J-02-77
saisie conservatoire – biens saisis appartenant à une entreprise publique – application des articles 54 et suivants AUPSRVE (solution critiquable).
Les véhicules de l’Agence nationale de l’aviation civile sont saisissables à titre conservatoire en vertu des articles 54 et suivants AUPSRVE.
Article 54 AUPSRVE ET SUIVANTS
(Tribunal de commerce de Brazzaville, ordonnance sur requête du 03 avril 2001, Bulletin OHADA, n° spécial 2001, p. 15).
Tribunal de commerce de brazzaville
ordonnance sur requête du 03 avril 2001
Affaire :
L’Agence Nationale de l’Aviation Civile (ANAC) et le droit OHADA
(A propos de la saisie de son véhicule).
Nous…, Président du Tribunal de Commerce de Brazzaville;
Vu la requête de Z en date du 29 mars 2001 et les pièces présentées;
Attendu que les motifs y exposés sont pertinents et fondés;
Qu’il sied d’y faire droit;
Vu les articles 54 et suivants de l’Acte Uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution;
Autorisons Z à pratiquer saisie conservatoire de l’un des véhicules automobiles de l’Agence Nationale de l’Aviation Civile dite ANAC, de marque Coaster, immatriculé 289 BU 6 ou 17 DG 4;
Evaluons provisoirement la créance de Z à la somme de 10.000.000 FCFA en principal, frais et accessoires;
Commet Maître X pour y procéder;
Disons que Z doit, dans le mois qui suit la saisie, à peine de caducité, introduire une procédure à l’obtention d’un titre exécutoire;
Disons qu’il nous en sera référé en cas de difficulté;
Mettons les dépens à la charge de l’ANAC.
Observations de Placide MOUDOUDOU, Docteur en droit, Assistant à la Faculté de droit de Brazzaville
L’application du droit OHADA aux personnes publiques ne cesse de soulever des difficultés de toute nature, en partie à cause de la formation « privatiste » de beaucoup de magistrats. Il y a quelques mois, la presse locale avait annoncé la saisie des créances de la société Hydro-Congo, autre entreprise d’Etat. L’ordonnance du tribunal de commerce de Brazzaville du 03 avril 2001 en est un autre exemple. Le sieur Z, transporteur, avait signé un contrat avec l’Agence Nationale de l’Aviation Civile (ANAC) le 10 novembre 1997, soit moins d’un mois après la fin de la guerre civile du 05 juin.
Par ce contrat, le sieur Z s’engageait, contre rémunération, à assurer le transport du personnel de l’ANAC. Mais le 17 juillet 1998, l’ANAC rompt le contrat et propose à M. Z une indemnité compensatoire; jusqu’en avril 2000, elle n’avait payé environ que 6 millions de francs CFA sur les 13 promis. M. Z saisit alors le tribunal de commerce, en demandant la saisie d’un véhicule de l’ANAC; il obtient satisfaction, le juge commercial se fondant sur l’article 54 de l’Acte Uniforme OHADA relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. Or l’ANAC est un établissement public administratif et non une entreprise privée. A notre avis, si le juge avait d’abord étudié la nature juridique de l’ANAC (I), il aurait rejeté la requête (II).
I.- UNE QUESTION NON RESOLUE : LA NATURE JURIDIQUE DE L’AGENCE NATIONALE DE L’AVIATION CIVILE (ANAC)
Avant d’aboutir à cette qualification, il faut tout d’abord rappeler le critère jurisprudentiel de la distinction service public administratif, service public industriel et commercial dégagé par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Union Syndicale des Industries Aéronautiques de 1956 . En l’espèce, la « Caisse de compensation pour la décentralisation de l’industrie aéronautique » avait été qualifiée d’établissement public administratif en considération de trois critères : l’objet du service, l’origine de ses ressources, les modalités de son fonctionnement. On relève donc que s’il existe plusieurs modes de détermination du caractère administratif des contrats, c’est d’une donnée unique que relève l’appréciation du caractère du service public.
Comme le dit R. Chapus, la règle du jeu est la suivante : un service ne sera reconnu comme industriel et commercial que si aux trois points de vue (objet, origine des ressources, modalité de fonctionnement), il ressemble à une entreprise privée . Ces trois éléments sont cumulatifs : il suffit qu’un seul manque ou ne soit pas opérationnel, pour que l’activité soit qualifiée d’administrative. S’agissant des activités assurées par les personnes publiques, on pourrait dire que leur caractère administratif est présumé.
S’agissant de l’objet du service, il s’agit des opérations par lesquelles se concrétise l’exécution du service : pour que le service ne soit pas qualifié d’industriel et commercial, il faut que ces opérations ne soient pas celles qui peuvent être le fait d’une entreprise de travaux publics ou de police administrative, où se situe l’objet du service, peut aisément faire pencher la balance dans le sens du caractère administratif du service. Ainsi, dans une affaire Epoux Zaoui, le Tribunal des conflits avait jugé que la gestion par l’établissement public Aéroports de Paris, des installations servant notamment à l’embarquement et au débarquement des voyageurs et marchandises, a un caractère administratif, ces installations « ayant le caractère d’ouvrages publics » .
Concernant l’origine des ressources, le fait que les ressources du service proviennent, au moins principalement des redevances perçues sur ses usagers, en contrepartie des prestations fournies, va dans le sens de son caractère industriel et commercial. Au contraire, le financement du service par des subventions ou des recettes fiscales s’y oppose .
Quant aux modalités de fonctionnement, le juge recherche si le tarif des redevances est tel que toute possibilité de bénéfices est exclue, le service fonctionnant à prix coûtant ou à perte; et a fortiori lorsque le service est gratuit .
Il ne reste qu’à vérifier si l’ANAC répond à ces trois critères dégagés par voie prétorienne. L’objet de l’ANAC est d’appliquer la politique aéronautique au Congo, de fournir les données météorologiques indispensables aux navigateurs aériens et aux divers secteurs de l’économie nationale, et enfin, d’entretenir les infrastructures aéronautiques . Concrètement, sa direction de la navigation aérienne est chargée de l’assistance aux aéronefs en vol en matière de circulation aérienne, d’information aéronautique, de recherches et sauvetages, de télécommunications, de s’assurer de la conformité des titres de transport du personnel navigant, d’assurer le contrôle technique des aéronefs et des équipements de bord requis ; sa direction de la météorologie s’occupe de l’observation des phénomènes atmosphériques, de fournir les renseignements météorologiques aux opérations économiques ; sa direction des bases aériennes est chargée de l’exécution des travaux et de l’entretien des installations terminales, des pistes … Il apparaît clairement que ces activités ne peuvent être exercées par une entreprise privée; il s’agit des fonctions inhérentes à l’administration . Certaines activités sont même des activités de police (la circulation aérienne et le contrôle des licences, brevets et autres qualifications, par exemple).
Quant à l’origine de ses ressources, l’ANAC « est alimentée par les redevances diverses versées par les usagers des installations aéronautiques, les emprunts, les dons et legs, et les subventions de l’Etat ». Et la loi du 24 août 1994 instituant la taxe de sûreté sur les aéroports du Congo dispose qu’il est institué au profit de l’ANAC, une taxe de sûreté sur les aéroports (art. 1er); cette taxe, à la charge du passager (art. 3), est destinée au financement du programme d’amélioration des conditions de sécurité et de sûreté aéroportuaires.
Autrement dit, elle tire la plus grande partie de ses ressources des redevances parafiscales versées par les usagers et des subventions de l’Etat. Dans ce cas, le service « ne peut être reconnu que comme un service à caractère administratif ».
Enfin, en étudiant les modalités de fonctionnement de l’ANAC, il apparaît que son fonctionnement exclut toute idée de bénéfice ou de profit. En réalité, les montants des redevances ne correspondent pas à la valeur réelle des prestations. Et comme le dit P. Devolvé, un service destiné entre autres à la sécurité, ne peut être qu’administratif , c’est-à-dire à l’abri des voies d’exécution. De toute manière, même s’il avait abouti à la solution inverse, l’ANAC demeurerait toujours à l’abri de toute saisie mobilière ou immobilière.
II.- UNE QUESTION MAL RESOLUE : L’INSAISISSABILITE DES BIENS DE L’ANAC
Se fondant sur l’article 54 de l’Acte uniforme de l’OHADA sur les voies d’exécution, le Tribunal de Commerce a autorisé « Z de pratiquer saisie conservatoire de l’un des véhicules automobiles de l’Agence Nationale de l’Aviation Civile dite ANAC de marque Coaster… » (1er considérant). Le juge commercial a fait, en l’espèce, une lecture statique de l’Acte uniforme. En effet, lorsque le législateur OHADA utilise l’expression « toute personne », notamment à l’article 54, il sous-entend que les personnes publiques sont exclues; elles sont des personnes particulières, puisqu’aux termes de l’alinéa 1er de l’article 30 du même Acte uniforme, « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution ». Or depuis longtemps, il est admis que les voies d’exécution du droit commun ne peuvent être utilisées ni contre l’Etat et les collectivités locales, ni contre les établissements publics (quelle que soit leur nature) .
En France, certaines juridictions judiciaires avaient jugé que cette immunité de saisie ne devait pas bénéficier aux établissements publics industriels et commerciaux ; mais la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat s’y sont toujours opposés. Ainsi que le dit l’un des plus grands spécialistes en matière de procédure civile, « Aujourd’hui comme hier, les voies d’exécution forcée du droit commun, c’est-à-dire les saisies, n’ont pas leur place en matière administrative ». Ainsi donc, le juge commercial a violé le droit OHADA en procédant à une interprétation mécanique des articles 54 et suivants de l’Acte uniforme; il aurait dû procéder à une lecture combinée des articles 30 alinéa 1er, 51 selon lequel « les biens et droits insaisissables sont définis par chacun des Etats parties » et 54 notamment. Il aurait abouti à la même conclusion que la Cour de Cassation dans l’arrêt B.R.G.M. : « s’agissant des biens appartenant à des personnes publiques … le principe de l’insaisissabilité de ces biens ne permet pas de recourir aux voies d’exécution de droit privé ». Il n’est pas nécessaire pour les personnes publiques d’invoquer le statut du domaine public, ni celui du service public, ni celui de la comptabilité publique et des deniers publics ; l’insaisissabilité de leurs biens est exclusivement liée à la personnalité publique. Au fond, l’ANAC n’est qu’un démembrement de l’Etat lui-même; comme le dit le doyen Hauriou, c’est l’Etat qui se résout en plusieurs personnes. Or, l’Etat ne peut procéder à une exécution forcée contre… lui-même ! G. Vedel et P. Devolvé l’expriment en ces termes : l’administration s’identifie au pouvoir exécutif, dont une des attributions est de prêter le concours de la force publique à l’exécution des décisions de justice. L’organe détenteur de la force publique ne peut pas se contraindre lui-même .
A défaut de voies d’exécution du droit commun, il existe, aujourd’hui plus sans doute qu’autrefois, ce que le commissaire du gouvernement Teissier appelait en 1904 des « voies d’exécution administratives » comme l’astreinte et l’injonction . Dans l’espèce BRGM, la Cour de Cassation a jugé « qu’il appartient seulement au créancier bénéficiaire d’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée et condamnant une personne publique au paiement, même à titre de provision, d’une somme d’argent, de mettre en œuvre les règles particulières issues de la loi du 16 juillet 1980 ».
La difficulté, en droit congolais, réside en ce qu’il n’existe pas un dispositif juridique aussi efficace que les voies d’exécution du droit commun, s’agissant des personnes publiques. Ce vide juridique doit très vite être comblé, car les personnes publiques congolaises ont de plus en plus de difficultés à honorer leurs engagements financiers.
Placide MOUDOUDOU
Docteur en Droit
Assistant à la Faculté de Droit de Brazzaville
1 C.E. Ass. 16 novembre 1956, USIA, leb. p. 434; J.AA. 1956, II, P. 489 chron. J. Fournier et G. Braibant. cf. également : TC. 20 janvier 1986, S.A. Roblot; A.J.D.A. 1986, p. 267, obs. 1. Richer.
2 R. Chapuis, Droit administratif général, éd. Montchrestien, 1997, 10e éd. T.I. p. 533.
3 T.C. 13 décembre 1976, Epoux Zaoui, Leb. p. 706; D. 1977, p. 434, note F. Moderne.
4 T.C. 25 avril 1994, Syndicat mixte d’équipement de Marseille, Leb. p. 856; D.A. 1994, n° 396.
5 C.E., 26 juillet 1930. Benoît, Leb. p. 840.
6 Article 3 du décret du 17 avril 1978.
10 cf. Matter, concl. sur T.C. 22 janvier 1921, Bac d’Eloka,.
12 C.E., 10 février 1995, Chambre syndicale du transport aérien, Rec. Lebon P. 65; A.J.D.A. 1995, P. 403, note Broussole.
13 P. Devolvé, note sous T.C. 28 mai 1979 Syndicat d’aménagement de Cergy-Pontoise, D. 1979, IR. P. 386.
14 Cass. Civ. 21 décembre 1987, B.R.G.M. GAJA N° 104.
15 C.A. Aix, 30 novembre 1943, JCP 1950, II, N° 5245 bis; C.A. Paris 11 juillet 1984, SNCF, D. 1985, P. 175; AJDA 1984, P. 615 note BAZEX.
16 Cass. Civ. 9 juillet 1951, S.N.E.P., D. 1952, p. 141, note Blaevot.
17 C.E. 8 mars 1961, Soc. Air Couzinet – Transocéanic, Rec. Lebon, P. 162.
18 R. Perrot, Institutions judiciaires, éd. Montchrestien, 4e éd., 1992, P. 542.
19 Cass. Civ. 21 décembre 1987, précité.
20 Voir cependant : R. Perrot, op. cit. P. 538.
21 Droit administratif, 11e éd. T.I., P. 322.
22 Concl. sur C.E., 17 juin 1904, Hospice du Saint-Esprit, S. 1906 III, P. 119.
23 Loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes.
24 Loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative (titre IV).
25 Cass. Civ. 21 décembre 1987, BRGM, précité.