J-02-82
saisie conservatoire – créance fondée sur une ordonnance d’injonction de payer – opposition formée contre l’ordonnance d’injonction de payer – créance fondée en son principe.
saisie conservatoire de loyers – caractère mobilier des loyers saisis (oui).
saisie conservatoire et délégation des loyers – antériorité de la saisie – exclusion de la délégation.
saisie conservatoire – acte de dénonciation – visa d’un texte applicable à une autre procédure – nullité (non).
En présence d’une ordonnance d’injonction de payer, même frappée d’opposition, d’un état des charges et d'un procès-verbal d’assemblée de propriétaires, le principe d’une créance paraît fondé et justifie une saisie conservatoire de créances.
C’est en vain que la débitrice prétend que la saisie conservatoire ne peut porter sur des loyers dont elle est créancière, les loyers n’étant pas des meubles, alors que de telles créances sont de nature mobilière.
La débitrice saisie, pour écarter la saisie conservatoire de ses loyers, ne peut exciper d’une délégation desdits loyers faite postérieurement à ladite saisie.
A supposer que l’acte de dénonciation de la saisie conservatoire ait visé, à tort, l’article 170 AUPSRVE relatif au délai de dénonciation d’un mois en matière de saisie des rémunérations, alors que la dénonciation d’une saisie conservatoire n’est enfermée dans aucun délai, c’est en vain que la débitrice réclame la nullité de cet acte.
Article 170 AUPSRVE
(Cour d’Appel d’Abidjan, Chambre civile et commerciale, arrêt n° 338 du 20 mars 2001; SCI de Dankro c/ Dame Jacquet Simone, Société Makan Textile, Librairie Chrétienne Foi et Vie, Agence Hémisphère Voyages).
Côte d’Ivoire
cour d’appel d’Abidjan
chambre civile et commerciale
audience du mardi 20 mars 2001
Affaire :
SCI de BANKRO (Maître Agnès OUANGUI)
contre :
JACQUET Simone épouse KAKOU KASSI et 2 autres (Maîtres DOGUÉ, Abbé YAO et Associés).
La Cour d’Appel d’Abidjan, Chambre Civile et Commerciale, séant au Palais de Justice de ladite ville, en son audience publique ordinaire du mardi vingt-deux mars deux mille un, à laquelle siégeaient :
Monsieur TOURE Ali, Président de Chambre, Président;
Monsieur ASSEMAN Sylvain et Madame WODIE Victorine, Conseillers à la Cour, Membres;
Avec l’assistance de Maître SOBEY YAPI, Greffier;
A rendu l’arrêt dont la teneur suit dans la cause :
ENTRE :
La Société Civile Immobilière de DANKRO, Société de droit ivoirien agissant en qualité de Syndic de copropriété de la Résidence du Front Lagunaire, dont le siège se trouve à Abidjan-Plateau, Rue Gourgas – 01 BP 1300 Abidjan 01;
APPELANTE
Représentée et concluant par Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour, son Conseil;
D’UNE PART,
ET :
1°) Madame JACQUET Simone épouse KAKOU KASSI, Juriste, demeurant à Abidjan-Plateau, Résidence du Front Lagunaire, 06 BP 673 Abidjan 06;
2°) La Société MAKAN TEXTILE, sise à Abidjan-Plateau, Résidence du Front Lagunaire;
3°) La Librairie Chrétienne FOI et VIE, sise à Abidjan-Plateau, Résidence du Front Lagunaire;
4°) L’Agence de Voyages Hémisphère Voyages, sise à Abidjan-Plateau, Résidence du Front Lagunaire;
INTIMÉES
Représentées et concluant par Maîtres DOGUÉ, Abbé YAO et Associés, Avocats à la Cour, leurs Conseils;
D’AUTRE PART,
Sans que les présentes qualités puissent nuire ni préjudicier en quoi que ce soit aux droits et intérêts respectifs des parties en cause, mais au contraire, sous les plus expresses réserves de fait et de droit;
FAITS : La Juridiction Présidentielle du Tribunal d’Abidjan, statuant en la cause, en matière de référé, a rendu le 06 février 2001, une ordonnance n° 481 non enregistrée, aux qualités de laquelle il convient de se reporter et dont le dispositif est ci-dessous résumé :
Par exploit en date du mercredi 21 février 2001 de Maître FIENI TANOH Kouadio, Huissier de Justice à Abidjan, la Société SCI de DANKRO a déclaré interjeter appel de l’ordonnance sus-énoncée et a, par le même exploit, assigné Dame JACQUET Simone KAKOU KASSI et deux (2) autres à comparaître par-devant la Cour de ce siège à l’audience du mardi 06 mars 2001 pour entendre, annuler ou infirmer ladite ordonnance;
Sur cette assignation, la cause a été inscrite au rôle général du Greffe de la Cour, sous le n° 157 de l’an 2001;
Appelée à l’audience sus-indiquée, la cause, après des renvois, a été utilement retenue le 06 mars 2001 sur les pièces et conclusions écrites et orales des parties;
DROIT : En cet état, la cause présentait à juger les points de droit résultant des pièces, des conclusions écrites et orales des parties;
La Cour a mis l’affaire en délibéré pour rendre son arrêt à l’audience du 20 mars 2001;
Advenue l’audience de ce jour, 20 mars 2001, la Cour, vidant son délibéré conformément à la loi, a rendu l’arrêt suivant :
La cour
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs conclusions;
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
Par exploit en date du 21 février 2001, la Société Civile Immobilière de Dankro dite SCI DANKRO, ayant pour Conseil Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour, a relevé appel de l’ordonnance de référé n° 481 du 06.02.2001 rendue par la Juridiction Présidentielle d’Abidjan-Plateau, en ces termes :
Recevons Dame JACQUET Simone épouse KAKOU KASSI en sa demande;
L’y disons bien fondée;
Ordonnons la mainlevée de la saisie conservatoire;
L’appelante, agissant ès-qualité de Syndic de la Résidence « FRONT LAGUNAIRE », fait grief au Premier Juge d’avoir décidé que l’ordonnance N° 187/2001 du 16 janvier 2001 autorisant la saisie conservatoire sur les biens meubles et sur les comptes bancaires de Dame JACQUET Simone ne permettait pas de saisir entre les mains de tiers les loyers dus à la susnommée, alors que les sommes d’argent représentant les loyers constituent des biens meubles;
Mieux, ces biens étaient disponibles au moment de la saisie;
Elle relève par ailleurs qu’on ne peut reprocher à l’exploit de saisie conservatoire, d’être entaché de nullité, les mentions substantielles de l’article 77 de l’Acte uniforme OHADA ayant été respectées et aucun autre vice, à supposer qu’il s’agisse du délai de dénonciation énoncé dans l’exploit de saisie du 22 janvier 2001, n’a été démontré comme portant préjudice à dame JACQUET;
Enfin, elle indique que sa créance est fondée en son principe et s’élève à 8.010.147 F ainsi que l’indiquent respectivement un relevé de compte de la requise en date du 15 juin 1999 et le procès-verbal de l’assemblée générale des copropriétaires en date du 11 juin 1999 faisant état des dossiers des copropriétaires débiteurs auprès des Conseils du Syndic;
Elle conclut donc à l’infirmation de la décision entreprise;
En réplique, l’intimé, représenté par DOGUÉ, Abbé YAO et Associés, Avocats à la Cour, souligne qu’en visant dans l’exploit de saisie conservatoire qui n’est enserré par nul délai de contestation, l’article 170 relatif à la saisie rémunération qui prévoit un délai de contestation d’un mois, la SCI DANKRO a commis une omission de mention sanctionnée par la nullité absolue;
Le texte mal visé induit le saisi en erreur sur les délais de recours;
L’intimé fait valoir que suivant exploit du 17 janvier 2001, soit avant la saisie du 22 janvier, Mme JACQUET a délégué les loyers litigieux à la SGBCI, en sorte qu’ils étaient indisponibles;
Achevant son propos, l’intimé soutient que la créance servant de base à la saisie n’existe pas et que l’ordonnance d’injonction de la payer est frappée d’opposition;
Toutefois, précise-t-elle, à supposer qu’elle existe, aucun péril dans le recouvrement n’est démontré;
Aussi conclut-il à la confirmation de l’ordonnance querellée;
Les parties ayant conclu, il convient de statuer contradictoirement;
DES MOTIFS
EN LA FORME
L’appel a été relevé dans les délais et les règles de la loi. Il est recevable;
AU FOND :
SUR L’AUTORISATION DE SAISIE DES MEUBLES
L’intimé et le Premier Juge estiment que les sommes d’argent représentant les loyers ne doivent pas être regardées comme les meubles, dont la saisie a été autorisée par ordonnance;
Or il est manifeste, en droit comme en fait, que les sommes d’argent sont des biens meubles;
Aussi, est-ce à tort que la décision entreprise en a décidé autrement;
SUR L’INDISPONIBILITÉ DES LOYERS
Pour protéger les loyers échus de la saisie, l’intimé soutient avoir procédé à une délégation desdits loyers avant même la saisie;
Mais il résulte des productions de l’appelant que la signification de la délégation de loyers a été faite par Me KOFFI KOUAME Christophe, Huissier de Justice, le 17 janvier à 12 heures, alors que l’exploit de saisie conservatoire de créance et dénonciation est intervenu le 17 janvier à 10 h 30 mn par le ministère de Me Nicolas DAGO, Huissier de Justice;
Ainsi manifestement, à l’heure de la saisie conservatoire, les loyers n’étaient pas indisponibles;
SUR LA NULLITE DE L’EXPLOIT DE SAISIE
L’intimé estime que le visa de l’article 170 de l’Acte uniforme de l’OHADA, relative au délai de dénonciation d’un mois en matière de saisie rémunération, dans le cadre d’une saisie conservatoire dont la dénonciation n’est pas limitée dans le temps, constitue un vice sanctionné par la nullité absolue;
Mais, il est constant que cette nullité n’a pas été expressément prévue;
Dès lors, à supposer le vice réel, il appartient à l’intimé, pour obtenir la sanction de nullité, d’établir le préjudice par lui subi;
Or, tel n’est pas le cas; aussi, y a-t-il lieu de rejeter ce moyen;
SUR L’EXISTENCE DE LA CREANCE ET SON BIEN-FONDE
En la cause, les parties ont chacune en ce qui la concerne, un état de charges et un procès-verbal d’assemblée de copropriétaires fondant la créance, et une ordonnance d’injonction de payer frappée d’un recours;
En l’état, le principe d’une créance ne peut être mis en question. Aussi, convient-il de laisser la saisie se poursuivre, puisque aussi bien la question de la validation ne saurait être éludée;
Succombant en la cause, l’intimé est condamné aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME :
Reçoit la SCI de DANKRO en son appel;
AU FOND :
L’y dit bien fondée;
Infirme l’ordonnance N° 481 du 06.02.2001;
Ordonne la poursuite des opérations de saisie conservatoire;
Condamne Mme JACQUET Simone épouse KAKOU aux dépens;
En foi de quoi, le présent arrêt prononcé publiquement, contradictoirement, en matière civile, commerciale et en dernier ressort par la Cour d’Appel d’Abidjan (5ème Chambre civile C), a été signé par le Président et le Greffier.
Observations de Joseph ISSA -SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
On ne peut qu'approuver cette décision de la Cour d'appel sur tous les points qu'elle a tranchés. Il est vrai que les arguments de la défenderesse à la procédure d'injonction de payer et de saisie conservatoire étaient d'une pauvreté affligeante.
1) La créance sur laquelle reposait la saisie conservatoire se justifiait, non seulement par un titre judiciaire (une ordonnance d'injonction de payer), apparemment non exécutoire sinon ce point n'aurait pas été discuté, mais encore par des documents qui avaient eux-mêmes, probablement, justifié l'ordonnance d'injonction de payer.
2) Les loyers, fussent-ils ceux d'un bien immobilier ne sont pas immeubles pour autant mais meubles et peuvent subir, comme toute créance, une saisie conservatoire. Ce principe général de qualification est bien établi et la Cour d'appel ne fait que le rappeler en en faisant une application exacte.
3) Si une délégation desdits loyers a été consentie après la date de la saisie conservatoire, elle ne peut être opposée au créancier saisissant. A supposer qu'elle fût consentie avant cette date, la délégation aurait pu encore être déclarée inopposable mais sur le plan de l'action paulienne.
4) Enfin, si une mention, non prévue par la loi, est inscrite dans un acte de saisie, elle ne constitue pas une cause de nullité (pas de nullité sans texte) sauf si elle a causé un préjudice au saisi (ou au tiers saisi) par la fausse information qu'elle aurait constitué. Le principe ainsi édicté nous paraît sain mais il nous semble qu'en l'espèce, une interrogation s'impose.
Le fait de viser, dans un acte de saisie conservatoire, l'article 170 AUVE causait-il un grief ?
Ce texte prévoit que "à peine d'irrecevabilité, les contestations sont portées devant la juridiction compétente, par voie d'assignation, dans le délai d'un mois à compter de la dénonciation de la saisie au débiteur ». En aucune façon, il ne constitue une obligation de mentionner quoi que ce soit dans aucun acte; il fait simplement obligation à la partie contestante d'agir en contestation de la saisie dans le délai d'un mois à compter de sa dénonciation, sous peine de forclusion. Il en résulte que sa mention, à tort, dans un acte de saisie ne constitue la violation d'aucun texte et, de ce fait, n'entraîne pas ipso facto, la nullité. Il n'en serait ainsi que si cette mention avait pu induire le saisi ou le tiers saisi en erreur et lui avoir causé un préjudicie, ce qui n'est pas le cas.
Mais là où la perplexité gagne le lecteur, c'est quand la Cour écrit que l'article 170 AUVE n'est prévu que pour la saisie des rémunérations, ce qui est inexact. Peut-être, n'est-ce là que la reprise des termes mêmes de l'argument de la débitrice saisie; encore fallait-il que la Cour prît la précaution de le préciser (après tout, cette phrase figure, non dans l'exposé des faits, mais dans sa propre motivation).