J-02-87
NANTISSEMENT – détournement d’objets nantis – TIERS DETENTEUR- conditions d’application de l’article 402 du code pénal.
Ne peut tomber sous le coup des dispositions de l'article 402 du code pénal que les personnes y étant expressément prévues. Ne peut être considéré comme un tiers détenteur d'objets nantis le frère du constituant du nantissement qui s'empare de la clé du magasin, enlève les biens meubles, les fait vendre aux enchères et les achète à cette occasion.
(Cour suprême d'Abidjan, Chambre judiciaire, arrêt n° 113 du 27 mai 1999, MP c/ Kochman Salim, ECODROIT, novembre 2001, n° 5, p. 56, note François Komoin).
COTE D'IVOIRE
cOUR SUPREME ABIDJAN
cHAMBRE jUDICIAIRE
arrêt n° 113 du 27 mai 1999 –
ministère public c/ kochman salim.
lA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Sur le moyen unique de cassation pris, d’une part, de la violation des articles 2071 et 2072 du code civil et, d’autre part, de l’article 402 du code pénal :
Attendu qu’aux termes de l’article 2071 du Code Civil, « le nantissement est un contrat par lequel un débiteur remet une chose à son créancier pour sûreté de sa dette »;
Que par ailleurs, aux termes de l’article 2072 dudit Code, « le nantissement d’une chose mobilière s’appelle gage. Celui d’une chose immobilière s’appelle antichrèse »;
Qu’enfin, aux termes de l’article 402 du Code Pénal, « est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 300.000 à 3.000.000 de francs ou de l’une de ces deux peines seulement :
1°) le saisi qui détruit ou détourne un objet saisi sur lui et confié soit à sa garde, soit à la garde d’un tiers;
2°) le débiteur, emprunteur ou tiers donneur de gage qui détruit ou détourne l’objet par lui donné à titre de gage;
3°) l’acquéreur ou le détenteur d’outillage ou de matériel d’équipement faisant l’objet d’un nantissement, qui détruit, détourne ou altère, d’une manière quelconque, cet outillage ou matériel, en vue de faire échec aux droits du créancier ».
Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Daloa, 12 juin 1998, Cour d’Appel, Chambre Correctionnelle, arrêt n° 528), qu’en date du 03 juin 1986, EID Georges Elias s’est engagé, par acte passé devant notaire, à livrer des marchandises à KOCHMAN Sami, frère de KOCHMAN Salim, à concurrence de huit millions (8.000.000) de francs; qu’en garantie de cette fourniture de marchandises, KOCHMAN Sami a affecté, en premier rang, en nantissement, son fonds de commerce sis au quartier Daba à Divo, en faveur d’EID Georges Elias; que la Dame KOCHMAN Sami qui assurait la gérance du fonds de commerce de son mari, fut surprise de voir son beau-frère KOCHMAN Salim qui, constatant qu’EID Georges Elias voulait réaliser le nantissement fait en garantie de sa créance, est venu lui arracher la clé du magasin contenant les marchandises dont principalement des chambres à air, des batteries et autres objets mobiliers; qu’après avoir fait enlever les marchandises du magasin de son frère Sami, Salim les confiait à un huissier de justice qui les vendait aux enchères puis, profitant de cette occasion, se portait acquéreur des mêmes marchandises qu’il acheta; qu’EID Georges, qui s’est trouvé dans l’impossibilité de réaliser le nantissement, saisissait le tribunal correctionnel de Divo pour détournement de fonds de commerce, que cette juridiction, par jugement n° 598 du 12 novembre 1997, condamnait KOCHMAN Salim à 30.000 francs d’amende et, statuant sur les dommages et intérêts, condamnait à payer à EID Georges Elias la somme de sept millions (7.000.000) de francs; que cette même juridiction relaxait du chef de détournement KOCHMAN Sami, donneur du nantissement; que, sur appels à la fois d’EID Georges Elias et KOCHMAN Salim, la Chambre Correctionnelle de la Cour d’Appel de Daloa, après avoir déclaré l’appel de KOCHMAN Salim mal fondé et après l’avoir débouté de sa demande, déclarait, par contre, celui d’EID Georges Elias bien fondé et condamnait, en conséquence, KOCHMAN Salim à trente mille (30.000) francs d’amende pour détournement du fonds de commerce nanti et à treize millions de francs à payer à EID Georges Elias à titre de dommages et intérêts, confirmant ainsi le jugement entrepris quant à sa disposition pénale et, le réformant partiellement, quant aux intérêts civils;
Attendu que KOCHMAN Salim, qui s’est pourvu en cassation contre l’arrêt attaqué, fait grief à la Cour d’Appel d’avoir violé les textes de loi sus-énoncés et principalement l’article 402 du Code Pénal, au motif que ladite Cour, pour condamner le requérant, a estimé que ce dernier, qui a fait organiser la vente aux enchères du matériel qu’il savait nanti, a détourné ce matériel dont il était devenu détenteur par la fait même qu’il a arraché la clé à sa belle-sœur et enlevé les marchandises, alors que, soutient le pourvoi, KOCHMAN Salim n’était ni débiteur ni détenteur du fonds de commerce nanti par son frère Sami, au profit d’EID Georges Elias;
Attendu qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’Appel a, non seulement mal interprété les dispositions des articles 2071 et 2072 du Code Civil, mais a également violé l’article 402 du Code Pénal; qu’en effet, s’il est exact que KOCHMAN Salim est celui qui a vidé le magasin de son contenu par violence, il ne peut être considéré comme le détenteur du fonds de commerce et des marchandises qui y sont contenues; que, de surcroît, il n’est pas débiteur d’EID Georges Elias, le vrai débiteur et le détenteur desdits fonds et marchandises étant KOCHMAN Sami, « que tout au plus, celui-ci et EID Georges Elias étaient en droit de poursuivre KOCHMAN Salim, non pas pour détournement d’outillage et de matériel nantis, mais plutôt pour soustraction frauduleuse d’objets nantis, faits prévus et punis par les articles 392 et suivants du Code Pénal; qu’en outre, EID Georges Elias était en droit de faire traduire devant le Tribunal Correctionnel, pour détournement de son nantissement, à la fois KOCHMAN Sami et KOCHMAN Salim, le premier étant l’auteur principal et le second complice de ce dernier;
Qu’en n’ayant pas tenu compte de ces considérations et en condamnant, malgré lesdites considérations, KOCHMAN Salim comme auteur du détournement de fonds de commerce nanti, la Cour d’Appel n’a pas donné une base légale à sa décision; d’où il suit que le moyen est fondé; qu’il échet, en conséquence, de casser et d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bouaké;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule l’arrêt n° 528 rendu le 12 juin 1998 par la Cour d’Appel de Daloa, Chambre Correctionnelle;
Renvoie la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bouaké;
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Président : KAMA Yao
Conseillers : WOUNE Bleika – Seydou SANOGO.
Observations de KOMOIN François, Docteur en Droit. Magistrat
Les faits de cette espèce sont les suivants : le 03 juin 1986, EID Georges Elias s’engageait, par acte notarié, à livrer des marchandises à KOCHMAN Sami, saisi, à hauteur de 8.000.000 FCFA. Pour le paiement de la créance issue de cette transaction commerciale, KOCHMAN Sami nantissait son fonds de commerce sis à Divo au profit de EID Georges Elias. N’ayant pu obtenir le paiement de sa créance, celui-ci entreprit de réaliser le nantissement. Entre-temps, KOCHMAN Salim, frère de son débiteur, enlevait les marchandises et autres objets mobiliers du fonds de commerce, les faisait vendre aux enchères et les achetait lui-même.
EID Georges Elias initiait alors une procédure correctionnelle devant la section du tribunal de Divo contre les frères KOCHMAN pour détournement d’objets nantis. Celui-ci condamnait seulement KOCHMAN Salim et relaxait KOCHMAN Sami. Sur appels interjetés par les parties, la Cour d’Appel de Daloa confirmait les dispositions pénales du jugement à elle déféré. KOCHMAN Salim se pourvut en cassation en soutenant que, n’étant ni débiteur ni détenteur du fonds de commerce nanti, il ne pouvait être condamné pour détournement d’objets nantis. Son raisonnement séduisit la Cour Suprême qui cassa et annula l’arrêt critiqué.
La Cour d’Appel de Daloa, pour rendre son arrêt confirmatif, a considéré que KOCHMAN Salim, par le fait même qu’il avait arraché la clé du magasin à la femme de son frère KOCHMAN Sami et avait enlevé les marchandises y contenues, était devenu détenteur desdits biens, de sorte qu’il tombait sous le coup du troisième alinéa de l’article 402, qui punit de peine d’emprisonnement et d’amende « l’acquéreur ou le détenteur d’outillage ou de matériel d’équipement ayant fait l’objet d’un nantissement, qui détruit, détourne ou altère d’une manière quelconque cet outillage ou matériel, en vue de faire échec aux droits du créancier ».
KOCHMAN Salim pouvait-il légalement être considéré comme détenteur des objets nantis ?
De façon générale, le nantissement de fonds de commerce se fait dans dépossession du débiteur. Mais, il peut se faire que les parties décident de remettre les objets nantis entre les mains d’un tiers convenu. C’est la pratique de l’entiercement, c’est-à-dire de la détention des objets nantis par un tiers qui les garde pour le créancier. Tel n’était pas le cas en l’espèce. En effet, KOCHMAN Salim avait lui-même pris de force les objets nantis. C’est donc à juste titre que la Cour Suprême a estimé que, n’ayant pas la qualité de détenteur, l’article 402 du Code pénal ne pouvait pas être retenu contre KOCHMAN Salim.
Mais pouvait-il être poursuivi pour vol d’objets nantis comme le suggère la Cour Suprême ? Le vol, nous le savons, est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. Cette action n’est ouverte qu’au profit de la victime, c’est-à-dire de « cet autrui » dont la chose a été anormalement soustraite. Dans notre espèce, EID Georges Elias peut-il être considéré comme cet autrui ? En d’autres termes, par l’effet du nantissement consenti en sa faveur, est-il devenu propriétaire des choses nanties ? Rien n’est moins sûr, quand on sait que le propre du nantissement, qui est une sûreté mobilière, n’est pas de transmettre le droit de propriété exercé par celui qui le consent sur le bien dont il est l’objet, mais plutôt d’affecter ledit bien au paiement d’une créance.
EID Georges Elias pouvait-il, comme le suggère également la Cour Suprême, poursuivre les frères KOCHMAN pour détournement d’objets nantis, le premier KOCHMAN comme auteur principal et le second comme complice ?
La poursuite doit être engagée contre KOCHMAN Sami comme d’auteur principal, puisque c’est lui qui a consenti le nantissement.
La collusion frauduleuse pour faire échec aux droits du créancier doit être établie entre les deux frères, ce que ne semblent pas indiquer les faits de l’espèce.