J-03-157
acte uniforme ohada – saisie-arrêt de salaire entre les mains du ministre chargé des finances (25 mai 1977) – saisie attribution entre les mains de la bicec (le 30 septembre 1998) – demande de mainlevée de la seconde saisie et de cantonnement de la première saisie – demande reconventionnelle de paiement par provision d’une partie de la somme saisie – mainlevée de la saisie pour des raisons d’équité et de non-respect de la tentative de conciliation préalable.
Article 170 AUPSRVE
Article 171 AUPSRVE
Article 174 AUPSRVE
[Ordonnance de référé N° 557 du 08 avril 1999 du Président du T.P.I. de Yaoundé. Affaire : Dame TAGNY née KAMDOM Fotso c/ NGNITENDEM-BAWOUA Joseph]. Juris Périodique N° 39 – Juillet / Août / Septembre 1999, p. 68.
Observations de Jean-Marie TCHAKOUA, Chargé de cours, Université de Yaoundé 2- Soa
Notre esprit de juristes formés à l’école du « civil law » nous prépare assez mal à nous poser certaines questions. Il peut pourtant être intéressant de chercher à savoir par exemple quelle est la place de l’équité en droit (certains diront même, à côté du droit). C’est vrai que ce n’est pas tous les jours que nous entendons parler d’équité, a fortiori dans un motif de décision. C’est sans nul doute l’un des centres d’intérêt de l’ordonnance de référé N° 555 du 08 avril 1999 du Président du TPI de Yaoundé. L’ordonnance est également intéressante, parce qu’elle est l’une des premières applications jurisprudentielles du droit uniforme OHADA.
A l’origine, une créance du sieur NGNITENDEM BAWOUA Joseph sur la dame TAGNY née KAMDOM FOTSO Alice. Sur la base de ladite créance, et bien avant l’entrée en vigueur de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, le sieur Ngnitendem pratique une saisie-arrêt sur le salaire de son débiteur, entre les mains du Ministre chargé des finances. Plus tard, le créancier se transporte à la BICEC, où il pratique une saisie attribution sur un compte détenu par son débiteur. Ce dernier saisit le juge des référés, pour obtenir mainlevée de cette seconde saisie, au motif que le compte saisi est celui où était viré la portion non saisissable de son salaire, laquelle lui servait d’aliments pour elle-même et pour sa famille dont quatre enfants étudiants à l’étranger.
Mais seulement, cette mainlevée n’est demandée que le 30 mars 1999, soit six mois après la saisie et un peu plus de cinq mois après la dénonciation de celle-ci au débiteur. On sait que l’article 170 de l’Acte Uniforme OHADA sur les voies d’exécution prévoit qu’ » A peine d’irrecevabilité, les contestations (sur la saisie attribution) sont portées devant la juridiction compétente par voie d’assignation, dans le délai d’un mois à compter de la dénonciation de la saisie au débiteur ». Ces dispositions furent, conformément au même Acte Uniforme, rappelées en caractère apparent au débiteur, dans l’acte de dénonciation de la saisie.
La démarche du débiteur paraissait donc très hasardeuse. Il avait agi manifestement hors délai, et ne pouvait même pas essayer de plaider l’ignorance de la loi, puisque celle-ci lui avait été rappelée dans l’acte de notification. Et en demandant reconventionnellement qu’à titre provisionnel le juge ordonne que la banque lui paie une partie de sa créance, le sieur NGNITENDEM compliquait davantage la situation de son débiteur. Tout semblait en tout cas plaider pour le créancier : l’article 170 de l’Acte Uniforme OHADA prescrivait l’irrecevabilité de la demande tardive, et l’article 171 alinéa 2 du même texte donnait au juge pouvoir pour ordonner prévisionnellement le paiement d’une somme qu’il détermine, s’il lui apparaît que ni le montant de la créance ni la dette du tiers saisi ne sont sérieusement contestables.
Contre toute attente, le juge a ordonné la mainlevée de la saisie, en se fondant sur deux arguments assez contestables.
En premier lieu, le Président affirme que pour l’équité, il serait judicieux de libérer le compte saisi à la BICEC. On peut bien s’étonner que l’équité soit invoquée pour refuser d’appliquer une disposition de la loi. Si on pouvait ainsi procéder, on voit mal pourquoi il y aurait à exiger des juges qu’ils respectent la loi, puisqu’il leur serait toujours possible de refuser d’appliquer la loi pour des raisons dites d’équité.
En vérité, il n’est pas juste de dresser l’équité contre la loi, et peut-être même contre le droit. L’équité est dans le droit, de façon diffuse, et guide ceux qui sont chargés au quotidien, d’appliquer la loi. Elle ne les dispense pas d’appliquer la loi : elle permet de moduler les solutions de la loi. En substituant donc l’équité à la loi, le juge s’est sans doute mis hors du droit.
En second lieu, le juge invoque l’article 174 de l’Acte Uniforme sur les voies d’exécution, qui impose une tentative de conciliation préalable, pour saisir des sommes dues à titre de rémunération. N’ayant pas tenté la conciliation, le saisissant aurait violé cette procédure qui est d’ordre public.
Mais il est peu sûr que ce texte trouve à s’appliquer ici, même si le législateur parle de « quelque lieu que ce soit ». Le texte dit in extenso que « la saisie des sommes dues à titre de rémunération, quel qu’en soit le montant, à toutes les personnes salariées ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs, ne peut être pratiquée qu’après une tentative de conciliation devant la juridiction compétente du domicile du débiteur ». Une lecture attentive du texte permet de penser que le législateur parle de lieu de travail, non de lieu où la saisie serait pratiquée. Le texte ne peut donc pas s’appliquer aux saisies faites entre les mains d’une banque, sous le seul prétexte qu’on aurait vidé dans le compte concerné, tout ou partie du salaire. La solution contraire consacrerait une catégorie juridique de « compte de salaire », dont on ne mesure pas encore les implications en droit. Si cette expression est parfois utilisée dans le jargon bancaire, elle correspond malheureusement à une situation aux contours très peu précis. Suffit-il, pour qu’il y ait compte de salaire, que le salaire ait un jour été viré dans un tel compte ou faut-il un virement permanent et peut-être irrévocable ? Quid des autres sommes qui se retrouvent dans ce compte, sans être un paiement de salaire ? Comment distinguer à un moment donné, entre les sommes provenant du salaire et d’autres ? Le contentieux devrait alors se cristalliser sur la question de l’imputabilité des premiers chèques, voire de tous les chèques tirés par le propriétaire du compte.
On peut en tout cas, constater que presque tous les salariés du secteur public ou privé ont un compte qui reçoit aussi bien les salaires que les sommes provenant d’autres opérations. Dire donc que toutes les saisies faites sur ces comptes doivent commencer par une tentative de conciliation, devant le juge, c’est dire pratiquement que toutes les saisies des comptes des salariés commencent par une tentative de conciliation. Si donc on ne circonscrit pas bien la nécessité de conciliation à la saisie des salaires entre les mains de l’employeur, on risque de commencer toute saisie par une tentative de conciliation.
Relevons, pour terminer, que le juge n’a pas répondu à la demande reconventionnelle du créancier. Sans doute, lui paraissait-il évident que la mainlevée de la saisie étant ordonnée, la demande devait tomber d’elle-même. Mais pour la noblesse de l’acte de justice, il fallait se prononcer expressément sur cette demande.
par Jean-Marie TCHAKOUA
Chargé de Cours – Université de Yaoundé II - Soa