J-03-192
droit commercial général – bail commercial – non paiement de loyer – expulsion – procédure – observation – commandement – signification à mairie – régularité (oui).
bail commercial – arriérés de loyer – paiement entre les mains de l’administration fiscale – libération du locataire – conditions – effectivité des paiements de loyers réguliers – existence d’arriérés de loyer – libération (non).
La procédure d’expulsion suivie par le bailleur est régulière, dès lors que par acte extra judiciaire reproduisant les termes de l’article 101 de l’Acte Uniforme portant Droit Commercial Général, un commandement d’avoir à payer la somme représentant les loyers échus et impayés, a été servi au locataire et que, suite aux diligences infructueuses constatées, ledit acte a été signifié à mairie, conformément à l’article 251 du Code ivoirien de procédure civile.
Les paiements effectués entre les mains de l’Administration fiscale, en exécution de l’avis à tiers détenteur, ne libère le débiteur à l’égard du créancier, qu’à condition qu’ils concernent des loyers réguliers. Il en va autrement, et le débiteur reste tenu, lorsqu’il reste devoir des arriérés après les paiements.
[CCJA, arrêt n° 006/2003 du 24 avril 2003 (BICICI c/ D.M. et BDM et fils), Le Juris-Ohada, n°2-2003, avril-juin 2003, p.17, note anonyme.- Recueil de jurisprudence CJJA, n° 1, janvier-juin 2003, p. 25].
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a rendu l'Arrêt suivant en son audience publique du 24 avril 2003, où étaient présents :
Messieurs Seydou BA, Président
Jacques M'BOSSO, Premier Vice-président, rapporteur
Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-Président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge
Maïnassara MAIDAGI, Juge
Boubacar DICKO, Juge Rapporteur
Et Maître Pascal Edouard NGANGA, Greffier en chef.
Sur le renvoi en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans, de l’affaire K.F. contre K.A., par arrêt N° 610/01 en date du 14 novembre 2001 de la Cour Suprême, Chambre Judiciaire, Formation Civile de Côte d’Ivoire, saisie d’un pourvoi formé le 14 avril 1999 par la SCPA TRAORE-BEUGRE, Avocats à la Cour, demeurant à Abidjan Plateau, avenue Chardy, rue Gourgas, immeuble Alpha 2000, 5ème étage – porte 16, 14 BP 400 Abidjan 14, agissant au nom et pour le compte de Madame K.F., enregistré sous le n° 99-191.Civ. du 14 avril 1999 contre l’arrêt N° 342 rendu le 23 mars 1999 par la 4ème Chambre Civile B de la Cour d’Appel d’Abidjan, dont le dispositif est le suivant :
Statuant publiquement et contradictoirement en matière civile et commerciale, et en dernier ressort :
EN LA FORME :
– Reçoit KONE Fatoumata en son appel;
AU FOND :
– L'y dit mal fondée, l’en déboute;
– Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise;
– La condamne aux dépens »;
La requérante invoque à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation tels qu'ils figurent a la requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur le juge Boubacar DICKO :
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure que, par contrat de bail en date des 22 mars et 02 juillet 1996 passé en l'Etude de Maître YEBOUE-KOUAME K. Venance, Notaire à Abidjan, Monsieur K.A. a donné à bail à Madame K.F., un immeuble commercial à usage d'hôtel dénommé Hibiscus; qu'il résulte notamment dudit contrat, d'une part, que « le bail est consenti et accepté pour une durée de trois, six ou neuf années entières et consécutives, qui commence à courir le 1er octobre 1996 pour se terminer le 30 septembre 1999, 2002 ou 2005; ledit bail étant résiliable à l'expiration de chacune des périodes triennales, à charge par le preneur de prévenir le bailleur six mois à l'avance, et par acte extrajudiciaire, dans les conditions prévues à l'article 5 de la loi du 13 septembre 1980 »; que, d'autre part, « le bail est consenti et accepté moyennant un loyer annuel de six millions de FCFA.., et à défaut de paiement d'un seul terme de loyer ou de charge, à son échéance, ou d'inexécution d'une quelconque des clauses et conditions du bail, le contrat sera résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, et sans formalités judiciaires, un mois après un commandement de payer ou de remplir les conditions du bail, par acte extrajudiciaire, annonçant la volonté du bailleur d'user du bénéfice de cette clause, et demeurée sans effet, quelle que soit la cause de cette carence, et nonobstant toutes consignations ultérieures; l'expulsion sera prononcée par simple ordonnance de référé, le tout sans préjudice de tous dommages et intérêts.. »;
Que cependant, dans le cadre contractuel sus-énoncé, les deux parties virent leurs relations se détériorer; le bailleur reprochant au preneur des arriérés de loyers d'un montant de 21.600.000 FCFA représentant, selon lui, 25 mois de loyers échus et impayés; le preneur, pour sa part, soutenant au contraire ne rien devoir, aux motifs que l'Administration fiscale lui avait adressé le 31 juillet 1996, un avis à tiers détenteur en exécution duquel il était tenu de reverser à celle-ci, les loyers, en vue d'apurer le passif d'impôts fonciers impayés afférents à l'immeuble objet du bail, lesquels s'élèveraient à 90.780.329 FCFA;
Que par requête en date du 15 décembre 1999, Monsieur K.A. assignait en référé expulsion, Madame K.F et, par ordonnance de référé N° 5831 rendue le 30 décembre 1998, le Juge des référés du Tribunal de Première Instance d'Abidjan ordonnait l'expulsion de Madame K., aux motifs que « la défenderesse ne fait pas la preuve qu'elle s'est acquittée des sommes qui lui sont réclamées » et « qu'elle reste devoir à Monsieur K.A., la somme de 21.600.000 FCFA, représentant 25 mois de loyers échus »;
Que par exploit en date du 25 février 1999, Madame K.F. relevait appel de l’ordonnance de référé précitée, et la Cour d’Appel d'Abidjan rendait l'arrêt confirmatif n° 342 du 23 mars 1999 objet du présent recours en cassation;
Sur l'exception de communication de pièces soulevée par le défendeur au pourvoi :
Attendu que dans son mémoire en date du 06 juillet 1999 adressé à la Cour Suprême
de Côte d'Ivoire, Monsieur K.A., défendeur au pourvoi, a, in limine litis, soulevé une
exception de communication de pièces aux motifs, selon lui, que dans l'exploit de pourvoi en
date du 13 avril 1999, Madame K.F., demanderesse au pourvoi, a fait référence à une série
de pièces qui ne lui ont pas été communiquées; que c'est le cas d'une pièce, dont il ignorait
l'existence et qu'il n'a jamais approuvée, faisant état d'un investissement d'environ 90.000.000 FCFA qu'elle aurait réalisé dans l'immeuble donné à bail; que dès lors, en
application de l'article 120 du Code ivoirien de procédure civile, commerciale et
administrative, il sollicite de la Cour de céans, d'écarter purement et simplement des débats,
l'ensemble des pièces déposées par la demanderesse au pourvoi, laquelle le met dans
l'impossibilité de se défendre efficacement, l'authenticité desdites pièces ne pouvant être
vérifiée;
Mais attendu qu'il n'est nullement fait état dans le présent recours en cassation, desdites pièces qui n'auraient pas été communiquées; que Madame K. F., pour contester l'expulsion prononcée contre elle, se fonde exclusivement sur des pièces établies par l'Administration fiscale; que dès lors, l'exception de communication de pièces soulevée par le défendeur au pourvoi n'est pas fondée, et il y a lieu de la rejeter;
Sur le premier moyen
Attendu que le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué, d'avoir violé l'article 101 de l'Acte uniforme portant sur le droit commercial général, ou commis une erreur dans son application ou son interprétation, en ce que la Cour d’Appel a confirmé l’ordonnance d'expulsion n° 5831 du 30 décembre 1998 en toutes ses dispositions, alors que les règles élémentaires de procédure n'ont pas été respectées; qu'en effet, selon le moyen, « force est de constater que ce n'est qu'après l’ordonnance d'expulsion N° 5831 du 30 décembre 1998, frappée d'appel et en cours d'appel, que Monsieur K. A. a produit au dossier de la Cour, un commandement de payer en date du 09 novembre 1998 servi à mairie; qu'en délivrant aussi bien le prétendu commandement de payer que l'assignation en expulsion à la mairie, alors que le défendeur connaît non seulement le domicile réel de la demanderesse au pourvoi, mais aussi son domicile professionnel, à savoir l'hôtel Hibiscus, propriété des KINDA, l'intention malveillante était de laisser Madame K. F. dans l'ignorance de la procédure diligentée contre elle, de manière à l'empêcher d'assurer valablement sa défense, ce que n'admet pas le système judiciaire du contradictoire; de sorte qu'une décision obtenue en violation des droits élémentaires de la défense ne peut être qualifiée que d'illégale »;
Mais attendu que l'article 101 de l'Acte uniforme portant sur le droit commercial général dispose qu' « à défaut de paiement du loyer ou en cas d'inexécution d'une clause du bail, le bailleur pourra demander à la juridiction compétente, la résiliation du bail et l'expulsion du preneur, et de tous occupants de son chef, après avoir fait délivrer, par acte extrajudiciaire, une mise en demeure d'avoir à respecter les clauses et conditions du bail;
Cette mise en demeure doit reproduire, sous peine de nullité, les termes du présent article, et informer le preneur qu'à défaut de paiement ou de respect des clauses et conditions du bail dans un délai d'un mois, la résiliation sera poursuivie.. »;
Attendu en l'espèce, qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure, que par acte
extrajudiciaire en date du 09 novembre 1998 reproduisant les termes de l'article 101 de
l'Acte uniforme portant sur le droit commercial général, un commandement « d'avoir dans un
délai de un (01) mois, .. à payer.. la somme en principal de 20.100.000 FCFA,
représentant les loyers échus et impayés de la période d'août 1996 à novembre 1998, soit
24 mois.. », a été servi par le bailleur à la requérante, préalablement à l'assignation en
référé expulsion en date du 15 décembre 1998 de celle-ci; que la requérante, sans préciser
en quoi la disposition sus-énoncée a été violée, se borne à déplorer le mode de remise dudit
acte qui a été faite à la mairie, alors que la signification à mairie est prévue à l'article 251 du
Code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative; que c'est suite aux
diligences infructueuses constatées lors de la remise de « l'exploit contenant sommation de
payer » à la personne même de la requérante, que l'huissier instrumentaire a procédé comme
il l'a fait et a avisé l'intéressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception,
conformément aux prescriptions de l'article précité; que, dès lors, la procédure ainsi suivie est
régulière et l'article 101 de l'Acte uniforme portant sur le droit commercial général n'ayant
nullement été violé, le moyen doit en conséquence être rejeté;
Sur le second moyen
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt attaqué, un défaut de base légale résultant de l'absence, de l'insuffisance, de l'obscurité ou de la contrariété des motifs, en ce que pour statuer comme elle l'a fait, la Cour d’Appel a ignoré les pièces relatives aux paiements effectués par Madame K. F. entre les mains de l'Administration fiscale, en exécution de l'avis à tiers détenteur que celle-ci lui avait adressé, et s'est bornée à reproduire, de plano, les moyens développés par Monsieur K. A., alors que selon la comptabilité de Madame K.F., les loyers ont été régulièrement versés à l'Administration fiscale, de sorte qu'il est inexplicable qu'elle se retrouve encore avec des arriérés de loyers; que face à « cette situation regrettable et confuse », il y a manifestement compte à faire, et eu égard à l'existence de l'avis à tiers détenteur, la Cour d’Appel ne pouvait pas confirmer l'ordonnance expulsant Madame K. F.; qu'en le faisant, sa décision mérite d'être cassée et annulée;
Mais attendu que la Cour d'Appel, après avoir relevé que « s'il est exact que les paiements effectués entre les mains de l'Administration fiscale, libèrent le débiteur à l'égard de son créancier, encore faut-il que ces paiements soient effectifs, et dans le cas de loyers réguliers », a conclu que la requérante « ne s'est acquittée que des loyers des mois d'octobre, novembre et décembre 1996, juillet, août, septembre, octobre, novembre, décembre 1998 et janvier 1999 », et qu' « elle reste devoir encore 19 mois de loyer »; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d’Appel a souverainement apprécié les pièces produites et n'a pu ignorer celles relatives aux paiements effectués par la requérante entre les mains de l'Administration fiscale; qu'il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé et doit également être rejeté;
Attendu que la requérante ayant succombé, il échet de la condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré :
– Rejette l’exception de communication de pièces soulevée par le défendeur au pourvoi;
– Rejette le pourvoi.
– Président : M. Seydou BA.
Note
En matière de bail commercial, l’expulsion du locataire qui ne paie pas les loyers est subordonnée au respect de la procédure édictée par l’article 101 de l’Acte uniforme portant Droit Commercial Général. Elle doit, notamment, être précédée d’une mise en demeure.
C’est ce que rappelle fort utilement la CCJA.
Les formalités ayant été respectées, la procédure est régulière.
Par ailleurs, une autre question s’est posée à la CCJA : celle de savoir si le paiement fait par le locataire entre les mains de l’Administration fiscale, en exécution d’un avis à tiers détenteur, le libère à l’égard de son créancier, le bailleur.
La CCJA a répondu par l’affirmative. Toutefois, il faut que les paiements soient effectifs, et dans le cas de loyers réguliers. De sorte que si le locataire reste devoir des loyers, le paiement effectué entre les mains de l’Administration fiscale ne le libère pas.
Il en est ainsi lorsque, après paiement, le locataire reste devoir des arriérés de loyer.