J-02-83
SAISIE CONSERVATOIRE – MAINLEVEE – APPLICATION DE L'ARTICLE 62 AUPSRVE (NON) – APPLICATION DE L'ARTICLE 820-9 DU CODE SENEGALAIS DE PROCEDURE CIVILE.
Bien que l'AUPSRVE ait abrogé les dispositions de droit interne gouvernant les mêmes matières que celles qu'il régit, les ordonnances sur requête ne sauraient échapper aux règles prises par le Code de procédure civile Sénégalais qui ne concernent pas, de manière particulière, la saisie conservatoire.
C'est en vain que les défendeurs à une demande de rétractation de saisie conservatoire formée par le saisi objectent que l'article 62 AUPSRVE n'autorise la mainlevée d'une telle saisie que lorsque les formalités prévues par les articles 54, 55, 59, 60 et 61 AUPPSRVE n'ont pas été accomplies, ce qui n'est pas le cas en l'espèce et que, de ce fait, le juge des référés est incompétent pour statuer sur une telle demande; l'article 820-9 du code Sénégalais de procédure civile disposant que le juge a la faculté de modifier ou rétracter une ordonnance, même si les juges du fond sont saisis de l'affaire, il y a lieu, pour le juge des référés, de se déclarer compétent.
Article 62 AUPSRVE
(Tribunal régional de Dakar, ordonnance de référé du 23 juillet 2001, SCAT C/ NDIR, Revue EDJA, n° 50, Juillet- Août- Septembre 2001, p. 75, note anonyme).
TRIBUNAL REGIONAL DE DAKAR
ORDONNANCE DE REFERE DU 23 JUILLET 2001
Le tribunal
sur la compétence du juge des référés
Attendu que la SCAT URBAM expose que les consorts NDIR ont été autorisés à pratiquer une saisie conservatoire de créance à son encontre en soutenant qu’ils avaient bénéficié d’un arrêt n° 19 rendu le 5 janvier 2001 par la Cour d’Appel de Dakar et qui leur aurait transmis sur l’immeuble objet du TF n° 6179/DG les parts et portions revenant au sieur Amadou dit Doudou FALL et aux dames Mbenda et Diodio FALL;
Que l’immeuble dont s’agit ayant fait l’objet d’une expropriation pour cause d’utilité publique, ils s’estiment créanciers de la SCAT URBAM de l’indemnité d’expropriation correspondant à ces parts et portions indivises qui devraient leur revenir au motif que? selon eux, cette dernière n’aurait toujours pas payé l’indemnité d’expropriation dudit immeuble;
Attendu que la SCAT prétend avoir payé l’intégralité de l’indemnité d’expropriation avant le prononcé de l’arrêt du 5 janvier 2001;
Qu’ainsi les consorts NDIR, qui estiment que cette indemnité d’expropriation doit leur revenir, doivent en demander la répétition aux consorts FALL;
Qu’elle conclut à la rétractation de l’ordonnance susvisée et à la mainlevée de saisie qui a été pratiquée sur son fondement;
Attendu que les défendeurs sont soulevé l’incompétence du juge des référés en arguant du fait que l’ordonnance dont la rétractation est poursuivie a été délivrée sur le fondement des articles 54 et suivants de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution;
Que l’article 62 dudit Acte uniforme n’autorise la mainlevée de la saisie conservatoire que lorsque les formalités prévues par les articles 54, 55, 59, 60 et 61 n’ont pas été accomplies, ce qui n’est pas le cas en l’espèce;
Attendu que les consorts NDIR, ajoutant que les dispositions du Code de procédure civile étant abrogées pour toutes les matières réglementées par les actes uniformes, ce qui est le cas de la saisie conservatoire, par conséquent, les dispositions de l’article 820-9 du Code de procédure civile prévoyant la rétractation ne sauraient être applicables;
Qu’ils sollicitent que le juge des référés saisi se déclare incompétent;
Attendu qu’il est constant que la SCAT URBAM a initié la présente procédure sur le fondement des dispositions du Code de procédure civile;
Que s’il est vrai, comme le soutiennent les défendeurs, que l’Acte uniforme est le seul texte applicable en matière de saisie conservatoire, il y a lieu de préciser cependant que les ordonnances sur requête ne sauraient échapper aux règles posées par le Code de procédure civile et qui ne concernent pas de manière particulière la saisie conservatoire;
Attendu qu’il résulte de l’article 820-9 que le juge a la faculté de modifier ou rétracter l’ordonnance, même si les juges du fond sont saisis de l’affaire;
Qu’il y a lieu par conséquent, de nous déclarer compétent, même si la mesure sollicitée entraînerait inévitablement la mainlevée de la saisie qui serait devenue sans fondement.
PAR CES MOTIFS
Statuant en chambre du conseil en matière de référé et en premier ressort;
Rejetons l’exception d’incompétence soulevée.
Observations anonymes
Le Traité créant l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) a voulu apporter des instruments nouveaux plus efficaces que le Droit disparate de quatorze pays d’Afrique noire francophones et un lusophone.
En matière de recouvrement de créances, le Sénégal disposait d’un code de procédure civile (Décret 64-572 du 30 juillet 1964) dont :
les articles 362 et suivants relatifs aux « saisies-arrêts ou oppositions » réglementaient les saisies de créances entre les mains des tiers :
– procédure par autorisation du juge lorsqu’il y a un principe de créance sans titre exécutoire (art. 362 à 364) et procédure directe sans autorisation lorsqu’il y a un titre exécutoire (art. 365);
– validation de la procédure par le Tribunal (Juge du fond) et paiement au créancier saisissant.
Les articles 820-1 à 820-15 réglementent la procédure des ordonnances sur requête susceptibles de rétractation (art. 820-9), même si les juges du fond sont saisis de l’affaire.
En matière de saisie de créance entre les mains d’un tiers, l’Acte uniforme OHADA sur les procédures simplifiées de recouvrement de créances et des voies d’exécution, reprend les mêmes dispositions que les textes Sénégalais pour ce qui concerne les conditions de la saisie avec ou sans autorisation du juge (article 54 et s…) assorties de formalités prescrites à peine de nullité (art. 54, 55, 59, 60 et 61).
L’Acte précise en son article 62 que :
« même lorsqu’une autorisation préalable n’est pas requise, la juridiction compétente peut, à tout moment, sur la demande du débiteur, le créancier entendu ou appelé, donner mainlevée de la mesure conservatoire, si le saisissant ne rapporte pas la preuve que les conditions prescrites par les articles 54, 55, 59, 60 et 61 ci-dessus sont réunies ».
Ce texte international qui étend la compétence du juge en matière de mainlevée, même lorsque le créancier saisissant avait un titre exécutoire, dans le cadre d’un formalisme nouveau des articles 54 à 61, exclut-il la compétence du juge de référé lorsque lesdites formalités ont été accomplies ?
La décision ci-dessus rapportée rendue par le juge de référé du Tribunal Régional de Dakar a répondu par la négative, estimant que même si les formalités ont été accomplies, le juge de référé reste compétent pour se prononcer sur les arguments substantiels relatifs à la demande de mainlevée.
Cette compétence est double :
• le juge de référé est-il compétent pour seulement apprécier l’accomplissement des formalités légales ? dans ce cas, il s’agirait seulement pour lui de constater l’existence d’une fin de non-recevoir soulevée contre une demande de mainlevée;
• ou bien considère-t-il le texte de l’article 62 comme non créateur d’une fin de non-recevoir par référence au Droit Sénégalais des articles 820-1 à 820-20 du code de procédure civile ? C’est le choix qui a été fait par le juge Sénégalais dans ce cas de concours entre les deux législations, lesquelles, à la lettre, s’opposent.
L’intérêt de cette question paraît double :
• les législations internes des pays de l’OHADA étaient différentes et le sont encore; l’harmonisation de la jurisprudence par la Cour commune semble difficile, voire impossible dans ce genre d’affaires où les parties règlent l’urgence et trouvent des solutions judiciaires locales.
• la saisine d’office de la Cour Commune par le juge national pour consultation en vertu de l’article 14 du Traité peut-elle obtenir une réponse rapide ?
A défaut, seraient pénalisés les plaideurs dont la procédure sera suspendue par cette saisine ? La résistance du juge national à l’application des textes de l’Ohada serait-elle le signe d’une intégration en dents de scie ?