J-03-05
SAISIE IMMOBILIERE – JUGEMENT ORDONNANT LA CONTINUATION DES POURSUITES – JUGEMENT NON ASSORTI DE L’EXECUTION PROVISOIRE – APPEL – EFFET SUSPENSIF (OUI) – SURSIS A STATUER JUSQU’A L’ARRET DE LA COUR D’APPEL (OUI) – ARTICLE 49 AUPSRVE – ARTICLE 300 AUPSRVE.
Il résulte de l’article 300 de l’AUPSRVE que les voies de recours en matière de saisie immobilière sont exercées dans les conditions du droit commun; il s’ensuit qu’en cas d’appel contre un jugement ordonnant la continuation des poursuites mais non assorti de l’exécution provisoire, le tribunal doit, en raison du caractère suspensif de cette voie de recours, surseoir à statuer jusqu’à l’intervention de la décision de la Cour d’Appel.
Article 49 AUPSRVE
Article 300 AUPSRVE
(Le Tribunal hors classe de Dakar, jugement 1.811 du 13 juillet 1999, Adama Thiam c/ SNR).
LE TRIBUNAL
ATTENDU que par écritures reçues au greffe le 30 juin 1999, Mes LO & KAMARA agissant pour le compte de Adama THIAM ont régulièrement consigné des dires au cahier des charges de la Société Nationale de Recouvrement (SNR) pour parvenir à la vente du droit d’usage à temps inscrit sur l’immeuble objet du T.F n° 23.073/DG outre les constructions qui y sont édifiées;
Qu’il échet de déclarer lesdits dires recevables en la forme;
AU FOND
ATTENDU que le disant se fonde sur l’appel qu’il a interjeté contre le jugement du 07 juin 1999 non assorti de l’exécution provisoire et pour lequel la continuation des poursuites a été ordonnée pour solliciter le sursis à statuer jusqu'à l’intervention de l’arrêt de la Cour d’Appel;
ATENDU qu’en vertu de l’article 300 de l’A/PSRVE, les décisions rendues en matière de saisie immobilière lorsqu’elles statuent sur le principe même de la créance ou sur les moyens de fond tirés de l’incapacité d’une des parties, de la propriété, de l’insaisissabilité ou de l’inaliénabilité des biens saisis peuvent être frappés d’appel;
Que les voies de recours sont exercées dans les conditions de droit commun;
Que l’appel fait dans les conditions de droit commun est suspensif sauf si la loi en dispose autrement;
Qu’aucune disposition dans l’acte uniforme précité ne prévoit une telle dérogation;
Attendu qu’en l’espèce, il est régulièrement versé au dossier un exploit en date du 15 juin 1999 de Me Gnagna SECK par lequel Adama THIAM a régulièrement interjeté appel du jugement du Tribunal de céans en date du 7 juin 1999 rendu en son audience éventuelle;
Qu’il échet, en application de l’article 300 précité en son dernier alinéa, de surseoir à statuer jusqu’à l’intervention de l’arrêt de la Cour d’Appel;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort;
Déclare les dires recevables en la forme;
AU FOND :
Surseoit à statuer jusqu’à l’intervention de l’Arrêt de la Cour d’Appel;
Ainsi fait jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus;
Ont signé le Président et le greffier.
Observations par Ndiaw DIOUF,
Agrégé des Facultés de droit,
Directeur du Centre de Recherche, d’Etude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines (CREDILA),
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’UCAD
L’article 300 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécution consacré aux voies de recours en matière d’incidents de la saisie immobilière comporte une formule anodine, mais qui risque de susciter de sérieuses difficultés d’interprétation.
Après avoir fermé l’opposition et ouvert l’appel dans les seuls cas qu’il a limitativement énumérés, ce texte indique (dernier alinéa) que « les voies de recours sont exercées dans les conditions de droit commun ». Cette formule pose problème.
Dans le jugement ci-dessus reproduit, le tribunal régional estime que, par une telle formule, l’Acte uniforme renvoie aux règles de droit commun procédural, c’est-à-dire aux règles qui s’appliquent à l’appel dans le code de procédure civile.
Les faits qui ont donné lieu à cette décision sont relativement simples. Dans le cadre d’une procédure d’expropriation forcée, le tribunal avait, à l’occasion de l’audience éventuelle, rejeté les dires du débiteur saisi et ordonné la continuation des poursuites. Le débiteur qui a fait appel contre le jugement, a demandé au tribunal d’ordonner le sursis à la vente jusqu’à la décision de la Cour d’appel. Pour faire droit à cette demande, le tribunal adopte un raisonnement a priori irréprochable que l’on peut ainsi résumer : d’après l’article 300, les voies de recours sont exercées selon le droit commun; or, en droit commun, l’appel a un effet suspensif; dés lors, si le jugement frappé d’appel n’est pas assorti de l’exécution provisoire, il faut surseoir à la vente jusqu’à l’intervention de l’arrêt de la Cour d’appel.
La démarche paraît inattaquable. Mais, encore faudrait-il que le postulat soit exact. Or, cela ne semble pas être le cas, tout au moins si on en juge par l’arrêt rendu par la Cour commune de justice et d’Arbitrage le 18 avril 2002 (V. CCJA, arrêt n° 13/2002 du 18 avril 2002, Ohadata J - 02 – 66 obs. Joseph Issa-Sayegh). Dans cet arrêt, rendu à propos du délai d’appel en matière d’incidents de saisie immobilière, la Cour commence par rappeler que l’article 336 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution a abrogé toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les Etats parties et que les règles de forme et de fond que cet Acte uniforme comporte ont seules vocation à s’appliquer dans ces Etats. Elle en déduit que le droit commun dont parle l’article 300 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution est constitué par les dispositions générales applicables à toutes les saisies et, particulièrement, l’article 49 dudit Acte uniforme. En d’autres termes, le droit commun en question c’est le droit commun des voies d’exécution c’est-à-dire les règles applicables à toutes les saisies et non le droit commun procédural tel qu’il résulte des Codes de procédure civile des Etats parties.
Cette décision n’emporte pas notre adhésion pour au moins deux raisons.
D’une part, l’article 49 vise l’appel d’une ordonnance rendue par le président du tribunal statuant en matière d’urgence; c’est d’ailleurs ce qui explique le bref délai prévu. Or, la décision en cause dans l’affaire soumise à la Cour commune est un jugement émanant du tribunal lui-même.
D’autre part, et de manière générale, le renvoi au droit commun des voies d’exécution serait concevable seulement si l’Acte uniforme était un ensemble complet et fermé qui se suffit à lui-même. Or, tel n’est pas le cas. Sur bien des questions, le recours à la législation nationale (Code de procédure civile) des Etats parties est indispensable. D’ailleurs très souvent, en raison de son silence, l’Acte uniforme renvoie implicitement à cette législation. Précisément pour l’appel contre les décisions rendues en matière de saisie immobilière, l’Acte uniforme observe le silence sur bien des points. Il ne dit pas, par exemple, qui peut relever appel contre les décisions rendues; il ne dit pas, non plus, quels sont les effets de cette voie de recours. La réponse à ces différentes questions ne se trouve pas dans les règles générales applicables à toutes les saisies. On est alors obligé de se rendre à l’évidence : il faut se tourner vers le droit commun procédural tel qu’il résulte des Codes de procédure civile. C’est ce qu’a fait le tribunal Régional hors classe de Dakar en cherchant les effets de l’appel contre le jugement écartant un dire dans le Code sénégalais de procédure civile.
L’application du droit commun procédural risque cependant de poser des problèmes. Dire que l’exercice de l’appel est suspensif, c’est dire que le délai d’exercice de l’appel l’est également. Dés lors, le sursis devra être ordonné toutes les fois que le tribunal rejette, à l’occasion de l’audience éventuelle, des dires, puisque le débiteur a le loisir, jusqu’à l’expiration du délai d’appel, d’exercer cette voie de recours. Cela reviendrait à décider qu’il faut surseoir à la vente, non seulement lorsque l’appel a été fait, mais aussi lorsque le délai d’appel est en cours. Il suffit, dans ces conditions, que le débiteur saisisse le tribunal d’un dire et que ce dire soit rejeté pour que la vente ne puisse pas avoir lieu à la date d’adjudication initialement prévue. Il va y avoir, en quelque sorte, une généralisation du sursis.
Cette application du droit commun peut conduire aussi, si l’on n’y prend garde, à une violation de l’article 270 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement qui veut que l’adjudication ait lieu au plus tard le soixantième jour suivant l’audience éventuelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de songer à l’hypothèse où le débiteur saisi, dont le dire a été rejeté, a attendu la veille de l’expiration du délai pour relever appel. Au Sénégal, le délai d’appel étant de deux mois à compter du jour du jugement, l’audience d’adjudication aura lieu, nécessairement, plus de soixante jours après l’audience éventuelle, puisque l’exercice de l’appel va prolonger l’effet suspensif jusqu’à la décision de la juridiction d’appel.
Au vu de ce qui précède, ne faut-il pas considérer que les dispositions du Code de procédure civile constituent le droit commun dont parle l’article 300 et qu’elles peuvent s’appliquer en matière d’appel contre les jugements rendus sur incidents, mais seulement dans la mesure où elles sont compatibles avec l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ?