J-02-95
Commerçants – obligations – exploitation d'une statioN d'essence – prescription décennale DE L’ARTICLE 189 BIS DU CODE DECOMMERCE.
L'exploitation d'une station d'essence est une activité commerciale par nature qui demeure soumise à l'article 189 bis du Code de Commerce, lequel prévoit que les obligations nées entre commerçants se prescrivent par dix ans, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
(Tribunal de première instance d’Abidjan, jugement N° 229 du 13 décembre 2001, NOGBOU N'Guessan c/ TEXACO).
le tribunal,
Vu les pièces du dossier;
Ouï les parties en leurs moyens, fins et conclusions;
Le Ministère Public entendu et s'en rapportant à justice;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par exploit en date du 3/03/2001, Monsieur NOGBOU N'GUESSAN Clément a délaissé assignation à la société TEXACO CI d'avoir à comparaître devant le Tribunal civil de céans, pour s'entendre :
– déclarer recevable en son action;
– dire que la société TEXACO a manqué à son obligation de contrôle et d'entretien de cuve;
– déclarer son action bien fondée;
– condamner la société TEXACO à lui payer la somme de 1.488.731.880 F à titre de dommages et intérêts;
Attendu qu'il expose au soutien de son action, qu'il a contracté, le 01/07/1983, avec la société TEXACO, une convention à l'effet de gérer une station service sise à Aboisso;
Que durant les six (06) années de gestion, il a cumulé des pertes après chaque approvisionnement de carburant gasoil, essence, pétrole etc…;
Que dans l'immédiat, il avait attribué ces pertes à la mauvaise gestion des pompistes chargés de servir le carburant;
Que, de ce fait, il dut fréquemment leur infliger des sanctions, allant jusqu'à la rupture des relations de travail avec paiement des droits respectifs;
Que, toutefois, en dépit des précautions et autres dispositions prises, il n'arrivait toujours pas à équilibrer ses comptes de gestion carburants, les dépenses effectuées à l'approvisionnement étant toujours élevées par rapport aux ventes;
Que, dès lors, le 30/09/1989, il se retirait de la gestion de ladite station, qui fut confiée à un autre gérant;
Qu'à la prise de fonction du nouveau gérant, courant année 1990, les causes réelles des pertes cumulées six (06) années durant, au moment où il avait en charge la gestion de la station, vont se révéler au grand jour;
Qu'en effet, les cuves de carburant, gagnées par l'érosion et percées en divers endroits, laissaient échapper leur contenu; le carburant, ayant atteint un fort degré d'infiltration dans le sol, est remonté en surface;
Que la société TEXACO était liée par l'obligation de contrôle de l'activité desdites cuves et de les remplacer éventuellement; que c'est ce qu'elle a fait, mais tardivement;
Que les cuves furent déterrées, et il ressortait pour chacune (gasoil, essence et pétrole), de véritables creux; que l'entretien de ces cuves détériorées incombait à la société TEXACO; étant situées en-dessous du sol, il ne lui était pas permis d'effectuer le contrôle et la révision de ces cuves; que c'est ce qui justifie la réaction de la société TEXACO, qui a pourvu au remplacement de ces cuves, mais bien tardivement;
Que cette négligence, telle que relevée, lui a causé un lourd préjudice; que les pertes cumulées sont évaluées, tous carburants confondus, à 538.731.880 F; qu'il réclame en outre, la somme de 950.000.000 FCFA pour le préjudice occasionné par l'arrêt de toute activité; qu'il réclame, au titre des réparations, le montant total de 1.488.731.880 FCFA;
Attendu que pour étayer ses arguments, le demandeur verse au dossier le document de gestion comportant le contrat de location-bail, le constat d'huissier avec photo, le cautionnement versé, l'attestation d'inventaire, la lettre de clôture de compte;
Attendu que la société TEXACO résiste à l'action et fait valoir, après avoir exposé les circonstances du litige, deux points d'argumentation;
Qu'en premier lieu, la TEXACO CI explique qu'elle a donné, en location-gérance à Monsieur NOGBOU N'Guessan Clément, un fonds de commerce à usage de station service, sis à Aboisso;
Que conformément aux dispositions légales applicables à la location-gérance, le contrat précisait bien que l'exploitation du fonds était faite aux risques et périls du gérant;
Que la station donnée en location-gérance était munie de toutes les installations et du matériel nécessaire à la distribution des hydrocarbures, comprenant des cuves souterraines dans lesquelles étaient stockés les produits pétroliers à leur livraison, avant d'être vendus à la pompe;
Que, pendant plus de six (06) années, les relations des parties se déroulaient à leur commune satisfaction, le gérant n'ayant formulé aucune réclamation, ni signalé aucun incident;
Que, courant mai 1989, la société TEXACO mettait en place, sur l'ensemble de ses stations, une procédure uniforme de déclaration de fuite, défaillance pour les installations de stockage dans ses stations;
Que cette procédure prévoyait, notamment, en cas de fuites sur les cuves de stockage, que le gérant devait prendre les mesures suivantes :
– l'arrêt immédiat de la distribution de produit à la pompe;
– avertir la TEXACO CI par téléphone et confirmer la fuite ou la défaillance par lettre dans les 48 heures;
Que cette procédure était communiquée à Monsieur NOGBOU N'Guessan Clément par lettre du 11/05/1989 et qu'il marquait son accord en apposant sa signature précédée de la mention "lu et approuvé »;
Que là encore, le gérant ne faisait, à aucun moment, parvenir à la défenderesse, une demande de vérification ou une déclaration de fuite;
Qu'il n'a jamais fait état d'aucune fuite, ni de défaillance des cuves qui, du reste, sont très aisées à constater;
Qu'en effet, les volumes livrés et les volumes vendus doivent correspondre; à défaut, l'existence d'un écart peut traduire la présence d'une perte de produits et signaler ainsi la défaillance de la cuve; ce que le demandeur n'a jamais fait;
Que le contrat de location-gérance a été rompu en raison d'une fraude du gérant décelée par l'administration et ayant entraîné la fermeture temporaire de la station au mois d'août 1989;
Qu'à la réception de la lettre de résiliation du 18 mai 1989, NOGBOU N'Guessan Clément n'a fait aucune objection et sollicitait seulement un délai de préavis courant jusqu'à septembre 1989, dans un courrier manuscrit du 24 août 1989, où il imputait l'échec de sa gestion aux trop nombreux crédits par lui consentis à ses clients et à la mauvaise tenue de sa comptabilité; qu'au moment de l'inventaire de cessation de gérance, le gérant NOGBOU N'Guessan n'a formulé la moindre réserve sur l'état des cuves ou sur d'éventuelles fuites;
Que le constat d'huissier du 17/05/1990, réalisé six mois plus tard à l'insu de la défenderesse, ne mentionne ni la date à laquelle ces fuites ont été détectées, ni celle à laquelle les cuves ont été remplacées;
Attendu qu'après avoir précisé les circonstances du litige, la société TEXACO, défenderesse à l'action, soulève, in limine litis, la prescription de l'action;
Qu'elle explique que l'activité de gestion d'une station service étant commerciale par nature, les obligations qui en résultent entre commerçants se prescrivent par dix ans, conformément à l'article 189 bis du Code de Commerce; qu'il ressort de ces dispositions, que les actions résultant des rapports entre commerçants, nés à l'occasion de leur commerce, doivent être exercées dans le délai de 10 ans;
Que la date de révélation des faits peut être fixée au 17/05/1990, date à laquelle le demandeur a fait réaliser son premier constat d'huissier; qu'un délai de 10 ans s'est écoulé entre ce constat et la présente action;
Que le Tribunal voudra bien déclarer Monsieur NOGBOU N'Guessan Clément irrecevable en son action;
Attendu que subsidiairement au fond, la défenderesse conclut au rejet de l'action en dommages et intérêts de NOGBOU N'Guessan au motif que les conditions de l'article 1147 du code civil sur la base duquel il réclame réparation, ne sont pas réunies;
Qu'en effet, aucune faute contractuelle n'est imputable à la TEXACO qui a exécuté ses obligations jusqu'au bout;
Qu'il était nettement spécifié dans le contrat de location-gérance, que le gérant prendra le matériel, les objets immobiliers, les installations et les locaux dans l'état où ils se trouvent; il devra tenir à ses frais, lesdits locaux, matériels d'installations en bon état d'entretien;
Qu'en outre, Monsieur NOGBOU N'Guessan n'apporte pas la preuve du dommage qu'il dit avoir subi, que les pièces par lui produites ne font pas apparaître la date à laquelle les fuites se seraient produites;
Qu'enfin, la troisième condition, à savoir le lien de causalité entre le dommage et la faute alléguée ne peut être prouvé, en l'absence des deux premiers éléments;
Attendu que le Ministère Public s'en est rapporté;
DES MOTIFS
Attendu que les parties ont conclu; qu'il y a lieu de statuer par décision contradictoire;
EN LA FORME
Sur la prescription de l'action en réparation
Attendu qu'il ressort de l'article 189 bis du Code de Commerce, que les obligations nées entre commerçants à l'occasion de leur commerce se prescrivent par dix ans, si elles ne sont soumises à des prescriptions spéciales plus courtes;
Attendu qu'il est indéniable que l'exploitation d'une station d'essence est une activité commerciale par nature, et donc soumise aux dispositions de l'article 189 bis précité;
Attendu qu'il résulte de l'examen des pièces du dossier, que la connaissance des faits est intervenue le 17/05/1990 suivant exploit d'huissier en cette date;
Que l'action de NOGBOU N'Guessan Clément a été initiée le 13/03/2001;
Qu'entre ces deux dates, plus de dix années se sont écoulées;
Qu'il y a lieu de dire l'action éteinte pour cause de prescription et la déclarer irrecevable;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et commerciale et en premier ressort;
– Déclare l'action de NOGBOU N'Guessan Clément irrecevable pour cause de prescription;
– Le condamne aux dépens.
– Président : DIETAI Marcel
– Assesseurs : ZAGBAI Lognon
DANIOGO N'golo
GOLLO Tabley
SANSAN Kambilé
N'DRI Bertine
MEMEL Justine.
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant
Il convient de faire remarquer que, depuis le 1er janvier 1998, l’article 18 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général a réduit le délai de prescription des obligations entre commerçants à cinq ans. Mais, par application de la succession des lois dans le temps, ce texte n’était pas applicable à l’espèce.