J-02-69
sociétés commerciales – société en liquidation – distribution des bénéfices – compétence de l'assemblée générale ordinaire (oui) – compétence du tribunal pour statuer sur la distribution des bénéfices (non) – désignation d'un administrateur ad hoc.
C'est à bon droit qu'une Cour d'appel saisie d'une contestation de saisie attribution, rejette le moyen tiré de la nullité de la signification d'une ordonnance d'injonction de payer sur laquelle la saisie attribution était fondée.
(Cour d'Appel d'Abidjan, arrêt du 7 avril 2000, Liquidation de la société SADEA Editions c/ Paul Arnaud).
COUR D'APPEL d'Abidjan
chambre civile et commerciale
Audience du Vendredi 07 Avril 2000
Affaire : Liquidation de la Société SADEA Editions
(Me Estelle ATTALE)
contre
Paul ARNAUD
(SCPA PARIS VILLAGE).
Arrêt Civil Contradictoire 3ème Chambre
La Cour d'Appel d'Abidjan, Chambre Civile et Commerciale, séant au Palais de Justice de ladite ville, en son audience publique ordinaire du vendredi Sept Avril Deux Mille, à laquelle siégeaient :
Monsieur CHAUDRON Maurice, Président de Chambre, Président
Mme BLE SAKIE Irène et Mme ATTOKPA K. GRAH Emma, Conseillers à la Cour, Membres,
En présence de Monsieur ANOMA Jérôme, Avocat Général,
Avec l'assistance de Maître FAN Jean-Pierre, Greffier,
A rendu l'arrêt dont la teneur suit dans la cause;
ENTRE :
La Liquidation SADEA Editions, Société à Responsabilité limitée au capital de 5.000.000 de francs CFA sise à Abidjan – Plateau, Immeuble l'Ebrien, 5è étage, 04 BP 1329 Abidjan 04, poursuites et diligences de son représentant légal, Monsieur Anon SEKA, Expert Comptable, es qualité de liquidateur de la société SADEA Editions, domicilié à la Riviera Bonoumin Cité Belle Fleurs I villa n° 7, 04 B.P. 1329 Abidjan 04, ayant pour Conseil Maître Estelle ATTALE, Avocat près la Cour d'Appel d'Abidjan;
APPELANTE
Représentée et concluant par Maître Estelle ATTALE, Avocat à la Cour, son Conseil;
D'UNE PART
ET :
Mr Paul ARNAUD, né le 14 Avril 1941 à Gagnoa, de nationalité ivoirienne, Directeur de Société demeurant à Abidjan – Yopougon Banco Nord Cité CIPIM, villa N° 62, 11 B.P. 1288 Abidjan 11, ayant élu domicile au Cabinet de la SCPA PARIS VILLAGE;
INTIME
Représenté et concluant par SCPA PARIS VILLAGE, d'Avocats à la Cour, son Conseil;
D'AUTRE PART
Sans que les présentes qualités puissent nuire ni préjudicier en quoi que ce soit aux droits et intérêts respectifs des parties en cause, mais au contraire, sous les plus expresses réserves de fait et de droit.
Le Tribunal de Première Instance d'Abidjan, statuant en la cause, en matière civile, a rendu le 30 Juillet 1997, un jugement civil N° 748/CIV 6/A enregistré à Abidjan le 28 Mai 1999 (reçu : Trois cent quatre vingt huit mille sept cent quinze francs), aux qualités duquel il convient de se reporter et dont le dispositif est ci-dessous résumé;
Par exploit en date du 08 Décembre 1999 de Maître Félix KABLAN-BILE, Huissier de Justice à Abidjan, la Liquidation de la Société SADEA Editions a déclaré interjeter appel du jugement sus-énoncé et a, par le même exploit, assigné le sieur Paul ARNAUD à comparaître par-devant la Cour de ce siège à l'audience du vendredi 31 Décembre 1999 pour entendre, annuler ou infirmer ledit jugement;
Sur cette assignation, la cause a été inscrite au rôle général du Greffe de la Cour sous le numéro 1237 de l'an 1999;
Appelée à l'audience sus-indiquée, la cause, après des renvois, a été utilement retenue le 04 Février 2000 sur les pièces, conclusions écrites et orales des parties;
DROIT : En cet état, la cause présentait à juger les points de droit résultant des pièces, des conclusions écrites et orales des parties;
La Cour a mis l'affaire en délibéré pour rendre son arrêt à l'audience du 07 Avril 2000;
Advenue l'audience de ce jour, 07 Avril 2000, la Cour, vidant son délibéré conformément à la loi, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR
Vu les pièces du procès;
Ouï les parties en leurs conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Vu l'arrêt N° 107 du 21.01.2000 de la Cour d'Appel de céans sur la recevabilité de l'appel;
Considérant que la Liquidation de la Société SADEA Editions fait valoir par son Conseil Maître Estelle ATTALE, qu'aux termes de l'article 12 des Statuts, "chaque part sociale donne droit à une fraction des bénéfices et de l'actif social, proportionnellement au nombre de parts existantes;
qu'elle fait savoir que l'exercice 1990-1991 a dégagé un résultat net, après impôts et avant affectation au compte de réserves légales de la somme de 38.711.802 francs, compte que l'Assemblée Générale Ordinaire n'a pas approuvé; or seule l'Assemblée Générale est habilitée à affecter le résultat d'une société;
qu'elle soutient qu'en accordant à Paul ARNAUD 20 % du résultat net avant affectation de 5 % du résultat au compte de réserve légale, le Premier Juge a violé l'article 20 des Statuts de la société;
que la distribution ne pourrait intervenir, les frais de la constitution n'étant pas totalement amortis;
qu'elle conclut donc à l'infirmation du jugement entrepris;
Considérant que Paul ARNAUD, intimé concluant par la SCPA PARIS-VILLAGE, explique qu'il était associé à la société SADEA Editions et détenait 20 parts;
Que, suite à un faux procès, il a été éjecté de cette société;
que, malgré ses tentatives pour convoquer une Assemblée Générale, il s'est heurté au refus de la gérance de cette société;
que devant cette méconnaissance de son droit d'associé, il a assigné la société Sadea Editions pour procéder à la distribution des bénéfices de l'exercice 1990-1991;
qu'il soutient que si les statuts de la Société exigent que les bénéfices sociaux soient affectés par l'Assemblée Générale Ordinaire après approbation des comptes suivant l'article 20 alinéas 1, 2 et 3, encore faut-il que l'Assemblée Générale se réunisse; or, celle-ci n'a jamais été convoquée, alors que la gérance était légalement tenue de soumettre le résultat à l'approbation des associés et de distribuer les bénéfices constatés au plus tard dans les six mois de la fin de l'exercice social;
qu'il poursuit que jusqu'en 1996, le compte dudit exercice n'a été approuvé par une Assemblée Générale et aucune distribution de bénéfices constatée, alors que la législation comptable impose ces opérations au plus tard six mois après la fin de l'exercice social;
que, face à la mauvaise foi de la Sadea Editions, il pouvait être valablement recouru à justice;
qu'il en déduit que le Tribunal n'a pas violé les dispositions statutaires de la société Sadea Editions;
que, s'agissant du défaut de prélèvement des 5 % au titre de la réserve légale, il fait valoir que la société Sadea Editions ne peut se prévaloir de sa propre turpitude;
que, concernant l'impossibilité de distribuer les bénéfices au titre du premier exercice soit disant imposé par la loi aux SARL, il affirme qu'une telle interdiction n'est pas édictée par l'article 34 alinéa 3 qui dispose que "le montant des intérêts ainsi payés doit être compris parmi les frais de premier établissement et réparti avec ces frais suivant le mode et dans le délai que doivent *sur les années qui présenteront des *;
qu'il soutient que la liquidation de la Sadea Editions veut tromper la Cour quant au contenu et à l'intelligence des textes;
qu'il plaide, en conséquence, que la Sadea Editions soit déboutée de son appel;
Considérant qu'en réplique aux moyens de *, l'intimé soutient que ce dernier reconnaît lui-même que l'Assemblée générale n'a pu se tenir;
que le Juge pouvait donc provoquer cette Assemblée Générale, seule habilitée à affecter les dividendes après déduction des 5 %;
Considérant que l'intimé a conclu, il échet de statuer contradictoirement;
DES MOTIFS
EN LA FORME
Considérant que l'appel régulièrement intervenu est recevable;
AU FOND
Considérant qu'il résulte de l'article 20, 4° des Statuts de la Société Sadea Editions, que le paiement des dividendes revenant aux associés est dévolu à l'Assemblée des associés;
qu'il s'ensuit que le Juge ne saurait suppléer sous quelque motif que ce soit, l'assemblée générale des associés pour affecter un dividende à un associé sans s'immiscer dans la gestion financière de la société, laquelle n'appartient qu'aux seuls dirigeants sociaux;
qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris;
Considérant que les parties affirment de manière unanime que l'assemblée générale des associés n'a pu se tenir, ni même (être) convoquée, violant ainsi les dispositions statutaires;
qu'il faut remédier à cela par la nomination d'un Administrateur ad hoc avec pour mission de convoquer l'Assemblée générale des associés pour la distribution des dividendes de l'exercice 1990-1991, qui a fait apparaître une bénéfice de 38 711 802 francs;
Considérant qu'il importe, dans ces circonstances, de répartir les dépens;
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt N° 107 du 21.01.2000 de la Cour d'Appel de céans;
Déclare la liquidation de la Société Sadea Editions bien fondée en son appel relevé du jugement civil N° 748/CIV 6/A rendu le 30.07.1997par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan;
Infirme ledit jugement;
Statuant à nouveau;
Dit et juge que la distribution des dividendes aux associés est dévolue à l'assemblée générale des associés;
En conséquence, désigne Monsieur Francis DESCLERCS, Expert Comptable, 01 BP 3956 Abidjan 01 - Téléphone 20.21.71.71 / 20.32.55.87 ou 20.21.14.59 en qualité d'Administrateur ad hoc avec pour mission essentielle de convoquer dans les trois mois de la notification de sa nomination, l'assemblée générale des associés de la Société Sadea Editions, aux fins de distribuer les dividendes de l'exercice 1990-1991, sur la base d'un bénéfice net de 38.711.802 FCFA;
Fait masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties;
En foi de quoi, le présent arrêt prononcé publiquement, contradictoirement, en matière civile, commerciale et en dernier ressort par la Cour d'Appel d'Abidjan (3ème Chambre civile), a été signé par le Président et le Greffier.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Une société en liquidation ne distribue pas les bénéfices sociaux réalisés au cours d'un exercice. Un des associés assigne le liquidateur (seul représentant légal de ladite société, désormais) aux fins de se faire octroyer sa part de bénéfices, ce que lui accorde le premier juge. En appel, cette décision est infirmée au motif que la décision de distribuer des bénéfices est de la seule compétence de l'assemblée générale et qu'il convient de désigner un administrateur ad hoc avec pour mission de convoquer l'assemblée générale pour statuer sur cette question.
Cette affaire a vu le jour à une date où l'Acte uniforme de l'OHADA sur les sociétés commerciales n'était pas en vigueur. Il constitue, néanmoins, un excellent exercice de réflexion à la lueur de ce texte.
Les dispositions générales communes à toutes les sociétés commerciales (articles 125 à
136 AUSCGIE) ne comportent aucune règle relative à la compétence de l'AGO en matière de distribution des bénéfices sociaux. Concernant les SARL, l'article 346 alinéa 1er AUSCGIE dispose que la répartition des bénéfices s'effectue conformément aux statuts, sous réserve des dispositions impératives communes à toutes les sociétés; quant à l'alinéa 2 du même article, il prévoit que toute délibération collective des associés (donc de l'Assemblée générale) doit tenir compte, dans la répartition, des pertes antérieures et d'une constitution de réserve légale égale à 10 % des bénéfices. Il ne fait aucun doute qu'il faut donc combiner ces règles légales et les dispositions statutaires, étant entendu que la compétence de l'Assemblée générale pour prendre la décision de répartir des bénéfices ne fait aucun doute. Mais cette compétence est-elle exclusive ?
En présence d'un liquidateur, si les fonctions du gérant prennent fin (article
224 AUSCGIE), celles de l'Assemblée générale ne cessent pas, et il appartient au liquidateur de la convoquer à toutes les fins utiles (article
228 AUSCGIE), y compris pour statuer sur la répartition des bénéfices (c'est nous qui le précisons, dans la mesure où la distribution des bénéfices relève de la distribution de l'actif net), et si cet organe ne peut être réuni ou aucune décision n'a pu être prise, il demande en justice les autorisations nécessaires pour cela (article 228, alinéa 4 et article
229 AUSCGIE). Il n'est pas fait état, en l'espèce, d'une telle diligence par le liquidateur; dans ce cas, il est procédé à la convocation de l'Assemblée générale par un mandataire désigné judiciairement, à la demande de tout intéressé (article 228, dernier alinéa AUSCGIE), ce qui est le résultat obtenu par la décision examinée.
Ceci nous amène à nous poser deux questions :
– une distribution des bénéfices est-elle possible avant que tous les créanciers aient été payés, comme le laisse penser l'article 231, alinéa 1er AUSCGIE ?
– au cas où cela serait possible, face à l'inertie de l'Assemblée générale ou du liquidateur ou du mandataire ad hoc, le tribunal ne peut-il se prononcer sur le bon droit de l'associé à recevoir sa part de bénéfices ?