sur la loi d'autorisation devait également permettre le passage vers un contrôle que l'engagement comporterait une clause contraire à la Constitution, ceci devrait nécessairement entraîner la déclaration de non-conformité de la loi qui en a autorisé la ratification ou l'approbation;
Considérant que c'est donc à bon droit que le conseil de Namkoïna a saisi la Cour constitutionnelle de l'exception d'inconstitutionnalité de la loi n° 95-004 du 2 juin 1995 autorisant la ratification du Traité créant le code CIMA qu'il échet de déclarer la requête recevable en la forme;
Considérant que pour fixer les indemnités dues aux personnes blessées au cours d'un accident de circulation et les indemnités dues aux ayants-droit de personnes mortes suite à ce sinistre, le code des assurances des Etats membres de la CIMA dit code CIMA, Annexe I du Traité instituant une organisation intégrée de l'industrie des assurances dans les Etats africains, signé à Yaoundé le 10 juillet 1992, ratifié par le Président de la République centrafricaine en application de la loi n° 95-004 du 2 juin 1995 autorisant sa ratification, dispose :
« Art. 259 Incapacité temporaire » :
La durée de l'incapacité est fixée par expertise médicale.
L'indemnité n'est due que si l'incapacité se prolonge au-delà de huit jours.
En cas de perte de revenus, l'évaluation du préjudice est basée :
– pour les personnes salariées, sur le revenu (salaires, avantages ou primes de nature statutaire) perçu au cours des six mois précédant l'accident;
– pour les personnes non salariées disposant de revenus, sur les déclarations fiscales des deux dernières années précédant l'accident;
– pour les personnes majeures ne pouvant justifier de revenus, sur le SMIG mensuel.
Dans les deux premiers cas, l'indemnité mensuelle est plafonnée à trois fois le SMIG annuel. Le SMIG s'entend pour le pays sur le territoire duquel s'est produit l'accident.
« Art. 260 Incapacité permanente »
a) préjudice physiologique...
b) préjudice économique
Ce préjudice n'est indemnisé que s'il est lié à l'attribution d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 50 %.
L'indemnité est calculée :
– pour les salariés, en fonction de la perte réelle et justifiée;
– pour les actifs non salariés, en fonction de la perte de revenus établie et justifiée.
« Dans tous les cas, l'indemnité est plafonnée à sept fois le montant du SMIG annuel du pays où s'est produit l'accident. »
« Art. 264 Frais funéraires »
« Les frais funéraires sont remboursés sur présentation des pièces justificatives et dans la limite du SMIG annuel. »
Considérant que ce sont ces articles qui sont querellés devant la Cour constitutionnelle comme non conformes à l'article 5 de la Constitution qui dispose que « tous les êtres humains sont égaux devant la loi sans distinction de race, d'origine ethnique, de région, de sexe, de religion, d'appartenance politique et de position sociale »;
Considérant qu'il est de jurisprudence solidement établie que « les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée; que l'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; que le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but »;
Considérant qu'en l'espèce, le législateur n'a pas cherché « la nécessité de renforcer la protection des assurés, des bénéficiaires des contrats et des victimes de dommages » comme il le préconise dans le deuxième considérant du préambule du Traité créant le code CIMA;
Considérant qu'en tenant compte de la position sociale des victimes des accidents de circulation et du SMIG pour le calcul des indemnités dues à ces victimes, le code CIMA a violé le principe d'égalité entre les êtres humains et les principes fondamentaux de l'ordre public interne centrafricain qui sont l'équité, la juste réparation du préjudice subi et l'appréciation souveraine des juges du fond en matière d'indemnisation des préjudices;
Considérant que les critères de position sociale et SMIG retenus pour le calcul des dommages-intérêts ne sont pas raisonnables, objectifs, pertinents;
Considérant qu'en outre, il n'existe aucun rapport de proportionnalité entre les critères retenus et le but escompté qui est la juste réparation du préjudice subi;
Considérant, en conséquence, que les dispositions des articles 259, 260 et 264 opérant des distinctions entre personnes salariées, actifs non salariés, personnes majeures et retenant le SMIG comme mode de calcul des indemnités doivent être déclarées non conformes à la Constitution comme violant le principe d'égalité;
DÉCIDE
Art. 1er. - L'exception d'inconstitutionnalité soulevée par Luc Namkoïna est recevable.
Art. 2. - Les dispositions des articles 259, 260 et 264 du code CIMA ne sont pas conformes à la Constitution.
Art. 3. - La présente décision sera notifiée à Luc Namkoïna, à l'Union centrafricaine des assurances et réassurances (UCAR), au Président de la République, au président de l'Assemblée nationale et sera publiée au Journal officiel de la République centrafricaine.
OBSERVATIONS
Le 14 janvier 1995, la République centrafricaine s'est dotée d'une nouvelle Constitution, laquelle succède à celle de 1986, elle-même remaniée à maintes reprises car ne répondant plus aux aspirations du peuple qui, légitimement, aspire à plus de liberté, plus de démocratie, plus de respect des droits de la personne humaine.
Une des importantes réformes apportées par cette nouvelle Constitution est l'organisation judiciaire. En effet, l'ancienne Cour suprême a volé en éclats et de ses débris sont nées quatre institutions juridictionnelles dont la présente Cour constitutionnelle qui remplace l'ancienne chambre constitutionnelle de la Cour suprême. Elle est régie par la loi organique n° 95-006 du 15 août 1995. Ses membres ont prêté serment solennellement le 29 novembre 1996 et ont été installés dans leurs fonctions ().
D'importantes attributions, plus qu'à l'ancienne chambre constitutionnelle, ont été dévolues à cette Cour constitutionnelle, d'abord à l'institution proprement dite, puis à son président, pris individuellement (). Au sujet des attributions confiées à l'institution, car c'est cela qui intéresse présentement, la Cour est à la fois, outre son rôle en matière électorale :
– un organe d'investiture du Président de la République;
– un organe consultatif;
– un organe d'interprétation de la Constitution;
– un organe juridictionnel.
C'est ce dernier rôle (juridictionnel) qui va retenir l'attention. Mais comme cet aspect des attributions de la Cour comporte deux volets, à savoir l'arbitrage des conflits de compétence entre l'exécutif et le législatif, et le contrôle de la constitutionnalité des textes, il y a lieu de préciser que c'est du contrôle de la constitutionnalité des textes qu'il s'agira ici.
L'intérêt de la décision du 9 juin 1998 réside dans le fait qu'elle se rapporte à la déclaration d'inconstitutionnalité de certains articles d'un traité, engagement international de l'État, pourtant déjà ratifié, ce qui est extrêmement rare.
Dès lors, la curiosité impose que l'on revoie, à la lumière du droit positif en vigueur, en l'occurrence la Constitution du 14 janvier 1995, la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour, la Convention de Vienne sur le droit des traités, comment ce contrôle a pu être opéré par la haute et noble institution pour que l'on arrive à cette situation aussi originale. Il est aussi opportun de scruter, pour se faire sa propre opinion, ce qui est reproché aux articles 259, 260 et 264 du Traité instituant l'organisation intégrée de l'industrie des assurances dans les États africains (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Gabon, Guinée équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Côte-d'Ivoire, Tchad, Comores, Congo) dénommée "Conférence internationale de marchés d'assurances", en abrégé "CIMA ». Enfin, la décision de cette instance s'imposant à toutes les autorités tant administratives que juridictionnelles et surtout qu'aucune voie de recours n'est possible, quelles peuvent être les conséquences d'une telle décision ? Mais avant tout, il est indiqué de rappeler sommairement les faits qui ont conduit à cette décision aussi inédite.
Le 19 novembre 1990, survint à 15 kilomètres de Bangui, route de Mbaïki, au village dit Samba, un accident de circulation des suites duquel mourut le sieur Feidangaï, père des enfants mineurs Feidangaï Inesse et Feidangaï Flore. Le sieur Zoumara, propriétaire du véhicule et lui-même conducteur ce jour, était assuré auprès de la société d'assurances du nom Union centrafricaine des assurances et réassurances (UCAR). Le sieur Namkoïna Luc, tuteur des enfants, assigna en justice Zoumara et UCAR. Le premier juge condamna Zoumara et UCAR à verser à Namkoïna Luc la somme de 15 millions de francs CFA au titre de dommages et intérêts. UCAR et Zoumara déférèrent la décision devant la cour d'appel, estimant que le montant de l'indemnité ainsi fixé était excessif et que les dispositions du code CIMA n'étaient pas respectées, notamment le barème arrêté à cet effet. C'est alors que le conseil de Namkoïna souleva l'exception d'inconstitutionnalité des articles 259, 260 et 264 du Traité instituant ledit traité dont UCAR et Zoumara réclament l'application.
La cour d'appel, séduite par la démarche et l'argumentation du requérant, puisqu'elle est autorisée, conformément à l'article 44, alinéa 1, de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, à se prononcer, décide de surseoir à statuer et saisit elle-même la Cour constitutionnelle aux fins de voir celle-ci se prononcer sur les mérites de la prétention, et ce conformément aux dispositions de l'article 44, alinéa 2, de la loi organique ().
A ce stade, la question qui vient à l'esprit est celle de savoir si le recours à l'article 44 est pertinent.
La réponse à cette question implique la vérification de la façon dont est organisée le contrôle de la constitutionnalité des textes par la loi organique sur la Cour constitutionnelle. A cet effet, les articles de la loi organique compris entre 28 et 53 sont édifiants.
En effet, en matière de contrôle de la constitutionnalité des textes, la loi organique classe les textes en quatre catégories en fonction des procédures utilisées pour les contrôler; ainsi y a-t-il les procédures qu'il convient d'appeler pour la commodité de la présentation : A, B, C et D. En fait il s'agit des sections 3, 4, 5 et 6 qui structurent les articles de 28 à 53.
La procédure dite A est celle utilisée pour contrôler les textes suivants par voie d'action :
– les lois organiques,
– les lois ordinaires,
– les ordonnances.
La procédure dite B est celle utilisée pour contrôler les textes suivants par voie d'exception :
– les lois organiques,
– les lois ordinaires,
– les ordonnances.
La procédure dite C est celle utilisée pour contrôler la constitutionnalité du règlement intérieur de l'Assemblée nationale.
La procédure dite D est celle utilisée pour contrôler la conformité à la Constitution des lois de ratification des engagements internationaux.
Si les deux dernières procédures (C et D) ne posent pas de problème de compréhension, les deux autres (A et B) méritent d'être explicitées. En effet, il faut entendre par :
– procédure par voie d'action, celle par laquelle il est demandé à la Cour constitutionnelle, à titre principal, de se prononcer sur la constitutionnalité d'un texte ou projet de texte sans que celui-ci n'ait causé un préjudice à autrui;
– procédure par voie d'exception, celle qui a lieu quand un requérant, traduit devant une juridiction quelle qu'elle soit, conteste l'application à lui d'une loi au motif qu'elle est inconstitutionnelle.
Manifestement, le cas de Namkoïna rentre dans la procédure par voie d'exception en ce qu'il refuse l'application à lui du code CIMA ratifié par la loi du 2 juin 1995. Or, comme on peut le constater à présent plus aisément, les lois de ratification des engagements internationaux n'intègrent pas la gamme des textes contrôlés par la voie d'exception, sa procédure étant à part, objet de la procédure D ci-dessus.
Par ailleurs, la procédure en matière de contrôle de la conformité à la Constitution des engagements internationaux est d'autant plus distincte que les autorités habilitées à saisir la Cour constitutionnelle sont : le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale ou le tiers des députés. Ainsi, cette faculté n'est-elle pas offerte aux juridictions, encore moins aux particuliers.
De plus, ce contrôle est généralement préventif, avant la promulgation de la loi portant ratification. Ceci, pour toujours préserver la suprématie de la norme fondamentale, la Constitution. Or, ici, on se trouve dans le cas de figure d'un contrôle a posteriori d'un engagement international devenu définitif.
Si la Cour constitutionnelle centrafricaine n'a pas été saisie du projet de loi portant ratification du code CIMA, il y a certainement des raisons, la plus en vue est que la Cour n'était pas encore opérationnelle. De plus, la République centrafricaine a estimé que beaucoup de pays membres () qui ont des Constitutions similaires à la sienne ont ratifié après décision favorable de leurs Cours constitutionnelles. La procédure de ratification étant finie, le ministre centrafricain des Finances, en sa qualité de président en exercice du Conseil des ministres de la CIMA, a pris une décision pour la publication dudit traité ().
Ainsi, la cour d'appel, en acceptant la démarche et l'argutie de maître Koko-Nantiga, a commis une faute d'omission pour n'avoir pas voulu rétorquer comme il se doit au requérant avec des arguments de droit, ou même rien qu'à la lecture des articles 28 à 53 de la loi organique.
Plus grave est le dérapage de la Cour constitutionnelle qui a, elle aussi, succombé sous l'effet de la même séduction au point de ne plus se souvenir de son texte organisationnel que l'on était en droit de croire qu'il constituait le bréviaire de ses membres.
Que dire de la valeur juridique d'une décision rendue exagérément hors délai ! En effet, la loi prescrit à la Cour de se prononcer, en pareille circonstance, dans le délai d'un mois qui suit la saisine. En l'espèce, la Cour a été saisie le 21 août 1997, elle devrait se prononcer au plus tard le 30 septembre de la même année. Elle ne l'a fait que huit mois plus tard. Est-ce à dire que ce délai est indicatif ou impératif ? Ce qui est certain, c'est que c'est la loi qui a prescrit ce délai et il n'y a qu'une loi qui peut le modifier. L'importance de ce délai ne saurait échapper à une juridiction de cette envergure, appelée à réguler les institutions de l'État.
Certes, une décision de ce genre, rendue hors délai, est déjà survenue au Conseil constitutionnel français; mais le retard se situait dans une limite raisonnable. Au lieu d'un mois, le Conseil a statué dans un délai de deux mois; même le délibéré de cette affaire a duré deux jours. La complexité d'une affaire peut, en effet, justifier un délai supplémentaire, mais il doit être clair qu'il ne s'agit pas que d'une tolérance administrative.
Une autre erreur perceptible dans cette décision de la Cour constitutionnelle qui mérite d'être relevée réside dans l'incertitude quant au sort réservé aux articles du code CIMA déclarés inconstitutionnels. Sont-ils séparables ou inséparables du reste du Traité ? Il était important que le contrôleur constitutionnel donne une orientation aux pouvoirs publics afin qu'ils puissent, soit les ignorer et procéder tout de même à la ratification, soit, compte tenu de leur caractère substantiel par rapport à l'objet du Traité, ne plus envisager la ratification. Pour l'auteur de la présente note, les dispositions incriminées atteignent la "substantifique moelle" du Traité. Ainsi les considère-t-il comme inséparables du Traité. A ce stade, il n'y a qu'une seule issue : celle de la révision constitutionnelle, car si la ratification n'était pas encore intervenue, l'État pouvait s'abstenir de ratifier, or cela est déjà fait. Mais avant d'envisager une telle décision aussi importante, il faut s'assurer de la pertinence des griefs faits aux articles du Traité par rapport à l'article 5 de la Constitution.
Au sujet de cet article 5 qu'il est opportun de rappeler : « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi, sans distinction de race, de sexe, de religion, d'appartenance régionale, ethnique ou de position sociale », il ne s'agit pas évidemment d'égalité trait pour trait; si c'est de façon différente que le requérant le comprend, c'est dommage ! Mais il s'agit d'intégrer le principe dans un contexte en tenant compte de certaines particularités, certaines circonstances, certaines spécificités, certaines réalités objectives, et les exemples sont nombreux :
Lorsque la loi centrafricaine en matière de travail fixe la retraite pour la femme à 50 ans et l'homme à 55, peut-on dire qu'il s'agit d'une distinction fondée sur le sexe ? La réponse est évidemment oui, mais cette distinction est justifiée par la spécificité de la femme, c'est certainement du fait qu'elle est exposée aux intempéries de la maternité qu'elle est censée être fatiguée précocement par rapport à l'homme, ce qui peut justifier son départ à la retraite plus tôt que ce dernier. Nulle Cour constitutionnelle ne peut déclarer pareille disposition comme étant contraire à la Constitution.
Par ailleurs, lorsque, au nom du concept de "foyer fiscal" parlant du couple, l'homme déclare et paye l'impôt de sa femme ou du moins en est le responsable, n'est-ce pas une distinction fondée sur le sexe ?
Lorsque l'âge de la retraite des magistrats, professeurs de l'enseignement supérieur est fixé à 65 ans, celui des autres agents de l'État à 55, n'est-ce pas une distinction fondée sur la position sociale ?
Lorsque la loi répartit de façon inéquitable l'impôt entre les citoyens au nom du concept de la "faculté contributive", n'est-ce pas une distinction fondée sur la position sociale ?
Lorsque l'Office centrafricain de sécurité sociale, conformément à la loi, paie la rente d'invalidité, pour ne citer que celle-là, en fonction des revenus, n'est-ce pas une distinction fondée sur la position sociale ?
Lorsque l'État accorde l'assistance judiciaire aux plus démunis par rapport à d'autres citoyens, n'est-ce pas une distinction fondée sur la position sociale ?
lorsque, en France, une modification a été faite à l'ordonnance de 1958 (22 décembre) relative au statut des magistrats, pour introduire des facilités spéciales pour favoriser l'accès à la magistrature des Français musulmans, qu'a dit le Conseil constitutionnel ? Ce corps de contrôle de la constitutionnalité des textes a dit que cette « ordonnance dont la conformité à la Constitution ne peut être contestée » (). Pourtant, indéniablement, l'article 2 de la Constitution () de 1958 a été violé de façon flagrante, car il a bel et bien été introduite une distinction fondée sur la religion.
Etc.
En tout cas, ces quelques exemples montrent à suffisance la relativité de la notion de "position sociale ».
Au sujet des articles 259, 260 querellés, leur compréhension commande que soit dégagée la philosophie du Traité de la CIMA. Pour ce faire, le passage obligé est la comparaison entre le régime d'indemnisation qui précède et celui institué par le code CIMA. Il s'agira de comparer le régime du code civil et le régime du code CIMA. Le premier régime est ainsi appelé parce que le texte utilisé est le code Napoléon tandis que le second est basé sur le code CIMA.
Ainsi, avant la naissance du code CIMA, les sinistres résultant d'accident de circulation étaient réglés à la lumière des articles 1382, 1383 et 1384 du code civil, qui on le sait, traitent de la responsabilité : personnelle, d'autrui et du fait des choses.
A cela, il faut évidemment ajouter la jurisprudence.
A partir de ces données, quiconque a causé un préjudice à autrui doit réparer intégralement ce qui est survenu par son fait, par sa négligence ou imprudence, par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l'on a sous garde.
Le juge, lui, décidait selon son intime conviction et jouissait d'un pouvoir souverain dans l'appréciation tant du degré de la responsabilité que du quantum de l'indemnité, sous réserve de circonstances atténuantes.
L'assureur, quant à lui, a pris une place très importante dans le triangle auteur de l'accident-assureur-tribunaux. C'est l'assureur qui paie tout en lieu et place de l'assuré.
Au fil des ans, le système, faute d'adaptation à l'évolution, s'est grippé car l'on enregistrait :
– la lenteur dans les procédures d'indemnisation, résultant de l'engorgement des tribunaux;
– la lenteur dans la délivrance des procès-verbaux d'accidents ou copies de jugement;
– la lenteur de l'indemnisation due à la complexité du droit, et notamment à la spécificité du droit des assurances peu ou mal connu des magistrats, avocats et particuliers;
– les montants excessifs des indemnités allouées aux victimes, sans commune mesure avec les dommages subis faisant du recours à la justice une véritable loterie où l'on va "tenter sa chance" dans l'espoir de tomber sur une décision de justice généreuse qui fasse accéder au gros lot;
– le nombre élevé des chefs de préjudices indemnisables ainsi que celui des ayants-droit du de cujus;
– le peu de cohérence entre les séquelles observées et les taux d'incapacité alloués par les experts médicaux.
A tous ces maux, il faut ajouter ceux propres à la gestion des sociétés d'assurances elles-mêmes.
La conséquence de cette situation est qu'un grand nombre de victimes n'est pas indemnisé alors même qu'il a engagé des frais.
C'est pour remédier à tous ces inconvénients qu'un nouveau système a été patiemment échafaudé à l'issue de plusieurs colloques, au Cameroun en 1989, au Togo en 1989, en Côte d'Ivoire en 1989, et qui a abouti aujourd'hui au régime du code CIMA. Bien avant cela, convaincus du bien-fondé, certains pays () d'Afrique avaient déjà introduit le système de la "barémisation" dans leur législation basée sur le SMIG.
Aucune œuvre humaine n'étant parfaite le régime du code CIMA est meilleur que le précédent, à plus d'un titre :
– la procédure d'offre ou procédure amiable;
– l'accélération du règlement;
– l'indemnisation du plus grand nombre; la force majeure n'est plus opposable; la faute du tiers n'est plus, non plus, une raison valable;
– l'allègement ou la réduction du contentieux judiciaire;
– institution des délais.
Certes, il faut reconnaître que ce n'est pas parfait encore, les dispositions de l'article 228, alinéa 3, relative à la notion de consolidation, pour ne citer que celles-là, méritent d'être retravaillées.
Après avoir mis en évidence la notion de "position sociale" et restitué l'esprit du code CIMA, le moment est venu de dire si oui ou non les dispositions des articles 259, 260 et 264 du Traité instituant la CIMA sont contraires à l'article 5 de la Constitution du 14 janvier 1995.
Les articles 259 et 260 ont institué, pour l'indemnisation des victimes ou ayants-droit des victimes décédées d'accident de la circulation automobile, des critères tels : salarié, non salarié, non salarié mais disposant de revenus attestés par le fisc, l'âge, le degré de parenté, un barème pour l'incapacité temporaire de travail (ITT) et l'incapacité physique partielle ou permanente (IPP) etc.
Prétendre que l'introduction de ces éléments constitue une preuve ou un début de preuve de discrimination pour ne pas dire de "distinction entre les humains" paraît, dans le cadre d'une procédure judiciaire, dilatoire et de façon générale, peu sérieux.
En effet, avant CIMA, à l'occasion des discussions devant les tribunaux pour la fixation des allocations à servir aux victimes ou ayants-droit des victimes décédées, il est tenu compte du statut de la victime, salarié ou non salarié, de l'âge, de la situation de famille, bref, de la position sociale.
Pour s'en convaincre, un coup d'œil dans les rapports de certains auxiliaires de justice que sont les avocats est nécessaire. L'un de ces illustres et honnêtes "avocats défenseurs", comme on les appelle ici, écrivait ceci au président du tribunal de grande instance de Bangui le 14 février 1992 : « Je voudrais que vous compreniez la situation de mon client qui vient de perdre son fils qui, après avoir fini régulièrement ses études, venait d'être intégré dans la fonction publique; qu'il était détaché à l'"OIVC-Centrafrique" comme responsable des jeunes ruraux; qu'il était un espoir pour toute la famille; qu'il laissait une jeune veuve et un enfant à très bas âge; qu'il serait équitable de tenir compte de ces éléments; qu'un tel préjudice ne saurait être évalué à moins de 10 millions. » Dans la même requête à fin d'intervention, en faveur de l'autre victime de cet accident, il évoquait la situation de la victime qui était chauffeur mécanicien qui laissait une veuve et six enfants; qu'un tel préjudice ne saurait être évalué à moins de 16 millions de FCFA.
C'est dire que le critère de "position sociale" n'est pas nouveau et n'a jamais été perdu de vue dans l'allocation des indemnités suite à un accident de circulation automobile.
En ce qui concerne la jurisprudence, celle-ci est abondante et concordante en la matière, raison pour laquelle il est indiqué d'en rappeler quelques-unes :
– Ce 2 novembre 1984, survint à Bimbo un accident de circulation dans lequel la cyclomotoriste, dame Gbawtou perdit la vie, renversée par un gros véhicule avec remorque appartenant à une société de fabrication de bière. Elisabeth Gbawtou, âgée de près de quarante ans, était mariée et mère de dix enfants dont la plupart étaient encore mineurs. Le premier juge (tribunal de grande instance de Bangui, TGI, 19 décembre 1984, Répertoire n° 2590, année 1984) alloua la somme de 13 millions de FCFA répartie comme suit : un million par enfant et trois pour le mari éploré. Cette décision fut déférée par Gboko, le chauffeur du camion à l'origine de l'accident, et la société de fabrication de bière en arguant de ce que le montant de l'indemnité ainsi fixé était excessif, « que la prétendue profession de "ouali-gala" (femme commerçante) de la victime dont parle le mari n'est que pure fantaisie; qu'il est inconcevable de voir la femme d'un ingénieur des Eaux et Forêts aller s'installer au marché pour vendre un sac de manioc; que le préjudice subi par M. Gbawtou et ses enfants est matériellement minime; qu'il échet de le réduire ». La cour d'appel de la République centrafricaine a confirmé la décision (CA, Répertoire n° 82, année 1985) du premier juge en estimant que « dame Gbawtou, en plus de ses travaux de ménage, contribuait financièrement aux besoins du ménage par les revenus de son négoce de "ouali-gala" ».
– Dans le même ordre d'idée, le dispositif de cette décision de justice du tribunal de grande instance de Bangui, confirmée par la cour d'appel (TGI, 17 octobre 1991; CA, Répertoire n° 44, année 1995) est éloquent au regard de la prise en compte de la position sociale de la victime d'accident de circulation automobile. « Il est de jurisprudence constante avant la dévaluation que la réparation d'un préjudice moral des frères et sœurs est de un million par personne et celle des enfants à cinq cent mille FCFA par enfant mineur; qu' en l'espèce, le défunt, 47 ans, étant maître d'hôtel, rapporte des revenus au foyer, que son décès a causé également aux enfants un préjudice matériel important; qu'il y a lieu de fixer la réparation des préjudices des enfants à quatre millions et celle du frère cadet du défunt à deux millions de FCFA. »
Au sujet de l'article 264 du code CIMA, dire que ses dispositions, elles aussi, violent l'article 5 de la Constitution centrafricaine du 14 janvier 1995 est vraiment exagéré; à moins de ne pas savoir concrètement le mécanisme de fonctionnement. Aussi, est-ce l'occasion de l'expliciter.
C'est l'article par excellence qui met tous les citoyens, toute victime d'accident de circulation, sur le même pied d'égalité devant la mort, que vous soyez Président de la République, président directeur général (PDG), "godobet" (va-nu-pieds), l'assureur ne paiera que l'équivalent d'un mois de SMIG tel qu'il existe dans le pays du lieu de l'accident mortel, par personne décédée, au titre des frais funéraires. En ce domaine, il n'y a pas de position sociale.
Le sieur Moro, vendeur à la sauvette ou "boubanguere", en sait quelque chose ! Lui qui perdit à Kassongo-Boali, dans un accident de circulation, quatre membres de sa famille. Après avoir fini d'organiser les obsèques, les veillées mortuaires comme cela se passe dans cette partie de l'Afrique, il tendit à l'assureur du propriétaire du véhicule, auteur de l'accident, une facture de plus de 3 millions. Il ne lui sera payé que 904.800 FCFA, soit le SMIG annuel en République centrafricaine, fois quatre pour les quatre décédés.
Encore une fois, en quoi l'article 5 de la Constitution a été violé ? En tout cas, ce qu'a fait le code CIMA, c'est d'avoir repris tous ces éléments, d'y avoir imprimé une certaine logique, rationalité, une certaine transparence; d'avoir prévu des balises, non sans cause !
Même si tous les paramètres évoqués ci-dessus existaient déjà, c'est la façon de les utiliser qui changeait, plutôt n'était pas aussi cohérente et objective. C'est en effet le juge seul qui les maniait, à sa guise, selon son interprétation, selon son bon vouloir, selon son humeur, pourquoi pas selon ses accointances ou familiarités. Il le fait aussi allègrement qu'il se réfugie derrière la notion de son pouvoir souverain d'appréciation, prérogative dont il jouit à la faveur du silence de la loi. Malheureusement, comme les bonnes choses ne durent pas éternellement, le code CIMA est venu réduire de façon drastique ce pouvoir souverain grâce auquel le juge faisait la pluie et le beau temps en matière d'indemnisation d'accident de circulation, en complétant la législation en la matière. Fini, « le gouvernement des juges » ! Ainsi, aujourd'hui, le juge est-il obligé de se rendre à l'évidence au sujet de cette nouvelle donne et non de contester la loi, ce qui n'est pas son rôle, encore moins refuser de l'appliquer, ce qui est contraire à son serment dont acte lui a été donné et procès-verbal dressé pour qu'il y soit recouru en cas de besoin.
L'expert médical aussi a sa part de responsabilité dans le système d'avant le code CIMA. En effet, il lui arrivait de délivrer des ITT ou IPP "pour rendre service", alors que les conséquences de telles prescriptions peuvent se révéler financièrement importantes.
N'est-ce pas ce qu'a voulu, implicitement, dénoncer le sieur Wichii qui, condamné à des dommages-intérêts d'un montant d'un million et demi pour avoir renversé l'écolier Balego, a déféré la décision à la cour d'appel où il sollicite la nécessité de désigner un autre expert médical assermenté pour examiner à nouveau la victime dont il estime l'état bénin, ce que n'a pas rapporté fidèlement le médecin qui a instrumenté. La cour ne le lui a pas accordé, estimant que ce qui est mis à sa charge se situe dans une limite raisonnable (CA, Répertoire n° 09, année 1991). Le code CIMA, c'est vrai, n'a pas oublié cet aspect du « potentat des experts médicaux », le travail, là aussi, a été balisé.
Pour clore cette rubrique, il est clair que le code CIMA, s'il est bien appliqué, tout le monde trouve son compte : victimes, ayants-droit des victimes décédées, assureurs. Mais, comme toute œuvre humaine, ce n'est pas encore la perfection, c'est un objectif vers lequel il faut tendre; déjà il y a un léger mieux que sous le système précédent. Le chômeur, la ménagère, l'enfant a aujourd'hui un critère objectif servant de base à l'indemnisation, ce qui n'existait pas auparavant, c'est le SMIG.
D'aucuns disent que ce SMIG est trop bas en République centrafricaine et rend les indemnisations ridicules dans leurs montants; à la décharge du code CIMA, cet élément relève de l'apanage des États, et chacun le fixe en fonction de son niveau de développement économique. Ce SMIG est de 60.000 FCFA au Gabon; de 35.000 FCFA en Côte-d'Ivoire; de 30.000 FCFA au Cameroun; de 18.850 FCFA en Centrafrique; de 15.000 FCFA au Togo, pour ne citer que ceux-là. En ce qui concerne la République centrafricaine, tout en reconnaissant que ce SMIG est quand même assez bas, son éventuel relèvement risque de lancer un débat d'une envergure telle qu'il est difficile de prévoir et de circonscrire toutes les conséquences...
En définitive, dans cette affaire d'inconstitutionnalité de certains articles du Traité instituant le code CIMA, suite à l'analyse faite ci-dessus, le requérant a manqué de sérieux tandis que la cour d'appel, sans doute délibérément, car elle est tenue par des magistrats compétents, n'a pas appliqué la loi, réservant à la haute juridiction le soin de le faire.
La Cour constitutionnelle, quant à elle, n'a pas dit le droit. Sa décision en l'espèce est une véritable hérésie juridique. En conséquence, elle ne peut avoir le moindre impact sur le Traité institué par la CIMA qui est et demeurera en l'état, avec tous ses effets juridiques. Car un État ne peut invoquer les dispositions de sa Constitution pour justifier la non-exécution d'un traité définitivement conclu par lui; l'article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités confirme la règle : « Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité. »
De même, les dispositions de l'article 47 du Traité querellé édictent : « Les juridictions nationales appliquent les dispositions du présent traité et les actes établis par les organes de la Conférence, nonobstant toute disposition nationale antérieure contraire ou postérieure à ces textes. »
Cependant, les conséquences de cette malheureuse décision demeurent au plan interne et, à certains égards, au plan international.
Au plan interne, la hiérarchie des normes juridiques commande que la Constitution soit et demeure la norme suprême, de sorte que toutes les autres soient conformes à elle. Or, il se trouve qu'une autre norme a été déclarée non conforme à elle. D'où la nécessité et l'urgence de mettre de l'ordre dans un tel ordonnancement juridique. Le Traité étant pour sa part ratifié et donc devenu pratiquement définitif, sauf dénonciation dont la procédure est prévue, la manœuvre est étroite. N'est donc plus possible que la révision constitutionnelle. Or, comment raisonnablement envisager la révision de la Constitution de 1995, la meilleure après celle de 1959, qui vient de naître, toute Constitution étant faite pour durer en tant qu'expression du peuple ? La République centrafricaine, en trente-huit ans d'indépendance, a déjà connu onze Constitutions, actes constitutionnels et révisions constitutionnelles confondus. Quelle instabilité ! Logiquement, on est au-delà de la Ve République, même si le politique pense autrement. Il y a donc lieu d'écarter l'éventualité de toute révision constitutionnelle. Mais comment donc faire pour sortir de l'impasse dans laquelle cette décision de la Cour a placé le pays ?
A notre humble avis, la voie à emprunter est celle-ci :
A) Saisir immédiatement l'Assemblée nationale, et cela conformément à l'article 47 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle qui prévoit la saisine du législateur, justement en cas de déclaration d'inconstitutionnalité de lois, en l'espèce la loi autorisant la ratification du Traité instituant la CIMA.
B) Saisir par la même occasion l'Assemblée d'un projet de loi modifiant la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Il devrait être question de rétractation ou de rectification. L'entrée en vigueur de cette nouvelle loi doit être bien précisée, elle doit prendre effet au plus tard le 8 juin 1998, c'est-à-dire avant la malheureuse décision pour permettre à son auteur de la modifier, car l'état actuel de la législation ne permet pas de réaliser cette opération.
C) On pourrait profiter de l'occasion pour tirer les leçons de cet incident qui malheureusement n'est pas isolé, si on se rappelle une autre affaire (décision de la Cour n° 004/CC/98 du 9 juin 1998) de contrôle de la constitutionnalité des textes, cette fois il s'est agi de décrets présidentiels, ce qui relève plutôt, sauf erreur, du Conseil d'État, et prendre des mesures préventives pour l'avenir, telles :
– le renouvellement, même partiel, de membres de la Cour, dans des circonstances exceptionnelles comme celles-ci, à définir après consultation d'autres institutions...
– la réduction du mandat de la Cour, malheureusement cela touche la Constitution. Mais c'est quelque chose qu'il ne faudrait pas oublier dès la prochaine modification de celle-ci.
– la preuve des conditions d'accès aux fonctions de membres de la Cour en l'ouvrant à d'autres corps où les compétences s'y trouvent; bannir les conditions d'âge car, comme on vient de se rendre compte, ce n'est pas un critère de sagesse ni d'abîme de science, de savoir ou d'efficacité.
Bref... un toilettage complet de ce document s'avère opportun, de même qu'une adaptation aux couleurs locales car, en l'état, la Cour ressemble étrangement au Conseil constitutionnel français, alors que les réalités varient parfois fondamentalement.
Sur le plan international, la Cour, dans cette affaire, n'a pas saisi la juste mesure de la décision que l'on attendait d'elle. Celle-ci n'était pas que juridique, il s'agit de marquer une volonté politique d'aller de l'avant dans la construction patiente mais résolue de l'Afrique, particulièrement de l'Afrique noire francophone. La Cour ne s'est pas rendue compte que l'Europe s'étant construite ou est en train de le faire, en tant que partenaire privilégiée et incontournable elle va imposer à ses anciennes colonies d'en faire autant, même de façon déguisée, par le biais des conditionnalités. Pour l'instant, ce regroupement se fait autour de certains thèmes : monnaie, économie, environnement juridique etc. Pourtant le principe de subsidiarité () sur lequel repose ces regroupements est prémonitoire. Ainsi, par sa décision n° 003, la Cour a manqué de prendre le train de l'ordonnancement juridique communautaire, et tente d'ignorer l'Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), dont le traité a été ratifié par loi n° 94-024 du 31 décembre 1994; la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (CIPRES) dont le traité a été ratifié par la loi n° 96-026 du 26 novembre 1996 pour ne citer que celles-là, et certainement bientôt la Communauté économique et monétaire en Afrique centrale (CEMAC). Il est sans doute consolant pour les membres de la Cour de savoir qu'ils n'ont pas été les seuls à avoir tort; d'illustres personnages, promoteurs de la Ve République en France, ont, avant eux, tenté de s'opposer à la construction de l'Europe : de Gaulle lui-même avait lancé : « Ces traités, nous les déchirerons quand nous serons au pouvoir » (), parlant des traités de Rome qui posaient les bases de la construction européenne. Il est arrivé au pouvoir mais n'a jamais pu les déchirer, l'Europe est au stade que nous connaissons aujourd'hui. Concernant l'Afrique, l'histoire le dira !
En direction des pouvoirs publics centrafricains, il faut dire que s'il y a ce brouhaha actuel autour du code CIMA, soulevé par les avocats, magistrats, membres de la Cour constitutionnelle, assureurs, assurés, journalistes (le quotidien centrafricain Le Novateur n° 341 du mercredi 24 juillet 1996), pays membres de la CIMA, intellectuels de tous bords, bref, tout le monde à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, c'est simplement par défaut de vulgarisation de cette norme. Lorsque le département en charge du secteur des assurances s'est décidé à organiser un séminaire sur le code CIMA, la procédure judiciaire dans l'affaire Namkoïna était avancée; l'annonce d'une évaluation du traité en septembre 1998 à Paris n'a pas freiné les ardeurs des adversaires du code. Beaucoup de pays membres ont pris leurs responsabilités à temps. On se souvient de l'intervention du ministre de la Justice et de son collègue des Finances, tous deux du Niger, qui ont rappelé fermement à l'ordre les huissiers de justice qui, dans le cadre de l'exécution des décisions de justice, s'amusaient à saisir les comptes des assureurs, alors que les affaires n'avaient pas encore acquis l'autorité de la chose jugée et que l'application du code faisait encore l'objet d'hésitation. Un communiqué conjoint avait été signé des deux ministres à toute la population nigérienne; celui des Finances a saisi l'association des professionnels de banques à qui des directives précises ont été données... Depuis lors, les choses sont rentrées dans l'ordre. C'est ce cette manière que nos pouvoirs publics devraient faire pour asseoir un véritable Etat de droit en République centrafricaine.
Justin N'DJAPOU,
Diplômé d'études approfondies en droit,
chargé de mission en matière juridique et contentieuse,
Coordonnateur, ministère des Finances et du Budget.
1 A l'exception d'un membre qui, ce jour de l'intronisation, se trouvait en voyage à l'étranger. A ce jour sa situation n'est pas encore régularisée.
2 Le président de la Cour est Président de la République par intérim au second degré; président du comité spécial, chargé de constater la vacance définitive de la Présidence de la République; en cas de besoin, conseiller politique du Président de la République dans le cadre des articles 26, 28, 29 et 31 de la Constitution.
3 3 La juridiction devant laquelle une exception d'inconstitutionnalité est soulevée examine le bien-fondé de cette exception. La juridiction saisie de cette exception surseoit à statuer et en saisit la Cour constitutionnelle qui rend sa décision dans le mois qui suit sa saisine.
4 Décision de la Cour constitutionnelle du Gabon n° 0014 du 8 juillet 1993, Répertoire n° 0014, article 1
er : « Le traité instituant une organisation intégrée de l'industrie des assurances ne comporte pas de clauses contraires à la Constitution. »
5 Décision du ministre centrafricain des Finances en sa qualité de président du Conseil des ministres de la CIMA sous le n° 055 du 6 février 1995.
6 Décision du Conseil constitutionnel français du 15 janvier 1960 dans le Conseil constitutionnel et l'autorité judiciaire, Thierry Renoux, Economica, 1984.
7 « La France... assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. »
8 Côte d'Ivoire, loi du 18 décembre 1989; Cameroun, ordonnance n° 89/005 du 13 décembre 1989; Togo, loi n° 89/13 du 5 juillet 1989.
9 Le principe de subsidiarité Jean-Louis Clergerie, Ellipses, 1997.
10 Propos rapportés à la fois par Paul Reynaud et Jean Lacouture cités par Emmanuel Jouve : "Le général de Gaulle et la construction de l'Europe »; p.15, Le
Conseil constitutionnel, F. Luchaire, Ed. Economica, 1980, p. 145.