J-03-163
Clause compromissoire – effets – INcompétence DES JURIDICTIONS ETATIQUES – DOMAINE – juge des référés (NON).
Saisie conservatoire – Autorisation – Conditions – Principe certain de créance (NON) – Créance paraissant fondée dans son principe (OUI).
L’existence d’une clause compromissoire ne constitue pas un obstacle à la compétence du juge des référés ou du juge saisi sur requête.
Le juge saisi d’une demande tendant à obtenir l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire doit rechercher l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et non un principe certain de créance.
(Cour d’appel de Dakar, arrêt n° 282 du 23 juin 2000, Société E.BETI c/ SETI).
COUR D’APPEL DE DAKAR
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE ARRET N° 282 DU 23 JUIN 2000
SOCIETE E.BETI C/ SETTI
LA COUR
Vu les pièces du dossier;
Oui les parties en toutes leurs demandes;
Après en avoir délibéré conformément à la loi :
Statuant sur l’appel régulièrement interjeté par la Société E.BETI d’une ordonnance de référé rendue le 1er février 2000 par le Tribunal régional de Dakar qui a rejeté sa demande tendant à la rétractation de l’ordonnance du 05 janvier 2000 et à la mainlevée de la saisie conservatoire de créance pratiquée par la Société SETTI entre les mains de la SAGEM;
Considérant que l’appelante qui poursuit l’infirmation de la décision querellée en toutes ses dispositions a fait valoir qu’elle avait signé un contrat de sous-traitance avec la SARL SETTI aux fins d’exécuter des travaux pour le compte de la SAGEM à concurrence de 555.520.000 Frs hors T.V.A; et ce le 12 octobre 1998;
Qu’un avenant fut signé le 19 mai 1999 portant sur la somme principale de 104.000.000 Frs H.T.V.A; qu’en raison de manquements graves de la SARL SETTI, elle fut obligée de régler toutes les créances fournisseurs de cette dernière après avoir payé les salaires et reliquats de salaires de ses employés pour la somme de 9.351.774 Frs et un protocole d’accord fut signé le 30 septembre 1999;
Que la société BETI a expliqué qu’en vertu de ces 3 contrats elle a déboursé la somme totale de 800.814.165 frs que la Société SETTI a expressément reconnu avoir reçu :
Qu’elle a été dès lors surprise de se voir réclamer des factures complémentaires d’un montant de 600.000.000 frs alors que celles-ci ne lui ont jamais été présentées et qu’elle n’en a jamais sollicité la contrepartie;
Qu’elle a expliqué que la Société SETTI ne disposait d’aucun principe de créance pouvant justifier la saisie conservatoire de ses avoirs entre les mains de la SAGEM et a, à titre principal, sollicité l’incompétence des juridictions sénégalaises pour cause de clause compromissoire prévue par l’article 18 du contrat principal du 12 octobre 1998;
Qu’à titre subsidiaire, elle a fait plaider le mal fondé des prétentions de la SETTI pour absence d’un principe de créance;
Considérant qu’au soutien de ses prétentions la Société E. BETI a fait valoir qu’aux termes de l’article 18 de leur contrat sus rappelé « tous différends résultant du présent contrat que les parties n’arrivent pas à résoudre à l’amiable seront soumis aux tribunaux compétents de Paris »;
Qu’elle a dès lors estimé que les parties ayant expressément convenu de donner compétence aux juridictions françaises, aucune procédure ne pouvait être reçue par les tribunaux sénégalais dans le cadre de l’exécution du contrat de sous-traitance;
Qu’elle a déploré le fait que le premier juge ne se soit pas prononcé sur la question et a réitéré l’incompétence radicale des juridictions sénégalaises;
Considérant que sur le fond, la société E. BETI a expliqué que toutes les relations qu’elle a eues avec la Société SETTI se sont cadrées dans des contrats précis complétés par des avenants et qu’ayant exécuté entièrement ses obligations relatives au versement des sommes convenues dans lesdits contrats, SETTI ne pouvait plus exciper d’aucune autre créance extérieure à ces 3 contrats et qu’en conséquence elle ne pouvait justifier d’un principe de créance pour saisir arrêter ses biens;
Qu’elle a fait noter que les travaux supplémentaires dont fait état le premier juge n’ont pu l’être que dans le cadre des avenants qui ont été signés après le contrat principal et qu’en réalité la société SETTI n’a même pas réalisé l’intégralité des travaux puisque sur les 26 villas prévues, seules 24 ont été exécutées et qu’elle a dû compléter à ses propres frais 15% du travail restant;
Qu’elle a enfin fait observer que si SETTI veut réclamer les sommes complémentaires, il lui faudrait absolument rapporter la preuve d’un bon de commande ou d’un contrat contradictoirement signé entre les parties, comme l’ont été les actes précédents;
Qu’elle a en conclusion estimé que la saisie conservatoire pratiqué entre les mains de la SAGEM lui cause un préjudice incommensurable compte tenu de la taille de marché et des obligations auxquelles elle doit faire face, notamment vis-à-vis des fournisseurs et de son personnel;
Considérant que l’intimée a, pour sa part, fait plaider la confirmation de l’ordonnance entreprise motif pris de ce qu’elle détenait de sérieux principes de créances sur la Société E. BETI et ce simplement en analysant les factures produites par la société E. BETI elle même;
Qu’elle avait auparavant excipé de l’irrecevabilité du moyen d’incompétence des juridictions sénégalaises soulevé par la Société E. BETI;
Qu’elle a, développant son argumentation, fait observer que c’est seulement en appel et pour la première fois que E. BETI soulève l’exception d’incompétence des juridictions sénégalaises tirées de l’articles 18 de leur contrat de base, alors selon elle, que pour qu'une telle exception puisse être recevable, il faut qu’elle ait été soulevée in limine litis;
Qu’elle a ainsi expliqué que même en appel, c’est en même temps que les moyens du fond que l’exception a été soulevée alors qu’en jurisprudence il est de règle qu’un tel moyen soit soulevé avant toute défense du fond;
Considérant qu’au fond, la Société SETTI a expliqué que le propriétaire de la Société E. BETI est en même temps l’actionnaire majoritaire de la Société SETTI qu’il cogère avec Monsieur Abdoulaye DIALLO;
Qu’elle a ainsi soutenu qu’il y a une interconnexion financière entre les 2 sociétés dirigées en fait par la même personne en l’occurrence Antoine SANCHEZ et que cela aide à comprendre la jonglerie juridico-fiancière qui constitue le soubassement de la procédure;
Qu’elle a dès lors fait valoir que la Société E. BETI de droit français adjudicataire d’un marché de plus d’un milliard de francs CFA pour le compte de la SONATEL a sous traité ledit marché avec une société locale de droit sénégalais SETTI dans laquelle elle a pris une participation majoritaire;
Qu’en réalité, la SONATEL avait confié le marché à la SAGEM, qui l’a sous-traité à la E.BETI, de sorte qu’au total des travaux effectués pour le compte d’une société sénégalaise (SONATEL) ont été confiés à une société qui se trouve en France (SAGEM) laquelle les a sous traite avec E.BETI qui se trouve également en France et celle-ci a finalement fait réaliser les travaux par une société sénégalaise SETTI;
Que l’intimé a expliqué que cet enchevêtrement des relations juridiques a entraîné nécessairement un enchevêtrement des relations financières et ce d’autant que les 2 sociétés sous traitantes ont le même actionnaire principal en l’occurrence Monsieur SANCHEZ;
Considérant qu’après avoir rappelé les prémisses de leurs contrats, la SETTI a expliqué qu’au cours de l’exécution de ceux-ci il est arrivé plusieurs fois qu’il y ait eu des dépassements qui ont toujours été régularisés par des avenants, et qu’elle n’a pas compris que pour les derniers travaux effectués E.BETI se soit rétractée pour réfuter la créance qu’elle détenait sur elle;
Qu’elle a rejeté la démarche de E. BETI tendant à faire croire que tout s’est déroulé dans le cadre des 3 contrats, certains travaux ont été effectués et réglés alors qu’ils ne figuraient point sur les avenants, ce qui prouve que leurs relations ont toujours débordé du cadre contractuel;
Qu’elle a, discutant les pièces mêmes du dossier présenté par E.BETI, relevé que certaines des pièces étaient fausses et que d’autres étaient incohérentes;
Qu’il en est par exemple ainsi des factures 044/99 et 005/99 du 04 mai 1999 par lesquelles E. BETI prétend procéder à un règlement de 60 millions sur la base de factures avec comme désignation « avenant à venir » au lieu de viser l’avenant déjà signé, ce qui est en contradiction avec la logique contractuelle, puisque cela signifie clairement que la déclaration visait un avenant qui à la date des factures, n’était pas encore signé par les parties mais était tout simplement convenu;
Que la Société SETTI a relevé d’autres anomalies notamment la facture d’avance de démarrage n° 001/98 d’un montant de 70 millions établie le 15 octobre 1998 qui aurait été payée par un virement de 5 millions seulement et daté du 09 septembre 1998 soit 45 jours avant l’établissement de ladite facture, ce qui défie le bon sens;
Qu’elle a d’autre part fait plaider avoir toujours exécuté correctement les travaux ainsi qu’en font foi les comptes rendus des 27 août et des mois de novembre et décembre que la Société BETI remettait à la SAGEM de sorte qu’au total les sommes réclamées et qui ont justifié la saisie conservatoire étaient parfaitement dues au point d’ailleurs que E.BETI a saisi le Tribunal Régional de Dakar d’une demande de reddition de compte relativement à ses relations avec SETTI, ce qui atteste encore une fois du principe de créance;
Qu’elle a enfin soutenu que E. BETI espérait que le juge se précipiterait pour lever la saisie ce qui lui aurait permis de jouir en toute tranquillité du reliquat des paiements de prestations accomplies par SETTI et qui se trouve entre les mains de la SAGEM;
Qu’elle a expliqué que Monsieur SANCHEZ était un délinquant financier qui a déjà été condamné par le Tribunal de Créteil en France et qu’en conséquence il était loin d’être de bonne foi;
SUR CE :
1° SUR L’EXCEPTION D’INCOMPETENCE :
considérant que pour soutenir l’exception d’incompétence des juridictions sénégalaises la Société E. BETI s’est fondée sur l’article 18 du contrat du 12 octobre 1998 qui contenait une clause compromissoire;
Mais considérant qu’il est de règle que la clause compromissoire ne saurait concerner le juge des référés statuant en urgence, à fortiori sur simple requête en saisie conservatoire puisqu’en aucun cas il n’y est préjudicié au fond;
Que cette règle est d’autant plus pertinente qu’en réalité la volonté commune des parties à une clause compromissoire a toujours été de faire interpréter leur commune intention, leur volonté contractuelle par un juge qu’elles auront d’un commun accord choisi;
Que tel n’est pas le cas quand il s’agit de statuer en urgence sur une question de forme ou une obligation de faire;
Qu’il échet en conséquence de rejeter l’exception comme mal fondée;
2°) SUR LA MAIN LEVEE DE LA SAISIE :
considérant qu’aux termes des articles 54 et suivants de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, tout créancier « justifiant d’une créance paraissant fondée en son principe » peut être autorisé à saisir conservatoirement les meubles appartenant à son débiteur;
Considérant qu’en l’espèce et sans qu’il soit besoin de revenir sur l’historique et l’enchevêtrement des relations entre la Société E. BETI et la Société SETTI, il résulte incontestablement des pièces de la procédure que les relations entre les 2 parties ont constamment déborde du cadre contractuel;
Que cette seule constatation faite par le premier juge et tirée aussi bien de l’avenant du 19 mai 1999 que de la lettre du 22 juillet 1999 desquelles il résultait que des travaux supplémentaires avaient été exécutés en dehors du cadre contractuel suffisait à satisfaire aux vœux des articles 54 et suivants précités;
Qu’il n’est pas sans intérêt de rappeler que le juge doit chercher l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et non un principe certain de créance (cass. Civ.12 décembre 1984, Bull Civ.84 n° 195 voir cf Civ. 13 octobre 1982 Bulle Civ 1982 n° 123);
Que toute l’argumentation de la Société E. BETI repose sur l’inexistence d’un principe certain de créance puisqu’elle dénie à l’intimée toute possibilité de se prévaloir d’une créance autre que contractuelle, ce qui à l’évidence n’est pas la condition exigée par l'article 54 de l’OHADA sus – visé pour qu’un créancier puisse se faire autoriser à pratiquer une saisie- arrêt;
Considérant qu’au total il y a lieu, après avoir constaté que les travaux exécutés même dans le cadre des 3 contrats dont se prévaut l’appelant, excédaient les termes convenus entre les parties, que la Société SETTI justifie amplement d’une créance paraissant fondée en son principe et ce alors surtout qu’aucun décompte final n’a été arrêté entre les parties et qu’au contraire la Société E. BETI elle même a saisi le juge du fond d’une demande de reddition des comptes;
Qu’il échet en conséquence de confirmer l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile, en appel et en dernier ressort;
Déclare recevable en la forme l’appel interjeté par la société E. BETI;
AU FOND :
Le déclarer mal fondé
Confirme en conséquence l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions;
Condamne l’appelante aux dépens;
AINSI fait jugé et prononcé publiquement par la Cour d’Appel de Dakar, Chambre Civile et Commerciale en son audience publique et ordinaire du 23 juin 2000 séant au Palais de Justice de ladite ville Bloc des madeleines à laquelle siégeaient Monsieur Mouhamadou SDIAWARA, Président, Messieurs Cheikh NDIAYE & Mamadou DEME, Conseillers et avec l’assistance de Maître Papa NDIAYE, Greffier.
ET ONT SIGNE LE LPRESENT ARRET
LE LPRESIDENT ET LEGREFFIR ./.
Observations par Ndiaw DIOUF,
Agrégé des Facultés de droit,
Directeur du Centre de Recherche, d’Etude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines (CREDILA),
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’UCAD
Dans les dispositions générales applicables à toues les voies d’exécution, les rédacteurs de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution subordonnent le déclenchement de la procédure à la justification d’une créance certaine, liquide et exigible. Cette exigence ne vaut cependant que les mesures d’exécution proprement dites. Pour les mesures conservatoires il suffit d’une créance paraissant fondée dans son principe. C’est ce que rappelle la Cour d’Appel de Dakar dans l’arrêt ci-dessus reproduit.
Cet arrêt a été rendu dans une affaire où une société sénégalaise (la SONATEL) avait confié un marché à une société française (la SAGEM) qui l’a sous-traité à une autre société française (E.BETI) laquelle a fait réaliser les travaux par une société sénégalaise (SETTI).
Dans l’exécution des travaux, il arrivait souvent qu’il y ait des dépassements; ceux-ci étaient toujours régularisés par des avenants jusqu’au jour où l’une des deux sociétés sous- traitantes la société française (E.BETI) a refusé de régler des travaux effectués en dépassement. L’autre société sous-traitante la société sénégalaise (SETTI) ayant obtenu une ordonnance autorisant une saisie conservatoire, le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar (le Président ?) a été saisi d’une demande tendant à la rétractation de l’ordonnance et à la mainlevée de la saisie conservatoire qui avait été pratiquée. C’est la décision de rejet rendue par le Tribunal Régional qui a été attaquée devant la Cour d’Appel. Pour confirmer l’ordonnance, la Cour d’Appel a rappelé que pour autoriser une saisie conservatoire, le juge doit rechercher l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et non un principe certain de créance.
Avant de statuer sur cette question de fond, la Cour d’Appel a eu à se prononcer sur la question de la compétence des juridictions sénégalaises soulevée par la société E.BETTI. S’appuyant sur une clause prévoyant que « tous différends résultant du présent contrat que les parties n’arrivent pas à résoudre à l’amiable seront soumis aux tribunaux compétents de Paris », cette société a demandé à la Cour de juger que les juridictions sénégalaises sont incompétentes. La Cour a écarté ce moyen aux motifs que « la clause compromissoire ne saurait concerner le juge des référés statuant en urgence, a fortiori sur simple requête en saisie conservatoire puisqu’en aucun cas il n' y est préjudice au fond ». Cette analyse procède d’une confusion. La Cour d’Appel confond en effet clause compromissoire et clause attributive de compétence; or les deux notions doivent être soigneusement distinguées.
La clause compromissoire est la clause par laquelle des parties à un contrat s’engagent à soumettre les litiges pouvant résulter de l’exécution de ce contrat à des arbitres. En ce qui concerne la clause attributive de compétence, on peut la définir comme la clause par laquelle les parties s’engagent, par un apport exprès avant tout litige, à soumettre à une juridiction étatique, une question à l’égard de laquelle elle n’est pas normalement compétente par l’applications des règles légales; par cette clause, il y a une prorogation conventionnelle de la compétence d’une juridiction. En l’espèce il s’agissait d’un prorogation conventionnelle de compétence internationale.