J-02-72
jugements et arrêts – insuffisance ou contrariété de motifs (non) – ouverture à cassation (non).
agent commercial – représentation – existence du contrat – preuve rapportée (non).
C’est en vain qu’il est reproché à un arrêt de Cour d’Appel « un défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs", dès lors que c’est après avoir examiné et nécessairement apprécié la valeur probante de toutes les pièces produites par les parties pour soutenir leurs prétentions, ces pièces étant, par ailleurs, parfaitement identifiées dans l’arrêt attaqué qu'elle a rendu sa décision.
Ne viole pas l’article 144 de l’AUDCG selon lequel le mandat de l’intermédiaire peut être prouvé par tous moyens, la Cour qui, tout en examinant les documents produits par les parties, ne leur a pas accordé la valeur probante que la requérante au pourvoi souhaitait qu’on leur apporte.
(CCJA, arrêt n° 10/2002 du 21 mars 2002, Société Négoce Ivoire c/ Société GNAB, Le Juris Ohada, n° 4/2002, octobre-décembre 2002, p. 33, note.- Recueil de jurisprudence CCJA, n° spécial, janvier 2003, p. 23).
Extrait des minutes du greffe
de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA
Arrêt N° 010/2002 du 21 mars 2002
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A.) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 21 mars 2002, où étaient présents :
MM. Seydou BA, Président
Jacques MBOSSO, Premier Vice-Président
Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-Président
Doumssinrinmabye BAHDIE, Juge Rapporteur
Maïnassara MAIDAGI, Juge
Boubacar DICKO, Juge
et Maître Pascal Edouard NGANGA, Greffier en chef;
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans de l’affaire Société NEGOCE IVOIRE contre Société Groupement des Négociants en Alimentation et Bazar dite GNAB par Arrêt n° 01-034 CIV du 24 janvier 2001 de la Cour Suprême, Chambre judiciaire, formation civile de Côte d’Ivoire, saisie d’un pourvoi initié le 24 juin 2000, au nom et pour le compte de la Société NEGOCE IVOIRE, par Maître ESSY NGATTA, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan 28, boulevard Angoulvant – 01 B.P. 846 Abidjan 01 et Maître MAGNE KASSI, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan 44, Avenue Lamblin, Résidence Eden – 06 B.P. 6257 Abidjan 06, enregistré sous le n° 01-034 CIV du 24 janvier 2001, contre l’Arrêt n° 1015 rendu le 17 novembre 2000 par la Cour d’Appel d’Abidjan, dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare la société GNAB recevable en son appel régulier;
AU FOND
L’y dit bien fondée; infirme le jugement querellé;
Statuant à nouveau :
Restitue à l’ordonnance n° 4126/99 du 24 juin 1999, son plein et entier effet;
Condamne la société NEGOCE IVOIRE aux dépens de l’instance »;
La requérante invoque à l’appui de son recours, deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Doumssinrinmbaye BAHDJE;
Vu les dispositions des articles 14, 15 et 16 du Traité susvisé;
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, notamment en son article 51;
Vu l’Acte uniforme portant sur le Droit commercial général;
Attendu qu’il résulte de l’examen des pièces du dossier de la procédure que par Ordonnance d’injonction de payer n° 4126/99 du 24 juin 1999, la société NEGOCE IVOIRE a été condamnée à payer à la société GNAB la somme de 99.960.265 francs outre les intérêts, frais et accessoires; que la société NEGOCE IVOIRE a formé opposition à l’exécution de cette ordonnance par exploit du 05/07/1999; que le Tribunal de Première Instance d’Abidjan, par Jugement n° 175 du 14 février 2000, a rétracté ladite Ordonnance; que sur appel de la société GNAB, la Cour d’Appel d’Abidjan, par Arrêt n° 1015 du 17 novembre 2000, a infirmé le jugement précité et restitué à l’Ordonnance d’injonction de payer, son plein et entier effet; que par exploit en date du 24 janvier 2001, la société NEGOCE IVOIRE a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt susmentionné;
Sur le premier moyen
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué « un défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs » en ce que la Cour d’Appel d’Abidjan a infirmé le Jugement n° 175 rendu le 14 février 2000, rétractant l’ordonnance qui avait condamné la requérante à payer à la défenderesse la somme de 99.960.265 francs CFA, au motif que la créance dont le recouvrement était poursuivi était fondée, dès lors que la livraison de la marchandise a été faite par la société GNAB, et qu’il n’était pas établi que ladite société était l’agent de la société MPE, alors que, selon la requérante, ni la livraison d’une marchandise, ni l’établissement d’une facture ne suffisent à justifier une créance, et qu’il existe dans les relations commerciales, une multitude de situations dans lesquelles des livraisons de marchandises sont effectuées par des agents économiques, sans qu’il y ait naissance d’une créance au profit du livreur;
Mais attendu que c’est après avoir examiné et nécessairement apprécié la valeur probante de toutes les pièces produites par les parties pour soutenir leurs prétentions, ces pièces étant parfaitement identifiées dans l’arrêt attaqué, que la Cour d’Appel d’Abidjan a estimé qu’il résulte, en l’espèce, des factures et des bordereaux de livraison, que c’est la société GNAB qui a livré les marchandises à la société NEGOCE IVOIRE et qu’à défaut donc de rapporter la preuve que la société GNAB agissait pour le compte de la société MPE, la société NEGOCE IVOIRE ne pouvait que se libérer entre les mains de la société GNAB; qu’il résulte de ce qui précède, que la Cour d’Appel a souverainement apprécié les faits et suffisamment motivé sa décision; qu’il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé;
Sur le second moyen
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé la loi ou commis une erreur dans l’application ou l’interprétation de la loi, notamment de l’article 144 de l’Acte uniforme portant sur le Droit commercial général en ce que la Cour d’Appel a affirmé qu’il n’était pas rapporté la preuve que la société GNAB agissait pour le compte de la société MPE, en ignorant totalement les documents produits par la société NEGOCE IVOIRE, desquels il résulte de façon indiscutable, selon la requérante, que la société GNAB avait bien la qualité « d’agent » ou de « correspondant » de la société MPE; et qu’en procédant comme elle l’a fait, la Cour d’Appel commet une erreur dans l’application ou l’interprétation de l’article 144 susvisé, qui dispose que le mandat de l’intermédiaire « peut être prouvé par tous moyens… »;
Mais attendu que contrairement à ce que prétend la requérante, la Cour d’Appel n’a pas « totalement ignoré » les documents qu’elle a produits, car l’arrêt attaqué fait expressément état de ces documents; que, cependant, la Cour d’Appel ne leur a pas accordé la valeur probante que la requérante souhaiterait qu’elle leur accorde; qu’au demeurant, les termes « d’agent », de « correspondant », de « commissionnaire » et « d’intermédiaire » successivement employés dans ses productions par la société NEGOCE IVOIRE pour qualifier les relations entre les sociétés GNAB et MPE, correspondent chacun à un mandat spécifique assujetti, dans l’Acte uniforme portant sur le Droit commercial général, à des régimes juridiques différents et dont, en tout état de cause, l’appréciation de l’existence de la preuve appartient aux juges du fond;
Qu’en déduisant de l’analyse des documents produits, que la société NEGOCE IVOIRE n’a pas rapporté la preuve que la société GNAB agissait pour le compte de la société MPE, la Cour d’Appel a souverainement apprécié les faits de la cause et n’a pas violé la loi; qu’il s’ensuit que ce moyen n’est pas davantage fondé et doit être rejeté;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Rejette le pourvoi;
Condamne la requérante aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé le Président et le Greffier en chef./.
NOTES de Marc E. BEIRA, Docteur en Droit, Maître Assistant, Avocat.
Cet arrêt rendu par la CCJA aurait présenté un intérêt tout à fait relatif si, en matière de preuve, il n'avait fait qu’appliquer des principes déjà connus, au sujet de l'appréciation de la valeur probante des pièces produites au cours d'un procès
Mais il semble avoir édicté un principe général au sujet de la preuve des mandats réglementés par l'Acte uniforme relatif au droit commercial général.
Des faits de l'espèce résultant de la procédure, il ressort que la société NEGOCE IVOIRE, à la suite de sa condamnation par ordonnance d'injonction de payer rendue le 24 juin 1999, à payer à la Société Groupement des Négociations en Alimentation et Bazar dite GNAB, la somme de 99.960.265 F, a formé opposition à l'exécution de cette ordonnance et saisi le tribunal de première instance d'Abidjan.
Par jugement en date du 14 février 2000, le tribunal rétracte ladite ordonnance.
La société GNAB interjette appel de cette décision.
La Cour d'Appel d'Abidjan saisie, infirme le jugement précité et restitue à l'ordonnance d'injonction de payer son plein et entier effet aux motifs que la créance dont le recouvrement est poursuivi est fondée, dès lors que la livraison de la marchandise a été faite par la société GNAB et qu'il n'est pas établi que ladite société est l'agent de la société MPE.
La société NEGOCE IVOIRE forme un pourvoi en cassation en faisant valoir :
– d'une part, que la décision de la Cour d'Appel manque de base légale, dans la mesure où la livraison d'une marchandise et l'établissement d'une facture ne suffisent pas à justifier une créance, et qu'il existe, dans les relations commerciales, des livraisons de marchandises sans naissance de créance au profit du livreur;
– d'autre part, que la Cour d'Appel a violé l'article 144 de l'Acte uniforme portant sur le droit commercial général qui dispose que le mandat d'intermédiaire peut être prouvé par tous moyens en ignorant les documents produits par elle, desquels il résulte la nature de la relation existant entre la société GNAB et la société MPE.
La Cour suprême (ivoirienne), étant incompétente en raison de l'application des Actes uniformes de l'OHADA a, en application de l'article 15 du traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires, renvoyé les parties devant la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage qui avait, ainsi, à résoudre le problème de droit suivant :
La Cour d'Appel était-elle fondée à condamner la société NEGOCE IVOIRE à payer entre les mains de la société GNAB, le prix des marchandises que cette dernière lui avait livrées, alors qu'il résulterait des documents produits par la société NEGOCE IVOIRE, que GNAB a la qualité de mandataire de la société MPE ?
La CCJA répond à cette interrogation par l'affirmative, car :
1) - La Cour d'Appel, après avoir souverainement apprécié toutes les pièces produites par les parties, a estimé que la société NEGOCE IVOIRE, ne rapportant pas la preuve que la société GNAB agissait pour le compte de la société MPE, celle-ci ne pouvait se libérer qu'entre les mains de la société GNAB, qui lui avait livré les marchandises.
Que, contrairement à ce que prétend la société NEGOCE IVOIRE, la Cour d'Appel n'a nullement ignoré les documents qu'elle a produits, puisqu'elle en fait expressément état.
Cependant, elle ne leur a pas accordé la valeur probante que la société NEGOCE IVOIRE souhaiterait qu'elle leur accorde.
2) - Qu'au demeurant, les termes « d'agent », « de correspondant », « de commissionnaire » et « d'intermédiaire » successivement employés dans ses productions par la société NEGOCE IVOIRE pour qualifier les relations entre les sociétés GNAB et MPE correspondent chacun à un mandat spécifique assujetti, dans l'Acte uniforme portant sur le droit commercial général, à des régimes juridiques différents et dont, en tout état de cause, l'appréciation de l'existence de la preuve appartient aux juges du fond.
Il résulte de ces motifs de l'arrêt de la CCJA, d'abord, l'application des règles qui régissent la preuve en droit commercial (I). Ensuite, la CCJA semble avoir édicté un principe général en matière de preuve des mandats prévus par l'Acte uniforme relatif au droit commercial général (II).
I). L’APPLICATION DES PRINCIPES DEJA CONNUS EN MATIERE DE PREUVE
La CCJA rappelle, sans aucune équivoque possible, le pouvoir souverain d'appréciation des moyens de preuve par les juges du fond (a), la liberté de la preuve en matière commerciale (c), et les principes en ce qui concerne la charge de la preuve (b). Cela résulte suffisamment des motifs de sa décision. En effet :
– Sur le premier moyen, la CCJA affirme : « Mais attendu que c'est après avoir examiné et nécessairement apprécié la valeur probante de toutes les pièces produites par les parties pour soutenir leurs prétentions... Qu'il résulte de ce qui précède que la Cour d’Appel a souverainement apprécié les faits et suffisamment motivé sa décision »
– Sur le second moyen, la CCJA décide : « Qu'en déduisant de l'analyse des documents produits que la société NEGOCE IVOIRE n’a pas rapporté la preuve que la société GNAB agissait pour le compte de la société MPE,la Cour d'Appel a souverainement apprécié les faits de la cause et n’a pas violé la loi…
a) Le pouvoir souverain d’appréciation des moyens de preuve par les juges du fond
Que l'appréciation des moyens de preuve, produits par les justiciables au cours d'un procès civil ou commercial, incombe au juge du fond, comme le déclare la CCJA, cela n'est pas vraiment discuté en droit.
En effet, ce qui doit être prouvé par les parties, ce sont les faits et non le droit, puisque le juge lui-même est censé connaître le droit. Or, l'appréciation des faits est de la compétence des juges du fait, c'est-à-dire des juges du fond. Il appartient donc aux juges du fond, d'analyser la pertinence des pièces produites et de se forger une conviction à partir de l'appréciation qu'ils font de ces pièces.
Les juridictions suprêmes tiennent, ce faisant, pour acquis, ces faits tels qu’analysés par les juges du fond .
Cependant, il faut bien en convenir, le régime de la preuve est souvent à la limite du fait et du droit, puisque l'application de la règle de droit par le juge est intimement liée à l'analyse de la pertinence des moyens de preuve qui lui sont soumis. Autrement dit, c'est à l'occasion de l'analyse des pièces produites, à titre de preuve, que souvent le juge procède aux qualifications juridiques pour fournir la solution au problème à lui soumis.
C'est pourquoi un contrôle est exercé par les juridictions suprêmes. Ainsi, lorsque la CCJA rejette le pourvoi en décidant que la décision de la Cour d'Appel ne manque pas de base légale, ou alors que les faits ayant été souverainement appréciés, la Cour d'Appel n'a pas violé la loi, elle laisse entrevoir le principe du contrôle qu'elle exerce sur les décisions des juridictions inférieures en matière d'appréciation de la preuve.
En l'espèce, par exemple, que la décision manquât de base légale, pour n'avoir pas été suffisamment motivée, ou que la loi sur les preuves eusse été violée, la CCJA aurait sanctionné la Cour d'Appel en cassant sa décision.
C'est bien ce que révèle la consultation de la jurisprudence. En effet, les juridictions inférieures ne doivent ni dénaturer les faits ou les preuves, ni insuffisamment motiver leurs décisions, puisque dans ce dernier cas, il y aurait défaut de base légale (voir Cass. Com. 10 mars 1965 bull. civ. III n. 182 P. 155).
b) La charge de la preuve incombe aux parties
Le but de tout procès, pour le justiciable, c'est de faire sanctionner ou reconnaître son ou ses droits. Dans le procès civil, tout comme dans le procès commercial, en principe, la procédure est mixte mais à dominance accusatoire. C'est-à-dire que, même si aux termes des dispositions de l'article 48 4e du Code de procédure civile, commerciale et administrative ivoirien, le juge peut renvoyer l'affaire pour être mise en état et pourra « procéder à une enquête d'office ou à la demande des parties, ou commettre un juge d'un autre ressort à cet effet », il appartient, principalement, aux parties d'apporter toutes les preuves au soutien de leurs prétentions.
Le Code civil en donne la pleine mesure à travers l'article 1315 aux termes duquel « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »
Il en va ainsi parce que, s'agissant généralement d'intérêts privés, à savoir ceux des parties en présence ou de leurs mandataires, ces dernières ont une meilleure aptitude à la preuve, puisque ce sont elles qui, parties à une convention, en détiennent les pièces ou alors disposent des moyens pour mieux faire apprécier par le juge leur intention commune.
C'est bien ce qui transparaît dans l'arrêt de la CCJA lorsque cette haute juridiction affirme, d'une part, que « ... la Cour d'Appel, après avoir souverainement apprécié toutes les pièces produites par les parties »; d'autre part, que « ... la CA a déduit des documents qu'elle a expressément visés, que la société NEGOCE IVOIRE n’a pas rapporté la preuve que la société GNAB agissait pour le compte d'une autre société. »
Mais quels sont ces moyens de preuve que les parties peuvent faire valoir devant le juge pour emporter sa conviction ?
c) La liberté de la preuve en matière commerciale
En la matière, le régime de la preuve diffère selon qu'il s'agit du droit civil ou du droit commercial.
En effet, la preuve en matière civile est soumise au principe de la légalité, c'est-à-dire que la matière de la preuve n'est pas laissée à l'arbitraire des parties. Elle est réglementée par la loi, notamment par l'article 1316 du code civil.
Aux termes des dispositions de ce texte : « Les règles qui concernent la preuve littérale, la preuve testimoniale, les présomptions, l'aveu de la partie et le serment, sont expliquées dans les sections suivantes. »
Ainsi, comme on peut le noter, la hiérarchie des modes de preuve est celle prévue par la loi, à savoir : la preuve écrite, le témoignage, les présomptions, l'aveu, le serment,
En matière commerciale, certes l'écrit, le témoignage, l'aveu et le serment peuvent aussi être utilisés par les parties pour faire la preuve de leurs prétentions. Mais il n'y a aucune hiérarchie dans leur production, car le principe est la liberté de la preuve.
Ce principe a été déduit de l'article 109 du code de commerce, antérieurement applicable, et a été entériné par la jurisprudence .
Ce principe, qui n'a jamais été discuté est, désormais, clairement affirmé par l'Acte uniforme portant droit commercial général en son article 5. En effet, aux termes des dispositions de ce texte : « Les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à l'égard des commerçants ».
Entre commerçants, la preuve est donc libre, Il en va ainsi parce que, soutient-on , la rapidité des transactions ne saurait s'accommoder du formalisme de la preuve du droit civil. Aussi, le régime de la liberté de la preuve est-il celui qui est le plus adéquat, et ce d'autant que dans les rapports entre ces professionnels, chacun d'eux est à même d'assurer la préservation de ses intérêts.
Il est donc admis que tous les moyens, même ceux constitués unilatéralement, peuvent permettre à un commerçant, face à un autre commerçant, de faire la preuve de son droit.Il s'agit notamment des livres de commerce, des factures, des bordereaux de livraison, des témoignages.
Ainsi, aux termes des dispositions de l'article 15 de l'Acte uniforme portant sur le droit commercial général, « les livres de commerce visés à l'article 13 ci-dessus et régulièrement tenus peuvent être admis par le juge pour constituer une preuve entre commerçants. »
De même, aux termes des dispositions de l'article 208 de l'Acte uniforme susvisé, « le contrat de vente commerciale peut être écrit ou verbal; il n'est soumis à aucune condition de forme. En l'absence d'un écrit, il peut être prouvé par tous moyens, y compris par témoin. »
Ce sont ces règles dont l'application est consacrée par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, lorsqu'elle confirme la décision rendue par la Cour d'Appel, en rejetant le pourvoi formé par la société NEGOCE IVOIRE.
Mais elle va plus loin en tentant de consacrer un principe général.
II. L’AFFIRMATION D’UNE REGLE DE PRINCIPE ?
La CCJA semble édicter un principe général lorsqu’elle affirme : « …Qu’au demeurant, les termes « d’agent », « de correspondant », « de commissionnaire » et « d’intermédiaire » successivement employés dans ses productions par la société NEGOCE IVOIRE pour qualifier les relations entre les sociétés GNAB et MPE correspondent chacun à un mandat spécifique assujetti, dans l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, à des régimes juridiques différents et dont, en tout état de cause, l’appréciation de l’existence de la preuve appartient aux juges du fond. »
Le contenu de ce motif laisse planer un doute sur la manière dont l’appréciation de la preuve de l’existence appartient aux juges du fond. Ce qui oblige l’interprète à en rechercher, d’abord, le sens, avant de pouvoir en dégager la portée.
En effet, la CCJA a-t-elle vraiment voulu dire que ce dont, en tout état de cause, l’appréciation de l’existence de la preuve appartient aux juges du fond, c’est le régime juridique des mandats, ou alors faut-il penser qu’elle a entendu dire que c’est le mandat lui-même dont, en tout état de cause, l’appréciation de l’existence de la preuve appartient aux juges du fond ?
Selon qu’il s’agit de l’une ou de l’autre interprétation, la portée de la décision ne sera pas du tout la même.
1) S’agissant de la preuve du mandat
Si c’est du mandat lui-même que parle la CCJA en affirmant que, en tout état de cause, l’appréciation de l’existence de la preuve appartient aux juges du fond, il convient de relever le caractère trop extensif de cette affirmation.
En effet, il conviendrait de distinguer entre l’existence du fait ou de l’acte et sa qualification juridique.
Il est exact d’affirmer que la preuve du fait ou de l’acte qui constate ou qui consacre le mandat ou toute autre institution, doit être prouvée par les parties; et l’appréciation de l’existence de cette preuve appartient bien au juge du fond.
Mais en ce qui concerne la nature juridique de ce mandat ou de cette institution, il ne s’agit plus d’en faire la preuve. Il s’agit de la qualifier. Ce sont donc les règles d’interprétation qui vont s’appliquer. On passe ainsi des règles de preuve aux règles d’interprétation.
En conséquence, si des commerçants, comme en l’espèce, peuvent prouver par des pièces ou par tout autre moyen, qu’il existe des relations d’affaires entre eux, la nature juridique véritable de ces rapports devra être qualifiée par le juge, notamment lorsque des parties invoquent, comme en l’espèce, à la fois les termes « d’agent », « de correspondant », « de commissionnaire » et « d’intermédiaire » qui correspondent, en effet, chacun à un mandat particulier réglementé par l’Acte uniforme relatif au droit commercial général.
Il s’agirait donc, pour le Juge, de dire exactement s’il s’agit « d’un mandat d’agent commercial », « d’une commission » ou « d’un courtage », puisque les parties, ne le sachant certainement pas, ont utilisé divers termes pour qualifier leur rapport de droit, pourtant unique.
La démarche du Juge a son fondement dans la loi; notamment dans l’article 1156 du Code civil aux termes duquel : « On doit dans les conventions, rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ».
Et cette recherche de la commune intention des parties, qui implique l’interprétation du contrat, si elle relève, elle aussi, du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, ne saurait être assimilée à l’appréciation de la preuve des moyens produits par les parties.
En cela, il eût suffi à la CCJA de se contenter du motif invoqué par elle-même, selon lequel : « … contrairement à ce que prétend la requérante, la Cour d’Appel n’a pas « totalement ignoré » les documents qu’elle a produits, car l’arrêt attaqué fait expressément état de ces documents; que, cependant, la Cour d’Appel ne leur a pas accordé la valeur probante que la requérante souhaiterait qu’elle leur accorde… » pour fonder sa décision.
En voulant résoudre, en une fois, tous les problèmes de preuves relatifs aux mandats prévus par l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, elle met l’interprète en état de questionnement à travers un motif qui, par sa généralité, risque d’aborder des matières étrangères à la solution proposée.
2) S’agissant de la preuve du régime juridique du mandat
Si c’est du régime juridique du mandat que parle la CCJA en affirmant que, en tout état de cause, l’appréciation de l’existence de sa preuve appartient aux juges du fond, alors, il faut en convenir, l’affirmation est tout à fait surprenante.
En effet, le régime juridique d’un acte se définissant comme les conséquences de droit qui lui sont rattachées, une fois sa nature établie, c’est exclusivement le droit applicable qu’il faut rechercher et appliquer.
Or, la preuve du droit n’a pas à être faite par les parties. Il appartient au juge qui connaît le droit, ou du moins, est censé le connaître, de le rechercher et d’en faire application. Il n’a donc pas à apprécier l’existence d’une preuve qui n’a pas à être faite par les parties.
Aussi, ce motif de la décision de la CCJA qui a tout l’air d’une affirmation de principe, mérite d’être clarifié, car le rôle de cette Cour est précisément de permettre l’harmonisation de l’interprétation des dispositions des Actes uniformes de l’OHADA.
Or, s’il apparaît le moindre problème de compréhension dans les décisions qu’elle rend, l’objectif de l’harmonisation de l’interprétation des dispositions risque de ne pas être atteint. Ce qui serait dommage, notamment s’agissant des premières décisions qui doivent, pourtant, fixer la jurisprudence.
1 Cass. civ. 17 mai 1892 DP 1892-1-603 : « Attendu qu'aux termes de l'article 109 c. com., il appartient aux tribunaux, statuant en matière commerciale, de puiser les éléments de leur conviction dans tous les moyens de preuve établis par la loi, même dans les présomptions que définit l'article 1363 du code civil. Qu'ainsi l'arrêt attaqué a pu, sans violer l'article l3l5 du même code, repousser les conclusions de la CFE qui, dans l'instance engagée contre elle par les sociétés défenderesses, tendaient au rejet de leurs demandes, faute par elles
de produire les lettres de voiture afférentes aux expéditions litigieuses. Que ledit arrêt déclare, en effet, qu'il est constant que « le tarif spécial applicable aux meules étant demandé par la
société ». Que cette constatation de fait, tirée des circonstances de la cause et des explications fournies par les parties, que le Juge avait le droit d'apprécier, est souveraine et que, par suite, elle échappe à la censure de la Cour de cassation. »
2 Cass. civ. 17 mai 1892 DP 1892-1-603 : « Attendu qu'aux termes de l'article 109 c. com., il appartient aux tribunaux, statuant en matière commerciale, de puiser les éléments de leur conviction dans tous les moyens de preuve établis par la loi, même dans les présomptions que définit l'article 1363 du code civil. »
3 Voir notamment Yves GUYON : « droit des affaires » T.1 droit commercial général et sociétés 7e édition P. 71 n° 78.