J-03-193
recouvrement de créance – INJONCTION DE PAYER – caractère certain, liquide et exigible de la créance.
Est certaine, liquide et exigible, une créance résultant de la convention des parties, s’élevant à 30 % du chiffre d’affaires et payable à une date déterminée et reconnue par le débiteur.
En conséquence, c’est à bon droit que le créancier demande son recouvrement suivant la procédure d’injonction de payer.
En décidant le contraire, la Cour d’Appel a fait une mauvaise application de l’article 1er de l’Acte Uniforme relatif au recouvrement de créance, et sa décision encourt la cassation.
[CCJA, arrêt n° 007/2003 du 24 avril 2003 (Sté Côte d’Ivoire TELECOM c/ Sté PUBLISTAR), Le Juris-Ohada, n° 2/2003, avril-juin 2003, p.21, note anonyme. – Recueil de jurisprudence CCJA, n° 1, janvier-juin 2003, p. 45].
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a rendu l'Arrêt suivant en son audience publique du 24 avril 2003, où étaient présents :
Messieurs Seydou BA, Président
Jacques M'BOSSO, Premier Vice-président, rapporteur
Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-Président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge Rapporteur
Maïnassara MAIDAGI, Juge
Boubacar DICKO, Juge
Et Maître Pascal Edouard NGANGA, Greffier en chef.
Sur le pourvoi en date du 18 février 2002, enregistré à la Cour de céans le même jour sous le N° 009/2002/PC, formé par Maître BOKOLA Lydie Chantal, Avocat à la Cour, y demeurant 15, avenue Docteur Crozet, immeuble SCIA N° 09, 2ème étage – porte 20, 01 BP 2722 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de la société Côte d’Ivoire TELECOM, société anonyme, dans une cause l’opposant à la société PUBLISTAR, ayant pour Conseils Maîtres TAKORE et Associés, Avocats à la Cour, en cassation de l’arrêt N° 1062 du 27 juillet 2001 rendu en matière civile et commerciale, par la Cour d’Appel d’Abidjan, République de Côte d’Ivoire, dont le dispositif est le suivant :
EN LA FORME :
– Déclare la société PUBLISTAR recevable en son appel;
AU FOND :
– L'y dit bien fondée;
– Infirme le jugement entrepris; et statuant à nouveau :
– Rétracte l’ordonnance d’injonction de payer N° 4133 du 12 juin 1999;
– Condamne CI-TELECOM aux dépens »;
La requérante invoque à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation tels qu'ils figurent a la requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur le juge Doumssinrinmbaye BAHDJE :
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure, qu'au cours de l'année 1995, la société Côte d'Ivoire TELECOM et la société PUBLISTAR avaient signé un protocole d’accord portant sur l'édition d'annuaires; que selon la convention des parties, la société PUBLISTAR était le régisseur publicitaire exclusif de Côte d'Ivoire TELECOM pour l'annuaire téléphonique de 1995 à 1998; que le contrat conclu avait prévu que PUBLISTAR verserait 25% hors taxes de son chiffre d'affaires à la fin de chaque exercice comptable, à Côte d'Ivoire TELECOM; que, plus tard, ce taux fut porté à 30 % par un avenant; que l'exécution de ce contrat s'étant heurtée à des difficultés et les parties n'ayant pas réussi un arrangement amiable, Côte d'Ivoire TELECOM avait saisi la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, d'une requête aux fins d'injonction de payer; que le 12 juin 1999, PUBLISTAR fut condamnée par ordonnance n° 4133/99, à verser à la requérante, la somme de 124.697.221 FCFA; que ladite ordonnance a été signifiée le 15 juillet 1999 à PUBLISTAR, qui a formé opposition le 29 juillet 1999; que par jugement n° 83/Civ/B2 du 19 juin 2000, le Tribunal de Première Instance d'Abidjan a confirmé l'ordonnance n° 4133/99; que le 17 juillet 2000, PUBLISTAR a interjeté appel du jugement susmentionné; que la Cour d'Appel d'Abidjan, par arrêt n° 1062 du 27 juillet 2001, dont pourvoi, a infirmé ledit jugement;
Sur le second moyen
Vu l'article 1er de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d'exécution;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué, de s'être fondé sur une prétendue inexécution par la requérante, de ses obligations, pour retenir que la créance de celle-ci ne serait pas certaine, alors même, selon le moyen, qu'il existait un contrat conclu entre les parties et que la défenderesse refusait de payer sa dette qu'elle avait reconnue, et faisait des propositions en vue de son apurement pendant que l'affaire était pendante devant la Cour d'Appel;
Attendu qu'aux termes de l'article 1er de l'Acte Uniforme susvisé, « le recouvrement d'une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d'injonction de payer »;
Attendu qu'en l'espèce, l'examen des pièces du dossier de la procédure révèle que la créance de la requérante sur la défenderesse résulte d'un contrat prévoyant que la défenderesse remettra à la fin de chaque exercice comptable, la photocopie de tous les contrats signés par les différents annonceurs, et s'engage à verser 30 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé à Côte d'Ivoire TELECOM; que la date d'exigibilité de la créance de Côte d'Ivoire TELECOM était le 30 septembre 1998; qu'à la date d'introduction de la procédure d'injonction de payer, soit le 28 mai 1999, la créance de Côte d'Ivoire TELECOM était certaine et exigible;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède, que la Cour d'Appel, en estimant que la créance ne pouvait pas être poursuivie par la voie de l'injonction de payer, au motif que celle-ci n'était ni certaine, ni exigible à cause d'une prétendue mauvaise exécution de ses obligations par Côte d'Ivoire TELECOM, a fait une mauvaise application de l'article 1er de l'Acte Uniforme susvisé; qu'en conséquence, il y a lieu de casser l'arrêt n° 1062 rendu le 27 juillet 2001 et d'évoquer, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur le premier moyen;
Sur l'évocation
Attendu que par exploit daté du 17 juillet 2000, la société PUBLISTAR a interjeté appel du jugement n° 483 en date du 19 juin 2000 du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, ayant confirmé l’ordonnance n° 4133/99 du Président de cette même juridiction et datée du 12 juin 1999, qui l'a condamnée à verser la somme de 124.697.221 FCFA à la société Côte d'Ivoire TELECOM; qu'elle expose que dans le courant de l'année 1995, elle a signé avec la société Côte d'Ivoire TELECOM, un protocole d'accord en vertu duquel elle devait rechercher des annonceurs publicitaires et vendre des espaces publicitaires dans l'annuaire téléphonique; qu'elle précise qu'il a été convenu que Côte d'Ivoire TELECOM percevrait 30 % du chiffre d'affaires, et que le contrat durerait trois années; qu'elle poursuit en indiquant que les deux premières années d'exécution du contrat se sont bien déroulées, tandis que la troisième année a été difficile, du fait de Côte d'Ivoire TELECOM elle-même qui, en ne faisant pas paraître son annuaire dans les délais, l'a empêchée de recouvrer les sommes dues par les annonceurs; que de surcroît, ajoute-t-elle, la société Côte d'Ivoire TELECOM, en retenant un nouveau régisseur, a accentué ses difficultés, compte tenu du départ de ses salariés et démarcheurs vers ce nouveau régisseur, la mettant ainsi dans une situation délicate relativement aux recouvrements; qu'elle fait valoir in limine litis au soutien de son appel, que la requête aux fins d'injonction de payer présentée par Côte d'Ivoire TELECOM est irrecevable pour violation de l'article 7 de la convention des parties, qui stipule qu'en cas de litige, celles-ci rechercheront un compromis amiable, avant toute action judiciaire; qu'elle explique qu'un compromis ne peut se concevoir sans que les parties n'aient soumis leur litige à un ou plusieurs arbitres; qu'en l'espèce, estime-t-elle, le litige n'ayant pas été soumis à un arbitre préalablement à l'action en justice, celle-ci est en conséquence irrecevable; que subsidiairement au fond, la société PUBLISTAR fait connaître qu'elle a indiqué à Côte d'Ivoire TELECOM, que les sommes annoncées étaient en cours de recouvrement et que les difficultés rencontrées étaient dues au retard accusé par la parution de l'annuaire et par le départ de ses employés vers le nouveau régisseur; qu'elle précise que l'état adressé à son adversaire n'est qu'un état prévisionnel, qui en aucune façon ne peut fonder une réclamation, puisque les sommes dues ne sont pas encore recouvrées; qu'elle estime en conséquence, que la créance n'est ni certaine en son quantum, ni liquide, ni exigible; qu'elle sollicite l'infirmation du jugement entrepris et la rétractation de l'ordonnance d'injonction de payer;
Attendu que pour sa part, la société Côte d'Ivoire TELECOM fait valoir relativement à l'exception d'irrecevabilité de sa requête, qu'un compromis, au sens de la loi du 09 août 1993 sur l'arbitrage, est la convention par laquelle les parties à un litige soumettent celui-ci à une ou plusieurs personnes; qu'elle indique que la clause de l'article 7 de la convention ayant été insérée bien avant la naissance du litige, elle ne saurait être analysée comme un compromis; qu'elle ajoute qu'il ne peut s'agir non plus d'une clause compromissoire, d'autant que ni l'objet du litige, ni les noms des arbitres ou les modalités de leur désignation ne sont mentionnés; qu'elle estime dès lors, que l'expression « compromis amiable » ne désigne que la recherche d'une solution amiable entre les parties, ce qu'elle a fait à travers ses différentes lettres de relance; que sur le fond, la société Côte d'Ivoire TELECOM soutient qu'il résulte de l'article 5 de la convention, que PUBLISTAR doit remettre à la fin de chaque exercice comptable, la photocopie de tous les contrats signés avec les différents annonceurs, et s'engage à lui verser 30 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé; qu'elle estime que le montant de la créance et le délai de paiement sont précisés par le contrat, de sorte que c'est à tort que la société PUBLISTAR élève des contestations; qu'elle précise par ailleurs, que les 30 % portent sur le chiffre d'affaires et non sur les recettes; qu'enfin, elle verse aux débats, une correspondance de PUBLISTAR en date du 02 novembre 2000, par laquelle celle-ci fait une offre de prestation de service pour apurer sa dette;
Attendu qu'en réplique, la société PUBLISTAR fait valoir que cette correspondance n'a été faite que parce qu'elle voulait renouer des relations commerciales avec Côte d'Ivoire TELECOM; qu'en tout état de cause, elle demande le rejet de cette pièce, estimant qu'il y a eu violation des règles régissant la profession d'avocat, en ce sens que le Conseil de Côte d'Ivoire TELECOM n'aurait pas dû traiter directement avec elle, mais avec son Conseil;
Sur la recevabilité de la requête
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment des copies des correspondances en date des 09/11/1998, 25/01/1999, 04/02/1999 et 17/02/1999 émanant de la défenderesse, qu'un « compromis amiable », tel qu'il résulte de l'accord des parties, a bien été recherché, mais a échoué; qu'il faut donc en conclure que le Premier Juge, en déclarant recevable la requête aux fins d'injonction de payer, a fait une saine appréciation des faits; que sa décision sur ce point doit être confirmée;
Sur la requête aux fins d'injonction de payer
Attendu qu'aux termes de l'article 1er de l'Acte uniforme portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, « le recouvrement d'une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d'injonction de payer »;
Attendu qu'il ressort du dossier, que la Société PUBLISTAR se reconnaît débitrice de
la Société Côte d'Ivoire TELECOM; que sa dette, qu'elle propose de payer, résulte de la convention des parties ayant prévu qu'elle devait verser 30 % de son chiffre d'affaires à la Société Côte d'Ivoire TELECOM à la fin de chaque exercice comptable; que la date d'exigibilité de la créance de Côte d'Ivoire TELECOM était le 30 septembre 1998; que le chiffre d'affaires, tel qu'il ressort des documents produits par elle, s'élève à 415.567.406 FCFA, dont 30 % soit 124.497.221 FCFA revenant à Société Côte d'Ivoire
TELECOM; que la créance de Côte d'Ivoire TELECOM est donc certaine, liquide et exigible; que le Premier Juge, en condamnant PUBLISTAR à verser cette somme à l'intimée, a fait une saine appréciation des faits; que sa décision doit être confirmée;
Attendu que la société PUBLISTAR ayant succombé, doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré :
– Casse l’arrêt N° 1062 rendu par la Cour d’Appel d’Abidjan le 27 juillet 2001;
Evoquant et statuant à nouveau :
– Rejette la fin de non-recevoir soulevée par PUBLISTAR;
– Confirme le jugement N° 483/Civ/B2 rendu le 29 juillet 1999 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
Président : M. Seydou BA.
Note
La créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement de l’Acte Uniforme portant recouvrement de créance, doit être certaine, liquide et exigible (ces caractères ont été déjà rappelés par la CCJA (cf. arrêt n° 010 du 21 mars 2002; 017 du 27 juin 2002, juris OHADA N° 4/2002, p.33 et 47. Ohadata J-02-72 et Ohadata J-02-166).
Etaient-ils réunis en l’espèce ? La CCJA a répondu par l’affirmative.
Le caractère certain résulte du fait que la créance trouve son fondement dans une convention entre les parties, aux termes de laquelle, elle correspondait à 30 % du chiffre d’affaires du débiteur.
La date d’exigibilité étant fixée à la fin de chaque exercice comptable, elle correspondait donc au 30 septembre 1998.
Enfin, la liquidité était déterminée à partir du chiffre d’affaires dégagé sur l’exercice comptable.
Dès lors, le recours à la procédure d’injonction de payer par le créancier est justifié.
En décidant autrement, la Cour d’Appel a fait une mauvaise interprétation de l’article 1er de l’Acte Uniforme précité, et c’est tout naturellement que sa décision a été cassée par la CCJA.