J-02-64
commissionnaire – privile spécial.
droit de rétention – nécessité d'un lien de connexité entre la créance et les marchandises détenues (non).
Aux termes des articles 92 et 95 du code de commerce, le commissionnaire a un privilège sur la valeur des marchandises à lui expédiées, déposées ou consignées du seul fait de l'expédition, du dépôt ou de la consignation.
Ce privilège est un droit de gage qui s'étend à toutes les marchandises en dépôt ou en consignation entre ses mains. Il peut donc exercer son droit de rétention librement sur telle ou telle marchandise en garantie de sa créance, sans qu'il soit nécessaire de rechercher un lien direct entre la créance garantie et les marchandises détenues.
Article 92 AUS
Article 95 AUS
(Cour d'Appel de Ouagadougou, ordonnance n° 74/98 du 8 octobre 1998, Etablissements Ilboudo Tintin c/ SOCOPAO / SDV-B, Ohada jurisprudences nationales, n° 1, décembre 2004, p. 107).
COUR D'APPEL DE OUAGADOUGOU
(BURKINA FASO)
CABINET DU PRESIDENT
ORDONNANCE DE REFERE N° 74/98
Nous, Marc ZONGO, Conseiller à la Cour d'Appel de Ouagadougou;
Assisté de Maître Karidiatou TRAORE, Greffier en Chef de ladite Cour;
Etant en notre Cabinet;
Dans l'affaire :
– ETABLISSEMENTS ILBOUDO TINTIN, lesquels ont élu domicile en l'Etude de Maître OUEDRAOGO A. René, Avocat à la Cour;
Contre :
– SOCOPAO (S.D.V.-B.), ayant pour Conseil Maître Moussa OUEDRAOGO, Avocat à la Cour;
Vu l'Ordonnance n° 003 du 23 Septembre 1997;
Vu l'acte d'appel en date du 24 Septembre 1997;
Par Ordonnance de référé rendue le 23 Septembre 1997, le Président du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou déboutait les Etablissements ILBOUDO TINTIN de leurs prétentions comme étant mal fondées;
Le 24 Septembre 1997, les Ets ILBOUDO TINTIN ont, par le biais de leur Conseil, relevé appel contre la décision susmentionnée au motif que l'Ordonnance querellée aurait fait une mauvaise application de la loi, notamment du droit de rétention prévu à l'article 95 du Code de Commerce, en statuant que l'existence d'un lien entre la créance garantie et les marchandises n'était pas nécessaire pour l'exercice dudit droit;
Ils précisaient qu'aux termes de la loi, le droit de rétention reconnu au profit du concessionnaire en douane, s'exercerait sur les marchandises que celui-ci détient, mais uniquement pour les créances afférentes à ces marchandises elles-mêmes et non pour garantir le paiement d'autres créances n'ayant aucun rapport direct avec ces mêmes marchandises;
Pour terminer, les Ets ILBOUDO TINTIN soulignent que s'agissant des marchandises dont la livraison est sollicitée, il ont déjà procédé au règlement intégral de la facture y relative ainsi que l'attestent les relevés qu'ils ont produits et qu'en conséquence, c'est à tort que la SOCOPAO (S.D.V.-B.) retient toujours les marchandises concernées par devers elle;
Maître Moussa OUEDRAOGO, agissant pour le compte de la SOCOPAO (S.D.V.-B.), soulève d'emblée l'incompétence du Juge des référés en alléguant que le problème soulevé relèverait plutôt du Juge du fond que de celui des référés. Subsidiairement, il sollicite la confirmation pure et simple de l'Ordonnance querellée;
Attendu qu'aux termes des articles 92 et 95 du Code de Commerce, tout concessionnaire (commissionnaire ?) a privilège sur la valeur des marchandises à lui expédiées, déposées ou consignées par le seul fait de l'expédition, du dépôt ou de la consignation, pour tous les prêts, avances ou paiements faits par lui; ce privilège ne subsiste sur le gage qu'autant qu'il a été mis et est resté en la possession du créancier ou d'un tiers;
Que dans le cas d'espèce, il est constant que la SOCOPAO (S.D.V.-B.) a réceptionné à plusieurs reprises des marchandises et procédé à des opérations douanières pour le compte des ETABLISSEMENTS ILBOUDO TINTIN en tant que concessionnaire (commissionnaire ?);
Qu'en outre, il est également constant, et sans qu'il ne soit nécessaire de déterminer le montant, que les ETABLISSEMENTS ILBOUDO TINTIN restent redevables, aussi petit soit-il, à la SOCOPAO (S.D.V.-B.);
Que par ailleurs, le privilège reconnu au profit du concessionnaire (commissionnaire ?) est un droit de gage qui s'étend à tous les lots de marchandises en dépôt ou en consignation entre les mains de celui-ci; en d'autres termes, il s'agirait d'un droit de gage général sur toutes les marchandises qu'il aurait en dépôt ou en consignation;
Que dès lors que SOCOPAO (S.D.V.-B.) a exposé des frais en tant que concessionnaire (commissionnaire ?) pour le compte des ETABLISSEMENTS ILBOUDO TINTIN et que des marchandises appartenant à ces derniers se trouvent en dépôt ou en consignation dans ses magasins, son droit de rétention peut s'exercer librement sur telle ou telle marchandise en garantie de sa créance, sans qu'il soit nécessaire de rechercher un lien direct entre la créance garantie et les marchandises détenues;
Attendu que (selon) l'exception d'incompétence soulevée par Maître Moussa OUEDRAOGO, Conseil de la SOCOPAO (S.D.V.-B.), il résulte des débats et des pièces versées au dossier qu'aucune des mesures sollicitées ou déjà prises par le Juge du fond ne préjudicie nullement au fond du litige principal;
Qu'en tout état de cause, ces mesures demeurent conformes à l'esprit de l'article 1er de la loi n° 11/93/ADP du 17 Mai 1993 portant compétence du Président de la Cour d'Appel en matière de Référé et d'Exécution provisoire;
Qu'en conséquence de tout ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'Ordonnance n° 003/97 du 23 Septembre 1997 avec toutes ses conséquences de droit;
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, en matière de référé;
EN LA FORME :
Déclarons l'appel des ETABLISSEMENTS ILBOUDO TINTIN recevable pour avoir été interjeté dans les formes et délais prévus par la loi;
AU FOND :
Confirmons l'Ordonnance n° 003/97, rendue le 23 Septembre 1997 par Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou en toutes ses dispositions;
Mettons les dépens à la charge des ETABLISSEMENTS ILBOUDO TINTIN.
Donnée en notre Cabinet, le 8 Octobre 1998.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Bien que cette ordonnance ait été rendue à propos de faits relevant de la législation antérieure à l'application des Actes uniformes relatifs au droit commercial général et au droit des sûretés, elle mérite d'être signalée pour sa curieuse démarche qui n'est adaptée ni aux dispositions du code de commerce ni à ces Actes uniformes
En premier lieu, nous pensons, selon toute vraisemblance, que la SDV agissait ou était envisagé juridiquement par les juges des référés comme commissionnaire et non comme "concessionnaire" ainsi que l'indique cette décision même si c’est sous cette qualification que les rapports juridiques entre les parties le présentaient..
Le titre 6 du code de commerce distingue nettement entre le gage (section 1ère, articles 91 à 93) et les commissionnaires en général (section 2, articles 94 et 95). Seul l'article 95 parle du privilège du commissionnaire qui doit être nettement distingué du gage, fût-il commercial.
Le privilège du commissionnaire porte sur les marchandises qu'il achète, vend, transporte ou expédie, même s'il ne les détient pas. Ce n'est que s'il les détient qu'il peut exercer sur elles un droit de rétention. Mais pour cela, il faut qu'il y ait un lien entre sa créance et la détention actuelle des marchandises, sauf s'il y a indivisibilité des différentes relations, antérieures et actuelles. C'est cette indivisibilité que l'on aurait aimé voir mise en évidence, comme l'exigeait la jurisprudence antérieure et comme le présume aujourd'hui l'article 42, alinéa 2 de l'Acte uniforme sur les sûretés entre personnes en relations d'affaires suivies et constantes. Peut-être même, cette indivisibilité résultait-elle d'une clause spéciale, comme souvent dans les contrats entre les professionnels du courtage, du transport ou de la consignation et leurs clients.