J-03-101
PROCEDURES COLLECTIVES – BANQUEROUTE FRAUDULEUSE – IRRECEVABILITE POUR SAISINE DU JUGE CIVIL – NULLITE CITATION POUR ABSENCE D’ARTICULATION DES FAITS ET DES VISAS DES TEXTES DE LOI.
ACTION CIVILE DIRIGEE CONTRE LA SOCIETE DIRIGEE PAR LE PREVENU –DIRIGEANT SUSCEPTIBLE D’ETRE POURSUIVI AU PENAL S’IL A COMMIS UNE INFRACTION (OUI) – REJET DE L’EXCEPTION (OUI).
PARTIE CIVILE AYANT PRECISE ET QUALIFIE LES FAITS ET VISE LES TEXTES DE LOI APPLICABLES (OUI) – REJET DE L’EXCEPTION (OUI).
PARTIE CIVILE CREANCIERE DE LA SOCIETE DONT LE PREVENU EST LE DIRECTEUR GENERAL POUR DES FACTURES ET DES TRAITES IMPAYEES – SOCIETE SANS ACTIVITES NI ACTIFS PROPRES – SAISIE ARRET PRATIQUEE REVELANT QUE LA SOCIETE EST EN FAILLITE – COMPTES BANCAIRES DEBITEURS –ELEMENTS REVELANT UNE BANQUEROUTE.
PREVENU AYANT UTILISE LES ACTIFS ET BIENS DE LA SOCIETE A DES FINS PERSONNELLES –NON RESPECT PAR LE PREVENU DE L’OBLIGATION LEGALE DE CONVOQUER L’ASSEMBLEE GENERALE EXTRAORDINAIRE POUR CONSTATER CES PERTES DE PLUS DE TROIS QUARTS DU CAPITAL.
QUALITE DE CREANCIER CONTESTEE – ABSENCE DE TITRE EXECUTOIRE MAIS EXISTENCE D’UNE SIMPLE ORDONNANCE DE SAISIE CONSERVATOIRE – ENTREPRISE INDIVIDUELLE QUI NE PEUT SAISIR DES INSTANCES DIRIGEANTES –BANQUEROUTE, DELIT DE CONSEQUENCE QUI NE PEUT EXISTER SANS L’OUVERTURE D’UNE PROCEDURE COLLECTIVE (OUI) – RELAXE (OUI).
Article 891 AUSCGIE
Article 901 AUSCGIE
La banqueroute suppose la poursuite par un commerçant ou le dirigeant d’une personne morale commerçante de l’exploitation devenue frauduleuse de ses activités alors que l’intéressé ou la société est en état de cessation de paiement.
La cessation de paiement qui se définit comme l’impossibilité de faire face au passif exigible par l’actif disponible nécessite, pour son appréciation, l’examen des documents comptables du débiteur.
Il en est de même pour l’appréciation de l’appréciation relative à la dissolution des sociétés commerciales qui suppose que le dirigeant continue sciemment à exploiter la société alors que les capitaux propres de celle ci sont devenus inférieurs à la moitié du capital social du fait des pertes constatées dans les états financiers de synthèse.
Aussi, en l’absence de la preuve, d’une part, de la cessation de paiement et, d’autre part, du fait que la société a perdu plus de trois quart du capital social malgré l’allégation d’un défaut de paiement qui ne résulte d’aucun titre exécutoire, l’infraction de banqueroute n’étant pas alors établie, le prévenu doit être relaxé.
(Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, jugement du 27 août 2001, Ministère public et Société TOUTELECTRIC contre Pape Aly GUEYE).
TRIBUNAL RÉGIONAL HORS CLASSE DE DAKAR
Audience publique du 07 août 2002
LE TRIBUNAL,
Vu les pièces du dossier;
Ouï le prévenu en son interrogatoire;
Ouï la partie civile en ses conclusions, le Ministère Public en ses réquisitions, le prévenu en ses moyens de défense;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par acte en date du 12 février 2002, la société TOUTELECTRIC a cité directement Monsieur Pape Aly GUEYE devant le Tribunal Correctionnel de céans, sous les préventions de « banqueroute frauduleuse et d’infractions relatives à la gérance, à l’administration et à la dissolution des sociétés, délits prévus et punis par les articles 1061 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, 233 de l’Acte Uniforme sur les procédures collectives, 376 et 377 du Code Pénal, 891 et 901 de l’Acte Uniforme sur les sociétés, 6 et 16 de la loi N° 98-22 du 26 mars 1998 »;
EN LA FORME
Attendu que la défense a soulevé deux exceptions tirées respectivement de la violation des articles 5 et 539 du Code de Procédure Pénale, en faisant valoir d’une part, que l’action est irrecevable puisque le Juge civil a déjà été saisi par la société TOUTELECTRIC, qui a même pratiqué une saisie, et d’autre part, que la citation est nulle, puisqu’elle n’articule pas les faits incriminés et ne vise pas les textes de loi qui les répriment, mettant ainsi le prévenu dans l’impossibilité de comprendre les faits qui lui sont reprochés;
Attendu que ces exceptions ont été présentées avant toute défense au fond; qu’il échet en application de l’article 373 du Code de Procédure Pénale, de les recevoir;
Attendu que pour requérir le rejet de ces exceptions, le Ministère Public a souligné d’une part, que l’article 5 du CPP ne fait pas obstacle à une citation pour dissipation de l’actif, après un jugement civil de condamnation, et d’autre part, que le prévenu n’a souffert d’aucun grief;
Attendu que le conseil de la partie civile a également soutenu d’une part, que même s’il y a un jugement civil, sa cliente est fondée à citer le prévenu pour banqueroute, dès lors que l’actif de la société qu’il dirige a été détourné et d’autre part, que contrairement aux affirmations de la défense, la citation a articulé, précisé et détaillé les faits reprochés au prévenu et visé les textes de loi applicables;
Attendu que relativement à la première exception, il y a tout d’abord lieu de préciser qu’il résulte du jugement N° 1458 rendu le 28 juillet 1999 par le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, que l’action intentée par la société TOUTELECTRIC devant le Juge civil était dirigée contre la Société Sénégalaise d’Approvisionnement dite SAP et non contre le prévenu; qu’ensuite et comme l’ont justement fait remarquer le Ministère Public et le conseil de la partie civile, celle-ci peut effectivement saisir le juge correctionnel lorsqu’elle estime que le dirigeant d’une personne morale condamnée par le juge civil a commis une infraction à la loi pénale pour empêcher l’exécution de la décision;
Attendu que s’agissant de la deuxième exception, il y a seulement lieu de constater que dans sa citation, la partie civile a précisé et qualifié les faits dont la commission est reprochée au prévenu et a visé des textes de loi réprimant ces faits;
Attendu qu’il échet en conséquence de rejeter les exceptions comme non fondées et de déclarer la procédure régulière;
AU FOND
SUR LES FAITS
Attendu que la société TOUTELECTRIC a soutenu dans sa citation, qu’elle est créancière de la Société Sénégalaise d’Approvisionnement ayant son siège social au N° 10 rue de Thiong à Dakar, et dont le prévenu est le directeur général, de la somme de 146.229.750 F représentant des factures et des traites impayées; que cette société n’a plus d’activités ni d’actifs lui appartenant; que la saisie-arrêt pratiquée suivant ordonnance N° 1410 du 28 juillet 1998 a révélé qu’elle est en faillite; qu’en effet, l’ensemble des établissements financiers interrogés par l’huissier ont déclaré que les comptes de la SAP étaient au rouge voire débiteurs; que cette situation révèle une banqueroute; que par ailleurs, le sieur Pape Aly GUEYE a manifestement utilisé à des fins personnelles et à d’autres fins, les biens et actifs de la société, puisque ceux-ci ont disparu, si bien que la SAP n’a plus d’activités, faute d’actifs disponibles; que dans pareil cas, la loi, qui fait obligation de convoquer l’assemblée générale extraordinaire dans les quatre mois de la constatation de ces pertes pour décider s’il y a lieu de la dissolution anticipée de la société, n’a pas été respectée par le prévenu, dont le comportement a gravement mis en péril la créance de la société TOUTELECTRIC, en lui enlevant toute possibilité de poursuivre l’exercice de son droit de gage général sur les actifs de la SAP;
Attendu qu’interrogé à la barre, M. Pape Aly GUEYE a nié les faits qui lui sont reprochés et a expliqué qu’il dirige l’entreprise individuelle dénommée SAP, qui est liée la société TOUTELECTRIC par un contrat de fourniture de matériels électriques, dans le cadre de l’exécution duquel, sa structure a rencontré des difficultés pour payer certaines livraisons, à cause notamment de problèmes d’installation du matériel en Casamance; que son fournisseur a perdu patience et a entamé des procédures de saisie contre la SAP qui, a-t-il précisé, fonctionne toujours, a son personnel et son siège social au N° 40 rue Jules Ferry à Dakar, et est en train de payer ses dettes;
SUR LA PRÉVENTION
Attendu que pour solliciter la déclaration de la culpabilité du prévenu, le conseil de la partie civile a soutenu que la SAP, qui a été présentée à sa cliente comme une société anonyme avec pour directeur général M. Pape Aly GUEYE, doit à cette dernière une somme de 146.229.750 F qu’elle ne peut recouvrer à cause de la dissimulation ou du détournement de l’actif de la société dont la poursuite actuelle des activités n’est pas prouvée par le dirigeant, qui a par ailleurs omis de déposer le bilan malgré la perte de plus des trois quarts du capital;
Attendu que le Ministère Public a requis l’application de la loi;
Attendu que pour solliciter la relaxe de leur client, les conseils du prévenu ont soutenu d’abord, qu’alors que sa créance est contestée, la société TOUTELECTRIC ne dispose d’aucun titre exécutoire non exécuté ou exécuté défectueusement, mais simplement une ordonnance de saisie conservatoire; qu’ensuite, aucun des textes dont la violation est alléguée ne concerne les personnes physiques, alors que M. Pape Aly GUEYE gère une entreprise individuelle; qu’enfin, la banqueroute n’est pas une infraction principale, mais un délit de conséquence qui ne peut exister sans l’ouverture d’une procédure collective;
Attendu que le délit de banqueroute suppose la poursuite par un commerçant ou le dirigeant, d’une personne morale commerçante de l’exploitation devenue frauduleuse de ses activités, alors que l’intéressé ou la société est en état de cessation des paiements; que cet état, qui se définit comme l’impossibilité de faire face au passif exigible par l’actif disponible, nécessite pour l’appréciation de son existence, l’examen des documents comptables du débiteur; qu’il en est de même en ce qui concerne l’infraction relative à la dissolution des sociétés commerciales, qui suppose que le dirigeant continue sciemment d’exploiter la société, alors que les capitaux propres de celle-ci sont devenus inférieurs à la moitié du capital social; du fait des pertes constatées dans les états financiers de synthèse;
Attendu qu’aucune des pièces versées par la société TOUTELECTRIC n’atteste que la SAP est en état de cessation des paiements ou a subi des pertes à hauteur de la moitié de son capital, que ces situations ne sauraient être traduites par le seul défaut de paiement d’une dette, qui ne résulte d’ailleurs d’aucun titre exécutoire versé aux débats; que même l’ordonnance de saisie conservatoire du 28 juillet 1998 invoquée par la partie civile n’est pas produite;
Attendu qu’il échet en conséquence de relaxer le prévenu, de débouter la société TOUTELECTRIC de sa constitution de partie civile et de la condamner aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle et en premier ressort;
EN LA FORME
– Reçoit les exceptions soulevées par la défense;
– Les rejette comme non fondées;
– Déclare la procédure régulière;
AU FOND
– Relaxe le prévenu;
– Déboute la société TOUTELECTRIC de sa constitution de partie civile;
– La condamne aux dépens.