J-02-91
PROCEDURE D’INJONCTION DE PAYER. ORDONNNACE D’INJONCTION DE PAYER – DELAI D’OPPOSITION – DELAI FRANC – OPPOSITION FORMEE LE PREMIER JOUR OUVRABLE APRES LE DELAI DE QUINZE JOURS SUIVANT LA SIGNIFICATION – OPPOSITION RECEVABLE – PROCEDURE D’INJONCTION DE PAYER – DEBITEUR REDEVABLE D’UNE OBLIGATION DE DELIVRER UNE CHOSE CORPORELLE – PROCEDURE D’INJONCTION DE PAYER INAPPLICABLE.
L’article 335 AUPSRVE disposant que tous les délais prévus dans ledit Acte uniforme sont francs, le délai de quinze jours prévu par l’article 10 AUPSRVE expire seizième jour ouvrable suivant celui de la notification de l’ordonnance.
La procédure d’injonction de payer étant prévue pour le recouvrement d’une somme d‘argent, est inapplicable à une demande de livraison de 25 palettes de pieds d’ananas.
Article 10 AUPSRVE
Article 335 AUPSRVE
(C.A. Abidjan, Arrêt N° 438 du 24 avril 2001, Adiko Adrien c/ Adjé Kadjo Valentin, ECODROIT, n° 10 Avril 2002, p. 49, observations anonymes).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs demandes, fins et conclusions;
Ensemble l'exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Aux termes d'une convention intitulée protocole d'accord, Monsieur ADJE KADJO, exploitant agricole, s'est engagé à livrer à la plantation SADI, représentée par Monsieur ADIKO Adrien, 25 palettes de pieds d'ananas;
Malgré un acompte de 2.200.000 F effectivement perçu, Monsieur ADJE KADJO n'a jamais exécuté son obligation;
Condamné par ordonnance d'injonction de payer N° 7041 du 12/11/1999, il a formé avec succès opposition,
Le tribunal, par jugement N° 211 du 28 février 2000, a statué ainsi qu'il suit :
« déclare l'opposition recevable et bien fondée;
rétracte l'ordonnance attaquée;
Condamne le défendeur aux dépens »;
Par acte d'huissier du 21 mars 2000, Monsieur ADIKO Adrien a relevé appel de ce jugement. Il plaide, in limine litis, l'irrecevabilité de l'opposition en application de l'article 10 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, qui prescrit que "l'opposition doit être formulée dans les 15 jours qui suivent la signification de la décision portant injonction de payer »;
Il explique que Monsieur ADJE KADJO, qui a reçu notification de l'ordonnance querellée le 9 décembre 1999, avait jusqu'au 24 décembre 1999, pour former opposition;
Il en déduit que ce recours, intenté le 27 décembre 1999, est tardif, donc irrecevable;
Subsidiairement au fond, Monsieur Adiko Adrien soutient que le vol prétendu par Monsieur Adjé ne consiste nullement une force majeure de nature à l'exonérer;
En conséquence, il sollicite l'infirmation du jugement entrepris;
En réplique, Monsieur Adjé Kadjo conteste l'irrecevabilité soulevée par l'appelant;
Il explique qu'en raison du coup d'Etat intervenu en Côte d'Ivoire le 24 décembre 1999, qui s'assimile à un cas de force majeure pour être imprévisible, irrésistible et indépendant de sa volonté, il s'est retrouvé dans l'impossibilité matérielle de former opposition. Toutefois, il précise que, dès le premier jour ouvrable, c'est-à-dire le 27 décembre 1999, il s'est empressé de satisfaire à cette formalité. Ainsi, il estime son opposition recevable;
Sur le fond de la procédure, Monsieur Adjé Kadjo prétend qu'en réalité, il était en relation d'affaires avec Monsieur Adiko, lequel lui a remis la somme de 2.200.000 F pour l'achat de fruits avec des planteurs;
Il ajoute qu'au cours de l'exécution de cette mission, il a été victime d'un braquage qui l'a empêché d'exécuter son obligation qui consistait à acheter des pieds d'ananas pour le compte de leur société de fait;
Il soutient qu'un tel événement, imprévisible, irrésistible et indépendant de sa volonté, est un cas de force majeure exonératoire;
Il en conclut que l'ordonnance d'injonction de payer a été rétractée à bon droit et que le jugement entrepris doit être confirmé;
MOTIFS DE L'ARRET
EN LA FORME
Monsieur Adiko Adrien a interjeté appel du jugement N° 211 du 28 février 2000 le 21 mars 2000, soit dans les 30 jours de la décision;
Cet appel, conforme aux prescriptions de l'article 15 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, est donc recevable;
AU FOND
SUR L'IRRECEVABILITE DE L'OPPOSITION POUR FORCLUSION
L'ordonnance d'injonction de payer N° 7041 du 12/11/1999 a été signifiée à personne le 09 décembre 1999;
Conformément à l'article 10 alinéa 1er de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, Monsieur Adjé Kadjo disposait d'un délai de 15 jours pour faire opposition. Mais l'article 335 du même acte précisant que tous les délais prévus sont francs, il en résulte que contrairement aux prétentions de Monsieur Adiko, l'opposition formée le lundi 27 décembre 1999, premier jour ouvrable après le 24 décembre 1999, est recevable;
Il y a lieu d'en juger ainsi et de rejeter l'irrecevabilité invoquée par Monsieur Adiko;
SUR LA RETRACTATION DE L'ORDONNANCE N° 7041 DU 12 NOVEMBRE 1999
La procédure de l'injonction de payer n'est ouverte qu'à l'égard du débiteur d'une somme d'argent. A contrario, elle ne peut être utilisée contre le débiteur d'une obligation non pécuniaire. Tel est le cas en l'espèce, où l'obligation de Monsieur Adjé Kadjo consistait à livrer 25 palettes de pieds d'ananas. L'inexécution d'une obligation pareille le rend justiciable de la procédure de l'injonction de délivrer prévue par les articles 19 et suivants de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Il s'ensuit que, pour recouvrer l'acompte payé de 2.200.000 F, Monsieur Adiko Adrien doit choisir la procédure ordinaire de droit commun;
C'est donc à bon droit que le premier juge a rétracté l'ordonnance querellée. Il convient, par substitution de motifs, de confirmer le jugement entrepris;
DES DEPENS
Monsieur Adiko Adrien succombe; il y a lieu de mettre les dépens de l'instance à sa charge;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
– Reçoit Monsieur Adiko Adrien en son appel;
– Le déclare mal fondé;
– Le déboute;
– Confirme, par substitution de motifs, le jugement N° 211 du 28 février 2000 en toutes ses dispositions;
– Condamne l'appelant susnommé aux dépens.
Observations anonymes
L'arrêt ci-dessus reproduit concerne le champ d'application matériel de l'Acte uniforme sur les procédures simplifiées des créances. L'article 1er dudit Acte uniforme dispose, à cet égard, que "le recouvrement d'une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d'injonction de payer ». Et l'article 2 précise que la créance doit avoir une cause contractuelle ou résulter de l'émission ou de l'acceptation de tout effet de commerce ou d'un chèque dont la provision s'est révélée inexistante ou insuffisante.
La Cour d'Appel, dans cet arrêt, a décidé que la procédure d'injonction de payer n'est ouverte qu'à l'égard des débiteurs de sommes d'argent, ce qui exclut, selon elle, par un raisonnement a contrario, les débiteurs d'obligations non pécuniaires.
L'obligation de payer une somme d'argent constitue, au sein de la trilogie obligation de donner, de faire ou de ne pas faire, une catégorie importante. Il existe une controverse sur le point de savoir si une telle obligation constitue une obligation de donner ou de faire. Sans y entrer, l'on peut approuver la décision de la Cour d'Appel qui admet le recours à la procédure d'injonction de payer pour recouvrer les sommes d'argent. Doit-on, cependant, comme elle l'a fait, limiter ladite procédure à ce type d'obligation ? La réponse à cette question nécessite que l'on considère les prestations des obligations.
Celles-ci peuvent être une chose autre que l'argent, c'est-à-dire une chose corporelle ou incorporelle déterminée ou déterminable, actuelle ou future et dans le commerce. Il s'impose, avec toute la force de l'évidence, que de telles choses ne peuvent être recouvrées, le recouvrement tendant au paiement d'une dette d'argent et non à la délivrance d'une chose. La procédure prévue par les articles 19 et suivants de l'Acte uniforme, s'agissant des meubles corporels, apparaît à cet égard plus idoine.
L'obligation peut avoir également pour objet un fait du débiteur (obligation de faire) ou abstention de celui-ci (obligation de ne pas faire); ce fait, qu'il soit déterminé, possible ou licite, peut-il être justiciable de la procédure d'injonction de payer ? Il est permis d'en douter, car de tels faits ne sont pas susceptibles, en eux-mêmes, de paiement. L'inexécution, selon l'article 1142 du code civil, se résout en dommages-intérêts, fixés par le juge.
Au total, il ne reste, pour la procédure d'injonction de payer, que les obligations de payer une somme d'argent, à condition bien entendu qu'elles aient une cause contractuelle ou résultent d'un effet de commerce ou de chèque dont la provision est insuffisante. Et la Cour d'Appel a eu raison de le rappeler.
Observations complémentaires de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur agrégé, consultant
1) Sur le délai d’opposition, la Cour a jugé que le délai de quinze jours dont disposait le débiteur pour faire opposition expirait le 24 décembre 1999 et que le premier jour ouvrable pour le faire après cette date pour le former étant le 27 décembre 1999, l’opposition ce même jour était recevable.
Il est exact que, selon l’article 335 AUVE, les délais sont francs, ce qui signifie que ni le jour de la signification de l’ordonnance, ni celui de l’échéance ne comptent. Il s’ensuit que l’ordonnance ayant été signifiée le 9 décembre, le délai de 15 jours expirait le 24 décembre qui ne devait pas compter non plus. Le délai devait donc expirer le 25 décembre, lui-même jour férié. En pareil cas, le terme du délai est repoussé au premier jour ouvrablesuivant, c’est à dire le lundi 27 décembre 1999.
2) Le contrat formé entre les parties consistait en l’achat de 25 palettes de pieds d’ananas pour lesquels l’acheteur avait versé un acompte de 2 200 000 FCFA dont il demandait le remboursement. C’était donc bien une demande de paiement de somme d’argent qu’il avait formée par la voie de la procédure d’injonction de payer et non la livraison de ces fruits, pour laquelle, la procédure d’injonction de délivrer eût été plus appropriée comme le suggère la Cour d’appel. Mais il se trouve que, pour obtenir le remboursement de cette somme d’argent, il aurait dû demander, au préalable, la résolution judiciaire du contrat, ce pour quoi la procédure d’injonction de payer n’est pas appropriée.