J-02-71
saisie attribution – établissement bancaire tiers saisi – absence de créance du saisi envers le tiers saisi – saisie non fondée.
lettre de garantie à première demande – état nigérien bénéficiaire de la garantie – établissement bancaire garant – absence de titre de créance au profit du notaire saisissant.
Une banque ne détenant aucun fonds au profit d’un débiteur faisant l’objet d’une saisie attribution pratiquée entre ses mains ne peut être déclarée débitrice des causes de la saisie.
Une banque s’étant portée garante d’une société ne peut être considérée comme débitrice de celle-ci; de ce fait, elle ne peut faire l’objet d’une saisie attribution pratiquée entre ses mains par un créancier de ladite société garantie par elle.
Article 8 AUS
Article 28 alinéa 1er AUS
Article 36 AUS
Article 37 AUS
Article 167 AUPSRVE
(Cour d’Appel de Niamey, ordonnance de référé n° 211 du 19 octobre 2001, Salaou Babacar c/ Bank of Africa, Société Générale et Société Investcom Global Ltd).
REPUBLIQUE DU NIGER
COUR D’APPEL DE NIAMEY
Tribunal régional de Niamey
CABINET DU PRESIDENT DU TRIBUNAL
ORDONNANCE DE REFERE n° 211 du 19 OCTOBRE 2001
L’an deux mille un
Et le dix-neuf octobre
Nous ABDOULAYE DJIBO, Président du Tribunal Régional de Niamey, Juge des référés, assisté de Maître MOUSTAPHA SANI, Greffier, avons rendu l’ordonnance de référé dont la teneur suit :
ENTRE :
SALAOU BOUBACAR : Notaire à Niamey, assisté de Maître Marc Le Bihan, Avocat à la Cour;
déMAndeur
D'UNE PART
ET :
BANK OF AFRICA : représentée par Maître Seyni Yayé, Avocat à la Cour;
SOCIETE INVESTCOM GLOBAL LTD. : représentée par Me Bernard Olivier Kouaovi, Avocat à la Cour;
défendeRESSES
D'AUTRE PART
1°) – EXPOSE
La présente instance en référé initiée suivant assignation en date du 18 juillet par Me Boubacar Salaou, Notaire à Niamey, assisté de Me Soulèye Oumarou, Avocat au barreau de Niamey tend à faire :
– Déclarer la Bank of Africa personnellement débitrice des causes de la saisie attribution de la somme de 17.383.909 F en principal, intérêts et frais, sur des sommes qu’elle détient pour le compte de INVESTCOM;
– Condamner la BOA au titre des dommages-intérêts, moratoires et au paiement des intérêts légaux de cette somme à compter de la signification de l’ordonnance N° 095 du 15 mai 2001;
– Le tout sous astreinte de 500.000 F par jour de retard à compter de la décision à intervenir;
Par deux exploits en date du 14 août 2001, la BOA a appelé en cause la Société Générale et la Société Investcom Global.
Les différentes procédures ont été jointes à l’audience du 11 septembre 2001.
Me Salaou Boubacar expose à l’appui de son assignation, que sur le fondement des articles 153 et suivants de l’Acte Uniforme de l’OHADA du 10 avril 1998, il pratiqua saisie attribution entre les mains de la BOA sur les avoirs de Investcom pour avoir paiement de la somme de 17.383.909. Que dans l’acte de saisie, la BOA déclarait qu’elle ne détenait pas de fonds pour le compte de la Société Investcom, mais qu’elle est caution.
Il ajoute que c’est par acte en date du 10 octobre 2000 que la BOA s’est effectivement portée caution de la Société Investcom jusqu’à concurrence de 500 millions, Investcom ayant postulé au marché de l’installation de la téléphonie cellulaire au Niger.
Se fondant sur les articles 8, 28 al. 1er, 36, 37 de l’Acte Uniforme de l’OHADA du 17 avril 1997 sur les sûretés et l’article 164 de l’Acte Uniforme du 10 avril 1998 sur les voies d’exécution, demande au juge des référés d’ordonner à la BOA le paiement de la cause de la saisie.
La BOA, représentée à l’audience par Maître Manou Salaou, Avocat au Cabinet de Me Le Bihan, demande au juge des référés de la mettre hors de cause et, subsidiairement, dire qu’il n’y a pas lieu à référé et renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir.
Elle soutient que demeure sans fondement la prétention de Maître Salaou Boubacar à faire condamner la BOA comme débitrice des causes de la saisie pour les motifs suivants :
1°) - Que la BOA n’a jamais détenu des fonds pour le compte de Investcom Global; que c’est la Société Générale qui lui a demandé d’accorder, sous son entière responsabilité, une lettre de garantie à Investcom Global, au profit du Ministère de la Privatisation du Niger. Lorsque l’offre de Investcom a été rejetée, le Ministère de la Privatisation a retourné à la BOA la lettre de garantie; celle-ci fut donc annulée avec l’accord du donneur d’ordre, c’est-à-dire Investcom.
2°) - Que la lettre de garantie ne peut pas non plus fonder la demande de Boubacar Salaou, puisque selon elle, la lettre de garantie établit un mécanisme triangulaire entre le donneur d’ordre, le garant et le bénéficiaire; que la rigueur de ce mécanisme est telle qu’un tiers, fût-il créancier du donneur d’ordre, ne peut se greffer. Que seul le bénéficiaire peut demander le paiement total ou partiel de la garantie.
3°) - Que par rapport à la saisie attribution, la BOA a toujours répondu qu’elle ne détient pas de fonds pour le compte de Investcom, qui n’est titulaire d’aucun compte dans ses livres. Que, dans ces conditions, Boubacar Salaou ne peut recourir à l’article 164 de l’Acte Uniforme du 10 avril 1998, dès lors qu’elle ne détient pas de fonds pour le compte du saisi.
La Société Générale, représentée à l’audience par le Cabinet Seyni Yayé, demande au juge des référés :
– Au principal de se déclarer incompétent;
– Subsidiairement rejeter la demande de Boubacar Salaou comme non fondée et mettre la Société Générale hors de cause.
Trois arguments sous-tendent ses prétentions :
1°) - Que l’article 168 de l’Acte Uniforme du 10 avril 1998 sur lequel est fondée l’action de Boubacar Salaou ne peut avoir application. Que selon elle, cette disposition de l’OHADA ne rend le tiers saisi débiteur qu’en cas de refus de sa part de payer les sommes qu’il a reconnu détenir ou dont il a été jugé débiteur… ». Que non seulement la BOA ne détient pas des fonds pour Investcom, et elle l’a déclaré lors de la sommation interpellative;
2°) - Que par le mécanisme de la lettre de garantie, ni elle, ni la Société Générale, ni la BOA n’ont d’obligation vis-à-vis de Investcom; que la BOA a plutôt obligation envers le Ministère de la Privatisation, à qui elle a accepté de fournir à première demande, la somme de 500 millions.
Investcom Global, représentée à l’audience par Me Bernard Olivier Kouaovi expose qu’elle n’est ni titulaire de compte à la BOA, ni créancière envers la BOA. Qu’en remettant la lettre de garantie en leur faveur, la BOA a seulement agi en tant que correspondant local de leur banque.
II – SOLUTION
Attendu qu’en vertu d’une ordonnance de taxe N° 1651 du 31 octobre 2000, Maître Boubacar Salaou, sur la base de la grosse de l’ordonnance de taxe, pratiquait saisie attribution entre les mains de BOA sur les avoirs de Investcom Global et ce, pour avoir paiement de la somme de 17.383.209 F;
Attendu qu'il résulte des actes de la saisie attribution que cette saisie attribution est faite sur la base d’une lettre de garantie à première demande donnée par la BOA au Ministère de la Privatisation du Niger et sur instruction de la Société Générale;
Attendu encore qu’il résulte des mêmes procès-verbaux et actes de saisie attribution que la BOA a répondu ne pas détenir des fonds pour le compte de Investcom débitrice de Me Salaou Boubacar;
Attendu qu’en matière de saisie attribution (art. 168 Acte Uniforme) le tiers saisi ne peut être reconnu débiteur des causes de la saisie qu’en cas de refus de paiement des sommes qu’il a reconnu détenir pour le compte du saisi ou dont il a été jugé débiteur à son égard; qu’il n’est pas versé aux débats la preuve de ces deux exigences légales par Maître Salaou;
Que le juge des référés ne peut, sans violer l’article 809 du code de procédure civile, qui lui interdit de préjudicier au fond, ordonner au tiers saisi de payer entre les mains du saisissant les sommes qu’il ne reconnaît pas détenir pour le compte du saisi ou dont il n’a pas été jugé débiteur à son égard;
Attendu encore qu’au regard des débats, il ressort qu’il est demandé au juge des référés d’apprécier si, au regard de la lettre de garantie, BOA est débitrice ou non de Investcom; que cette question est une question de fond qui échappe à la compétence du juge des référés;
Qu’au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir;
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, contradictoirement en matière civile, en référé et en premier ressort;
Se déclare incompétent;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir;
Réserve les dépens;
Ont signé le Président et le Greffier les jour, mois et an que dessus./.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Un notaire, créancier d'un état de frais pour une somme de 17.383.909 francs, pratique une saisie attribution entre les mains de la BOA au motif qu’elle détiendrait des fonds pour le compte de la société débitrice de ces frais, la société Investcom.
La BOA, dans l’acte de dénonciation de la saisie, déclare ne pas détenir de fonds pour le compte de la société Investcom, mais s’être seulement portée caution1 de celle-ci envers l’Etat nigérien.
Se fondant sur les articles 8, 28 alinéa 1er, 36 et 37 de l’AUS et l’article 164 AUVE, le créancier demande au Juge des référés d’ordonner à la BOA le paiement de la cause de la saisie.
On supposera, ce que ne précise pas l’arrêt, que la saisie attribution est pratiquée en vertu d’un titre exécutoire2, faute de quoi c’est une saisie conservatoire sur créance de sommes d’argent qui eût mieux convenu.
On considérera également que peu importe la question de la compétence du Juge des référés ou celle du Juge du fond; en réalité, seul le Juge du fond a compétence pour délivrer au saisissant un titre exécutoire contre le tiers saisi qui est reconnu débiteur du saisi et refuse de payer les sommes saisies (article 168 AUVE). Il importe donc peu de se référer à l’article 164 AUVE qui ne concerne que les rapports entre le créancier saisissant et le débiteur saisi à propos de la délivrance du certificat d’absence de contestation de la saisie attribution.
Bien que n’ayant pas à se prononcer sur le fond, le juge des référés a néanmoins motivé sa décision comme s’il en était un, en articulant sa motivation sur deux arguments :
1.- en ne se reconnaissant débiteur d’aucune somme envers Investcom, la BOA n’a pas refusé de payer des sommes qu’il aurait reconnu devoir ou dont il aurait été jugé débiteur;
2.- en se reconnaissant garant d’Investcom (donneur d’ordre) au profit de l’Etat nigérien (bénéficiaire) en vertu d’une lettre de garantie, il ne devenait pas débiteur d’Investcom, pas plus que du créancier saisissant.
Dès lors, le Juge des référés était incompétent pour connaître de la demande du créancier saisissant.

1 On apprendra, par la lecture de la suite de l’arrêt, qu’il ne s’agit pas d’un cautionnement, mais d’une lettre de garantie à première demande. Une telle méprise (le fait de la BOA ou de la Cour d’Appel ?) est regrettable, car il s’agit de deux sûretés personnelles différentes.

2 On accréditera d’autant plus cette hypothèse que la Cour fait allusion et vise les articles 153 et s. AUVE.