J-03-190
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA) – compétence – interprétation d’une disposition du code de procédure civile ivoirien – affaires soulevant des questions relatives à l’application des actes uniformes (non) – Incompétence.
La CCJA étant compétente pour connaître des recours en cassation contre les décisions rendues par les juridictions nationales des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes Uniformes, les conditions de cette compétence ne sont pas réunies, dès lors que le moyen de cassation est la violation ou l’interprétation de l’article 214 du code de procédure civile ivoirien, et l’arrêt attaqué ayant confirmé une ordonnance d’expulsion d’un immeuble à usage d’habitation.
Par conséquent, en application de l’article 14 al.3 et 4, la CCJA doit se déclarer incompétente.
[CCJA, arrêt n° 004/2003 du 27 mars 2003 (F.M.C. / P.B.), Le Juris-Ohada, n°2/2003, avril-juin 2003, p. 1, note anonyme .- Recueil de jurisprudence CCJA, n° 1, janvier-juin 2003, p. 10].
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a rendu l'Arrêt suivant en son audience publique du 27 mars 2003, où étaient présents :
Messieurs Seydou BA, Président
Jacques M'BOSSO, Premier Vice-président, rapporteur,
Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-Président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge
Maïnassara MAIDAGI, Juge
Boubacar DICKO, Juge
Et Maître Pascal Edouard NGANGA, Greffier en chef.
Sur le renvoi en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique devant la Cour de céans, de l’affaire F. contre P. par Arrêt N° 699/01 du 13 décembre 2001 de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, Chambre Judiciaire saisie d’un pourvoi formé le 11 mai 2001 par exploit de Maître Tiacoh Teko, Huissier de justice à Abidjan, agissant au nom et pour le compte de F., de nationalité malienne, commerçant demeurant à Abidjan, 03 BP 334 Abidjan 03, ayant pour Conseil Maître Cyprien F. Koffi Hounkanrin, Avocat près la Cour d’Appel d’Abidjan, dans la cause opposant celui-ci à P., Directeur de société demeurant à Abidjan-Attécoubé, ayant pour Conseil Maître Charles K. Kignima, Avocat près la Cour d’Appel d’Abidjan, en cassation de l’arrêt n° 35 rendu le 09 janvier 2001 par la Cour d’Appel d’Abidjan, et dont le dispositif est le suivant :
« EN LA FORME :
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort;
– Reçoit P. en son appel relevé de l'ordonnance de référé N° 3856 du 06/10/2000 par le Tribunal de première instance d'Abidjan;
AU FOND :
– L'y dit bien fondé;
– Infirme l'ordonnance attaquée;
Statuant à nouveau :
– Déboute F. de sa demande et le condamne aux dépens »;
Le requérant invoque à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation tel qu'il figure à la requête annexée au présent arrêt;
SUR LE RAPPORT DE MONSIEUR JACQUES M'BOSSO, PREMIER VICE-PRÉSIDENT :
Vu les dispositions des articles 14 et 15 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il résulte de l'examen des pièces du dossier de la procédure, que par jugement n° 5 rendu le 08 janvier 1996 par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan, la Société Générale de Banque en Côte d'Ivoire dite SGBCI, a été déclarée adjudicataire d'un immeuble sis à Attécoubé, objet du titre foncier n° 14666 de la circonscription de Bingerville, au nom de S.; que celui-ci étant décédé entre temps, ses ayants droits, au nombre desquels figure P., défendeur au pourvoi, avaient saisi le Tribunal de Première Instance d'Abidjan d'un recours en annulation dudit jugement, recours déclaré irrecevable par le jugement N° 524 du 19 décembre 1997 et confirmé par arrêt N° 208 du 11 février 2000 de la Cour d'appel d'Abidjan; que la SGBCI, adjudicataire de l'immeuble objet de la saisie, a cédé la pleine propriété de celui-ci à F., par acte notarié des 28 mai et 4 octobre 1999; que c'est ainsi que F. a entamé des démarches auprès de P., qui occupe l'immeuble en vue de prendre possession de son bien; que n'ayant pu réussir à le faire, F. a saisi le Juge des référés d'une action en expulsion contre P.; que par ordonnance N° 3856 du 6 octobre 2000, le Juge des référés a fait droit à la demande de F., en ordonnant l'expulsion de P., tant de sa personne que de ses biens, ainsi que tous occupants de son chef; qu'en date du 06 novembre 2000, P. a relevé appel de ladite ordonnance devant la Cour d'Appel d'Abidjan; que celle-ci, après avoir considéré qu’ « il s'infère des écritures des parties, que F. s'accorde avec l'appelant pour reconnaître que son droit sur l'immeuble litigieux découle du jugement d'adjudication qui a servi de base à l'acte notarié des 28 mai et 4 octobre 1999 », et que « suivant l'article 214 du Code de procédure civile, les recours en cassation sont suspensifs en matière d'immatriculation foncière et d'expropriation forcée », a infirmé l'ordonnance entreprise par l'arrêt n° 35 du 09 janvier 2001; que par exploit en date du 11 mai 2001 de. Maître TIACOH TEKO, Huissier de Justice, F. a formé pourvoi en cassation contre l'arrêt précité de la Cour d'Appel d'Abidjan.
SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR :
Vu l'article 14 alinéas 3 et 4 du Traité susvisé;
Attendu qu'il est reproché à l’arrêt attaqué, "une violation de la loi ou erreur dans l'application ou l'interprétation de la loi, en ce que la Cour d'Appel, faisant application de l'article 214 nouveau du Code de procédure civile, a estimé que le droit du sieur F. découle du jugement d'adjudication du 1er décembre 1997, qui a servi de base à l'acte notarié des 28 mai et 4 octobre 1999, et que dans ces conditions, la décision d'expulsion doit être infirmée en attendant que la Cour Suprême vide sa saisine sur le pourvoi formé par P. contre un arrêt qui a déclaré les ayants droits du débiteur saisi, dont le sieur P., irrecevables en leur action exercée contre le jugement d'adjudication du 8 janvier 1996..", alors que, selon le moyen, il est établi que la vente de l'immeuble dont s'est prévalu le sieur F. devant le Tribunal, est intervenue après l'expiration du délai de 10 jours prévu par l'article 287 du Traité OHADA sur les procédures de recouvrement simplifié des créances civiles et des voies d'exécution, pour surenchérir; que le droit du sieur F. sur les lieux litigieux ne souffrant d'aucune contestation, le Juge des référés ne pouvait, en aucun cas, remettre en cause les effets de l'acte notarié consacrant ce droit, en fondant sa conviction sur l'existence d'une procédure devant la Cour Suprême, concernant la nullité du jugement d'adjudication, alors surtout que le demandeur au pourvoi n'a jamais été partie à ce procès; que dans ces conditions, l'article 214 nouveau du Code de Procédure civile, qui a servi de base à l’arrêt incriminé, ne saurait s'appliquer en l'espèce, puisque la décision frappée de pourvoi en cassation dont la cause est actuellement pendante devant la Haute juridiction, ne concerne pas le sieur F.; qu'il y a incontestablement erreur dans l'application dudit texte, de sorte que la décision entreprise encourt cassation;
Attendu que pour statuer comme elle l’a fait, la Cour d'Appel d'Abidjan a considéré qu'il s'infère des écritures des parties, que F. s'accorde avec l’appelant pour reconnaître que son droit sur l'immeuble litigieux découle du jugement d'adjudication qui a servi de base à l'acte notarié des 28 mai et 4 octobre 1999; que suivant l'article 214 du Code ivoirien de procédure civile, les recours en cassation sont suspensifs en matière d'immatriculation foncière et d'expropriation forcée, et qu'il suit donc de ce qui précède, que la présente décision d'expulsion doit être infirmée en attendant que la Cour Suprême vide sa saisine;
Attendu que l'article 14 al. 3 et 4 du Traité susvisé, qui détermine la compétence de la Cour de céans en matière contentieuse, dispose que : « saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d'appel des Etats parties, dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des Actes uniformes et des Règlements prévus au présent Traité, à l'exception des décisions appliquant des sanctions pénales.
Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d'appel, rendues par toute juridiction des Etats parties dans les mêmes contentieux »;
Attendu qu'il découle aussi bien de la motivation de l'Arrêt de la Cour d'Appel d'Abidjan que de l'énoncé ci-dessus par le requérant, de son unique moyen de cassation, que la loi dont la violation ou l'interprétation erronée est reprochée à l'arrêt attaqué, est bien l'article 214 nouveau du Code ivoirien de procédure civile; que l'évocation par le requérant de l'article 287 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution dans l'argumentaire accompagnant l'exposé de son moyen de cassation, ne saurait changer ni le sens, ni la motivation susmentionnés de l'arrêt attaqué, lequel a infirmé une ordonnance d'expulsion d'un immeuble à usage d'habitation; qu'il s'ensuit que les conditions de compétence de la Cour de céans, telles qu'énoncées par l'article 14 susmentionné, ne sont pas réunies, et qu'il échet en conséquence, nonobstant l’arrêt de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire, qui ne lie pas la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, de se déclarer incompétent et de renvoyer à ladite Cour Suprême, l'affaire, pour qu'il y soit statué;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré :
– Se déclare incompétente et renvoie l'affaire devant la Cour Suprême de Côte d'Ivoire;
Président : M. Seydou BA.
Note
La CCJA était-elle compétente pour connaître du litige à elle soumis ? Autrement dit, les conditions de sa compétence étaient-elles réunies, conformément à l'article 14 alinéas 3 et 4 du Traité, le recours étant formé contre une ordonnance d'expulsion d'un immeuble à usage d'habitation ? Le bail d'habitation ne faisant pas partie des baux réglementés par le droit OHADA, l'ordonnance attaquée ne soulève donc pas de questions relatives à l'application d'un Acte uniforme (cf. CA Abidjan, arrêt n° 374 du 07 octobre 2000,Juris OHADA n° 4/02 p.73, Ohadata J-03-74).
Le moyen étant tiré de la violation de l'article 214 c. pr. civ. ivoirien, c'est tout naturellement que la CCJA renvoie à la Cour Suprême de Côte d'Ivoire l'affaire, après s'être déclarée incompétente (sur la compétence de la CCJA, V. Ohadata D-03-19).