J-02-78
Voir Ohadata J-02-63
Voir Ohadata J-02-203
code cima – ratification du traité – entrée en vigueur (oui).
code cima – articles 258, 259 et 260 – atteinte à l’indépendance du juge – violation de l’article 10 de la constitution nigérienne – inconstitutionnalité.
Le traité CIMA instituant une conférence interafricaine des marchés d’assurance ayant été ratifié par le HCR, organe législatif de la transition de l’époque, est bien entré en vigueur au Niger. Le moyen tiré de sa non-promulgation est donc non fondé.
Les articles 258, 259 et 260 du Code CIMA limitant ou excluant l’indemnisation, par les assureurs, des dommages corporels subis par les victimes d’accidents de la circulation terrestre est une atteinte à l’article 100 de la Constitution du Niger, qui dispose : « Dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants et ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi… ».
Article 258 CODE CIMA
Article 259 CODE CIMA
Article 260 CODE CIMA
(Tribunal régional de Niamey, jugement du 16 janvier 2002, Ayants-droit Laminou Moussa et Ayants-droit Kalla Issa c/ Leyma Siège et Issoufou Bolmèye).
Tribunal régional de Niamey
audience publique ordinaire du 16 janvier 2002
Le Tribunal Régional de Niamey, en son audience publique ordinaire du Seize janvier Deux Mille Deux, tenue pour les affaires civiles et commerciales par Monsieur GAYAKOYE ABDOURAHAMAN SABI, Juge au Tribunal, PRESIDENT, assisté de Maître MAHAMAN LAOUALI DJIBRILLA, GREFFIER, a rendu le jugement dont la teneur suit :
ENTRE
AYANTS-DROIT LAMINOU MOUSSA et AYANTS-DROIT KALLA ISSA : Tous représentés par Amadou Sabo, Adjudant de la Garde Républicaine, demeurant à Guidan-Roumdji, assisté de Maître Oumarou Souleye, Avocat à la Cour;
DEMANDEURS
D'UNE PART
ET
1°) LEYMA SIEGE : Prise en la personne de son Directeur Général, assisté de Maître Manou Kimba, Avocat à la Cour;
2°) ISSOUFOU BOLMEYE :
DEFENDEURS
D'AUTRE PART
Par exploit d'huissier en date du 10 mai 2001, les Ayants-droit Laminou Moussa et Kalla Issa, tous représentés par Amadou Sabo, Adjudant de la garde républicaine demeurant à Guidan-Roumdji, assisté de Maître Oumarou Soulèye, Avocat à la Cour, ont fait assigner la compagnie d'assurances Leyma-Siège et son assuré Monsieur Issoufou Bolmey à l'effet de déclarer ce dernier responsable du préjudice qu'ils ont subi et le condamner à payer aux ayants-droit Laminou Moussa la somme de 36.000.000 F, aux ayants-droit Kalla Issa la somme de 10.000.000 F à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudice confondues; condamner Leyma-siège à relever et garantir son assuré des condamnations pécuniaires prononcées contre lui.
Les requérants exposent que le samedi 06 janvier 2001, le véhicule Toyota de type Hiace immatriculé sous le numéro E 9222 RN8 appartenant à Issoufou Bolmèye, s'était renversé sur la route nationale n° 1 au point kilométrique 50, au niveau du pont du village Tchondawa, suite à l'éclatement d'un pneu. Suite à cet accident, les nommés Laminou Moussa et Kalla Issa, deux des passagers, trouvaient la mort.
Concluant à la responsabilité contractuelle du transporteur, les demandeurs se fondent sur l'article 1147 du Code Civil pour justifier la réparation de leur préjudice. Celle-ci étant garantie par l'assureur, ils sollicitent également que ce dernier relève et garantisse les condamnations pécuniaires de son assuré. Ils rejettent l'application du Code CIMA, au motif qu'il n'est pas encore rapporté par la Leyma, la preuve de sa promulgation, d'une part, et que, d'autre part, le Code CIMA enlèverait au Juge son pouvoir souverain d'apprécier les dommages-intérêts.
Pour sa part, Leyma, sans contester la responsabilité de son assuré, demande, au principal, le rejet en l'état de la demande des requérants par application des dispositions de l'article 241 du Code CIMA, aux motifs que ceux-ci n'avaient produit aucune preuve de leur identité, ni de leur existence.
Subsidiairement, Leyma sollicite l'application des dispositions du Code CIMA en ce qui concerne la détermination du montant des indemnités à allouer aux victimes. Ainsi, pour toutes causes de préjudices confondues, Leyma offre de payer aux requérants la somme de 7.401.598 F, au lieu de 46.000.000 F comme le sollicitent les requérants.
Répondant aux notes versées en cours de délibéré par Leyma, le conseil des demandeurs, Maître Oumarou Soulèye, et à propos du doute émis par Leyma sur la filiation de ses clients et leur lien avec le défunt, relève que les actes d'état-civil de ces derniers sont visés dans les procès-verbaux du conseil de famille dressé par le Juge délégué de Maiyayi, et que la preuve n'est pas rapportée par Leyma que ces documents d'origine judiciaire sont des faux. A propos de la réparation, Maître Oumarou Soulèye soutient en outre et à nouveau, que le Code CIMA porte atteinte à l'indépendance du juge affirmée par l'article 100 de la Constitution de la République du Niger, que celle-ci, étant supérieure aux lois et traités, le Juge doit en faire application.
I.- SUR L'APPLICATION DU CODE CIMA
Attendu que Maître Soulèye invoque deux moyens pour soutenir l'inapplicabilité du Code CIMA; que d'une part, il fait valoir que ce traité n'avait pas été promulgué par le Président de la République, instituant une organisation intégrée de l'industrie des Assurances des Etats africains de la CIMA dit Code CIMA, ayant déjà fait l'objet d'une ratification par le HCR, organe législatif de la transition de l'époque, est donc entré en vigueur; que de ce fait, l'argument de Maître Oumarou Soulèye sera rejeté;
b) SUR L'INDEPENDANCE DU JUGE
Attendu que Maître Soulèye soutient que le traité en cause porte atteinte à l'indépendance du juge en lui ôtant le pouvoir souverain d'apprécier les dommages-intérêts dus aux victimes des accidents de la circulation; qu'il fait valoir à cet effet les dispositions de l'article 100 de la Constitution du 18 juillet 1999;
Attendu que l'article 10 de la déclaration universelle des droits de l'Homme adoptée et proclamée par l'Assemblée Générale des Nations Unies dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948, déclaration dont la République du Niger est partie, dispose : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »; que l'article 7 de la Charte Africaine des droits de l'Homme et des peuples de 1981, reprend dans des termes similaires les dispositions ci-dessus visées; que ces deux instruments internationaux sont visés dans le préambule de la Constitution du 18 juillet 1999, que la République du Niger s'est engagée à respecter au même titre que les dispositions constitutionnelles; que la Constitution elle-même dispose en son article 100 : « Dans l'exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants et ne sont soumis qu'à l'autorité de la loi... »;
Attendu que le Code CIMA, dans ses sections VII et VIII relatives aux modalités d'indemnisation des préjudices subis par la victime directe et les ayants-droit fixe au préalable divers paramètres pour déterminer les indemnités dues aux victimes; que c'est notamment le cas concernant les frais remboursables visés à l'article 258, dont le plafond est arrêté à une somme ne pouvant excéder deux fois le tarif des hôpitaux publics, de celui de l'article 259 qui exclut toute indemnisation d'une incapacité temporaire inférieure ou égale à 8 (huit) jours, de l'article 260 qui règle le préjudice physiologique sur un tableau d'échelle des valeurs du point préétablies en pourcentage du « SMIG » et lorsqu'il y a obligatoirement un taux d'incapacité permanente d'au moins 50% etc...
Attendu qu'il y a lieu de constater que toutes les indemnisations à allouer aux victimes sont autorisées, dans la plupart des cas limités, ou même exclus; que la situation objective des victimes est simplement ignorée; que le juge ne procède qu'à un calcul mécanique pour allouer une indemnisation, sans apprécier en toute souveraineté le préjudice; que ceci ne correspond pas aux dispositions des deux conventions internationales contenues dans le préambule de la Constitution du 18 Juillet 1999 et dont la valeur est égale à celle-ci et qui donnent pouvoir au Juge de statuer en toute indépendance et impartialité; que, dans ces conditions, il y a lieu d'écarter les dispositions du Code CIMA précitées et procéder à une indemnisation guidée uniquement par l'équité et en toute indépendance et impartialité;
II.- SUR L'INDEMNISATION
Attendu que Leyma émet des doutes sur l'existence même des ayants-droit de la victime en ce que leurs extraits de naissance n'ont pas été versés au dossier et qu'il n 'y a pas de certificat de vie attestant qu' ils existent; que, pour sa part, Maître Soulèye estime que les procès-verbaux du conseil de famille versés à la procédure, et à moins qu'il ne soit démontré leur fausseté, constituent la preuve et de l'existence de ses clients, non seulement parce qu'ils étaient au conseil de famille, mais également que leurs actes de naissance sont référencés aux dits procès-verbaux signés du Juge;
Attendu, d'une part, que les références des actes de naissance des ayants-droit de Laminou Moussa et Kalla Issa ont été visées dans les procès-verbaux du conseil de famille N° 3 et N° 4 des 28 mars 2001, où eux-mêmes étaient présents; que lesdits procès-verbaux sont signés du juge et de son greffier; que ces actes faisant foi jusqu'à inscription de faux, leur remise en cause n'ayant pas été faite au cours de cette procédure, l'argument de Leyma sera rejeté de ce fait;
Attendu, d'autre part, et en tout état de cause, qu'il appartient à la Leyma qui conteste l'existence des victimes, d'en apporter la preuve contraire; que ne l'ayant pas rapportée, sa demande sur ce point sera rejetée;
a) SUR L'INDEMNISATION DES AYANTS-DROIT DE LAMINOU MOUSSA
Attendu que Maître Soulèye réclame la somme de 36.000.000 F toutes causes de préjudice confondues, dont notamment 5.000.000 F pour les deux veuves, 22 millions de francs pour les 9 enfants mineurs, 6.000.000 F pour les 3 enfants majeurs et 2.500.000 F pour la mère du défunt;
Mais attendu que le 12ème enfant dont l'indemnisation est également réclamée, n'était pas né au moment de l'accident mais simplement conçu; que s'il a droit à l'indemnisation, il est néanmoins nécessaire qu'il naisse vivant et viable; que cette preuve n'étant pas rapportée, l'indemnisation ne sera allouée qu'aux 11 enfants du défunt;
Attendu que la somme réclamée est exagérée dans son montant; qu'après examen du préjudice subi par les victimes et selon une jurisprudence constante de la Cour d'Appel de Niamey, les ayants-droit Laminou Moussa seront indemnisés ainsi qu'il suit :
– Pour les enfants mineurs à raison de 1.500.000 F par enfant :
1.500.000 x 8 = 12.000.000 F
– Pour les enfants majeurs à raison de 500.000 F par enfant, soit :
500.000 x 3 = 1.500.000 F
– Pour les veuves à raison de 1.000.000 F chacune, soit :
1.000.000 x 2 = 2.000.000 F
– Pour la mère du défunt à raison de 1.000.000 F, soit :
1.000.000 x 1 = 1.000.000 F
Soit au total la somme de = 16.500.000 F .
b) POUR LES AYANTS-DROIT KALLA ISSA
Attendu que le conseil des Ayants-droit de Kalla Issa sollicite qu'il soit alloué à ses clients la somme de 10.000.000 F à titre de dommages-intérêts, soit 2.500.000 F pour la mère ainsi que la veuve du défunt et 5.000.000 F pour les deux (2) enfants mineurs;
Mais attendu que ces dites indemnités seront réduites ainsi qu'il suit et pour le même motif ci-dessus indiqué :
– Pour la Veuve = 1.000.000 F
– Pour la Mère du défunt = 1.000.000 F
– Pour les enfants mineurs, soit = 1.500.000 F par enfant soit
1.500.000 F x 2 = 3.000.000 F
Soit au total la somme de : 5.000.000 F (Cinq millions de francs).
Attendu qu'il y a lieu par conséquent de déclarer Issoufou Bolmèye, et en vertu de l'article 1147 du Code Civil, responsable du préjudice subi par les Ayants-droit Laminou Moussa et Kalla Issa et de les condamner à payer à ceux-ci la somme totale de 21.500.000 F (Vingt et Un Millions Cinq Cent Mille Francs) selon la répartition ci-dessus faite;
Attendu que le véhicule, au moment de l'accident, était assuré à la Leyma sous la police n° 0035863 valable du 26 novembre 2000 au 25 novembre 2001, qu'il y a lieu de condamner Leyma à relever et garantir les condamnations pécuniaires prononcées contre son assuré;
Attendu que Leyma et son assuré qui succombent seront condamnés aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en premier ressort;
Dit que le Code CIMA n'a pas besoin d'être promulgué pour entrer en vigueur conformément aux dispositions de l'article 132 de la Constitution du 18 juillet 1999.
Ecarte cependant son application sur les dispositions relatives à l'indemnisation des victimes d'accident de la circulation et en vertu de la déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 et de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples de 1981;
Déclare Issoufou Bolmey responsable du préjudice subi par les ayants-droit Laminou Moussa et Kalla Issa et le condamne à leur verser la somme totale de 21.500.000 F (Vingt et Un Millions Cinq Cent Mille) selon la répartition ci-dessus faite;
Condamne Leyma à relever et garantir les condamnations pécuniaires prononcées contre son assuré;
Déboute les parties de leurs autres demandes;
Condamne Leyma et son assuré aux dépens.
Ont signé le Président et le Greffier les jour, mois et an que dessus.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Sur la promulgation du traité CIMA et l’entrée en vigueur de celui-ci au Niger, il n’y a rien à redire. Par contre, il faut désapprouver le jugement lorsqu’il affirme que les articles 258 et suivants du code CIMA violent le principe constitutionnel de l’indépendance des magistrats posé par l’article 100 de la Constitution pour les raisons suivantes :
– l’article 100 lui-même de la Constitution indique bien que tout en étant indépendants, les magistrats sont soumis à la loi; ils doivent donc se soumettre au code CIMA et l’appliquer, aussi injuste leur apparaît-il;
– le code CIMA, qui fait partie intégrante du Traité CIMA, a la même nature que celui-ci et, de ce fait, une valeur constitutionnelle; à ce titre et à plus forte raison, il s’impose aux magistrats.
Quand les tribunaux se révoltent, de cette façon, contre une loi, même révoltante, la sécurité judiciaire n’est plus garantie.