J-03-200
Voies d'exécution – Demande de délai de grâce – Juridiction compétente.
Voies d'exécution – Décision de justice – difficultés d'exécution – Saisie de la juridiction compétente – Forme – Loi applicable – Inapplication du code de procédure civile IVOIRIEN – Application de l'Acte Uniforme.
Voies d'exécution – Demande de délai de grâce – Ancienneté de la créance – Recouvrement compromis (oui) – Réduction du délai.
CAUTIONNEMENT– DEBITEUR GARANTI SEUL POURSUIVI – DEMANDE DE DELAI DE GRACE PAR LA CAUTION NON POURSUIVIE – DEFAUT D’INTERET POUR AGIR –REJET DE LA DEMANDE DE LA CAUTION.
Le Président du tribunal saisi est, en application des articles 39 et 49 de l'Acte uniforme portant voies d'exécution, compétent pour connaître d'une demande de délai de grâce. Les matières relatives aux difficultés d'exécution d'une décision de justice et aux délais de grâce étant désormais régies par les articles 39 et 49 de l'Acte Uniforme portant voies d'exécution, il faut saisir la juridiction compétente par voie d'assignation et non par requête, comme le prévoit l'article 221-c-pr.civ.
Le délai accordé au débiteur étant excessif en raison de l'ancienneté de la créance, il y a lieu de le réduire pour éviter que le recouvrement de la créance soit compromis.
Article 39 AUPSRVE
Article 49 AUPSRVE
[Cour d’appel de Bouaké, arrêt n° 117 du 18 juillet 2001, B. c/ B. et J., Le Juris Ohada, n° 2/2003, avril-juin 2003, p. 48, note anonyme].
La Cour,
Vu les pièces du dossier;
Ensemble l'exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs;
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Considérant que par exploit en date du 02/07/2001 de Maître KOUAME KONAN Paul, Huissier de Justice à Bouaké, B., représenté par la SCPA KONATE, MOÏSE, BAZIE et KOYO, Avocats à la Cour, a assigné dame B. et J., représentés par DJIGBENOU Antoine, Avocat à la Cour, d'avoir à comparaître le 11/07/2001 devant la Chambre Civile de la Cour d'Appel de céans;
Considérant que par ce même exploit, B. a relevé appel de l'ordonnance N° 73/2000 en date du 28/06/2001 du Président du Tribunal de Première Instance de Bouaké, Juge des référés qui :
– S'est déclaré compétent;
– Déclare la requête recevable;
– Dit que J. a qualité pour agir;
– Déclare la requête partiellement fondée;
– Condamne J. à payer immédiatement la somme de 500.000 FCFA;
– Accorde à J., un délai de grâce de 8 mois;
– Condamne les demandeurs aux dépens;
Considérant qu'au soutien de son action, B., par le canal de son Conseil, a exposé qu’à la suite d'un prêt qu'il a consenti à dame A., celle-ci a signé une reconnaissance de dette le 28/08/1997, aux termes de laquelle elle s'engageait à lui rembourser mensuellement et sans intérêts, la somme de 5.000 FF; qu'après avoir effectué 5 versements de 50.000 FCFA chacun, dame A. a arrêté tout paiement; que pour procéder au recouvrement de sa créance, il a obtenu une ordonnance d'injonction de payer n° 500/2000 en date du 19/06/2000, contre laquelle dame A. a formé opposition; que par jugement n° 16 en date du 10/01/2001, le Tribunal de Première Instance de Bouaké a déclaré mal fondée la demande en rétractation, et restitué à l'ordonnance d'injonction de payer, son plein et entier effet;
Que l'appel interjeté par dame A. a été déclaré irrecevable parce que tardif; que contre toute attente, dame A. a saisi le 06/06/2001, le Premier Président de la Cour d'Appel d'une demande de délai de grâce; que le 21/06/2001, elle a saisi le Président du Tribunal de Première Instance de Bouaké par requête et lui a notifié ladite requête; que le 27/06/2001, dame A. a présenté une requête aux fins d'être autorisée à assigner aux mêmes fins, et l'assignait le même jour pour l'audience à 17 heures; que le Juge des référés a rendu l'ordonnance n° 73 du 28/06/2001 querellée; qu'il sollicite l'infirmation de ladite ordonnance qui a été rendue à tort, alors que la juridiction présidentielle du Tribunal aurait dû décliner sa compétence ou, tout au moins, déclarer l'action irrecevable;
Considérant que s'agissant de l'incompétence de la juridiction présidentielle du
Tribunal, B. soutient qu'il n'est pas contesté que dame A. et J. ont saisi le Premier Président
de la Cour d'Appel d'une demande de délai de grâce qui est encore pendante; qu'en raison
du fait qu'une juridiction supérieure a été saisie de la demande, le Juge des référés du
Tribunal aurait dû se déclarer incompétent;
Considérant que s'agissant de l'irrecevabilité de l'action, B. a exposé que les dispositions de l'article 221 Nouveau du code de procédure civile sont ainsi libellées : "..Toutefois, les ordonnances relatives aux difficultés d'exécution d'une décision de justice et aux délais de grâce sont rendues sur réquisition du Procureur de la République ou du Procureur Général près la juridiction qui a statué; la requête à laquelle sont annexées les pièces justificatives en double est motivée; le requérant transmet par ministère d'huissier, une copie du dossier de sa requête au défendeur, qui est invité à faire valoir par écrit ses observations au Parquet saisi, dans un délai de huit jours"; que ledit texte n'a nullement prévu que les parties pouvaient procéder par voie d'assignation en la forme de référé ordinaire; que c'est précisément ce qu'ont fait les intimés, en donnant assignation à comparaître devant le Juge des référés, pour se voir octroyer un délai de grâce; qu'en procédant ainsi, ils ont violé les dispositions de l'article 221 du code de procédure civile; par conséquent, leur action aurait dû être déclarée irrecevable; qu'en déclarant une telle action recevable, le Juge des référés a erré;
Considérant que B. fait grief à l'ordonnance querellée, qui aurait dû déclarer irrecevable l'action de J., qui n'a jamais été partie aux différents procès ayant abouti aux décisions dont l'exécution est poursuivie; que pour déclarer son action recevable, le premier Juge a estimé qu'il ressortait de l'exploit de signification de l’ordonnance d'injonction de payer, qu'il est copropriétaire de la pâtisserie; qu'à supposer que l'exécution des décisions ait pu lui porter préjudice, il dispose de la voie de la tierce opposition; qu'en agissant par voie d'action directe, son action aurait dû être déclarée irrecevable;
Considérant que, subsidiairement, B. a soutenu que c'est à tort que le premier Juge a accordé 8 mois de délai de grâce à dame A., alors même qu'elle a quitté la Côte d'Ivoire; que le recouvrement de sa créance est désormais en péril; qu'elle n'a posé aucun acte propre à faciliter ou à garantir le paiement de sa dette; que par ailleurs, le débiteur qui se prévaut de difficultés pour solliciter un délai de grâce, doit au moins les justifier; que dame A. n'a jamais fait la preuve de ses difficultés et n'a d'ailleurs jamais offert de le faire; que sa situation financière n'est donc pas préoccupante au point qu'elle soit obligée de payer le solde de 4.000.000 FCFA sur 8 mois; que le délai de grâce accordé à dame A. est hasardeux; que compte tenu de l'absence de preuve des difficultés et de l'ancienneté de la créance, dame A. aurait dû être déboutée de sa demande de délai de grâce;
Considérant que dame A. et J., par le canal de leur Conseil, ont soutenu que même s'il était avéré que les intimés avaient saisi le Premier Président de la Cour d'Appel de Bouaké, leur demande de délai de grâce n'est plus pendante devant cette juridiction présidentielle; qu'un rapprochement des articles 49 et 39 alinéa 2 du Traité OHADA (sic)induit que le Juge des référés du Tribunal saisi est compétent pour statuer en la cause; que l'article 49 du Traité OHADA est ainsi conçu : "la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d'exécution forcée ou à une saisie conservatoire, est le Président de la juridiction statuant en matière d'urgence ou le Magistrat délégué par lui"; que la cause concernant un litige sur une mesure d'exécution forcée (saisie de biens meubles), c'est le Président du Tribunal qui est compétent pour statuer en la matière; que l'alinéa 2 de l'article 59 du Traité OHADA est ainsi libellé : "Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, la juridiction compétente peut, sauf pour les dettes cambiaires, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans la limite d'une année"; que c'est à bon droit que les intimés ont saisi le Juge des référés compétent de leur demande, aux fins de délai de grâce; qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise sur ce point;
Considérant que sur la recevabilité de l'action des intimés, ceux-ci soutiennent que B. plaide l'irrecevabilité de leur action; que selon lui, les intimés ont violé les dispositions de l'article 221 du code de procédure civile, en ce que le texte n'a pas prévu que les parties pouvaient procéder par voie d'assignation en la forme de référé ordinaire; que ce moyen est spécieux; que les intimés se demandent ce qui pousse B. à fermer les yeux sur les dispositions des articles 39 et 49 du Traité OHADA, sur lesquels ils ont fondé leur demande de délai de grâce; que le Traité OHADA suppléant le code de procédure civile; qu'un examen des deux textes montre qu'en matière de délai de grâce, le demandeur ne peut agir que par voie d'assignation, lesdits textes n'ayant pas prévu une procédure différente;
Considérant que les intimés ont soutenu que l'intervention de J. s'explique par le fait qu'il est copropriétaire des objets saisis; que sur le plan de la recevabilité de l'action, l'ordonnance querellée mérite d'être confirmée;
Considérant que sur le fond de la requête des intimés, ceux-ci soutiennent que B.
plaide au subsidiaire qu'elle n'est pas fondée, car selon lui, la situation financière de la
pâtisserie gérée par lesdits intimés "ne devrait pas être alarmante"; que la baisse du chiffre d'affaires de la pâtisserie, fait que dame A. ne peut pas se libérer en une traite de sa dette; qu'ils sont de bonne foi, dans la mesure où ils n'ont jamais fait des difficultés pour le paiement de leur dette, dont une partie est déjà réglée; qu'avant de présenter leur requête aux fins de délai de grâce, ils ont payé la somme de 2.500.000 FCFA; qu'il s'agit d'un acte propre à faciliter et à garantir le paiement de leur dette; que c'est à juste titre qu'ils ont sollicité l'obtention du délai de grâce, ceux-ci ne pouvant pas payer en une seule fois leur dette; qu'il y a lieu de dire que cette requête est bien fondée, et de confirmer l'ordonnance entreprise sur cet autre point des débats; qu'ils sollicitent la confirmation de l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions;
DES MOTIFS
Considérant que l'appel interjeté par B., le 02 juillet 2001, par exploit de Maître KOUAME KONAN Paul, Huissier de Justice, est intervenu dans les forme et délai légaux; qu'il y a lieu de le déclarer recevable;
Considérant que B. fait grief à la juridiction présidentielle, d'avoir retenu sa
compétence, alors même que les intimés avaient saisi le Premier Président de la Cour
d'Appel de Bouaké, d'une demande de délai de grâce;
Considérant cependant que la saisine du Premier Président de la Cour d'Appel de Bouaké, d'une demande de délai de grâce, n'empêche pas la saisine de la juridiction compétente de la même demande de délai de grâce, au sens des articles 39 et 49 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d'exécution, dans la mesure où le litige porte sur une mesure d'exécution forcée; que dans ces conditions, c'est le Président du Tribunal saisi qui est compétent en la matière; qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance querellée sur ce point;
Considérant que. B. fait grief à l'ordonnance querellée d'avoir déclaré recevable l'action des intimés, alors que ceux-ci ont violé les dispositions de l'article 221 du code de procédure civile, commerciale et administrative, alors qu'il n'a pas prévu que les parties peuvent procéder, par voie d'assignation, en la forme de référé ordinaire;
Considérant, cependant, que les matières relatives aux difficultés d'exécution d'une décision de justice et aux délais de grâce, réglementées par l'article 221 du code de procédure civile commerciale et administrative, sont désormais régies par les articles 39 et 49 de l'Acte uniforme précité, qui rendent inopérant l'article 221 du code de procédure civile, commerciale et administrative, de sorte que ce n'est plus par requête qu'il faut saisir la juridiction compétente, mais plutôt par la voie de l'assignation, qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance querellée sur ce point;
Considérant que B. fait grief au juge des référés d'avoir déclaré recevable l'action de J., alors que celui-ci n'a jamais été partie aux différents procès ayant abouti aux décisions dont l'exécution est poursuivie, aux motifs qu'il est co-propriétaire de la Pâtisserie "LES PALMIERS", et qu'il s'est porté caution dans la convention de prêt;
Considérant qu'il n'apparaît pas dans les pièces du dossier, que J. a été condamné en qualité de débiteur; qu'à défaut d'avoir été débiteur, il ne peut agir pour demander des délais de grâce; que même s'il est caution solidaire de dame A., le créancier a la possibilité de choisir son débiteur; que la loi lui donne la possibilité d'agir autrement pour préserver ses droits; qu'en l'espèce, J. n'est pas recevable en son action, pour défaut de qualité; qu'il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance querellée; et statuant à nouveau, déclare J. irrecevable en son action, pour défaut de qualité;
Considérant que conformément aux dispositions de l'article 52 alinéa 3 du code de procédure, la Cour a invité les parties à faire des observations sur le moyen tiré de ce que le premier juge a condamné dame A. à payer la somme de 500.000 FCFA alors qu'elle a offert de payer 1.000.000 FCFA, statuant en conséquence en deçà de ce qui a été offert, moyen qu'elle entend soulever d'office;
Considérant que les parties n'ont fait valoir aucune prétention;
Considérant qu'il apparaît du relevé des notes d'audience du 27/06/2001, que dame A. a offert de payer immédiatement la somme de 1.000.000 FCFA; que cependant, la juridiction compétente l'a condamnée à payer la somme de 500.000 FCFA; que la décision mérite d'être annulée sur ce point;
Evoquant et statuant à nouveau la Cour, condamne dame A. à payer la somme de 1.000.000 FCFA à B.
Considérant que A. fait grief au premier juge d'avoir à tort, accordé un délai de grâce de 8 mois à dame A., alors qu'elle aurait dû être déboutée, tandis que celle-ci demande la confirmation de l'ordonnance querellée;
Considérant que les difficultés financières dont fait état la débitrice se justifient en raison du ralentissement généralisé de l'activité économique;
Considérant cependant que le délai de grâce de 8 mois accordé à dame A. est excessif, compte tenu de l'ancienneté de la créance; que le recouvrement de la créance risque d'être compromis, surtout que dame A. a quitté la Côte d'Ivoire; qu'il y a lieu d'infirmer partiellement l'ordonnance querellée sur ce point, et statuant à nouveau, accorde un délai de 6 mois à dame A.;
Considérant que dame A. et J. succombent; qu'il y a lieu de les condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
– Reçoit B. en son appel régulièrement relevé de l'ordonnance N° 73/2001 rendue le 28/06/2001 par le Président du Tribunal de Première Instance de Bouaké;
– Déclare J. irrecevable en son action pour défaut de qualité pour agir
AU FOND
– Dit que B. est partiellement fondé en son appel;
– Annule l'ordonnance querellée en ce qu'elle a condamne dame A. à payer la somme de 500.000 F/CFA alors qu'elle avait offert de payer 1.000.000 F/CFA.
Evoquant et statuant à nouveau;
– Condamne dame A. à payer immédiatement à B., la somme de 1.000.000 F;
– Infirme partiellement l’ordonnance attaquée;
Statuant à nouveau :
– Accorde à dame A., un délai de grâce de 6 mois.
– Président : M. SEKA ADIKO Firmin.
Note
Cet arrêt confirme un certain nombre de principes dégagés par la CCJA sur les points suivants :
1/ Lorsque le litige porte sur une mesure d'exécution forcée, la juridiction compétente est le Président du tribunal saisi. (cf. CCJA, arrêt N° 04/02 du 10 janvier 2002, juris OHADA N° 2/2002 p.18; Ohadata J-02-26).
2/ Les matières relatives aux difficultés d'exécution d'une décision et aux délais de grâce sont désormais régies, notamment par les articles 39 et 49 de l'Acte Uniforme portant voies d'exécution. Dès lors, les articles du Code de procédure civile, notamment les articles 221 et ss sont inopérants (cf. CCJA arrêt N° 03 du 10 janvier 2002, Juris OHADA N° 2/2002 p.23; Ohadata J-02-25).
3/ Un délai de grâce accordé peut être réduit en raison de l'ancienneté de la créance, et surtout lorsque le recouvrement risque d'être compromis.